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La Princesse à l’aventure/Le Pavillon de Musique de Madame

La bibliothèque libre.
& Charles Verrier
(p. 102-104).


VIII. — LE PAVILLON DE MUSIQUE DE MADAME


Le soleil était déja levé depuis longtemps quand la princesse s’éveilla toute seule. Elle prit son sac, sa pie, son singe et son accordéon et elle marcha jusqu’au soir, le long du fleuve où passaient des chalands et des bateaux à voile et où des pêcheurs jetaient des éperviers.

Elle leur demanda aux uns et aux autres, en criant, s’ils ne connaissaient pas une ville aux portes de laquelle était un arbaletier qui jouait de la flûte, une ville aux portes de laquelle étaient trois rois vétus d’azur, ou bien une autre ville aux portes de laquelle étaient trois tétes coupées. Mais ils ne répondirent rien. La pluie tomba. Les arbres d’un grand parc rougeoyérent, et les toits d’une ville apparurent au loin.

Elle était entrée dans le parc. Elle marchait le long des allées détrempées. Une statue de Diane, à demi rongée de mousse, ruisselait au milieu d’une pelouse. Elle vit un pavillon de musique dont les marches étaient descellées et dont le toit rond était couvert de lierre. Elle poussa la porte vitrée et entra. Il faisait froid. I] y avait là, dans un coin, une harpe, un clavecin et une contrebasse avec son archet.

Le singe souffla dans ses joues et se battit les flancs ; la pie se secoua en faisant claquer ses ailes ; l’accordéon s’égoutta sur les dalles.

La petite princesse s’assit sur une chaise, et se mit à songer à ses sœurs dont la premiére était à présent servante d’auberge, dont la seconde était fille de lavoir et dont la troisiéme était passeuse. Et le Pavillon de Musique lui dit :

— Je suis le Pavillon de Musique de Madame. Je jouais. Jadis, on venait ici pour m’écouter. La Cour m’applaudissait. Maintenant je suis abandonné. Les cordes de mes instruments se détendent. Mes fenétres ne ferment plus. J’ai froid et je sens l’humidité.

La petite princesse, prise de pitié, releva sa robe, alla chercher des sarments de vigne qu’on avait empilé sous un hangar, derrière le pavillon, et elle fit un grand feu dans la cheminée de porcelaine verdie. Alors, toutes les cordes des instruments se tendirent et firent entendre l’une aprés l’autre un son agréable, en sorte que cela fit une véritable musique.

Et la princesse s’endormit aussitôt. Ni le singe, ni la pie, ni l’accordéon ne parlèrent cette nuit-là.