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La Princesse à l’aventure/La Reine et les Filles du Roi

La bibliothèque libre.
& Charles Verrier
(p. 110-114).


X. LA REINE ET LES FILLES DU ROI.


Il était presque midi, quand les quatre filles du roi arrivèrent dans le faubourg de leur ville. Devant elles, marchaient le chevalier errant, la vieille négresse et le montreur de marionnettes. Et les marchandes des quatre saisons, qui étaient arrêtées avec leur petite voiture aux portes des estaminets, s’étonnaient de ce singulier cortège.

Les arbres à demi dépouillés de leurs feuilles, remuaient leurs branches dans les jardins. Le soleil brillait à travers la poussière froide que le vent d’automne soulevait le long des murs. Les cheminées de briques, semaient sur toute la ville d’épais flocons de suie qui retombaient dans les rues en pluie fine. Midi sonna. Les vitrages sales des usines étincelérent. Les cloches des fabriques sonnèrent à leur tour. Des ouvriers en cotte bleue et des jeunes filles avec des sarreaux, sortaient par groupe des ateliers et entraient dans les guinguettes.

lls reconnurent les quatre filles du roi, et s’approchèrent d’elles pour les voir ; ils se parlaient entre eux ; ils s’appelaient ; une femme cria :

— Ce sont les quatre filles du roi qui reviennent !

Et tout aussitôt s’éleva, d’un bout à l’autre du faubourg, une longue acclamation. Toutes les portes s’ouvrirent. Les sonnettes des boutiques tintaient. Les voitures s’arrêtaient. Les drapiers venaient sur le seuil de leur maison avec leurs aunes à la mains ; les tonneliers, avec leurs tabliers ; les boulangers avec leur torse nu ; les comptables avec leurs manches de lustrine noire et les couturières en cheveux avec leurs robes pleines de fils. Et les servantes d’auberge et les bourgeoises levaient les bras et criaient ensemble :

— Voilà les quatre filles de roi qui reviennent !

On coupa dans les jardins des branches de pin et de marronnier, des bottes de roses et d’asters en fleurs, et on les éleva en l’air sur leur passage ; à mesure qu’elles avançaient, les cris redoublaient. Les bonnes femmes aux fenétres suspendaient des draps de lits, des tapisseries et des étoffes brodées, comme pour un jour de Féte-Dieu. Des gens grimpaient sur l’appui des fenêtres, sur les parapets du quai et sur les voitures qui étaient rangées le long du trottoir, parce qu’une grande foule marchait derrière les princesses.

Quand elles arrivèrent aux portes de la ville qui étaient toutes tendues de blanc, les canons de la citadelle se mirent à tonner et les soldats qui gardaient le pont-levis, soufflèrent dans leurs trompes. Le haut des fortifications était garni d’enfants qui étaient accourus de tous les côtés pour voir. Ils descendirent en se bousculant, les rampes de gazon et formèrent une grande troupe qui précéda, en chantant, les quatre princesses et leur cortège. Et comme toutes les femmes voulaient toucher les habits des filles du roi et se battaient pour s’approcher, le montreur de marionnettes, la négresse et le chevalier errant s’efforçaient de les retenir.

Bientét apparut le Palais Royal, au milieu d’une place plantée d’arbres. Les enfants s’écartérent. Les filles du roi franchirent la grille dorée. Elles traversèrent la grande cour du milieu ou s’élevait une statue. Elles virent que cette statue était celle de leur père ; elles comprirent qu’il était mort ; elles pleurèrent et elles montèrent en se donnant la main, les marches du perron, tandis que la foule envahissait la cour et les suivait en répétant :

— Longue vie aux filles du roi, qui vont nous débarrasser de la méchante reine !

En un instant, la grande salle du Palais fut pleine de monde. La reine qui était sur son trône, en fut arrachée malgré sa colère. On l’entraîna ; on dressa dans un coin de la place, sur un grand tréteau, une roue de bois ot l’on attacha la mauvaise femme, et ot on la fit tourner si vite, si vite, qu’elle en perdit haleine et qu’elle étouffa.

On dit que le montreur de marionnettes fut commis aux Divertissements, que la vieille négresse eut l’intendance des Cuisines et que le chevalier errant fat fait capitaine des Archers. On dit que les quatre princesses furent aimées, l’une d’un banquier hollandais ; l’autre d’un impresario ; l’autre d’un entrepreneur de jardins et la derniére d’un préfet. On dit qu’elles furent heureuses et qu’elles eurent beaucoup d’enfants. Mais nous n’en savons rien.