La Presse en Angleterre

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LA PRESSE
EN ANGLETERRE.

i.
LA PRESSE POLITIQUE.

Depuis que nos armées ne courent plus le monde, c’est la langue française qui l’envahit. Au temps où Rivarol proclamait déjà l’universalité de cet idiome civilisateur, il n’était encore au dehors que la langue de la conversation et de la diplomatie ; il sert aujourd’hui partout d’instrument à la discussion et de véhicule aux idées. On publie des journaux français en Suisse, en Belgique, à Francfort, à La Haye, à Saint-Pétersbourg, à Odessa, à Vienne, à Constantinople, à Smyrne, à Alexandrie. Ce ne sont pas nos compatriotes qui les lisent ; ces feuilles vivent d’une clientelle indigène qui les défraie, mais qui leur impose en retour le goût et les besoins du pays. Un journal fait pour les marchands d’Amsterdam ne saurait ressembler à la gazette légère et polie qui est l’écho de la cour du czar ; mais l’un et l’autre, quoique dans une mesure diverse, reproduisent la polémique de nos opinions. Ce sont autant de cercles d’inégale grandeur, mais tous concentriques à la France et à Paris, ce pôle de la pensée.

Il n’en est pas ainsi de la langue anglaise. Cet idiome insulaire et peu malléable ne se répand point de lui-même. Il semble avoir rompu tout contact avec les langues de l’Europe, en dénaturant la prononciation des lettres communes aux races du nord et à celles du midi. On l’apprend par nécessité, mais on ne le parle pas pour son plaisir. La langue anglaise ne s’étend qu’avec la famille anglaise ; il faut aussi qu’elle fonde ses colonies. On en dirait autant de la presse : les Anglais ne la conçoivent que sous une seule forme ; le Times est pour eux un type universel. À Dublin comme à Londres, et dans la Nouvelle-Galles comme en Angleterre, ils veulent trouver ces immenses feuilles dont chacune renferme deux cent mille mots, la matière de deux volumes in-8o. Prenez une gazette de Canton, de Sidney, de Calcutta, ou de Liverpool ; les annonces couvrent invariablement la première page, et quelquefois aussi la dernière. Les journaux anglais sont partout des feuilles de commerce écrites pour des marchands, soit qu’ils paraissent à la pointe de la Chine, soit qu’on les publie aux portes de la Cité.

Ce qui classe un journal en France parmi les feuilles politiques, c’est la critique des actes du gouvernement et des partis ; en Angleterre, c’est la publication des nouvelles du jour. Le public n’y cherche pas autre chose : la discussion a sa place marquée ailleurs, dans les chambres, dans les clubs et dans les meetings. De là, cette différence dans le caractère des deux presses ; ce qui est l’accessoire pour nous devient pour les Anglais le principal. L’annonce, la nouvelle, autre sorte d’annonce, fait chez eux le fond des journaux. Il faut qu’ils en donnent sur toutes choses et de tout pays, on exige dans une feuille publique les renseignemens les plus positifs, les plus minutieux, les plus étendus. Un journal anglais doit présenter chaque jour le tableau du monde habité, sans négliger de détailler les plus minces accidens qui surviennent dans la société anglaise. C’est au lecteur de choisir ensuite, comme dans un bazar ou dans un restaurant.

La presse, telle que nous l’avons faite, s’adresse aux sentimens et à la raison ; elle est littéraire, philosophique, politique, sociale ; elle provoque les opinions, elle spécule pour le plaisir de l’esprit : c’est un meuble de luxe dans notre société. La presse, telle que les Anglais la font, va droit aux intérêts, qu’elle sollicite et satisfait tout à la fois ; c’est donc un meuble de première nécessité. Dès qu’un certain nombre d’insulaires se trouvent réunis sur quelque coin de l’Europe ou de l’Asie, le comptoir existe à peine qu’il lui faut un organe de ses intérêts, un journal. Il n’y a pas d’intérêt en Angleterre qui n’ait le sien.

Par un étrange contre-sens de la législation, cet aliment de première nécessité est aussi cher qu’une consommation de luxe. Un journal coûte 7 pence par numéro (plus de 14 sols) ; il y a même des journaux du dimanche qui se vendent un shilling (25 sols). Sans doute une entreprise de ce genre, qui a des correspondans sur les principaux points du globe, et qui est tenue de recueillir une bibliothèque de documens, entraîne des frais immenses que supporte en définitive le public des lecteurs. Mais le prix exorbitant des journaux provient surtout des droits de timbre et de la taxe sur le papier, qui contribuent à en élever la valeur. Le timbre seul est de 4 pence par feuille (plus de 8 sols). Les Anglais, qui, en toutes choses, considèrent le résultat, ont flétri ces taxes du nom d’impôt sur l’instruction (taxes on knowledge).

Le bill voté par le parlement dans les derniers jours de la session, et qui est exécutoire à partir de septembre, réduit le timbre des journaux à 1 penny (2 sols). Cette taxe les affranchit de tout droit de poste dans le royaume-uni ; combinée avec la diminution des taxes sur le papier, elle va rendre la presse plus accessible à toutes les classes de la population. Les journaux qui existent descendront plus bas et iront plus loin ; de nouvelles feuilles s’organiseront en concurrence avec la presse établie. La publicité ne peut manquer de recevoir, sous toutes ses formes, une grande et salutaire impulsion.

Pour mieux juger la révolution qui se prépare dans la presse anglaise, il n’est pas inutile d’examiner le régime sous lequel elle a grandi, et de montrer le point d’où elle partira, dans cette nouvelle ascension.

La liberté de la presse, dans la Grande-Bretagne, ne repose pas comme en France sur un droit écrit ; elle existe au même titre que la liberté de toute autre industrie : elle est dans la coutume, dans les mœurs, titre qui est supérieur chez ce peuple, et antérieur à sa constitution. Il n’y a que les exceptions qui soient formulées en lois.

Depuis l’année 1695, où la censure (licensing act) a été abolie, disons mieux, où le parlement a cessé de l’autoriser, tout citoyen anglais peut avoir des presses, imprimer et publier ce qu’il lui plaît. L’éditeur d’un journal n’a ni autorisation à demander, ni cautionnement à déposer, ni formalités dilatoires à subir. Aux termes de l’acte de 1798, il suffit de faire, devant les commissaires du timbre, et sur papier libre, une déclaration qui énonce les matières que doit traiter le journal, les noms et demeures de l’imprimeur, de l’éditeur, ainsi que des deux propriétaires principaux. Ceux-ci sont également responsables des amendes et passibles de la prison, en cas de condamnation.

À côté de cette indépendance, si étendue et si absolue, les lois anglaises ont placé des pénalités sévères, destinées à en réprimer l’abus. Il n’existe peut-être dans aucun pays et il n’a jamais existé une législation plus menaçante que les lois de libelle en Angleterre ; notre législation de septembre 1835 paraîtrait tolérante à ce prix. Les lois contre le libelle politique prévoient et créent, on peut le dire, une infinité d’offenses à la religion, aux mœurs, à la loi de nature, à la loi des nations, à la constitution, au roi, au gouvernement et aux deux chambres du parlement. Les lois contre le libelle privé punissent, en outre, les offenses aux cours de justice, aux grands du royaume (scandala magnatum), aux magistrats et aux personnes privées. Dans le plus grand nombre des cas, le crime de libelle est assimilé au crime de trahison ; et les précédens dont se compose cette jurisprudence, empruntés généralement aux époques de despotisme, fournissent de telles armes contre la presse, qu’il dépendrait d’un gouvernement mal intentionné de l’écraser, si elle n’avait la garantie du jury, ce palladium du peuple anglais.

Le parlement est encore maître de jeter sur la presse une sorte d’interdit. En vertu de ses priviléges, il peut exclure le public de ses séances, et défendre qu’il en soit rendu compte dans les journaux. Cette prohibition a été renouvelée trois fois pendant le dernier siècle, mais l’usage contraire a prévalu. Le parlement a bien vite compris que son autorité sur l’opinion tenait à la publicité, et à la publicité la plus étendue de ses discussions. Cependant, par un reste de ce préjugé des chambres contre la presse, les rédacteurs de journaux, admis, comme par grâce, au milieu de la foule des spectateurs, se sont vus obligés, pendant long-temps, d’écrire leurs notes sur leurs genoux. Aujourd’hui on leur accorde, dans la chambre des lords, le premier banc de la galerie publique (stranger’s gallery) ; dans la chambre des communes, on leur a réservé une galerie particulière, placée au-dessus du siége de l’orateur (speaker), et d’où ils entendent beaucoup mieux les discussions qu’on ne peut les saisir du haut des cages à colonnes où les sténographes de nos journaux ont été relégués par les questeurs.

Si le point de vue commercial a dominé dans la forme et dans l’organisation des journaux anglais, cela vient encore de la liberté même dont l’usage les a mis en possession. Tout homme pouvant faire le métier d’imprimeur, et tout imprimeur, pourvu qu’il ait des capitaux, pouvant lancer un journal dans la circulation, il en résulte que les feuilles politiques représentent des intérêts plutôt que des opinions. En France, on annexe communément une imprimerie à l’exploitation d’un journal. En Angleterre, une entreprise de journal n’est souvent que l’annexe d’une imprimerie. Ce ne sont pas des hommes qui s’associent dans le but de propager leurs convictions ; ce sont des capitaux qui se groupent, attirés par l’appât d’un bon placement[1].

Il ne faut pas se représenter l’éditeur d’un journal anglais comme un éclaireur de parti qui marche à la propagande des opinions ou à l’assaut du pouvoir. S’il se place d’un côté plutôt que d’un autre, c’est qu’il a calculé les chances de succès, et qu’il croit avoir choisi la plus sûre. Le calcul se fait de nouveau dans les grandes occasions ; chaque évènement est mesuré à la toise de l’intérêt personnel ; on met aux voix l’opinion de l’année, du mois, du jour : de là ces inconséquences si fréquentes dans le langage des journaux[2].

La pensée d’un journal n’est point dans ses rédacteurs ; et, pour tout dire, un journal n’a pas de rédacteurs qui lui communiquent leur force et qui en reçoivent la leur. On ne sait même pas, en Angleterre, ce que c’est que les rédacteurs d’un journal. L’éditeur, propriétaire lui-même, ou commis des propriétaires, a sous lui, comme des commis aux écritures, des sténographes ou reporters, qui rendent compte des séances du parlement, des tribunaux et des meetings ; des correspondans commerciaux et politiques dans la cité et au dehors ; enfin des sous-éditeurs qui commentent les nouvelles dans le style qui est compris des chefs de fabrique et de comptoir. Le reporter est le type du journaliste anglais, espèce de greffier qui se regarde comme chargé de dresser procès-verbal des évènemens.

Cette habitude de prendre les faits pour des faits, et de les enregistrer à peu près sans critique, doit rendre les journalistes assez indifférens aux variations d’opinion. Ils jouent véritablement à la hausse ou à la baisse, et, comme des joueurs expérimentés, ils imposent silence à leurs sentimens. Si, par hasard, leur voix s’élève, ce n’est pas une émotion qui éclate en eux, c’est une impression qu’ils ont reçue du public et qu’ils lui renvoient.

L’organisation de la presse anglaise la met dans la dépendance la plus complète de ses lecteurs. Les journaux n’ont pas d’abonnés et n’arrivent au public que par l’intermédiaire des newsmen, espèces de libraires qui en achètent tous les matins un certain nombre d’exemplaires qu’ils font circuler à tant par heure dans le quartier pendant la journée, pour les expédier ensuite le soir en province, à prix réduit. Dès cinq heures du soir, il est impossible de trouver à Londres une feuille du matin, excepté dans les clubs et dans quelques établissemens publics. Au sein d’un pays où le moindre chef d’atelier a sa bibliothèque, personne ne fait collection des journaux ; leur clientelle est remise tous les jours en question.

Il en est de cela comme des baux à courte échéance. Un fermier qui n’occupe la terre que pour un, trois ou cinq ans, s’inquiète peu d’améliorer la culture, car les améliorations pourraient ne profiter qu’à son successeur. De même, un journaliste qui n’est pas assuré de retrouver le lendemain les lecteurs de la veille, ne prendra l’initiative d’aucune grande pensée. Il n’ira pas heurter leurs préjugés, de peur que le temps ne lui manque pour les éclairer ; il mettra tous ses soins à sonder l’opinion, afin de pouvoir se l’attacher en la suivant et en la flattant.

La clientelle d’un journal en France lui donne de l’influence, du pouvoir ; la clientelle d’un journal en Angleterre lui procure des annonces, c’est-à-dire de l’argent. Les annonces couvrent ordinairement les frais d’impression et de rédaction ; c’est la vente des numéros qui fait le bénéfice de l’entreprise. Le Times reçoit pour 100,000 liv. sterl. d’annonces ou d’avertissemens par année (2,500,000 fr.) ; le Morning-Herald, la plus vieille machine de cette presse, en compte à peu près la moitié, tandis que le Morning-Chronicle et le Standard, feuilles de meilleure compagnie dans des opinions opposées, ne retirent pas de cette branche de revenu un bénéfice proportionné à leur influence politique. Ainsi, plus la rédaction d’un journal s’élève, moins l’entreprise s’enrichit.

Le droit sur les annonces, qui était dans le principe de 3 shillingpence par article (4 fr. 40 c.), fut réduit, en 1833, à un shilling et demi. Par suite de la réduction, le revenu sur cet impôt diminua de plus de 2,000,000 de fr. ; le nombre des annonces insérées dans les papiers publics s’accrut très faiblement, et à peine dans la proportion d’un sixième pour les journaux solidement établis. Le prix des avertissemens demeurait encore trop au-dessus des facultés du petit commerce et des petites industries.

Est-il possible d’établir en France une presse d’annonces comme la presse anglaise ? Quand nos mœurs le permettraient, le commerce des avertissemens peut-il devenir le substratum d’un journal ? On le croira difficilement. Rien ne se ressemble moins que la France et l’Angleterre à cet égard. Les Anglais croient à l’annonce, c’est pour eux une foi vive et universelle ; les avertissemens n’ont pas moins de lecteurs que les nouvelles politiques, toutes les industries et tous les commerces y ont recours. Avec cette multiplicité et cette activité d’affaires ils ont besoin d’apporter une stricte économie dans la distribution du temps. L’affiche est une nécessité pour eux, parce qu’elle l’abrège, comme les communications rapides, comme les voitures qui font quatre lieues à l’heure, et comme les chemins de fer. Toutes les affaires se traitent en Angleterre sur étiquette, et l’annonce dans les journaux est la conséquence du même système qui a introduit l’usage des warrants dans les docks. Parcourez les rues de la Cité, le vitrage de chaque magasin est bordé d’annonces comme les pages du Times ou du Morning-Advertiser. L’affiche court les rues sur les éventaires des marchands ambulans, et grimpe en lettres gigantesques jusqu’au faîte des maisons. À trente lieues de Londres, vous lisez sur les murs d’un parc la pancarte de quelque négociant de la Cité ; on vous remet ses prix courans à Boulogne, quand vous mettez le pied sur le bateau à vapeur.

En est-il de même en France ? qui fait usage de l’annonce, qui la lit et qui y croit ? Les avertissemens affluent dans les bureaux des feuilles anglaises, malgré l’impôt qui devrait agir comme une prohibition. Chez nous, l’on ne timbre pas les annonces, le public les obtient à bon marché, et cependant la librairie est à peu près la seule industrie qui en fasse usage ; c’est à cela que se réduit la clientelle commerciale des journaux. La feuille la plus répandue n’en reçoit pas pour 15,000 francs par mois.

En 1798, suivant M. de Montvéran, les journaux anglais employaient déjà 200 à 250,000 rames de papier d’une grande dimension. Le même auteur affirme que leur circulation était réduite à 150,000 rames en 1817, sur lesquelles le trésor percevait annuellement 10,000,000 de fr. Aujourd’hui l’impôt sur le timbre et sur les annonces rapporte environ 600,000 liv. sterl. ou 15,000,000 de fr., et suppose l’emploi de 200,000 rames de papier. Ajoutez que la presse non timbrée publie chaque semaine 250,000 feuilles à Londres et 100,000 dans les provinces, et que sa publicité augmente de jour en jour.

Aux États-Unis où la presse n’a ni droit de timbre ni droit sur les annonces, ni taxe sur le papier à payer, 1,200 journaux politiques répandent jusque dans les hameaux les plus reculés de chaque état la connaissance des affaires publiques. L’Angleterre n’est pas aussi avancée. Cependant le nombre des feuilles politiques paraît considérable, si on le compare aux publications du continent. L’Irlande seule imprime 82 journaux, dont 21 sont publiés à Dublin. La publicité n’a pas moins d’extension en Écosse[3]. Dans l’Angleterre proprement dite, on compte 175 journaux sans y comprendre la ville de Londres, avec les 100 à 120 feuilles qui s’impriment dans le rayon de la Cité.

Les journaux de province ne paraissent généralement qu’une fois par semaine.

À Londres même, il n’y a pas un seul journal quotidien, dans l’acception rigoureuse du mot. Le dimanche est un jour sacré en Angleterre, où les méditations de la pensée s’arrêtent comme les travaux du corps. Les feuilles hebdomadaires ou du dimanche sont publiées le samedi soir ; les feuilles qui paraissent dans la semaine, feuilles du soir ou du matin, font trêve, pendant la journée du dimanche, à leurs publications. Il en est de même de toute discussion politique ; le parlement n’entre pas en séance le samedi, de crainte que le débat, se prolongeant comme à l’ordinaire, bien avant dans la nuit, n’empiète sur le repos du jour consacré au Seigneur.

Ce doit être pour nous un sujet d’étonnement que ces longs intervalles de la publicité dans un pays où le plus mince boutiquier a l’habitude, sinon le talent de la parole, et peut paraître décemment sur les hustings, où tout le monde et chacun s’occupent des affaires publiques, où les journaux se lisent partout et jusque dans les ateliers de charité (work-houses). En France, les feuilles politiques n’ont pas autant de lecteurs, mais ces lecteurs veulent les lire chaque jour. Il y a peu de journaux dans les départemens qui ne paraissent pas plusieurs fois par semaine, et ils tendent tous à devenir quotidiens. Une revue, pour prétendre à quelque succès, doit se publier chaque semaine ou deux fois par mois. Nous ne savons pas prendre des habitudes à longue échéance ; il nous faut des liens de tous les jours. Les Anglais au contraire divisent le temps aussi bien que le travail. Considérant la vie comme une grande manufacture où chaque ouvrier a sa tâche et n’a qu’une tâche, ils font la part des affaires publiques et la part des affaires privées. Les hommes politiques, ou, ce qui est la même chose en Angleterre, les hommes de loisir, et les banquiers, dont les spéculations peuvent être affectées par le mouvement des opinions, réservent chaque jour une heure à la lecture des journaux. Le marchand et le manufacturier, occupés, du matin au soir, à faire manœuvrer une armée de commis ou d’ouvriers, ne s’inquiètent guère que le jour du repos de savoir comment le monde a marché pendant la semaine. L’ouvrier de même, pure machine six jours durant, n’a que le septième pour réfléchir et pour regarder ce que devient le pays entre les mains de l’aristocratie.

La périodicité des publications politiques s’échelonne suivant ces besoins. La presse parlementaire, réduite à dix journaux, a la parole six jours sur sept ; le dimanche appartient à la presse populaire et aux feuilles qui, mesurant déjà les évènemens à distance, les voient ainsi d’un peu plus haut. Enfin, la politique d’impulsion, le jugement des partis sur les hommes et sur les choses, ne se prononce que dans les revues trimestrielles et suit, pour ainsi dire, la marche des saisons. La presse, en Angleterre, a sa hiérarchie comme l’état, comme l’église et comme la société.

Des dix journaux quotidiens qui s’occupent des affaires politiques, huit paraissent le matin et quatre le soir ; on évalue leur tirage à 45,000 feuilles par jour[4]. Le Times et le Morning-Advertiser emploient chacun environ 200,000 feuilles timbrées par mois, ce qui porte leur tirage à 6,600 par jour. La circulation des six journaux qui soutiennent la réforme est évaluée à 26,000 feuilles par jour, et celle des quatre journaux qui se rattachent au parti conservateur à 19,000 feuilles seulement. Cette proportion représente assez exactement l’état de l’opinion dans la métropole et même dans le reste de l’Angleterre, si l’on excepte les comtés manufacturiers.

Les journaux du soir, le Globe, le Courier, et le Sun à l’exception du Standard, appartiennent à l’opinion réformiste ; ils n’ont pas la même influence que les journaux du matin, auxquels ils empruntent généralement leurs comptes-rendus des séances parlementaires et leurs principaux articles de fond (leading articles). Ce qu’on leur demande surtout, ce sont les nouvelles de la journée ; celles qui n’ont pu trouver place dans une première édition publiée à cinq heures du soir, une seconde édition les fait connaître deux heures plus tard. Ils devancent ainsi de douze heures les publications du lendemain, et sont, pour cette raison, fort recherchés dans la Cité, dans les provinces et à l’étranger.

Le Globe est l’organe du ministère ; le Courier, un peu moins engagé, représente la partie de cette coalition qui a le plus d’affinité avec les conservateurs ; le Sun et le True-Sun, son concurrent du matin, défendent, dans une mesure diverse, les opinions du parti radical ; le Sun, le plus modéré des deux, voit sa clientelle s’accroître de jour en jour.

Le Morning-Chronicle, dont l’éditeur et rédacteur, M. Black, fort connu par sa querelle avec M. Roebuk, jouit d’une grande considération, représente la fraction avancée des whigs ; il se tient sur la lisière du radicalisme, sans y entrer. Le Morning-Advertiser, le plus répandu des journaux réformistes et le plus ancien, personnifie ce libéralisme puritain, qui est le vieil esprit de la réforme en Angleterre ; c’est l’oracle de la bourgeoisie.

Les diverses nuances du parti conservateur sont complètement et fidèlement exprimées par ses quatre organes : le Morning-Herald, le Morning-Post, le Standard et le Times. Le Morning-Herald, espèce d’édifice gothique, est l’arsenal qui recueille tous les préjugés du pays. Son langage n’a pas la violence du Morning-Post, ni l’audace délibérée du Times ; mais il ne cède pas de meilleure grâce, et défend les abus comme autant de parties intégrantes de la constitution. Le Morning-Post et le Standard représentent plus particulièrement l’opposition de la chambre des pairs. Le Times, plus adroit et plus récemment acquis au parti, s’est fait l’organe de sir Robert Peel. Dans l’ordre des intérêts, car toute opinion repose sur un intérêt en Angleterre, il figure cette aristocratie manufacturière et marchande qui a toutes les prétentions de la noblesse sans en avoir l’éclat.

La presse du dimanche compte plus de 40 journaux et publie plus de 120,000 feuilles ; un seul journal, le Weekly-Dispatch, fournit le quart du nombre total dans cette immense circulation. Parmi les feuilles hebdomadaires, plusieurs ne se proposent que de reproduire les opinions et de compléter, pour ainsi dire, la publication de leur modèle quotidien. Tels sont le Sunday-Herald, le Sunday-Times et le Weekly-True-Sun. D’autres s’adressent à la fois aux hommes politiques et aux littérateurs comme le Spectator et l’Examiner, feuilles d’une rédaction indépendante et élevée. Le plus grand nombre ont leur clientelle dans les rangs inférieurs de la société ; ainsi du Satirist, qui fait les délices des domestiques, du John Bull qui est lu par la populace des tories, du Weekly-Dispatch, vraie denrée de province et pâture de fermiers.

La prépondérance des opinions réformistes est encore plus grande dans la presse hebdomadaire que dans la presse quotidienne ; car, à mesure que l’on descend dans les classes inférieures, on rencontre une démocratie plus ardente et plus décidée. On compte trois feuilles radicales pour un journal tory.

La proportion n’est pas aussi forte pour les journaux de province qui suivent le même mode de publicité, il y a cent journaux réformistes contre 75 feuilles tories ; mais la circulation de celles-ci est inférieure de moitié. Sur les soixante journaux qui se tirent à plus de mille exemplaires chacun, on compte 37 réformistes et 23 tories ; la circulation moyenne des réformistes est de 1,951 exemplaires et celle des tories de 1,374 par semaine. Voici le tableau de ces forces politiques.

Journaux libéraux Tories
1,000 ex. et au-dessous de 1,200 6 9
1,200 1,500 11 6
1,500 2,000 8 6
2,000 3,000 2 2
3,000 et au-dessus 4 0

Ainsi la circulation des feuilles libérales est à celle des journaux tories comme 100 est à 43.

Quoique ces chiffres aient été relevés sur les tableaux officiels, ils ne présentent pas les faits avec une exactitude absolue. La circulation des journaux de Londres a été exagérée aux dépens de celle des journaux de province. Voici d’où provient l’erreur :

Les feuilles de province en Angleterre n’ont pas, comme dans nos départemens, la faculté de faire timbrer leur papier dans la ville où elles se publient. Il n’y a pas de timbre (stamp’s office) hors de Londres, de Dublin ou d’Édimbourg. L’éditeur d’un journal qui s’imprime à Liverpool ou à Newcastle, à cent lieues de la métropole, est obligé de tirer de Londres ses feuilles timbrées dont les accidens du trajet mettent souvent une partie hors de service. Quelquefois, au lieu de s’adresser directement à l’administration, il préfère les prendre dans les bureaux de quelque confrère à Londres, qui lui accorde une remise et paie ainsi l’avantage de figurer sur les documens officiels pour un chiffre plus élevé que sa propre consommation. À la faveur de cette supercherie, le Times a dissimulé pendant long-temps le vide qui était survenu dans sa clientelle, et il a pu conserver le magnifique revenu de ses annonces qui lui rendent par mois beaucoup plus que le plus achalandé de nos journaux ne reçoit dans une année.

Pour prévenir la fraude, on avait imaginé un expédient bizarre, mais qui était tout-à-fait dans les mœurs anglaises. Chaque journal devait porter un timbre particulier marqué de son nom, le sceau de la propriété dans les choses de l’esprit. Cette clause, proposée par M. Grote, au nom du parti radical, et insérée dans le bill du consentement du ministère, ne fait pas partie de la loi, telle que le parlement l’a votée après les amendemens introduits par les lords.

La presse non timbrée n’a pas produit un seul journal quotidien. Pour lutter avec les feuilles établies, il eût fallu des capitaux considérables, capitaux qu’aucun Anglais ne voudrait aventurer dans une industrie placée hors la loi ; mais il est plus facile de faire concurrence aux feuilles du dimanche, espèce de compilations que l’on arrange souvent avec quelques coups de plume, et à force de ciseaux, et pour lesquelles on n’a pas besoin de se mettre en frais de correspondances à l’étranger ni d’organiser à l’intérieur une escouade de reporters[5]. La presse hebdomadaire s’adresse au peuple, et la feuille la plus populaire, à mérite égal, sera toujours celle qui remplira le mieux la condition du bon marché. Les journaux non timbrés se vendent quatre sous (two pence), les journaux timbrés quatorze ; si quelque chose doit nous étonner, c’est que ceux-ci n’aient pas été entièrement étouffés par une concurrence aussi redoutable, et contre laquelle la loi les laissait à peu près désarmés.

Cette presse de contrebande a la prétention de parler un langage plus poli et plus digne que celui de la presse légale, et elle n’a pas de grands efforts à faire pour y réussir. Elle cherche du reste à amuser le peuple plutôt qu’à l’instruire ; les comptes-rendus des assises et des tribunaux de police, les histoires dramatiques, les meetings radicaux, fournissent le fond ; quelques déclamations passionnées contre la chambre des lords ou contre Louis-Philippe complètent le journal. Cette langue démocratique nous semblerait étrange et presque inintelligible. Pour en donner un exemple, le Radical, ayant à faire l’apologie d’Alibaud, ne vit rien de mieux que de remonter à Harmodius et à Aristogiton, en imprimant, pour l’édification des ouvriers anglais, le texte grec de l’ode composée en l’honneur des meurtriers d’Hippias ; l’article fut reproduit dans plusieurs journaux. N’est-ce pas un peuple bien républicain que cette démocratie à laquelle on ne peut parler sans avoir pris ses degrés à Oxford ?

La presse non timbrée n’est qu’une machine de guerre. On s’en est servi avec beaucoup d’habileté pour faire brèche à un impôt monstrueux. Mais, après la réforme des lois sur le timbre et la réduction de la taxe à un penny, les journaux n’ont plus de raison suffisante de s’affranchir du régime légal ; ceux qui tenteraient de continuer la fraude se verraient abandonnés par l’opinion publique qui les a jusqu’ici soutenus. Le droit était pour eux quand ils luttaient contre une loi oppressive ; maintenant la loi est réconciliée avec le droit, et les mœurs la protégeront.

Ajoutez que le dernier bill confère aux officiers du fisc des pouvoirs très étendus. Ils ne sont plus réduits à saisir les feuilles colportées dans les rues, et à retenir les colporteurs en prison. On leur ouvre le domicile, cette forteresse inviolable jusqu’à présent du citoyen anglais. Tout employé du timbre peut, sur la dénonciation du premier venu, et sans mandat judiciaire, pénétrer dans les maisons et saisir les journaux non timbrés partout où il les trouvera. Si une personne affirme sous serment que tel imprimeur a publié telle feuille de contrebande, le juge de paix est tenu de délivrer un mandat avec lequel on va saisir les presses et entamer une procédure. Les amendes sont exorbitantes et s’élèvent, pour la moindre contravention, tantôt à 20, tantôt à 50 livres sterling. Quel capitaliste voudra courir les chances d’une industrie ainsi exposée ?

La concurrence les ruinerait à défaut du fisc, car les éditeurs des journaux timbrés la feront à leur tour avec la puissance d’un intérêt solidement établi. On pourra donner un journal timbré à 6 sous ; et qu’est-ce que la différence de 2 sous par numéro pour des feuilles qui paraissent une fois par semaine, lorsque cette inégalité de prix est compensée par une grande supériorité de rédaction ?

Les hommes d’état qui proposèrent au parlement, dans la dernière session, la réduction des droits de timbre, prévoyaient sans doute les changemens que la presse doit subir par suite de cette réduction. Ils savaient bien qu’ils allaient substituer dans quelque mesure l’influence des opinions à celle des capitaux. « Nous voulons élever le caractère de la presse, » avait dit lord Melbourne dans la chambre des lords.

Quelle que soit la valeur de la presse politique dans la Grande-Bretagne, elle occupe en effet un rang inférieur dans la société. Une sorte de défaveur plane sur les écrivains attachés à la rédaction des journaux. La haute société ne leur ouvre pas ses salons, et les oblige, par cette exclusion, à vivre dans l’obscurité. On ne les admet pas même dans les clubs, et le Morning-Herald avouait récemment avec amertume que, parmi les éditeurs des journaux de Londres, un seul en a obtenu l’entrée. Les membres des deux chambres qui s’associent aux intérêts et à la rédaction d’un journal n’oseraient, pour rien au monde, lui donner publiquement ces marques de sympathie. Un homme politique, qui veut jeter une opinion en avant, n’a pas recours directement à la presse ; il convoque un meeting dont on enregistre ensuite les actes et les paroles dans les colonnes des journaux.

La plupart des éditeurs ont le titre de barristers (avocats), ce qui équivaut en Angleterre à un degré de noblesse ; ils se distinguent presque tous par des connaissances étendues : d’où vient donc ce préjugé, qui en fait des parias dans l’ordre politique ? En France, un journaliste, quand il est homme de cœur et de talent, marche l’égal d’un conseiller d’état, d’un pair ou d’un député ; la presse est comme un gymnase où les chefs de parti se préparent au gouvernement, et tel ministre n’a souvent fait qu’un saut du bureau d’un journal au banc des secrétaires d’état. En Angleterre, il n’y a pas d’exemple de ces illustrations ; on ne parvient que par l’aristocratie, par le barreau ou par les positions commerciales. La presse n’est ni un pouvoir ni le marche-pied du pouvoir. Pendant vingt ans, les whigs organisèrent leur parti au moyen de la Revue d’Édimbourg ; mais ils n’auraient jamais songé à se servir d’un journal.

Un journal anglais, qui a recherché les causes de ce discrédit, l’attribue au langage brutal de la presse. « On ne conçoit pas, dit-il, que des hommes qui veulent appartenir à une classe respectable de la société, et qui doivent avoir une éducation libérale, se livrent à ces indignes personnalités. Dans leurs moindres querelles ils se traitent de menteur, de voleur, de mercenaire, de scribe, d’animal, et cherchent à rabaisser mutuellement leur caractère, comme s’il ne devait rien rejaillir sur eux-mêmes de cette dégradation de la presse. D’où vient que la presse est placée plus haut en France qu’en Angleterre, si ce n’est de l’absence des personnalités qui défigurent nos journaux ? »

Nous ne saurions partager cette opinion. Sans doute un langage plus décent contribuerait à la dignité de la presse en Angleterre. Mais cette liberté d’invective n’est pas particulière aux journaux ; elle fait partie de la langue politique du pays. Le même jour où vous aurez lu dans le Times que le Morning-Chronicle est un polisson (scoundrel), et dans le Morning-Chronicle que le Times est un coquin (ruffian), vous entendrez O’Connell, dans un meeting, dire que les tories sont des voleurs. Les habitudes de la presse, en Angleterre, sont les mêmes que celles des chambres ; il se fait dans les deux camps la même consommation d’injures et de gros mots. Les Anglais ne sont pas des Athéniens.

Nous reconnaissons les avantages de la presse anglaise. Il n’y a pas de journaux au monde mieux informés, qui renferment une plus grande quantité ni une plus grande variété de renseignemens. Les propriétaires n’épargnent pour cela ni soins ni dépenses ; le Times, pour sa correspondance de Paris, dépense annuellement 4 à 5 mille livres sterling, somme égale à ce que coûte la rédaction entière d’un journal parisien. Qu’un meeting se tienne à Édimbourg ou à Manchester, on enverra deux reporters en poste et à grands frais pour recueillir les discours et les émotions. Tout ce que l’on peut faire avec de l’argent, nos voisins le font, et le font mieux que nous[6].

Mais écrire un journal ou le diriger dans des vues politiques, avec un plan de campagne et le coup-d’œil de l’homme d’état, voilà ce que l’on ne sait pas en Angleterre. Les journaux anglais ont d’excellens écrivains, des éditeurs instruits ; ils ont surtout dans l’occasion cet admirable bon sens qui met toujours le doigt sur la plaie, et qui en sonde promptement la profondeur. Mais ils vont au jour le jour ; ils suivent l’opinion dans tous ses mouvemens et jusque dans ses écarts. Ils sont de la foule, ils ne conduisent pas.

Tous les partis ont deux presses en Angleterre : la presse des revues, où ils mettent leur pensée politique, et la presse des journaux, presse de détail, qui ramasse et contrôle les faits. La première est celle des gentlemen ; elle donne un rang et une position à ceux qui écrivent ; la direction des affaires lui appartient. La seconde est la presse de la bourgeoisie ; c’est sa conversation écrite, c’est la mesure de son niveau intellectuel. Pour que les journaux s’élèvent dans l’opinion, il faut peut-être que les revues déclinent, et cela se fait tous les jours, ou plutôt tous les ans. La Revue d’Édimbourg n’est plus une école ; le Quarterly Review est devenu une arène de personnalités qui n’épargnent pas même les femmes ; le Westminster Review s’est fondu avec le London Review, sans pouvoir donner au parti radical l’organe qui lui manquait ; le British and foreign Review fait grande dépense de talent et d’impartialité dans une direction qui n’est pas assez visible aux yeux du public. Les traditions de la grande critique se perdent en Angleterre ; et quand on pourrait les conserver religieusement, elles ne réveilleraient pas l’appétit blasé des lecteurs.

Admettons que les journaux succèdent à l’importance des revues. Ce sera beaucoup assurément, et la presse ne saurait s’élever plus haut en Angleterre. Mais n’y a-t-il rien au-delà ?

Pour dire toute notre pensée, le rôle de la presse n’est pas le même dans les deux pays. En France, et avec cette impatience de découvertes, ce génie d’innovation qui nous est propre, la presse, dans toutes les opinions, est une sentinelle avancée qui a mission d’avertir plutôt que de contrôler, de prévoir plutôt que de voir, de signaler les tendances et non les faits. C’est l’instrument le plus actif du progrès chez un peuple qui est tourné tout entier vers l’avenir.

La vieille Angleterre, la patrie des traditions, est au contraire suspendue au passé. Là personne ne donne l’impulsion au corps social ; il gravite de lui-même, le principe donné, de conséquence en conséquence, comme de degrés en degrés. Quiconque aurait la prétention de diriger l’opinion, l’irriterait contre lui ; la presse n’en est que l’écho, elle regarde marcher la société et se contente de marquer les distances parcourues. Si elle prenait l’initiative de quelque idée ou de quelque démarche, la nation ne croirait plus posséder le self-government.

Ainsi la presse, placée en France à l’avant-garde de la civilisation, occupe en Angleterre le corps de bataille : là elle n’a pas l’occasion d’acquérir une gloire brillante ni de faire des coups d’éclat ; mais elle est aussi moins exposée, et, dans les jours de malheur, moins délaissée.


L. Faucher.
  1. Nous voyons le même phénomène se reproduire en France dans la presse des départemens. Éloignée du centre des affaires et du mouvement des opinions, comment représenterait-elle réellement les partis ? Elle appartient de droit à la spéculation et aux seuls spéculateurs possibles dans les départemens, aux imprimeurs du chef-lieu.
  2. On raconte publiquement à Londres que, lorsque le Times se décida, après beaucoup d’hésitations, à prendre parti pour la reine contre George IV, cette résolution, qui fut la source de sa fortune, n’avait été arrêtée dans le conseil des propriétaires qu’à la majorité d’une voix.
  3. En 1822, l’Irlande n’imprimait que 59 journaux, et l’Écosse 27. Aujourd’hui la ville de Glasgow seule en publie 10.
  4. En 1829, l’on comptait à Londres 13 journaux quotidiens, qui publiaient ensemble 40,000 feuilles par jour. Le progrès est d’un neuvième en sept ans, ou de 11 pour cent.
  5. Pour rédiger les comptes-rendus des séances du parlement, chaque journal quotidien emploie quatorze ou quinze reporters, et dépense 3,000 livres sterling par session (75,000 fr.)
  6. La Revue de Westminster a cité deux exemples fort remarquables de la rapidité avec laquelle les nouvelles sont transmises par les journaux.

    « Un vaisseau arrive à Liverpool avec des dépêches qui contenaient la nouvelle d’une bataille décisive entre les royalistes et les patriotes de l’Amérique du Sud. Aussitôt que le navire fut signalé, l’agent expédia un bateau pour recevoir les lettres dont il était porteur. Quelques-unes de celles qui étaient destinées pour Londres y furent envoyées par un exprès. Elles arrivèrent à une heure et demie le lendemain. Lorsque la personne qui les avait reçues en eut fait usage à la bourse, elle les communiqua par faveur à un journal du soir, le Globe, et à trois heures et demie le banquier qui les avait communiquées recevait, dans la Cité, un numéro du journal qui en contenait la traduction. Un quart

    d’heure après, le courrier qui les avait apportées de Liverpool à Londres repartit pour Liverpool avec un numéro du journal, et le jour suivant, à onze heures, l’agent de Liverpool l’avait déjà reçu. Comme dans cet intervalle le vent n’avait pas été favorable, et que le vaisseau n’avait pu entrer dans le port, les habitans de Liverpool reçurent de Londres la première nouvelle de la bataille une heure avant l’entrée du navire qui l’avait apportée en Europe. »

    « Lorsque l’empereur de Russie vint en Angleterre, il visita l’université d’Oxford ; la nouvelle de son arrivée fut envoyée le soir, par un exprès, à un journal du matin, où elle fut insérée, et le lendemain matin l’empereur trouva sur sa table le récit de sa visite de la veille. »