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La Prusse et la France au commencement de 1870

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La Prusse et la France au commencement de 1870
Revue des Deux Mondes5e période, tome 45 (p. --44).
LA
PRUSSE ET LA FRANCE
AU COMMENCEMENT DE 1870


I

L’avènement du régime libéral en France donna à Bismarck plus de soucis que ne nous en inspiraient les impatiences de son ambition. Convaincus par les affirmations réitérées de Stoffel et de Benedetti qu’il ne songeait pas à édifier la dernière arche du pont en construction sur le Mein, décidés à ne pas porter la hache sur celles déjà construites, nous ne redoutions pas qu’un conflit extérieur nous empêchât d’opérer en toute tranquillité la réforme libérale. Notre arrivée dérangeait au contraire de fond en comble les calculs du chancelier prussien.

Il était alors en pleine activité de concentration dans le Nord ; il venait de supprimer la représentation des États confédérés, l’avait transportée à la chancellerie fédérale, et, comme conséquence de cet accroissement d’attributions, avait divisé l’office de cette chancellerie en deux sections : l’une, celle de l’extérieur à la tête de laquelle il mit Thile, avec le titre de secrétaire d’Etat, et l’autre, celle de l’intérieur, qu’il confia à Delbrück, sur lequel il comptait autant que sur Thile. Il opérait en même temps l’unification de l’impôt foncier et du code pénal.

Ces mesures nécessaires froissaient les habitudes des populations, qui n’étaient pas sans en murmurer, même en Prusse. Dans les pays annexés, le mécontentement régnait : le ridicule tyranneau qui avait autrefois désolé la Hesse Électorale y devenait presque populaire, et les dames de Cassel lui offraient un trône magnifiquement sculpté. Dans le Hanovre, les cœurs allaient au vieux roi, fugitif, errant, aveugle comme le malheureux Lear. La crainte, toujours tenue présente, d’une incursion française, avait jusque-là étouffé les murmures et assuré l’obéissance. Mais notre avènement changeait ces dispositions. Si on ignorait en Allemagne les sentimens de Daru, on connaissait depuis longtemps les miens, si souvent répétés dans des discours retentissans, et l’on supposait que le nouveau ministre des Affaires étrangères les partageait. La Gazette Provinciale constata que mes idées bien connues étaient un gage de paix. Or, la certitude que les affaires françaises étaient soustraites à un pouvoir personnel sans contrôle ; qu’elles étaient confiées à des ministres responsables dépendant d’un parlement libre, et que ces ministres ne partageaient pas l’hostilité de l’ancienne diplomatie contre l’ordre nouveau en préparation en Allemagne, produisait un double résultat : elle rendait moins accommodant le libéralisme prussien, plus acerbe la plainte des pays conquis.

Cependant Bismarck, au premier moment, ne crut pas à notre solidité et à notre énergie ; il espérait « que nous marcherions par étapes à la Révolution, à la République, ce qui affaiblirait la France à l’intérieur et lui rendrait impossibles les alliances avec les gouvernemens monarchiques au dehors. » Mais l’opinion publique allemande qui n’escomptait pas de cette façon l’avenir, et qui ne considérait que le présent, ressentait sans mélange la satisfaction de notre avènement et, à mesure que la crainte d’une intervention française s’affaiblissait, le désir d’une diminution des charges militaires si lourdes prenait faveur. Aussitôt après les élections prussiennes et fédérales prochaines, le premier acte des nouveaux députés devait être de fixer le contingent annuel, accordé seulement jusqu’au 31 décembre 1871. Dès lors, la question militaire allait dominer toutes les autres. Le parti progressiste demandait que la proportion entre l’effectif de paix et la population fût réduite. Les députés saxons formulaient une résolution radicale, accueillie avec approbation par toute l’Allemagne libérale, « pour qu’on tendît à un désarmement général, qu’on l’exécutât le plus tôt possible, et qu’à cet effet, on invitât la Présidence fédérale à procéder par voie diplomatique. » Bismarck et le Roi ayant déclaré que, pour aucune raison, ils ne consentiraient à la diminution des forces militaires, un nouveau conflit, semblable à celui de 1862, se préparait avec le Landtag et le Reichstag.

Dans les États du Sud, la sécurité que donnait la nouvelle politique française accroissait la confiance des partis autonomistes, consolidait la victoire obtenue dans les dernières élections, et l’année 1870 s’ouvrait par une recrudescence de l’esprit d’hostilité contre le parti de l’union avec la Prusse. Bismarck était résolu à ne pas brusquer cette résistance. Cependant il eût voulu donner une satisfaction aux impatiences du parti national-libéral sans s’exposer aux suites dangereuses d’une action précipitée. Il essaya d’obtenir amiablement la transformation du titre donné au Roi, de Président de la Confédération du Nord, en celui d’empereur d’Allemagne. Il commença par pressentir les grandes puissances.

Le Tsar fut-il encourageant ? On peut le croire. Clarendon ne le fut pas. Vers la mi-janvier, l’ambassadeur prussien à Londres, dans une conversation avec le secrétaire d’État anglais, avait fait allusion au désir que nourrissait le Roi de prendre un titre plus en harmonie avec sa situation réelle. Clarendon signala les périls de ce projet : « Une telle résolution aurait pu être prise sans trop de témérité, au lendemain des événemens de 1866, alors qu’elle pouvait être considérée comme la conséquence immédiate du nouvel ordre de choses. Non seulement elle n’aurait plus maintenant le même à-propos, mais elle soulèverait infailliblement des susceptibilités et des inquiétudes qu’il importait de ne pas réveiller. » Bernstorff ayant rendu compte de cet entretien, donna lecture à Clarendon, le 27 janvier, d’une dépêche dans laquelle le chancelier fédéral expliquait sa démarche : « Le titre actuel de chef de la Confédération allemande avait, aux yeux du Roi, une physionomie quelque peu républicaine qui répugnait à ses instincts féodaux. Du reste, concluait la dépêche, rien n’est terminé dans son esprit à cet égard. » Daru fut encore moins engageant. Il répondit à Werther que ce serait passer le Mein moralement, et que la France ne pourrait pas voir cela avec satisfaction. Néanmoins, Bismarck ne se serait pas arrêté, car l’Angleterre de ce temps-là parlait et n’agissait pas. Quant au mécontentement de la France, il l’eût sûrement bravé s’il avait pu entraîner les États du Sud. Il n’y réussit pas, malgré toutes ses promesses de garantir leurs souverains contre les menaces des révolutionnaires et l’agression de la France. Il renonça donc à sa tentative.


II

Il restait un moyen sûr de donner satisfaction aux nationaux-libéraux, c’était d’accepter l’entrée de Bade dans la Confédération. A Bade, journalistes et hommes d’Etat s’étonnaient des timidités du Chancelier de fer : « Qui donc vous arrête ? lui disaient-ils. La crainte de la guerre ? Mais qui donc vous la fera ? Est-ce l’Autriche ? Elle est impuissante ; elle se débat dans le chaos très peu débrouillé d’une réorganisation inachevée. Est-ce la Russie ? Mais vous avez en elle une alliée fidèle sur laquelle vous pouvez compter. Est-ce la France ? Elle est tout entière préoccupée par sa réforme constitutionnelle et passionnée de paix comme ses ministres actuels. » Ces raisonnemens n’ébranlaient pas Bismarck. Il se gaussait de cette diplomatie fantaisiste. « Sans doute, disait-il, nos rapports avec l’Autriche sont moins âpres ; elle a reçu la visite d’un de nos princes, et nous l’a rendue par un des siens, mais il suffirait du moindre coup de vent pour ranimer le foyer qui n’est pas mort. La Russie nous serait assurément favorable au cas d’une attaque de la France : il est plus que douteux qu’elle ne nous soit pas hostile si nous voulons nous annexer un de ces États du Sud dont elle s’est constituée la protectrice. Quant à la France, vous vous méprenez et vous vous fiez trop à sa quiétude apparente. C’est un volcan toujours à la veille d’entrer en ébullition. Ses ministres sont pacifiques, mais autour de l’Empereur existe une camarilla qui ne l’est pas, qui nous hait et pourra être, à un moment donné, plus puissante que les ministres. Qui nous assure même que ces ministres, à l’annonce que nous unissons Bade à la Confédération du Nord, ne seraient pas entraînés à une action belliqueuse ? »

Bismarck était absolument dans le vrai, il l’était surtout en ce qui concerne la France. S’il avait accepté les offres de Bade, j’aurais proposé de reconnaître le fait, accompli volontairement par celui qui se donnait aussi bien que par celui qui recevait, parce qu’il constituait une application légitime du principe des nationalités. J’aurais été seul de mon avis ; je me serais retiré, et le champ serait resté libre aux partisans de la guerre. Aurais-je obtenu la majorité dans le Conseil, je l’aurais perdue à la Chambre, sous l’ardente parole de Thiers, de Gambetta, de Cassagnac, devant une coalition de Droite et de Gauche, et le champ fût encore resté libre aux partisans de la guerre. L’entrée de Bade dans la Confédération eût donc en effet déchaîné, la guerre, guerre dans laquelle la Prusse aurait eu à la fois contre elle d’une manière active la France, l’Autriche, la Bavière, le Wurtemberg, sans être certaine de n’avoir à redouter de la Russie qu’une neutralité mécontente. Or, si Bismarck était un audacieux, il n’était pas un téméraire. Il voulait la bataille autant que les nationaux-libéraux et même plus ; étant au centre des affaires, il sentait qu’avec la paix : « la locomotive unitaire resterait embourbée dans le Mein, ne pouvant ni reculer ni avancer. » « Je suis prêt, disait-il à Roggenbach, je suis prêt à trois ou quatre guerres. » Mais il n’en voulait aucune dans des conditions défavorables. Et il ajoutait : « Dans la politique, je fais comme dans la chasse aux canards ; je ne mets jamais un pied devant l’autre sans avoir auparavant éprouvé le terrain sur lequel je peux marcher. » Il avait trouvé ce terrain, il le préparait. Mais il ne pouvait pas dévoiler son secret aux Badois et aux nationaux-libéraux ; et, comme il était de ceux que les criailleries des journaux n’intimident ni ne décident, il supportait dédaigneusement les objurgations de l’ignorance présomptueuse, et, dans le secret le plus mystérieux, poursuivait lentement l’organisation de cette guerre, qui ne menacerait pas les États du Sud et lui assurerait leur concours avec la bienveillance de la Russie.

Les nationaux-libéraux, se défiant bien mal à propos de la prévoyance habile de leur chancelier, voulurent l’éperonner. Un de leurs principaux orateurs, Lasker, sans l’avoir même averti, profitant d’une discussion de la troisième lecture d’un traité avec Bade, assurant aux deux pays la réciprocité du recours judiciaire, proposa la motion suivante : « Le Reichstag de l’Allemagne du Nord exprime sa reconnaissance pour les efforts nationaux incessans où s’unissent le gouvernement et le peuple de Bade ; le Reichstag considère ces efforts comme la vive expression du sentiment de communauté nationale, et voit avec satisfaction que le but où ils tendent est l’accession, aussi prochainement que possible, de l’État de Bade à la Confédération actuelle (24 février). »

Le discours de Lasker accentua le sens de cette motion déjà si catégorique. « Ce ne sont pas seulement les traités qui engagent les États du Midi d’une manière indissoluble, mais encore un lien plus puissant et plus élevé, le sentiment de la patrie commune. Dans tous les États du Sud, en Hesse, en Bavière, en Wurtemberg même, il existe un parti considérable qui a écrit sur son drapeau : Unité complète de l’Allemagne ; mais nulle part ce sentiment ne s’est fait jour avec plus de force qu’à Bade. Le désir de Bade est de s’unir avec la Confédération, et ce pays ne s’est jamais départi de cette volonté ; il l’exprime non seulement d’une manière idéale, mais d’une façon pratique, en supportant tous les sacrifices qui lui sont imposés. Je serai satisfait si la discussion présente contribue à éclaircir l’énigme qui existe aujourd’hui et à mettre un peu de jour dans la situation : on a une Confédération puissante et organisée, on voit un pays qui désire y entrer et on l’en empêche ; pourquoi cela ? — Bade est un beau pays, habité par des gens qu’on peut être fier de qualifier d’Allemands, et cependant on empêche l’union. Le but n’est pas de maintenir indéfiniment ce qui a été fait en 1866, surtout en ce qui concerne la ligne du Mein. Le but est d’étendre à d’autres pays les résultats de 1866 et de faire cesser la séparation qui existe entre le Nord et le Sud. Le nom de Ligne du Mein n’est pas aimé, — il a même été détesté. Il est extraordinaire que, lorsque l’occasion se présente, on ne la saisisse pas. L’entrée de Bade ne serait pas seulement l’adjonction d’une population d’un million et demi d’âmes ; elle serait l’achèvement de l’Allemagne. Il n’est pas vraisemblable que ce mouvement soit entravé par des considérations de politique étrangère ; la France et l’Autriche, qui seules pourraient s’en préoccuper, ont trop à faire chez elles. Il ne peut donc y avoir d’équivoque, et la responsabilité du refus qu’on oppose à Bade retombe sur la personne qui dirige la politique extérieure de la Confédération. Bade n’est retenue dans son désir de demander son entrée immédiate dans la Confédération que par l’épée de la diplomatie ; on ne trahit aucun secret en disant que des démarches ont été tentées dans ce sens, et, en ce qui me concerne, je n’hésiterais pas un instant à proclamer l’admission de Bade dans la Confédération. »

Certes Bismarck ne saurait être accusé d’avoir été l’inspirateur de la motion Lasker. Dans le discours par lequel il la repousse éclate d’un bout à l’autre son irritation. Il la considère comme une rupture avec ses récens alliés, les nationaux-libéraux, et il les congédie ; avec quelques précautions oratoires, il ne ménage pas même le grand-duc de Bade : « Je ne puis me défendre de l’appréhension, dit-il, que cette motion n’ait été autorisée de quelque part, non de la mienne.. M. Lasker a paru avoir des relations intimes avec le gouvernement grand-ducal. Non seulement il connaît d’une manière précise les intentions de ce gouvernement, mais il se fait fort d’en fournir la preuve officielle. De là est résultée l’impression qu’il a parlé plutôt dans les intérêts du gouvernement badois que dans ceux d’ici. Ce qui ressort des paroles de l’orateur, c’est que le gouvernement badois éprouverait une certaine lassitude à continuer plus longtemps les sacrifices dont il lui a fait gloire justement, lassitude qu’il n’aurait pas voulu témoigner directement, lassitude où je verrais volontiers une méfiance à laquelle je ne saurais croire. Sa motion est un vote de défiance contre notre politique. Pour lui, la marche des choses est trop lente : — la marche qu’il propose serait funeste au développement de l’unité allemande. — Si une ouverture nous était faite de Carlsruhe, nous repousserions cette offre dans l’intérêt de la Confédération et dans celle du grand-duché comme intempestive, rebus sic stantibus, et nous nous réserverions le droit de faire connaître le moment opportun d’agréer cette demande d’union. Bade nous rend plus de services dans le camp du Sud que dans celui du Nord : retrancher du Sud cet élément favorable au développement national, ce ne serait pas moins imprudent que si, retranchant de la Bavière les populations franconiennes et seules favorables à l’unité, on réduisait cet État aux provinces de Vieille, Haute et Basse Bavière. Enfin, ce serait contraire au principe d’attendre le rapprochement du Sud sans aucune pression. L’entrée de Bade dans la Confédération du Nord serait en effet une pression très sensible sur la Bavière et le Wurtemberg, pression cependant insuffisamment forte et maîtrisante, dont la seule conséquence serait de paralyser le développement lent, mais continu, de l’esprit allemand dans la Bavière et le Wurtemberg. Il ne peut nous servir de rien que la Bavière ou le Wurtemberg nous soient plus étroitement unis malgré eux, contraints et forcés, et, plutôt que d’employer la contrainte dans ce dessein, je préférerais attendre encore tout le temps qui s’écoule d’une génération à une autre. Les signataires se trouvent à peu près dans la disposition d’esprit où Shakspeare nous représente le bouillant Percy, qui, après avoir tué une demi-douzaine d’Écossais, se plaint de ce que la vie est ennuyeuse : — il ne se passe rien en ce moment, remplissons un peu le vide de l’existence ! — L’orateur a déclaré avec une grande assurance qu’à ses yeux l’accession de Bade devait commencer l’achèvement de la Confédération. Messieurs, je ne puis ici qu’opposer conviction à conviction. La mienne est que cette accession serait au contraire une entrave à l’achèvement, — non pas seulement une entrave qui commencerait à nous arrêter, mais un véritable enrayement de nos roues qui, assez longtemps, nous empêcherait de travailler à l’achèvement de l’État fédéral. »

Bismarck répondit encore à Miquel, qui l’avait accusé de renvoyer l’unité de l’Allemagne aux calendes grecques, que son but était le même que le sien, et qu’entre eux, la différence n’existait que sur l’emploi des moyens. « Ces messieurs sont d’avis qu’ils s’entendent mieux que moi à les choisir et à juger la question d’opportunité, et moi je pense m’y entendre mieux qu’eux. Si vous entendez mieux la question, vous devez être vous-même chancelier fédéral ; il ne faut plus en ce cas que vous siégiez à la place où vous êtes, car ce n’est pas de cette place, mais de celle où je suis, que se dirige la politique publique de l’Allemagne ; si donc vous savez tout mieux que moi, venez vous asseoir ici, j’irai, moi, siéger à votre place, et, là, je veux exercer la critique dont une expérience de vingt ans peut m’avoir pourvu. (Bruyante hilarité.) Mais je vous assure que mon patriotisme m’imposera silence, quand je sentirai qu’il est intempestif de parler. » (Vifs applaudissemens.) Lasker, considérant que ses amis et lui avaient suffisamment atteint leur but, annonça qu’il retirait sa motion (24 février).

Le lendemain le Roi écrivit à Bismarck[1] : « J’ai lu très attentivement, et j’approuve complètement votre discours et vos répliques ; mais il faut les lire complètement, car quelques passages, extraits à la Miquel, pourraient être très faussement interprétés. » Il faisait allusion à la sortie contre le grand-duc de Bade. Il n’avait pas tort d’en concevoir quelque inquiétude. Le grand-duc et ses ministres manifestèrent une véritable colère, et les relations amicales entre les deux gouvernemens parurent difficiles à maintenir. Le 28 février, Freydorf, ministre des Affaires étrangères du grand-duché, envoya à son ministre à Berlin une note dans laquelle il le chargeait de représenter à Bismarck combien cette attaque contre le gouvernement badois avait été inattendue. « On n’avait eu aucune occasion, à Bade, d’agir sur la proposition Lasker, ou même de la déconseiller en temps opportun. Aucune proposition n’avait été faite par Bade. Le gouvernement grand-ducal avait tenu compte des appréciations du chancelier de la Confédération, alors même qu’il ne les partageait pas, puisqu’il s’était abstenu, depuis des années, de toute démarche pour entrer dans la Confédération du Nord. » Comme les explications que Bismarck s’empressa de donner ne parurent pas satisfaisantes, et que l’on se plaignait encore des termes blessans de son discours, il répondit : « Mais pourquoi attachez-vous tant d’importance aux paroles que je prononce à la tribune ? Moi je n’y en attache aucune[2]. » Il disait plus lestement encore au ministre de Wurtemberg[3] : « Rappelez-vous qu’il ne faut pas prendre mon langage dans le Reichstag comme parole d’Evangile. Regardez comme sincères les déclarations que je vous fais à vous ici, où personne ne nous entend ; mais là-bas, à la tribune, il n’en est pas de même ; il me faut varier plus ou moins, suivant les exigences parlementaires. »

Cependant Bismarck ne voulut pas qu’on considérât un atermoiement comme une renonciation et qu’on le crût tout à coup converti au respect de la ligne du Mein. Personne en ce moment ne s’occupait des Danois du Sleswig, et cependant, afin de mieux accentuer son mépris du traité de Prague, Bismarck fit annoncer à grand fracas, dans l’officieuse Gazette de l’Allemagne du Nord, « qu’il n’accorderait plus rien aux Danois puisque leurs doléances s’appuyaient sur l’intolérable clause du traité imposée par la France. » Il chargea Busch de montrer dans la presse ses dents de fauve, afin qu’on ne le supposât pas devenu un tendre agneau : « Dites qu’il y avait dans mon discours un avertissement que les bonnes gens n’ont pas vu : c’est qu’en de certains cas, nous ne tiendrons pas compte du désir de l’Autriche, que les États du Sud ne soient pas joints à la Confédération du Nord, ni de celui de la France, qui étend sa prohibition à tous les petits États du Sud. » Comme un roulement de tambour qui gronde tout le long du rang, dès que le bâton du commandement a été levé, le même commentaire impertinent court dans tous les journaux allemands. L’officielle Correspondance provinciale commence : « On assure que les déclarations de M. de Bismarck ont découragé les amis de l’union allemande dans l’Allemagne du Sud. Mais les véritables amis de la cause nationale reconnaîtront bientôt que le chancelier fédéral ne repousse le progrès du développement national que pour ne pas laisser compromettre l’œuvre naturelle et assurée de l’union de toute la patrie allemande (2 mars). » La Gazette officielle de Carlsruhe fait écho : « Le comte de Bismarck ne considère pas comme une solution définitive la demi-union actuelle de l’Allemagne. » Puis toute la bande salariée suit partout. La résistance de Bismarck à l’accession de Bade n’est pas, comme on l’a prétendu, une preuve de son désir d’éviter la guerre. Ce refus démontre uniquement la volonté d’écarter la guerre folle en attendant que la guerre sérieuse fût venue à maturité. Lasker lui-même en eût été convaincu, si le chancelier avait pu l’informer de ce qu’apportait à Berlin, en ce moment précis, l’Espagnol Salazar.


III

Le duc de Montpensier avait pris une part active aux manœuvres qui amenèrent l’échec de la candidature du duc de Gênes. Il ne s’était pas laissé adoucir par la proposition d’un mariage entre le jeune candidat et une de ses filles. « Si vous envoyez votre fils en Espagne, avait-il fait dire à la mère, priez pour lui. » L’échec de cette combinaison avait produit un violent désarroi ; ses promoteurs, Zorilla et Martos, s’étaient retirés du ministère ; des résolutions extrêmes avaient été agitées ; on proposa à Serrano de faire un coup d’Etat. « Quand on fait un coup d’Etat, dit-il, il faut savoir pourquoi, et que ce soit pour fonder un ordre de choses dont on a réuni les matériaux. Pourquoi le ferais-je, moi ? Pour prendre la couronne ? Ce serait le comble du ridicule. Ma seule ambition est, comme les gladiateurs romains, de tomber en bonne posture. »

On écarta ces solutions, et on s’en tint à un ministère de conciliation unioniste-radical-progressiste. Topete, que l’adoption d’une candidature autre que celle de Montpensier avait écarté, revint aux affaires avec Sagasta et Rivero (10 janvier). Zorilla fut élu président des Cortès. Les espérances, toujours en éveil, de Montpensier, se ranimèrent, et ses amis recommencèrent leur campagne. Ils sollicitèrent à la fois Serrano et Prim. Serrano, toujours sensé, leur répondit : « Je ne veux pas parler de cette solution, parce que je n’aime pas à me mordre la langue. Mais c’est une folie, je fais passer mes devoirs et ma responsabilité avant mes amis. » Prim joua le rôle d’un polichinelle. D’abord il avait cru aux chances de Montpensier et les avait caressées. Le grand orateur républicain Castelar ayant proposé de déclarer incapables du trône tous les Bourbons de la branche aînée et de la branche cadette, Prim fait du rejet de cette proposition une question de cabinet : « J’ai accompli la révolution seulement pour renverser la Reine et sa dynastie, en laissant le reste à décider au pays ; j’ai prononcé le mot jamais, non pas trois fois, mais six fois : trois fois pour la reine Isabelle et trois fois pour son fils, le prince des Asturies ; mais ce mot ne s’appliquait à aucune autre personne. Ce n’est pas à dire que le gouvernement favorise la candidature de Montpensier ; non, le gouvernement juge opportun d’ajourner la question monarchique et il n’a aucun candidat. » La motion de Castelar est rejetée par 150 voix contre 37 (24 janvier). Mais voilà que Montpensier échoue dans sa candidature à Oviedo et à Avila (25 janvier), et que les manifestations contre lui se renouvellent sur tous les points du territoire. Prim se retourne et, avec sa désinvolture chevaleresque, passe de l’abstention bienveillante à l’hostilité déclarée. Les républicains lui ayant demandé l’éloignement du prince, il s’étonna « que la présence de Montpensier fût de nature à alarmer les esprits, et que le Cabinet tout entier, à l’exception de Topete, persistât dans son hostilité contre don Antonio de Bourbon. » Ce mot de Bourbon, souligné par l’orateur, provoqua les bravos. Il sembla que Montpensier disparaissait encore une fois de l’horizon.

Quelques amis de Prim le tâtèrent sur la candidature d’Espartero, duc de la Victoire. « Aucun Espagnol, dirent-ils, n’est plus illustre et plus universellement respecté. Son élection serait une garantie pour la liberté, car il ne pourrait donner le pouvoir qu’à Prim et à des libéraux éprouvés ; enfin il est vieux ; ce qui laisserait ouvertes les espérances prochaines aux républicains, aux montpensiéristes, à tous les ambitieux. Prim, contraire à l’idée, parut ne pas la repousser. Il demanda seulement, avant toute démarche, le consentement d’Espartero. On fut obligé de convenir qu’on n’avait pas même parlé au vieux général. Un ami, Nadoz, se rendit auprès de lui avec l’autorisation de Prim, et, malgré de vives insistances, rapporta un refus. Tous les candidats ainsi écartés, Prim se fit donner par le Régent et les Cortès le mandat d’en chercher un, où, quand, et comment il le jugerait bon. Le voilà donc devenu le maître absolu de la situation, Hohenzollern entre en scène.

Bernhardi et Salazar, depuis qu’ils s’étaient concertés, avaient multiplié leurs démarches en faveur du candidat de Bismarck. Salazar le prônait auprès des Cortès et des hommes politiques, et Bernhardi parcourait les provinces en répandant le nom de son candidat ; comme il parlait anglais avec perfection, on ne soupçonnait pas que cela vînt d’un Allemand. Le thème de tous deux était le même : « le prince appartenait à la famille royale d’une des premières nations de l’Europe ; si on l’appelait au trône, il ouvrirait aux Espagnols un horizon plus large que les Pyrénées ; si elle les voyait favoriser l’un de ses enfans, l’Allemagne resserrerait plus étroitement ses attaches avec eux et leur enverrait une portion de la belle population qui, aujourd’hui, porte aux États-Unis le capital, l’activité, l’habileté. » Quelques patriotes de vieille souche et de mémoire tenace reprochaient-ils au candidat son alliance avec les Murat[4] : « C’est un titre de plus, répliquaient les deux compères ; n’est-ce pas la trahison de Murat qui a achevé Napoléon Ier en 1814 ? »

Tout ce remuement n’émouvait ni les Cortès, ni le pays, et n’eût abouti à aucun résultat pratique si Prim ne l’avait pris en main. Les raisonnemens de Bernhardi et de Salazar n’étaient pas de ceux qui convainquent un gentilhomme de cette espèce. Il lui fallait des argumens sonnans. Aucun de ceux qui ont pénétré les dessous de cette affaire ne doute que Bismarck ne les ait employés[5]. Il n’est pas probable que l’histoire en ait jamais la preuve : on ne va pas ordinairement devant un notaire, on ne constate point par acte sous seing privé de tels arrangemens. Dans les Mémoires de Bernhardi, on a supprimé tout ce qui avait trait à cette négociation, et dans les écrits de Lothar Bucher, l’agent décisif du dernier moment, on n’a pas reproduit ce qui se référait à l’affaire capitale de sa carrière. Nous ne connaissons que les confidences faites à son ami Busch.

Toutefois, à défaut de preuves, qu’à moins de hasards imprévus, on n’aura jamais, les présomptions accusatrices abondent. Prim n’ignorait pas, puisque tout le monde le savait ou le devinait et que, d’ailleurs, Mercier l’avait dit à son ministre Silvela, que l’élection d’un prince prussien occasionnerait un vif déplaisir à l’Empereur, et il se déclarait prêt, en fier hidalgo, à braver les conséquences périlleuses de ce déplaisir. « Ayons une bonne fois de l’énergie, dit-il à Salazar ; bientôt se dissiperont tous les périls. Les mariages de 1846 sont un exemple éloquent de ce que peuvent perdre les nations qui ne sont pas, à des momens donnés, à la hauteur de la situation. L’Espagne serait peut-être heureuse sous le règne d’Isabelle II, si une crainte puérile de l’Angleterre n’avait pas empêché le mariage de la Reine avec le duc de Montpensier. » On ne peut donc admettre, comme l’ont fait certains de ses défenseurs naïfs ou irréfléchis, que le véritable mobile de Prim ait été de sortir d’une incertitude excédante, puisque, pour fuir cette incertitude, il se jetait dans la plus hasardeuse des complications. Si son dessein avait été désintéressé, avouable, pourquoi l’aurait-il caché à Olozaga, son ancien compagnon de luttes ? à moi, qu’il savait si bien disposé à l’obliger ? Pourquoi ne l’aurait-il pas révélé à cet Empereur, dont il avait reçu tant de témoignages de bonté, et dont il avait éprouvé la fidélité à taire le secret d’Etat ? Pourquoi s’être enveloppé de ce mystère qu’on ne garde qu’entre complices d’une mauvaise action ? Pourquoi cette menace à celui à qui il ne pouvait rien cacher, Salazar : « Si tu parles, je te fais sauter le couvercle de la cervelle ! » Le célèbre professeur allemand, Hans Delbrück, tout en refusant à ce mystère un caractère de provocation, a dit courageusement : « Le secret gardé restait simplement la sauvegarde intrépide et dépourvue de scrupules du propre intérêt allemand. » C’est la raison pour laquelle Bismarck a imposé jusqu’à la fin ce secret, malgré l’avis du prince Antoine et du roi Guillaume[6]. Aucune argutie n’infirmera la sentence portée par le grand orateur Castelar sur cet acte de la vie de Prim : « Le général Prim a été l’instrument d’une intelligence sagace, machiavélique qui, s’appuyant sur un roi de droit divin qu’il dirige, entend réaliser la prépondérance de la Prusse en Allemagne et de l’Allemagne en Europe[7]. »

A l’ombre de ce mystère, en janvier 1870, Prim était gagné à la candidature Hohenzollern et il expédiait Salazar, muni de deux lettres d’introduction, parlementer avec Bismarck et, s’il le pouvait, avec le Roi.


IV

Salazar fut reçu sans difficultés par Bismarck puisqu’il était son agent. Maintenant que la première partie du complot était terminée par l’adhésion de Prim, il put raisonner avec lui des meilleurs moyens de la mener à bout en obtenant le consentement du Roi, ce qui entraînerait celui des princes de Hohenzollern. Mais il trouva la porte du Roi fermée. Guillaume, la lettre de Prim lue, ne voulut pas recevoir son envoyé et écrivit à Bismarck : « La lettre ci-incluse m’émeut comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Voici de nouveau une candidature Hohenzollern ! et pour la couronne d’Espagne ! Je n’en soupçonnais pas un mot. Je plaisantais, naguère, avec le prince |héritier sur la désignation antérieure de son nom, et tous deux en rejetions l’idée dans un même badinage. Comme vous avez reçu des détails du prince, nous en conférerons, bien qu’en principe, je sois contraire à la chose (26 février 1870)[8]. »

Le Roi s’opposait à cette aventure par plusieurs raisons. D’abord il la trouvait risquée et il lui déplaisait d’y exposer la dignité de sa maison. Ensuite il savait que cela froisserait l’empereur Napoléon, dont la prédilection envers Alphonse était notoire ; enfin il craignait, étant données les dispositions de l’esprit français, des complications graves, et il n’en voulait pas. S’il s’en fût tenu à son premier avis, l’affaire n’eût pas commencé. D’après les statuts et traités, les princes de la branche catholique des Hohenzollern étaient astreints à n’accomplir aucun acte important de leur vie privée ou publique qu’après l’approbation formelle et préalable du chef de la famille. Ces princes ne contestèrent dans aucune occasion cette obligation de discipline ; ils se firent au contraire honneur et gloire de s’y soumettre. Sybel est le seul historien sérieux qui ait soutenu la thèse de mauvaise foi que le consentement du Roi n’était pas nécessaire. « Que le Roi ait pu comme chef de famille, a dit Ottokar Lorenz, interdire l’acceptation de la couronne au prince, cela ne peut être mis en doute par personne[9]. » — « Il est certain, dit encore Hans Delbrück, qu’aucun prince Hohenzollern n’aurait pris une telle résolution sans s’être enquis avec sollicitude de la volonté royale et sans en avoir tenu entièrement compte[10]. »

Si donc le Roi eût dit non, il eût tout arrêté, d’autant mieux que c’était le sentiment des princes eux-mêmes. Mais toute la politique allemande de Bismarck dépendait du succès de sa trame espagnole, et son influence sur son maître était alors plus prépondérante qu’elle ne le fut à aucun moment. Il combattit le veto et trouva une auxiliaire très persuasive dans la femme du prince Léopold, délicieusement belle et aussi ambitieuse pour son mari que l’avait été pour le sien la malheureuse princesse Charlotte[11]. Cependant, ni les cajoleries de la princesse Antonia, ni les raisonnemens de Bismarck ne réussirent d’abord à vaincre la répugnance royale. La concession qu’on obtint fut que le Roi ne prononcerait pas un « non » prohibitif et qu’il se replacerait dans la situation prise en 1866, ne disant ni oui ni non, laissant les princes libres d’accepter ou de refuser et se déclarant prêt à. approuver ce qu’ils décideraient.

En conséquence, il les appela à Berlin, et, le 15 mars, se tint au Palais-Royal, où ils étaient descendus selon leur habitude, un conseil dont le prince Antoine rend compte à son fils Charles de Roumanie dans des termes qui doivent être reproduits textuellement : « Je suis depuis quinze jours au milieu d’affaires de famille de la plus haute importance ; il ne s’agit pas moins pour Léopold que de l’acceptation ou du refus de la couronne d’Espagne qui lui a été offerte officiellement par le gouvernement espagnol, sous le sceau d’un secret d’Etat européen. Bismarck désire l’acceptation pour des motifs dynastiques et politiques, mais le Roi ne la désire que si Léopold se décide de son plein gré. Le 15, a été tenu un Conseil très intéressant et important sous la présidence du Roi, auquel ont pris part : le prince royal, nous deux, Bismarck, Moltke, Roon, Schleinitz[12], Thile et Delbrück. La résolution unanime des conseillers est pour l’acceptation, qui constitue l’accomplissement d’un devoir patriotique prussien. Après une grande lutte, Léopold a refusé. Comme on désire avant tout, en Espagne, un Hohenzollern catholique, j’ai proposé Fritz. »

Les motifs du refus de Léopold sont honorables. Comblé lui et sa famille par Napoléon III de bienveillance, de confiance, d’affection, il ne pouvait se décider à l’acte de perfidie indigne d’un gentilhomme, dans lequel voulait le précipiter l’astuce de Bismarck. Selon Keudell, un de ses conseillers intimes, les motifs donnés par Bismarck pour l’acceptation sont par contre édifians : ce serait presque « dans l’intérêt de la dynastie bonapartiste, pour éviter en Espagne une solution orléaniste ou républicaine, et afin de régénérer par l’influence salubre d’un prince germanique une race latine corrompue. » Ainsi ce grand homme d’Etat, dont une des maximes principales était que tout acte politique doit avoir pour mobile l’intérêt, et pour résultat un profit, ce colossal utilitaire devient tout à coup un sentimental d’une niaiserie transcendante ; il use son temps et son argent à épargner à l’empereur Napoléon l’ennui du voisinage d’une république ou d’un d’Orléans ! il veut régénérer des Espagnols dont il se moquait comme de tout le reste du monde non allemand… Ne riez pas si vous pouvez.

Ottokar Lorenz, admirateur très passionné de Bismarck, répond à cette divertissante invention : « Les dispositions de M. de Bismarck étaient trop connues de la diplomatie française et de l’Empereur pour qu’ils pussent attendre quelque chose de favorable et de bienveillant de cet indomptable Allemand. » En effet, rien de moins bienveillant et de moins favorable, en réalité, que les motifs invoqués par Bismarck, tels que le prince Antoine les explique : « C’était, dit-il, l’accomplissement d’un devoir patriotique prussien. » Quel pouvait, être, à cette heure, le devoir patriotique prussien à accomplir en Espagne, si ce n’est de susciter cette guerre contre la France, sans laquelle l’Unité de l’Allemagne restait en panne ?

La délibération fut suivie d’un dîner chez le prince Antoine. « Si Napoléon prend cela mal, sommes-nous prêts » ? dit Jules Delbrück. A quoi Moltke répondit affirmativement avec une agréable confiance. Que l’empereur Napoléon III le prît mal, aucun homme sérieux n’en doutait, surtout en Espagne : le ministre prussien Kanitz lui-même annonçait de Madrid que « de cette candidature résulteraient beaucoup de dangers. » Les révélations du prince Antoine, sur le Conseil du 15 mars, sous la présidence du roi de Prusse, frappent au cœur le système de mensonges échafaudé en vue d’établir que la « candidature de Léopold fut une affaire de famille anodine à laquelle le gouvernement prussien était demeuré étranger. Il était naturel que le Roi, sur une affaire privée, consultât Bismarck qu’il consultait sur tout. Mais qu’avait à voir, dans une question de cette nature, cet aréopage de diplomates, d’hommes de guerre, d’administrateurs que le Roi, très jaloux de son autorité de chef de famille, n’eût certainement pas réuni et consulté s’il s’était agi d’une simple affaire intime sans aucune importance internationale ? »

Il est donc constant que le Roi, dès qu’il fut informé de la candidature du-prince Léopold, la considéra comme une affaire d’État, et qu’il y initia, sous le sceau du secret, les hommes les plus autorisés de son gouvernement. Il est de plus constant que Bismarck n’avait pas choisi Léopold à cause de sa capacité présumée à bien gouverner l’Espagne ou de son alliance avec la famille royale de Portugal, mais uniquement parce qu’il appartenait à la famille royale de Prusse, et qu’il s’appelait Hohenzollern. On avait d’abord pensé au prince Charles, on avait passé au prince Léopold, on se contentait à la rigueur du prince Fritz. Était-il capable, ne l’était-il pas, cela importait peu ; l’essentiel était qu’il s’appelât Hohenzollern, c’est-à-dire que ce fût un nom qui alarmât les intérêts de la France et blessât ses susceptibilités. Il n’y aurait vraiment dans le monde ni justice, ni loyauté, ni bon sens, si, en présence de tels faits, on se demandait encore de qui est venue la provocation à la terrible guerre.


V

Il importait fort au gouvernement prussien que Benedetti ne soupçonnât rien de ce qui se préparait. L’arrivée à Berlin du ministre espagnol, Rancès, l’avait mis en alarmes l’année précédente. Celle des princes de Hohenzollern n’allait-elle pas réveiller ses soupçons ? On alla au-devant de sa prévoyance et on lui fabriqua de toutes pièces un roman propre à le rassurer. Des officieux bien dressés vinrent d’un ton mystérieux lui raconter que le prince Antoine, le seul auquel le Roi confiait ses pensées secrètes, avait révélé à un ambassadeur Un grand projet en préparation. Il s’agissait de décider les États du Sud, tout au moins les grands-duchés de Bade et de Hesse, à demander d’entrer dans la Confédération du Nord, en offrant au Roi le titre d’empereur d’Allemagne. On lui indiquait même les moyens dont on se servirait, afin d’exercer une influence décisive sur les résolutions des rois de Bavière et de Wurtemberg. « On insinuerait à l’un qu’il était menacé de perdre sa couronne dans une révolution de palais, et à l’autre, qu’il n’avait pas moins à redouter des démocrates en majorité dans la Chambre des députés à Stuttgart. Le gouvernement prussien enfin ne pouvait plus lui-même ajourner l’avènement de l’unité germanique ; il y était encouragé par la situation embarrassée de la plupart des grandes puissances de l’Europe, et contraint par ses difficultés intérieures. C’est ainsi que se seraient énoncés le prince de Hohenzollern et le grand-duc de Bade, en s’entretenant des calculs de M. de Bismarck. »

Benedetti, ainsi mis sur une fausse piste, ne soupçonna pas qu’il s’agît de la candidature espagnole. Il ne s’occupa que de rechercher les renseignemens sur cette résurrection mystérieusement annoncée de l’Empire d’Allemagne. Le tour était joué. En attendant de savoir si le prince Fritz serait plus accommodant que son frère Léopold, on pria Salazar de quitter Berlin et de rentrer à Madrid sans attendre une réponse définitive, dans la crainte « que l’on ne découvrît qu’un Espagnol avait de nombreux entretiens avec Bismarck. »

Bismarck n’était pas de ceux que les obstacles découragent. Il ne veut pas permettre que les autres se découragent plus que lui et que Prim soit déconcerté par la réponse négative de Léopold que lui apporte Salazar. Il veut aussi écarter l’objection du Roi et des princes sur les hasards de l’entreprise. Il obtient d’envoyer, comme agens du gouvernement prussien, bien que leur qualité soit cachée sous l’incognito, deux hommes de sa confiance, Lothar Bucher et le major Versen. Le premier, esprit pénétrant, secret, très expérimenté, au courant de tous les replis de la politique bismarckienne, ayant gardé de ses origines démagogiques une haine intense contre Napoléon III ; le second, soldat très décidé, connaissant à merveille la langue espagnole. Ils se mettront en rapport avec Salazar et Bernhardi, réconforteront Prim, parcourront le pays et feront un rapport sur les probabilités de succès de la candidature. Cette démarche, autant au moins que le Conseil du 15 mars, « prouve qu’on était décidé à Berlin à poursuivre l’affaire espagnole sérieusement, et que le gouvernement y était engagé plus profondément qu’il ne l’avouait publiquement et officiellement[13]. »

Versen est mandé de Posen à Berlin dans les premiers jours d’avril et part aussitôt avec Lothar Bucher. Pendant qu’ils enquêtent en Espagne, Fritz de Hohenzollern, retrouvé, arrive de Paris à Berlin. La princesse Joséphine, mère ardente, mêlée à toutes les résolutions de la famille, accourt et pèse avec lui, en un parfait sang-froid, le pour et le contre ; le prince Antoine conseille le pour, mais à trois conditions : 1° une majorité des deux tiers aux trois quarts dans l’élection ; 2° une assurance contre la banqueroute d’Etat ; 3° le vote préalable de toutes les lois anticléricales pour que l’odieux n’en rejaillisse pas sur le nouveau souverain. Mais Fritz est plus rebelle que son frère, précisément parce qu’il vient des Tuileries où il a été comblé de bons procédés. Il n’acceptera que si le Roi ordonne, sinon il refuse. Le Roi ne veut pas ordonner ; Fritz refuse. Le prince Antoine télégraphie cette décision à Lothar à Madrid et il écrit mélancoliquement à son fils Charles de Roumanie : « Un grand moment historique est passé pour la maison Hohenzollern, un moment comme il ne s’en est jamais présenté, comme il n’en reviendra plus jamais. »


VI

Lothar Bucher et Versen arrivèrent à Madrid au lendemain d’une crise qui paraissait avoir à jamais disloqué la candidature tenace de Montpensier. Un événement malheureux venait d’accroître son impopularité. Don Enrique de Bourbon l’avait violemment attaqué dans un factum. Un duel s’ensuivit. Enrique reçut deux balles au front et fut tué (12 mars). Dans de pareils cas, la coutume reçue était que les témoins déclarassent devant le juge que la victime s’était tuée par accident, en essayant un pistolet ; le meurtrier évitait ainsi les peines édictées par la loi. Les témoins du duc firent cette déclaration et une ordonnance de non-lieu fut prononcée, mais le duc ne voulut pas s’en contenter. Il préféra être jugé. Il le fut, en sa qualité de capitaine général, par un conseil de guerre présidé par Izquierdo, son ami particulier, son chaud partisan, et il fut condamné à un mois d’exil à dix lieues de Madrid et à 25000 francs d’amende. On avait ainsi espéré calmer l’irritation populaire, mais ce fut en vain : pour le peuple, Montpensier n’était plus que le fratricide.

La dislocation du ministère libéral de conciliation, dans lequel figuraient Topete et quelques amis du duc, avait entraîné une nouvelle déroute de sa candidature. La discorde, dès le premier jour, s’était établie dans ce ministère, et la rupture se produisit dans la nuit du 48 au 19 mars, la nuit de la Saint-Joseph, à propos de mesures financières contre lesquelles les Unionistes se prononçaient. Prim, d’un ton altier, dit : « Je prends Dieu à témoin que j’ai tout fait pour éviter la rupture. Les conseils, les supplications, rien ne m’a servi. Ils m’offrent la bataille ; il ne me reste qu’à dire : « Radicaux, à la rescousse ! serrons-nous. Qui m’aime, me suive ! » À ces mots, son ami, le général Milan del Bosh, se jette dans ses bras. Izquierdo, commandant de la province de Madrid, lui crie : « Général, au scrutin d’abord, puis à cheval, s’il le faut. » Mais Topete quitte le banc des ministres : « Mon général, je ne puis vous suivre dans le chemin qui conduit à la République. » Sa démission avait entraîné celle de Rios-Rosas, président du Conseil d’État et des principaux fonctionnaires appartenant au parti de Montpensier.

Au premier abord, on crut que cette sortie des Unionistes entraînerait la démission de Serrano. Mais le Régent, tout en restant l’ami du duc, n’était plus son partisan politique ; il se renfermait de plus en plus dans une abstention indifférente : « La seule chose à laquelle je m’opposerai résolument, c’est la République, à cause du mal qu’elle pourrait faire, non seulement à nous, mais à nos voisins et à toute l’Europe. Je lui préfère mille fois le prince Alphonse, Espartero, n’importe qui, pourvu que ce soit un roi. » Les Unionistes eux-mêmes ne poussèrent pas les hostilités à fond ; une forte majorité se constitua autour de Prim, dont le pouvoir gagna en vigueur ce qu’il perdait en surface.

Lothar Bucher et Versen furent reçus avec un empressement, une cordialité exceptionnels, promenés, endoctrinés, cajolés. Prim détourna les soupçons que leur présence aurait pu inspirer par une amusoire aussi bien combinée que celle par laquelle Bismarck avait empêché Benedetti de pénétrer la cause réelle de la présence des princes de Hohenzollern à Berlin. Il affectait de n’être préoccupé que des difficultés d’organiser l’intérim. Il dissertait gravement avec Mercier sur les conditions dans lesquelles on consoliderait cet intérim, et sur le Régent qui serait placé à la tête. « Ce doit être, disait-il, Serrano. Il s’est parfaitement conduit au pouvoir, son patriotisme n’est pas douteux, je m’entendrai toujours bien avec lui ; Mais mon parti n’a pas la même confiance ; il se rappelle 1856 ; il croit que les généraux unionistes ne sont rien moins que libéraux, qu’ils n’attendent qu’une occasion pour détruire la liberté, et qu’ils la trouveront bientôt, si Serrano reste maître de la Régence. Il veut donc que ce soit moi, et non lui, qui occupe cette position. Mais voyez dans quel embarras cela me mettrait ! On ne manquerait pas de dire, et tout le monde de croire que je sacrifie tout à mon ambition et que je n’ai travaillé qu’à me débarrasser de Serrano pour prendre sa place. Je suis habitué à tous les déboires des luttes politiques, et je sais les affronter ; mais il y a dans le jeu que l’on veut me faire jouer, quelque chose qui répugne à ma délicatesse et à ma loyauté ; jamais je ne me suis trouvé dans une plus grande perplexité. » Et Mercier berné ne se doutait de rien.

Lothar Bucher et Versen virent les choses comme Prim les leur montra et rentrèrent à Berlin convaincus que la candidature avait les meilleures chances : il n’y avait aucune raison de ne la point accepter (6 mai). Mais ils ne retrouvèrent plus Bismarck à Berlin. Exténué par ses travaux, par sa mangeaille à la Gargantua, il avait dû abandonner provisoirement les affaires et aller restaurer son estomac à Varzin (21 avril). Ce fut au Roi, à défaut de Bismarck, que Versen fit son rapport. Le Roi, livré à lui-même, revint à sa répugnance primitive et n’attacha qu’une importance minime à ses conclusions favorables ; il en attribua la « couleur rose » aux bons procédés dont ses envoyés avaient été comblés. Cependant il interrogea de nouveau Fritz, et le jeune prince renouvela sa réponse : « Si le Roi avait ordonné, j’aurais obéi ; il ne le fait pas, je refuse. »

Prim, comptant sur l’effet du rapport des envoyés prussiens, avait annoncé déjà à la Tertullia progressista (cercle de 700 membres dont il était le président) que l’édifice serait couronné avant la fin de mai. Quoique déconcerté par un télégramme négatif du prince Antoine, il répondit qu’il n’acceptait pas cette renonciation et qu’il espérait que, mieux renseignés, les princes reviendraient sur leur refus. Ottokar Lorenz a dit : « On avait beau s’efforcer, du côté prussien, de tenir secrète la mission de ces deux envoyés, la personnalité de Lothar Bucher était trop connue de tous les Cabinets d’Europe pour que l’on puisse s’étonner qu’en France personne alors ne voulût plus croire que le gouvernement prussien et le chancelier n’étaient nullement mêlés à la question du trône espagnol (p. 247). » Si l’on avait connu cette ambassade, on en eût tiré la conclusion qu’indique le Prussien. Mais, à ce moment, personne en France n’en fut informé et, par conséquent, n’y fit attention. Et, dans la presse française, nul ne s’occupa de la candidature Hohenzollern.


VII

Mettons en regard de cette politique conspiratrice de Bismarck la loyale conduite du Cabinet du 2 janvier.

Le jour même de son installation, Daru avec l’Empereur s’était occupé d’éteindre le seul tison qui pût mettre le feu à l’Europe : l’affaire des Danois du Sleswig, et il avait été entendu que le souverain lui-même et son ministre adresseraient à notre ambassadeur à Pétersbourg, le général Fleury, qui brûlait de se distinguer par un haut fait diplomatique, l’un une lettre confidentielle, l’autre une dépêche officielle dans le même sens. La lettre confidentielle disait : «… Vos dernières dépêches me prouvent que vous aviez bien compris la nécessité d’une grande réserve ; j’ai attendu sans inconvénient que le nouveau ministère soit formé polir vous répéter ce que déjà La Tour d’Auvergne vous a écrit. N’oubliez pas que ce que vous dites à l’Empereur ou à Gortchakof, est répété à Berlin. Quant à la question du Sleswig, il faut n’en plus parler, comme vous le comprenez vous-même ; mais, si l’on amène de nouveau la conversation sur ce sujet, il faut bien faire comprendre que, si je désire l’exécution fidèle de l’article 5 du traité de Prague, c’est dans le but unique de faire disparaître une cause d’irritation qui pourrait un jour créer des embarras. C’est donc aux puissances qui désirent la paix à chercher à aplanir les difficultés et à effacer les souvenirs irritans ; ce n’est point un service que j’ai demandé à l’empereur Alexandre, je n’ai fait qu’appeler son attention sur une question qu’il est de son intérêt de voir définitivement résolue… (5 janvier). »

La dépêche officielle de Daru donnait des instructions conformes : « Le Cabinet actuel est arrivé au pouvoir avec l’intention de suivre au dehors une politique de paix et de concorde, et d’éviter toute parole ou toute démarche qui tendrait à susciter gratuitement des difficultés entre les gouvernemens. Or, en insistant davantage auprès de la Cour de Russie, sur l’affaire du Sleswig, nous risquerions, je le crains, de nous écarter beaucoup de ce plan de conduite, sans qu’aucune nécessité nous le commande (6 janvier). » Fleury parut adhérer à ces instructions : « Averti par le prince de La Tour d’Auvergne des susceptibilités très vives éveillées à Berlin, et informé par la presse européenne du bruit qui s’était fait à la seule pensée d’une immixtion de la France dans les affaires du Danemark, je m’étais imposé le devoir de n’en plus parler avant d’avoir reçu de nouvelles instructions. Votre Excellence voudra bien reconnaître que la situation reste entière et correcte. Elle est d’accord avec les instructions qu’elle m’adresse aujourd’hui ; et je n’ai qu’à persévérer dans la ligne de conduite que moi-même je m’étais expressément tracée (12 janvier). » Cette persévérance ne fut pas longue. Le Tsar, dans un déplacement à Gatchina, lui parla spontanément de l’intention du roi de Prusse de renouer les négociations interrompues avec le Danemark sur les garanties à accorder aux Allemands du Sleswig et d’exécuter ensuite l’article 5 du traité de Prague. Fleury voulut être autorisé à écouter l’ouverture et à reprendre les négociations. Daru coupa court à cette velléité : « Je reste pénétré de la nécessité de nous tenir en garde contre les dangers d’une pareille négociation. Votre attitude ne doit pas être seulement celle d’une grande réserve. C’est l’abstention pure et simple qui, seule, peut nous convenir, et vous devez éviter toute insinuation, toute parole de nature à engager, à un degré quelconque, la politique du gouvernement de l’Empereur dans cette question du Sleswig, en dehors de laquelle nous entendons rester. »

Daru prescrivit la même circonspection vis-à-vis de Gortchakof au sujet de l’Orient. Le chancelier russe témoignait avec ostentation son contentement de l’arrivée au ministère « d’hommes locaux et indépendans qui apportaient une grande force à l’Empire. » Il revenait complaisamment sur ses sympathies pour la France : l’entente avec elle était son rêve ; la réalisation en avait été retardée par les malheureux événemens de Pologne, mais il mourrait fidèle à cette politique, qui serait la plus belle page de son histoire. » C’était une entrée en matière ; bientôt il en venait à des propositions pratiques : « La situation réciproque des deux gouvernemens en Orient devait être plus amicalement définie ; il était temps de réprimer les ardeurs indiscrètes de Bourée, et de mettre un terme à l’hostilité systématique de nos consuls contre les agens russes. Ce qu’il réclamait surtout de notre amitié, c’était la révision du traité de Paris. »

Cette fois c’était l’amitié avec l’Angleterre qui eût été compromise, et nous attachions tous une importance majeure à la conserver. Daru repoussa donc cette nouvelle tentative avec non moins de fermeté que la précédente : « Sur ce point, bien plus encore, s’il est possible, que sur la question du Sleswig, la plus grande circonspection nous est commandée. Nous devons éloigner toute ouverture que nous pourrions prévoir, et si, malgré nos efforts pour éviter une suggestion, le prince Gortchakof en [14] prenait l’initiative, vous devriez vous borner à décliner toute réponse, l’engageant, s’il persistait, à s’adresser directement au gouvernement de l’Empereur (31 janvier). »

Voilà donc notre ambassadeur condamné à rester dans le rang et à ne rien négocier. Il en était désolé. Son attaché Verdière écrivait à un employé du télégraphe des Tuileries dans la pensée que ce serait communiqué à l’Empereur : « Nous ne nous servons pas souvent du chiffre que nous avons avec Sa Majesté, et, entre nous, je puis dire que nous sommes un peu attristés de voir que, de ce côté, on ne nous donne aucun signe de vie. Je comprends assez qu’il s’applique à ne pas blesser les susceptibilités de ses nouveaux ministres en correspondant lui-même avec un ambassadeur qui a contre lui cette condition particulière d’être un vieux serviteur de son prince. Mais s’il ne veut point parler politique extérieure, ne saurait-il donner quelquefois un simple souvenir d’amitié ? Nous l’avons dit souvent, nous étions très malades. Ayant en face de nous les démagogues, nous n’avions pas le soutien des classes moyennes. L’arrivée au ministère des hommes dits des anciens partis nous a apporté le salut. Il faut leur en savoir gré, et prendre notre parti de payer très cher l’appui qu’ils nous donnent. Je suis moins satisfait d’eux à l’extérieur. La politique du règne de Louis-Philippe se reproduit et s’accentue. Nous en faisons l’expérience. Chaque dépêche du comte Daru nous lie bras et jambes et nous sommes exposés à ne pouvoir tirer aucun profit de l’excellente situation acquise ici parle général. Toute la politique extérieure se résume dans le désir extrême de ne laisser se produire aucune difficulté. L’intention est louable, mais c’est souvent en exagérant la réserve que l’on laisse justement aux difficultés la possibilité de se produire. Si Bismarck savait (et il le saura) que nous ne voulons rien dire ni rien faire, qui donc et quoi donc le gênerait ? Quand nous avons été envoyés ici, c’était pour rétablir des relations compromises depuis les affaires de Pologne. Ceci est fait. C’était aussi pour produire habilement un petit résultat de nature à satisfaire l’opinion et l’amour-propre national. L’affaire a été bien entamée et était en bonne voie. Alors est venu le nouveau ministère, qui a donné la consigne que voici : « Ne faites rien, ne dites rien. » On a obéi naturellement, mais l’affaire commencée a continué de marcher toute seule. Les résultats s’offrent d’eux-mêmes ; on nous en fait part ; nous les communiquons à Paris en ayant soin de dire que nous n’avions plus rien fait nous-mêmes, suivant la recommandation. Que nous répond-on ? Toujours la même chose : Ne faites rien… (9 février). »

L’Empereur se décida à écrire la lettre que Fleury sollicitait, mais elle ne fut pas tout à fait telle qu’il l’aurait souhaitée : « J’approuve fort votre conduite à Pétersbourg et je crois que vous pouvez m’y être utile en contribuant à maintenir les bonnes relations entre l’empereur Alexandre et moi. Par le temps qui court, il n’y a guère de grands projets à former ; tous vos efforts doivent se borner à créer une entente par des conversations bien plus que par l’énoncé de projets arrêtés. Ici les choses vont assez bien ; cependant les ministres sont trop engagés avec le Centre gauche, ce qui souvent amène des tiraillemens dans le Conseil. Le vote du 24 février sur les candidatures officielles a été désastreux[15]. Il faut pourtant que le ministère reste, mais je n’accorderai aucune diminution, soit de la Garde, soit de la Ligne (1er mars). »


VIII

A l’égard de l’Allemagne les instructions de notre ministre des Affaires étrangères furent moins satisfaisantes : aux recommandations de réserve et de prudence qu’elles contenaient se mêlaient des sous-entendus comminatoires, qui, certes, n’étaient pas dans la pensée du Cabinet. On les retrouve surtout dans une lettre confidentielle à Benedetti : « Je crois opportun de suivre, quant à présent, au dehors, une politique d’apaisement et de concorde, d’éviter toute parole, toute démarche qui pourrait, sans une nécessité démontrée, soulever des difficultés de gouvernement à gouvernement. Nous avons assez à faire chacun chez nous, pour ne pas chercher des embarras au dehors. Je recommande la prudence, la réserve à tous ceux qui représentent la France, particulièrement là où les susceptibilités seraient faciles à exciter. Mon intention est de ne soulever aucune question et de ne pas hâter les solutions que le temps peut amener. J’accepte l’état territorial de la Prusse, tel qu’il est, mais je vous prie de suivre d’un œil attentif tous les incidens qui pourraient se produire du côté de l’Allemagne du Nord, et je prendrais au besoin les résolutions que me paraîtrait commander le rôle qui appartient à un grand pays comme le nôtre ; je n’irai volontairement au-devant d’aucune complication. Mon ambition, en ce moment, se réduit à ne pas laisser se modifier, au détriment de l’Empereur et de mon pays, la situation générale que je trouve établie, et à suivre la marche des choses et des esprits attentivement. Vous m’écrivez que M. le comte de Bismarck veut la paix et ne songe qu’à fortifier sa position dans le Nord et à resserrer le lien de la Confédération. Je ne lui créerai pas d’autres embarras que ceux pouvant résulter du spectacle de la France devenue libre, d’un parlement discutant les intérêts publics, d’un gouvernement constitutionnel fonctionnant régulièrement. Cet événement pourra avoir son retentissement en Allemagne. Il pourra se faire que le chancelier fédéral s’en ressente, éprouve quelques difficultés intérieures ; il ne pourra pas s’en plaindre : ce sera là ma seule manière de réagir contre l’accroissement de territoire que la conquête lui a donné. L’intérêt évident de la Prusse est de vivre en bonne harmonie avec la Russie. Je ne m’étonne pas qu’un accord, qui est ancien et commandé par la situation de ces deux États, se manifeste par des actes politiques un peu éclatans en certaines occasions, je n’en prendrai point ombrage pourvu que ces manifestations ne soient point trop bruyantes ni trop répétées et ne prennent pas un caractère tel que je sois obligé de m’en apercevoir[16]. » Napoléon Ier n’eût point parlé autrement.

Les mêmes instructions, sous des formes à peu près analogues, furent envoyées à Cadore, à Munich, et à Saint-Vallier, à Stuttgart. Et dans celles à nos ministres du Sud, il était spécifié que ce n’était pas seulement le passage matériel du Mein qu’il considérait comme contraire à l’intérêt français : il repoussait non moins catégoriquement, au même titre, ce qu’il appelait le passage moral, c’est-à-dire « l’ingérence dans les affaires des États du Sud en vue de pousser à l’unification[17]. »

Mais Daru éprouvait lui-même les ardeurs, qu’il réprimait chez ses ambassadeurs, de se distinguer par des exploits diplomatiques. Le récit qu’on lui fit d’un projet du prince Pierre d’Oldenbourg de conseiller au roi de Prusse l’initiative d’un désarmement général, lui suggéra de réclamer lui-même cette mesure généreuse. Il demanda à l’Empereur son autorisation : « Je ne veux pas, lui répondit l’Empereur, faire une démarche directe ; je l’ai tentée en 1863 ; elle n’a pas réussi ; je ne m’oppose pas à ce que vous en tentiez une par l’intermédiaire de Clarendon que je sais très favorable à cette idée. » Daru me demanda aussitôt ce que je pensais de son projet. Je lui avouai que je ne lui croyais pas la moindre chance de succès, mais qu’il n’y avait nul inconvénient à donner ainsi un nouveau gage de nos intentions pacifiques.

Il s’adressa à Clarendon. Le ministre anglais se montra cordial et empressé : « On connaissait en Prusse, dit-il, ses convictions quant à la nécessité d’un désarmement. Il en avait causé très longuement, l’été dernier, avec le prince royal, qu’il avait trouvé dans les mêmes sentimens ; mais il savait aussi que ni le Roi, ni M. de Bismarck ne pensaient de même. Il ne pouvait donc se faire beaucoup d’illusions sur le résultat de ses démarches, mais il risquerait volontiers un « mub, » une rebuffade pour une aussi bonne cause (27 janvier). » Daru n’eût pas craint que Clarendon « eût recours à une dépêche officielle dès le début, parce que ces documens peuvent recevoir devant le parlement une publicité que les pièces d’un caractère purement officieux ne comportent pas, et que cette publicité aurait pour nous de grands avantages. Le refus que l’on peut être tenté de nous opposer sera plus difficile, s’il doit être connu. Il faudrait se résigner alors à prendre vis-à-vis de l’Europe et de l’Allemagne la responsabilité d’armemens qui ne sont agréables à personne. Il faudra écrire qu’on veut rester armé et qu’on le veut seul. C’est un embarras dont il pourrait être habile de ne pas délivrer le chancelier fédéral (1er février). »

Clarendon observa qu’une telle manière de procéder aurait les plus graves inconvéniens et pourrait amener immédiatement la perturbation belliqueuse qu’on voulait conjurer dans l’avenir : « Il ne parlerait qu’en son nom et d’une manière tout officieuse ; et il attachait la plus grande importance à ce que rien ne transpirât dans le public (28 janvier-16 février). » Daru, convaincu, n’insista pas sur sa première suggestion, et, afin que le secret fût mieux gardé, en dehors des deux ambassadeurs et des deux ministres on n’instruisit de la négociation, à Londres que Gladstone et la Reine, à Paris que l’Empereur et moi. Loftus engagea la conversation très confidentiellement à Berlin. Bismarck déclara sèchement qu’il était impossible de modifier un système militaire entré profondément dans les institutions du pays et qui formait une des bases de sa constitution. Il ne ferait même point part au Roi de cette suggestion du gouvernement britannique ; il était assez au courant de la manière de voir de son souverain pour pressentir ses impressions et il verrait dans la démarche du Cabinet de Londres une preuve d’un changement « dans les dispositions de l’Angleterre à l’égard de la Prusse. » Il entra ensuite dans des considérations techniques : l’état militaire de la Prusse n’avait rien que de strictement exigé par l’étendue de ses frontières et par le nombre d’ennemis qui pouvait les assaillir. — Il ne « comprenait pas qu’on pût s’inquiéter des intentions de la Prusse : elle n’était pas nation conquérante. »

Stoffel, toujours serviable à son ami Bismarck, nous expliqua, dans un rapport, « qu’un gouvernement qui songerait à proposer un désarmement au gouvernement prussien ferait preuve de la plus coupable ignorance de l’organisation militaire et des institutions fondamentales de la Prusse[18]. » Il n’y avait rien de contraire aux institutions fondamentales de la Prusse dans l’idée d’un désarmement. Sans doute tous les citoyens prussiens doivent le service militaire, et pendant la guerre tous s’en acquittent en réalité. Pendant la paix, les exceptions à cette incorporation universelle sont nombreuses ; sur 160 000 jeunes gens propres au service on n’en incorporait annuellement que 100 000 ; le reste entrait dans la réserve de recrutement appelée en cas de guerre seul. Qui empêcherait d’augmenter cette réserve de recrutement et, au lieu d’appeler annuellement 100 000 hommes, de se contenter de 80 000 ? Répondrait-on que le chiffre de l’effectif de paix avait été fixé par l’article 60 de la Constitution à 1 pour 100 de la population ? Mais cet effectif n’avait été réglé ainsi que jusqu’au 31 décembre 1871. « À cette époque, disait l’article 60, il serait fixé par voie de législation fédérale. » Qui empêcherait de changer alors la pro portion établie ? Cela ne paraissait pas impossible, puisque le député prussien Wirchow le proposait. Le principe du service obligatoire n’en eût pas été faussé, puisqu’il reprendrait toute son amplitude en cas de guerre et que, même en temps de paix, il resterait toujours vivant dans sa conséquence la plus essentielle : l’interdiction du remplacement. On pouvait encore donner une indication des tendances pacifiques par l’augmentation des congés. Seulement cette mesure n’eût pas constitué un désarmement organique sérieux, entraînant une diminution assurée du fardeau militaire des peuples européens. Le chiffre des effectifs comparé était discutable, l’axiome que la Prusse n’était pas conquérante inattendu : te Sleswig, la Hesse, Francfort, auraient pu dire ce qu’ils pensaient de cette affirmation… La seule raison véritable du refus, Bismarck ne pouvait pas la donner : c’est que l’on ne désarme pas quand on travaille sans relâche à faire éclater une guerre.

Daru ne se laissa pas rebuter. Il considéra presque comme un succès que le chancelier prussien eût paru accepter l’entretien. Dans une note à Lyons et dans une dépêche à La Valette (13 février), il combattit les objections de Bismarck, pria Clarendon de ne point se décourager et de revenir à la charge, et, pour appuyer cette nouvelle tentative par un argument nouveau, lui promit que nous prendrions l’initiative d’une réduction de 10 000 hommes sur notre contingent annuel. Neuf contingens réduits de 10 000 hommes font 90 000 hommes. « Peut-être alors, disait Daru, M. de Bismarck craindra-t-il de rester le seul en Europe à ne rien accorder à l’esprit de paix et à donner ainsi des armes contre lui à tout le monde et surtout aux populations accablées sous le poids des charges militaires. » La réponse de Bismarck à la nouvelle communication fut encore négative. Il se retrancha cette fois dans des considérations auxquelles Clarendon était loin de s’attendre : « Ce serait en vertu de préoccupations que lui inspirait la Russie plus encore que la France, que la Prusse ne pouvait pas consentir au désarmement. L’état de santé de l’empereur de Russie causait de sérieuses inquiétudes et le tsarewitch était loin d’avoir à l’égard de la Prusse les sentimens de son père. La prudence faisait donc au Cabinet de Berlin une loi d’être toujours prêt du côté de ses frontières orientales. Il fallait prévoir aussi une alliance de l’Autriche avec les États du Sud. La France également pouvait avoir des velléités d’agrandissement : elle a voulu un instant le Luxembourg, elle peut songer à d’autres acquisitions. Si la Prusse désarmait, lui garantirait-on sa situation acquise ? »

Daru interrogea Fleury sur la maladie du Tsar et sur les dispositions du tsarewitch. Fleury répondit que si le Tsar disparaissait, Bismarck « aurait raison de se défier des sentimens du tsarewitch, peu tendre envers la Prusse et qui représente ce qu’on appelle le parti russe, c’est-à-dire le parti anti-allemand et anti-étranger, et que son mariage avec la princesse Dagmar fait un représentant passionné de la cause du Danemark ; mais le Tsar, malade par suite de l’opération d’une hernie, non seulement était maintenant très bien portant, mais n’avait jamais déployé une plus grande activité de corps et d’esprit. » L’empereur de Russie se montrait en effet en public tel que le décrivait Fleury. Ceux qui le fréquentaient dans l’intimité le voyaient souvent en proie à des accès d’humeur sombre et à des crises nerveuses inquiétantes. Et à cet égard Bismarck disait vrai.

Quoique Benedetti n’eût pas été mis dans le secret, il fut informé par l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin et il ne laissa pas ignorer à Paris combien nos démarches seraient stériles ; « Durant le règne actuel on n’obtiendra de la Prusse aucune concession propre à atténuer la puissance de l’armée[19]. » Cette négociation peu pratique s’en alla en fumée. Il n’en resta que la promesse faite par nous à Clarendon de réduire notre contingent annuel de 10 000 hommes.


IX

Daru n’avait plus qu’à se tenir tranquille et à regarder ce qui se passait en Allemagne en n’exprimant aucune opinion et en prescrivant à nos agens de n’en manifester aucune. Il ne sut pas se résigner à cette abstention : ne pouvant pas agir, il parla, il enfla même la voix, et le moindre incident de la politique prussienne motiva une dépêche. Sans charger Werther ni Benedetti d’une communication à Bismarck, il exprima à titre d’information personnelle son opinion sur le discours du Roi à l’ouverture du Reichstag : « Toute la portion du discours royal relative aux rapports de la Confédération du Nord avec le Sud donne au discours un caractère à la fois embarrassant pour les souverains et menaçant pour les peuples. Nous avions été particulièrement frappés du langage du Roi sur le traité de Prague : l’entente à établir au sujet du lien national entre le Nord et le Sud est, suivant le langage du Roi, l’objet de sa constante sollicitude. Mais Sa Majesté s’est abstenue d’ajouter que cette clause stipule pour le Sud une situation internationale indépendante, et cette omission donne à ses paroles une signification peu conforme à l’esprit des arrangemens de 1866. J’ai été conduit ainsi à rappeler la politique que nous suivons à l’égard de l’Allemagne. « Le Cabinet du 2 janvier accepte sans arrière-pensée le statu quo tel qu’il est en Allemagne, et nous n’avons point l’intention de réagir contre les événemens accomplis. Notre programme est la paix. Nous en désirons vivement le maintien… mais nous devons veiller attentivement à ce que l’état actuel ne s’aggrave pas au préjudice de l’équilibre européen et à notre propre détriment. L’indépendance de l’Allemagne méridionale est aujourd’hui une garantie de cet équilibre et de la bonne harmonie des puissances. Si l’on venait à modifier par des actes le statu quo, si d’imprudentes démonstrations révélaient le dessein d’altérer les bases sur lesquelles repose la paix, le gouvernement de l’Empereur, dans les conditions nouvelles où il s’honore d’être placé, aurait alors le devoir impérieux de porter la question devant les Chambres, de leur soumettre sa politique, d’en appeler à l’opinion. Les discussions qui s’engageraient inévitablement auraient pour effet de réveiller les passions, non par notre volonté, mais par celle des gouvernemens qui auraient rendu ces débats nécessaires. Telle sera la conduite et telles sont les vues du Cabinet (23 février 1870). »

Daru envoya, dans les mêmes termes, la même dépêche à Munich afin qu’on pût y apprécier la valeur des bruits répandus dans certains journaux allemands, « d’après lesquels nos dispositions auraient changé à l’égard des États du Sud[20]. » Il revient encore plus formellement avec Saint-Vallier sur cette assurance à laquelle il tient : « M. le baron de Varnbühler, en s’ouvrant à vous de ses préoccupations, à la suite de l’impression faite sur le Cabinet de Stuttgart par le récent discours du roi de Prusse, vous a témoigné son désir d’être tiré d’incertitude, au sujet de la politique que suit, dans les affaires allemandes, le gouvernement de l’Empereur. Notre politique est celle qui a été pratiquée, non sans succès, depuis deux ans ; nous nous proposons de la continuer. Nous nous appliquerons donc, d’une part à éviter les récriminations et les ingérences intempestives dans les affaires d’Allemagne ; d’autre part à veiller à ce que l’état actuel des choses ne s’aggrave pas au préjudice de l’ordre européen et à notre propre détriment[21]. »

Ces communications, étant adressées à nos propres agens, n’étaient pas de nature à amener une discussion avec le gouvernement allemand qui, officiellement, les ignorait. Mais Daru saisit l’occasion que lui offrit Werther d’informer Bismarck lui-même de la pensée qu’il ne lui notifiait pas officiellement. Werther lui ayant dit dans une visite : « Permettez-moi, non comme ambassadeur, mais en mon nom personnel, de vous demander si vous avez été plus content du dernier discours de M. le comte de Bismarck au Parlement fédéral (contre l’annexion de Bade) que vous ne l’avez été du discours du Roi ? » Daru répondit : « Le ministre de l’Empereur ne saura rien de cette conversation puisque ce n’est plus à l’ambassadeur de Prusse que je m’adresse. Je consens d’autant plus volontiers à accepter cette situation qu’elle me met plus à l’aise pour vous dire franchement mon impression. J’ai été satisfait de voir M. le chancelier fédéral repousser l’admission du grand-duché de Bade dans la Confédération ; mais en approuvant l’acte, j’aurais cependant des réserves à faire sur le langage, et, puisque vous m’y conviez, je vous ferai connaître toute ma pensée. Voici mes observations : si M. de Bismarck en fait refuse de se prêter actuellement à l’annexion du grand-duché au territoire fédéral, il revendique son droit de l’effectuer le jour où il le jugera convenable. Il a contesté l’opportunité de cette mesure dans le moment présent, mais pour justifier son opinion, il s’est servi d’un argument qui révèle assez son arrière-pensée. Il a fait valoir les services que le grand-duché de Bade pourrait rendre à la cause commune en restant membre de l’Allemagne méridionale ; il a clairement donné à entendre que, le jour venu, il n’hésiterait pas à réunir et Bade et le reste au même centre fédéral ou unitaire. » Werther l’interrompit : « M. de Bismarck renvoyait la réalisation de ses projets à une époque éloignée ; quand plusieurs lustres se seront écoulés, autant vaudrait dire aux calendes grecques. — Je l’ai remarqué certainement, reprit Daru, et l’on ne peut que se féliciter de cet ajournement à une époque lointaine de toute entreprise qui troublerait la paix ; mais je n’en ai pas moins deux réserves à faire sur le fond du discours. En premier lieu, je l’avouerai, j’ai peine à comprendre ce que deviennent les traités, s’il est permis au premier ministre d’une grande puissance de dire publiquement qu’à une époque quelconque, en dépit de toutes les conventions existantes, il prendra ce qui pourra lui convenir et ce qui ne lui appartient nullement : j’aime la paix, mais je regarde comme une condition essentielle de son maintien en Europe l’observation réciproque de la parole donnée. Tout l’ordre social repose sur ce principe qui est en même temps le fondement de l’indépendance des petits États : autrement, il n’y a plus que la force dans le monde, et entre les gouvernemens, il n’existe que des trêves momentanées, l’absorption des petits États dans les grands peut à chaque moment apporter la perturbation dans les conditions d’équilibre sur lesquelles repose la sécurité de tous. M. de Bismarck ne m’a pas paru suffisamment pénétré de cette vérité, si j’en juge par son langage. Ma seconde observation est plus délicate à formuler ; il faut réellement que je me dépouille de mon caractère de ministre des Affaires étrangères pour que je puisse vous la soumettre. Le parti national-libéral vous donne quelques embarras en Allemagne, et vous en donnera de plus grands de jour en jour, si, comme vous me l’assurez, M. de Bismarck veut la paix et abandonne aujourd’hui la pensée de réaliser les vœux politiques et les projets de ce parti. Est-il dès lors bien prudent de lui montrer, même dans un avenir éloigné, la satisfaction certaine de ses ambitions et de ses espérances ? Le langage de M. le chancelier fédéral n’a-t-il pas contribué puissamment, depuis 1866, à exciter les ardeurs de ce parti qu’il a peine à contenir aujourd’hui ? Je retrouve dans son dernier discours quelque chose de cette même tendance et, puisque vous me permettez de vous le dire, quand on crée des courans d’opinion dans un pays, quand on fait appel aux passions, on n’est pas toujours sûr de les diriger à son gré et de leur faire attendre la satisfaction qu’elles réclament ; on croit les dominer, elles vous dominent et vous entraînent. — C’est en effet, répondit Werther, une passion nationale en Allemagne que l’Unité. M. de Bismarck ne l’a pas créée ; il l’a trouvée déjà forte ; elle existe dans les esprits et vous le savez, vous qui avez vécu de la vie publique, quand on parle dans les assemblées on est bien obligé de se mettre un peu dans le courant de l’opinion régnante, ne fût-ce que pour faire accepter des tempéramens et des délais dont autrement elles ne s’accommoderaient pas. Il ne faut pas les heurter de front, mais, je vous le répète, M. de Bismarck n’a nullement la pensée de troubler la paix de l’Europe. Il a assez à faire chez lui pour ne pas chercher des embarras au dehors. » L’entretien finit sur cette déclaration dont Daru remercia Werther.


X

Bismarck ne fut pas surpris des confidences de Daru, car il connaissait la politique de notre collègue. N’en contesta-t-il ni la justesse, ni l’opportunité, qui le croira ? « Que nous importe, dit-il au Reichstag[22], que l’aide des troupes allemandes du Sud nous soit assurée par des traités ou par l’entrée des États méridionaux dans la Confédération du Nord ? En fait, nous avons, à l’égard de l’Allemagne du Sud, gagné une précieuse fraction de l’unité nationale. Lorsque le Roi, mon très gracieux maître, exerce dans la Confédération du Nord un pouvoir qui n’a pas besoin d’être plus étendu dans l’intérêt national, dans l’intérêt de l’influence de l’Allemagne et de sa sécurité, je puis prétendre que le chef de la Confédération du Nord a dans l’Allemagne du Sud une situation comme aucun empereur allemand ne l’a eue depuis Frédéric Barberousse. » Je retrouvais dans ce discours d’un bon sens si éclatant ce que j’avais dit à la tribune, ce que j’avais répété à l’Empereur, et je résolus de me dégager d’une solidarité à laquelle je n’étais pas tenu. La politique de Daru était contraire au programme ministériel : nous avions arrêté d’accepter sans récriminations le passé ; de ne pas intervenir dans les événemens qui se dérouleraient en Allemagne ; nous n’avions nullement décidé que, dans le cas où ils aboutiraient à une union plus étroite du Sud et du Nord, nous considérerions cette modification comme une atteinte à nos intérêts, et que nous essaierions de la prévenir en faisant comprendre discrètement ou indiscrètement qu’avec celle de l’Autriche, elle rencontrerait notre opposition formelle. Il avait été, au contraire, expressément convenu que le parti à prendre dans ce cas ne serait préjugé dans aucun sens. Et, chaque jour, dans ses conversations et dans ses dépêches, Daru préjugeait, selon ses vues personnelles absolument opposées aux miennes, la solution restée ouverte. Il ne communiquait ni au Conseil ni à moi aucune de ses dépêches, aucune de celles de ses ministres à l’étranger. J’étais informé pourtant, et du langage qu’il tenait et de l’effet troublant qu’il produisait en Allemagne. La pensée que je pouvais être considéré comme consentant à continuer la politique de Moustier, de Rouher et de Thiers et à approuver, sous la plume de mon collègue, ces pleurnichemens anticipés sur les conséquences inévitables de faits que nous avions nous-mêmes rendus irrévocables en les tolérant, cette pensée me remplissait de chagrin et de confusion. Puisque, malgré l’accord convenu, Daru propageait ses vues personnelles dans les chancelleries, je me crus autorisé à faire connaître à l’Allemagne entière que ces vues n’étaient pas les miennes.

Je connaissais le docteur Levison, correspondant très intelligent d’un des journaux d’Allemagne les plus répandus, la Gazette de Cologne. Je le fis venir, et, après une conversation avec moi, il rédigea l’interview suivant : « En présence des événemens qui ont eu lieu en Bavière, et des débats récens au Reichstag, on a tenté de représenter le gouvernement français, et en particulier le ministre des Affaires étrangères comme un adversaire résolu de la politique prussienne. Il est intéressant pour l’Allemagne de recevoir un exposé autorisé de la façon dont on envisage la situation en France, dans le monde qui dirige la politique. Il est peut-être utile aussi de ne pas faire mystère de la source d’où proviennent ces communications. On ne pourra pas en contester le caractère authentique, lorsqu’on saura que c’est un membre du Cabinet du 2 janvier qui, non seulement les a faites, mais qui, précisément en raison de ses sympathies pour l’Allemagne, n’a rien objecté à leur publication dans la presse allemande. « Le ministère français actuel, dit cet homme d’Etat important, est animé de dispositions favorables au développement des relations avec l’Allemagne. Je suis un des rares Français qui possèdent une intelligence complète, intime, de l’intensité du mouvement allemand ; mais tous mes collègues ont, en dépit des bruits contraires, prouvé plusieurs fois combien ils étaient eux aussi animés de sentimens bienveillans, non seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour la Prusse. Ne croyez pas que les occasions nous aient fait défaut d’entrer dans des combinaisons qui auraient pu, ou qui auraient même dû nous conduire à une politique hostile ; mais nous nous sommes appliqués à repousser énergiquement tout rapprochement de ce genre. Lorsque, après le changement de la situation intérieure, nous sommes arrivés au pouvoir, nous apprîmes que le général Fleury avait discuté à Pétersbourg la question du Sleswig et pris l’initiative d’une action diplomatique dont il était facile de prévoir le résultat. Aussitôt le comte Daru s’empressa de faire parvenir des instructions formelles au représentant de la France auprès de la cour de Russie, pour lui prescrire de ne plus agiter cette question. Nous étions tous d’avis qu’en persistant dans la voie où le général s’était engagé, nos relations avec la Prusse s’altéreraient nécessairement, et comme le Cabinet actuel est délibérément pacifique, nous attachions un trop haut prix aux bonnes relations existantes avec le Cabinet de Berlin, pour admettre qu’elles fussent troublées par un intérêt d’aussi minime importance que l’est, au fond, celui du Sleswig. Mais si nous n’avons fait aucun mystère de notre intention de maintenir des relations de voisinage amical avec la Prusse et avec l’Allemagne, il importe, cependant, que, sur l’autre rive du Rhin et particulièrement du côté du parti national, on ne nous rende pas la tâche difficile, et que l’on sache comment nous envisageons le cours ultérieur du mouvement unitaire. Le dernier discours du comte de Bismarck a produit sur nous une impression favorable parce qu’il indique sa volonté de ne pas brusquer la solution. Nous désirons que l’on reste fermement, à Berlin, dans cet état d’esprit et qu’on ne s’en laisse détourner par aucune objurgation particulière. Le parti national ne doit pas oublier que nous serions hors d’état, et que moi-même je ne pourrais pas, nonobstant mes sympathies allemandes, lutter contre le courant de l’agitation publique en France dans le cas où la Prusse, par une pression évidente, forcerait les États du Sud à accéder à la Confédération contre la volonté des populations. Il en résulterait un mal incalculable. Mais il en serait tout autrement si cette union se produisait avec le temps par un mouvement populaire si fort que toute résistance parût puérile ou injustifiée. Mais qui affirmera qu’à l’heure actuelle, un semblable mouvement existe ? Cependant, s’il se produit un jour et qu’il ne soit pas artificiellement provoqué, nous nous trouverions alors en possibilité (bien que cela pût présenter encore certaines difficultés) de dire à notre peuple : « Halte-là ! cela ne nous regarde pas, c’est une affaire intérieure allemande dans laquelle il serait déraisonnable de s’immiscer ! » Dans le premier cas, il serait absolument impossible d’éviter un conflit, tandis que si on laisse arriver les choses à leur maturité naturelle, si l’on ne précipite rien, si l’on n’emploie aucune violence, les chances d’une entente pacifique sont grandes. Que chacun de son côté y mette du sien afin de conserver l’entente entre nos deux nations. » Ainsi parla mon interlocuteur, à l’opinion duquel son intelligence plus nette des affaires allemandes donne une portée toute particulière, sans compter que la situation qu’il occupe personnellement le met en état de faire prévaloir ses idées[23]. »

La différence entre mes vues et celles de Daru était ainsi suffisamment indiquée : il considérait l’Unité, par la fusion du Nord et du Sud, de quelque manière qu’elle se produisît, fût-ce par la volonté des populations, comme une perturbation d’équilibre menaçante pour notre sécurité, que nous avions le droit d’empêcher. Au contraire, je n’étais opposé qu’à l’Unité opérée violemment, et je ne croyais pas mon pays en droit d’interdire à un peuple voisin de s’arranger librement comme il lui conviendrait. C’était le rappel de la politique des nationalités, que je considérais comme le seul moyen de prévenir un conflit terrible, sans cela inévitable. Quel malheur pour la civilisation que mes conseils n’aient point été entendus ! Un diplomate attaché aux vieilleries diplomatiques contre lesquelles je m’insurgeais, Rothan[24], l’a loyalement reconnu depuis : « Le seul plan vrai était celui que M. Émile Ollivier préconisait dans ses discours au Corps législatif lorsqu’il siégeait dans les rangs de l’opposition. S’il avait pu faire prévaloir ses idées arrivé au pouvoir, il est probable que les événemens eussent pris un cours moins calamiteux[25]. Pour faire triompher la paix, il aurait fallu dire à l’Allemagne qu’on la laissait maîtresse de ses destinées. C’était l’unique moyen de la désarmer, de déjouer les calculs du ministre prussien, de le rejeter dans ses embarras intérieurs et de le mettre aux prises avec le particularisme et le libéralisme germaniques. Mais affirmer la paix et faire défense à la Prusse de passer le Mein, c’était jouer son jeu et lui fournir des prétextes pour raviver les passions nationales et les retourner contre la France. »

Daru sentit la gravité de mon acte et m’écrivit : « Mon cher collègue, il a paru dans la Gazette de Cologne un article que je vous envoie et que je regrette. On y dit, d’abord, que le général Fleury a dû cesser d’après mes instructions les démarches qu’il avait commencées pour se plaindre de l’inexécution de l’article 5 du traité de Prague. Ceci est déjà fâcheux et produira un très mauvais effet dans le public. Il eût mille fois mieux valu ne pas parler de tout cela. En outre, le ton de l’article est empreint d’une bonne volonté extrême pour la Prusse ; on y entre dans des détails qui vont être répétés partout. Ces sympathies prussiennes n’ont rien d’étonnant puisque la note de la Gazette de Cologne est attribuée à M. Levison, qui est Prussien, qui se vante d’avoir des relations avec vous et de parler en votre nom. S’il dit vrai, songez, mon cher collègue, à l’inconvénient de ses indiscrétions, et ne lui confiez plus rien. Notre politique souffre déjà des divisions que l’on exploite quant à la question romaine. On va les exploiter également quant à la question prussienne. »

Ma réponse ne se fit pas attendre. Ce fut la note suivante, insérée dans la Gazette de Cologne : « De plusieurs côtés on a attaqué dans leur ensemble ou contesté dans les détails ma récente communication sur les sentimens d’amitié qui dominent dans le Cabinet français à l’égard de l’Allemagne et de la Prusse. Je n’y ferai aujourd’hui que cette simple réponse, c’est que je maintiens mot pour mot tout ce que j’ai avancé et, de plus, que j’ai été autorisé à nommer la personne de qui je tiens, jusqu’aux moindres détails, tout ce que j’ai dit. Ce n’est autre que M. Ollivier, ministre de la Justice… Ollivier me disait encore, il y a à peine quarante-huit heures : « Il n’existe pas en ce moment de question allemande (24 mars 1870). »

S’il y avait eu une décision à prendre sur une conduite immédiate à tenir, comme nous n’avions cédé ni Daru ni moi, la dislocation du ministère se fût produite incontinent. Mais comme il ne s’agissait que d’une discussion abstraite sur une éventualité éloignée, tout se réduisit à des explications dans lesquelles chacun maintint, mais d’une manière très courtoise, son point de vue personnel. J’exprimai sans ambages ma résolution de répéter mon opinion toutes les fois que Daru sortirait de la réserve imposée par notre programme. Ce dissentiment public entre deux ministres sur un sujet de première importance était contraire aux règles élémentaires du bon gouvernement. Cela tenait à cette situation fausse qui m’avait été faite d’avoir les charges et les responsabilités d’un premier ministre sans jouir du droit de discipline légale attribué partout à ce titre. Un ministre des Affaires étrangères ne traite pas seulement les affaires dans des dépêches ; il les élucide, les prépare dans ses entretiens avec les ambassadeurs, et c’est parce qu’il n’y a pas moyen de surveiller sa langue aussi bien que sa plume, qu’une conversation diplomatique n’engage pas en général un Cabinet. Il en va autrement des dépêches. On ne peut exiger que toutes celles écrites par le ministre soient communiquées, mais, ainsi que l’a dit Palmerston : « Si le ministre secrétaire d’État aux Affaires étrangères envoie une dépêche importante, sans s’informer de l’opinion du premier ministre, il est coupable d’une infraction à son devoir. » Les dépêches de Daru appréciant les discours de Guillaume et de Bismarck avaient ce caractère, et, si elles m’eussent été communiquées avant d’être envoyées, je ne les aurais pas approuvées.


EMILE OLLIVIER.

  1. Lettre du 26 février.
  2. Tous ces détails sur cet incident de Bade ont été révélés pour la première fois par Ottokar Lorenz.
  3. Dépêche de Saint-Vallier, du 25 avril 1870.
  4. La princesse Marie-Antoinette, aïeule de Léopold était, non pas la fille, mais la nièce du roi de Naples.
  5. Un publiciste anglais des mieux renseignés, sir Rowland Blennerhassett, a écrit dans une étude remarquable, Origin of the Franco-Prussian War (National Review, octobre 1902) : « On a souvent demandé si, à ce moment ou à un autre, (avril 1870, lorsque Lothar Bucher et Versen furent envoyés en Espagne), de l’argent avait été fourni par les agens prussiens pour pousser la candidature Hohenzollern. J’ai des raisons de penser qu’une somme très considérable fut dépensée pour cette cause. Des indications de ceci pourraient être trouvées dans les papiers de feu lord Acton et des preuves pourraient être fournies par une certaine maison de banque que je pourrais nommer. »
  6. « Le Roi regrette qu’on n’ait pas suivi l’avis exprimé d’abord par le prince de Hohenzollern qu’on devait au préalable s’assurer l’assentiment de la France. On ne l’a pas fait parce que le général Prim a demandé le secret, que le comte Bismarck a fait valoir que chaque nation était libre de choisir son roi sans consulter une autre nation. » (Notes sur la vie du roi Charles de Roumanie, 24 juin/6 juillet 1870.)
  7. Discours du 3 novembre 1870.
  8. Sybel, dont tout le récit est une déformation constante de la vérité, a dit que le Roi n’a au quelque chose de la négociation qui se poursuivait derrière son dos qu’après sa fin ; que, par conséquent, il n’a pas pu faire communication au comte de Bismarck de divers incidens, parce qu’il n’en avait pas eu connaissance lui-même (p. 252).
  9. Wilhelm Ier, p. 213.
  10. Preussische Juhrbücher.
  11. Elle a péri comme elle par la folie.
  12. Keudell prétend que, au lieu de Schleinitz, il faut lire S…, ambassadeur à Vienne, alors présent à Berlin, créature de Bismarck.
  13. Ottokar Lorenz.
  14. De Daru, 31 janvier.
  15. L’Empereur se trompait en attribuant notre rejet du système des candidatures officielles au désir de satisfaire les exigences du Centre gauche. J’avais combattu ce système des candidatures étant un des Cinq, alors que le Centre gauche n’existait pas encore. On verra que, bientôt après, l’Empereur ne trouva plus « désastreux » le vote du 24 février.
  16. Lettre confidentielle de Daru à Benedetti, du 17 janvier.
  17. Daru à Tiby, 8 mars.
  18. 25 avril 1869 et 28 février 1870.
  19. De Benedetti, 14 janvier et 8 mars 1870.
  20. Daru à Tiby, 23 février.
  21. 20 février.
  22. 24 février 1870.
  23. Gazette de Cologne, 13 mars 1870.
  24. Italie, p. 48.
  25. Ibid.