La Première Nuit du sabbat

La bibliothèque libre.
Traduction par Gérard de Nerval.
Garnier frères (p. 334-336).
Légende  ►


LA PREMIÈRE NUIT DU SABBAT


Morceau lyrique.


UN DRUIDE.

Voici mai qui nous sourit ! la forêt s’est dégagée de ses glaçons et de ses frimas. La neige a disparu, et de joyeux chants retentissent parmi la verdure nouvelle. La blanche neige s’est retirée vers les hautes montagnes : il faut cependant que nous y montions, selon la coutume antique et sainte, pour célébrer les louanges du Père de toutes choses. Que la flamme s’élève à travers la fumée : c’est ainsi que les cœurs montent à lui !

DES DRUIDES.

Que la flamme s’élève à travers la fumée ! Suivons la coutume antique et sainte de célébrer les louanges du Père de toutes choses. Montons, montons encore !

UNE VOIX DANS LE PEUPLE.

Mais quelle audace vous transporte ! voulez-vous marcher à la mort ?… Ne savez-vous pas que nos ennemis victorieux sont de ce côté ? Leurs pièges sont tendus autour de ces retraites pour surprendre les païens, les pécheurs !… Hélas ! ils égorgeront dans nos cabanes et nos femmes et nos enfants, et nous marcherons tous vers une mort certaine !

CHŒUR DES FEMMES.

Dans l’asile de nos cabanes, ils égorgeront nos enfants, ces impitoyables vainqueurs ! et nous marcherons tous vers une mort certaine !

UN DRUIDE.

Celui vers qui vont s’élever nos sacrifices protégera ses adorateurs. La forêt est libre, le bois n’y manque pas, et nous en ferons d’énormes bûchers. Cependant, arrêtons-nous dans les broussailles voisines, et tenons-nous tranquilles tout le jour ; plaçons des guerriers pour veiller à notre défense ; mais, ce soir, il faut avec courage songer à remplir nos devoirs !

CHANT DES GUERRIERS QUI VEILLENT.

Veillez ici, braves guerriers, aux environs de la forêt, et veillez en silence, pendant qu’ils rempliront leur saint devoir.

UN GUERRIER.

Ces chrétiens insensés se laissent abuser par notre audace : si nous les effrayions nous-mêmes au moyen du diable, auquel ils croient ?… Venez ! il faut nous armer de cornes, de fourches et de brandons, faire grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous, accompagner notre ronde et nos hurlements !

CHŒUR DES GUERRIERS QUI VEILLENT.

Armons-nous de fourches et de cornes, comme le diable auquel ils croient, et faisons grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous, accompagnez notre ronde et nos hurlements !

UN DRUIDE.

Maintenant, au sein de la nuit, célébrons hautement les louanges du Père de toutes choses ! Le jour approche où il faudra lui porter un cœur purifié ! Il peut permettre à l’ennemi de triompher aujourd’hui et quelques jours encore ; mais la flamme s’élance de la fumée : ainsi s’épure notre culte ; on peut nous ravir nos vieux usages ; mais la lumière divine, qui nous la ravira ?

UN CHRÉTIEN.

À moi ! au secours, mes frères !… Ah ! voici l’enfer qui nous vient !… Voyez ces corps magiques tout en feu !… ces hommes-loups et ces femmes-dragons qui se pressent en foule immense ! Oh ! quel tumulte épouvantable ! Fuyons tous, fuyons bien loin !… Là-haut flambe et mugit le diable… et l’odeur infecte des sorciers se répand jusqu’à nous !

CHŒUR DES CHRÉTIENS.

Voyez, voyez, ces corps magiques ! hommes-loups et femmes-dragons… Oh ! quel tumulte épouvantable !… Là-haut flambe et mugit le diable… et l’odeur des sorciers se répand jusqu’à nous !

CHŒUR DES DRUIDES.

La flamme s’élance de la fumée : ainsi s’épure notre culte ! On peut nous ravir nos vieux usages ; mais la lumière divine, qui nous la ravira ?…