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La Propriété

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La Révolte - année 5 - numéro 8 (p. 1).

LA PROPRIÉTÉ

La science aujourd’hui, nous démontre que la Terre doit son origine à un noyau de matières cosmiques qui s’est primitivement détaché de la nébuleuse solaire. Ce noyau, par l’effet de rotation sur lui-même autour de l’astre central, s’est condensé au point que la compression des gaz en a amené une conflagration et que ce globe, fils du soleil, a dû, comme celui qui lui avait donné naissance, briller de sa lumière propre dans la Voie Lactée, comme une toute petite étoile. La globe s’étant refroidi est passé de l’état gazeux à l’état liquide, pâteux, puis, de plus en plus dense, jusqu’à sa complète solidification. Mais dans cette fournaise primitive, l’association des gaz s’était faîte de façon que leur combinaisons différentes avaient donné naissance aux matériaux fondamentaux qui forment la composition de la Terre : minéraux, métaux, gaz restés libres en suspension dans l’atmosphère.

Le refroidissement s’opérant peu à peu, l’action de l’eau et de l’atmosphère sur les minéraux a aidé à former une couche de terre végétale ; pendant ce temps, l’association de l’hydrogène, de l’oxygène, du carbone et de l’azote arrivait à donner naissance, au sein des eaux, à une façon de gelée organique, sans forme définie, sans organe, sans conscience, mais déjà douée de la faculté de se déplacer en poussant des prolongements de sa masse du côté où elle voulait aller, ou plutôt du côté où l’attraction se faisait sentir sur elle, et de cette autre faculté d’assimiler les corps étrangers qui se prenaient dans sa masse et de s’en nourrir. Enfin, dernière faculté : arriver à un certain développement pouvoir se scinder en deux et donner naissance à un nouvel organisme semblable à son progéniteur.

Voilà les débuts modestes de l’humanité ! Si modestes que ce n’est que bien plus tard, après une longue période d’évolution, après la formation d’un certain nombre de types dans la chaîne des êtres que l’on arrive à distinguer l’animal du végétal.

II est de toute évidence que cette explication de l’apparition de l’homme sur la terre enlève tout le merveilleux raconté sur sa création ; plus de Dieu ni d’entité créatrice par conséquent.

La thèse de l’origine surnaturelle de l’homme étant écartée, l’idée que la société telle qu’elle existe, avec sa division de riches et de pauvres, de gouvernements et de gouvernés, découle d’une volonté divine ne tient pas non plus debout. L’autorité qui s’est appuyée si longtemps sur son origine supranaturelle, fable qui a contribué — au moins tout autant que la force brutale à la maintenir et, avec elle, la propriété qu’elle avait pour mission de défendre, se voit, elle aussi, forcée de se retrancher derrière des raisons plus matérielles et plus soutenables.

C’est alors que les économistes bourgeois font intervenir ici l’homme industrieux qui est parvenu à économiser et doit, par conséquent, s’il place ses économies dans une entreprise, recouvrer son capital mais aussi un intérêt pour la couverture des risques qu’il a courus.

Or prenez un ouvrier, en le supposant des plus favorisés : gagnant relativement bien, n’ayant jamais de chômage, jamais de maladie ; cet ouvrier pourra-t-il vivre la vie large qui devrait être assurée à tous ceux qui produisent, satisfaire tous ses besoins physiques et intellectuels, tout en travaillant ? Allons donc, ce n’est pas la centième partie de ses besoins qu’il pourra satisfaire, les aurait-il des plus bornés ; il faudra qu’il les réduise encore s’il veut économiser quelques sous pour ses vieux jours. Et quelle que soit sa parcimonie, il n’arrivera jamais à économiser assez pour vivre à ne rien faire. Les économies faites dans la période productive arriveront à peine à compenser le déficit qu’amène la vieillesse, s’il ne lui arrive des héritages ou toute autre aubaine qui n’a rien à voir avec le travail.

Pour un de ces travailleurs privilégiés, combien de misérables qui n’ont pas de quoi manger à leur faim ! Et encore le développement de l’industrialisme et de l’outillage mécanique tendent-ils à augmenter le nombre des sans-travail, à diminuer le nombre des ouvriers aisés.

Maintenant, supposons que le travailleur aisé, au lieu de continuer à placer ses économies en valeurs quelconques, se mette, quand il a réuni une certaine somme, à travailler à son compte. Dans la pratique, l’ouvrier travaillant seul n’existe presque plus. Le petit patron, avec deux ou trois ouvriers, vit peut-être un tout petit mieux qu’eux, mais, talonné sans cesse par les échéances, il n’a à s’attendre à aucune amélioration, bien heureux s’il arrive à se maintenir dans son bien-être relatif et à éviter la faillite.

Les gros bénéfices, les grosses fortunes, la vie à grandes guides sont réservés aux gros propriétaires, aux gros actionnaires, aux gros usiniers, aux gros spéculateurs qui ne travaillent pas eux-mêmes mais occupent les ouvriers par centaines. Ce qui prouve que le capital est bien du travail accumulé, mais le travail des autres accumulé dans les mains d’un seul, d’un voleur.

De tout ceci il ressort clairement que la propriété individuelle n’est accessible qu’à ceux qui exploitent leurs semblables. L’histoire de l’humanité nous démontre que cette forme de la propriété n’a pas été celle des premières associations humaines, que ce n’est que très tard dans leur évolution, quand la famille a commencé à se dégager de la promiscuité, que la propriété individuelle a commencé à se montrer dans la propriété commune au clan, à la tribu.

Ceci ne prouverait rien en sa légitimité si cette appropriation avait pu s’opérer d’une façon autre qu’arbitrairement et démontrer aux bourgeois, qui ont voulu en faire un argument en sa faveur, en prétendant que la propriété a toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, que cet argument n’a pas davantage de valeur à nos yeux.

Du reste, eux, qui déclament tant contre les anarchistes, qui se réclament de la force pour les déposséder, est-ce qu’ils y mirent tant de formes pour déposséder la noblesse en 1789 et frustrer les paysans qui s’étaient mis à l’œuvre en pendant les hobereaux, en détruisant les chartiers, en s’emparant des biens seigneuriaux ?

Est-ce que les confiscations et les ventes fictives ou à prix dérisoires qu’ils en firent n’eurent pas pour but de dépouiller les possesseurs primordiaux, et les paysans qui en attendaient leur part, pour se les accaparer à leur profit ? N’osèrent-ils pas du simple droit de la force qu’ils masquèrent et sanctionnèrent par des comédies légales ? Cette spoliation ne fut-elle pas plus inique — en admettant que celle que nous réclamons le soit, ce qui n’est pas — vu qu’elle ne fut pas faite au profit de la collectivité, mais contribua seulement à enrichir quelques trafiquants qui se dépêchèrent de faire la guerre aux paysans qui s’étaient rués à l’assaut des châteaux en les fusillant et les traitant de brigands ?

Les bourgeois sont donc mal venus de crier au vol lorsqu’on veut les forcer à restituer, car leur propriété n’est elle-même que le fruit d’un vol.