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La Question Anglaise/La lutte internationale du Bolchévisme et du Menchévisme à la lumière de l’expérience Mac Donald

La bibliothèque libre.
Librairie de l’Humanité (Cahier N°6p. 3-18).

La Question Anglaise


La lutte internationale du Bolchévisme
et du Menchévisme à la lumière
de l’expérience Mac Donald




L’opinion des “ démocrates ” sur Mac Donald


Le gouvernement Mac Donald a vécu environ neuf mois. La IIe Internationale s’est efforcée de représenter son avènement comme un événement historique capital. Un « socialiste », le président de la République tchécoslovaque, Masaryk, a vu une sorte de symbole dans la coïncidence de l'avènement de Mac Donald et de la mort de Lénine. C’est, a-t-il dit, la substitution d’un système de socialisme à un autre. Voici ses paroles :

Le 21 courant, j’ai inscrit dans mon journal la nouvelle du vote qui a décidé l’avènement du gouvernement Mac Donald. Le 22, j’ai inscrit la nouvelle de la mort de Lénine… Lénine a disparu le jour même où le vote de Londres portait au pouvoir le nouveau gouvernement… En Angleterre, la démocratie sociale a vaincu sans révolution sanglante ; en Russie, elle a vaincu par une révolution sanglante. Ainsi, en Angleterre également, la tactique de Marx a remporté la victoire. Mais c’est un Marx plus mûr qui a triomphé. Le révolutionnaire de « l’ancienne tactique » a disparu. Le révolutionnaire de « la nouvelle tactique » est venu.

L’exemple anglais confirmera les politiques sensés dans la conviction que la révolution sanglante, c’est l’ancienne tactique. La révolution non sanglante, c’est la tactique nouvelle.

Masaryk, dont Savinkov entre autres a caractérisé le rôle dans ses dépositions, n’est certes pas un sot. Il a exprimé un peu grossièrement la pensée de beaucoup de « démocrates » de la IIe Internationale. Ces derniers considéraient l'avènement du Labour Party au pouvoir comme l’inauguration d’une nouvelle ère et sa domination comme un coup formidable à la tactique de l’I. C. Ils s’apprêtaient à démontrer, par l’exemple du pays le plus riche d’Europe, la supériorité de la tactique démocratique, pacifique du « socialisme constructeur ».

Essayons donc de faire le bilan des neuf mois d’exercice du pouvoir du gouvernement travailliste. Mac Donald lui-même est, depuis longtemps, l’apôtre du socialisme petit-bourgeois ou, comme il l’appelle, du « socialisme constructeur ». Lénine avait déjà raillé et critiqué ce socialisme dans les œuvres où il analysait les théories de Mac Donald, qu’il considérait comme l’idéologue typique du réformisme, de l’opportunisme. Mais les « socialistes constructeurs » n’ont pas remarqué que Mac Donald était arrivé au pouvoir non pas par la volonté de la classe ouvrière consciente de ses intérêts et victorieuse du capitalisme, mais par la volonté de la bourgeoisie et que, par suite, sa domination serait extrêmement instable. Il a suffi d’un simple geste de Baldwin et de Lloyd George pour obliger Mac Donald à abandonner le pouvoir.

C’est ce détail que n’ont pas remarque les représentants de la IIe Internationale. Ils ont cherche et réussi, dans une certaine mesure, à faire accroire au prolétariat que le gouvernement Mac Donald était véritablement celui de la classe ouvrière. Ils lui ont représenté la combinaison parlementaire spéciale découlant de la situation particulière à l’Angleterre à un moment donné comme une victoire de la nouvelle tactique pacifique du « socialisme constructeur ».

Comment les travaillistes sont arrivés au pouvoir

Ces dernières années, les élections parlementaires ont été fréquentes en Angleterre.

En 1922, les conservateurs avaient triomphe avec 5.554.648 voix et 346 mandats. Les libéraux avaient eu 4.130.753 voix et 115 sièges ; le Labour Party, 4.202.516 voix et 142 sièges. Aux élections de 1923, les conservateurs, avec 40.000 voix de moins seulement, perdirent 89 sièges au Parlement. Leur échec fut dû à la dissension qui s’était mise entre eux et les libéraux, ainsi qu’au système moyenâgeux des circonscriptions électorales (bourgs pourris) encore en vigueur dans l’Angleterre actuelle. Ils obtinrent 257 mandats, le Labour Party 192, les libéraux 156.

A cette époque, la politique brutale, ouvertement réactionnaire des conservateurs, personnifiée par Curzon, commença à exaspérer les masses populaires. Voyant l’impossibilité de la continuer, les libéraux cherchèrent une formule nouvelle, ce qui aggrava leur désaccord avec les conservateurs. Ne parvenant pas à s’entendre, ces deux partis qui, depuis des siècles, se succédaient à peu près régulièrement tous les dix ans au pouvoir, décidèrent de remettre les rênes de l’Etat entre les mains de Mac Donald, de faire une expérience, qui, ils l’espéraient bien, ne réussirait pas.

Mac Donald, soutenu par les libéraux, fut chargé de former le ministère. Ainsi, il ne pouvait gouverner qu’avec l’appui de ces derniers, car il n’avait pas la majorité au Parlement et n’était pas homme à prendre des mesures révolutionnaires. Son expérience dura presque neuf mois.

La politique intérieure de Mac Donald

La politique intérieure de Mac Donald a été telle que les représentants les plus exigeants de la bourgeoisie ne pouvaient trouver a y redire. Même dans les questions professionnelles, Mac Donald, quoiqu’il dépendit des syndicats, mena ouvertement la politique de la bourgeoisie. Il trahit le prolétariat, parfois encore plus que ne l’avaient fait les libéraux et les conservateurs. Les partis bourgeois anglais, on le sait, se plaisaient parfois, dans certaines questions de détail, à donner satisfaction à l’amour-propre des ouvriers. Engels et surtout Lénine ont expliqué comment la bourgeoisie anglaise, exceptionnellement favorisée par rapport aux Etats continentaux, grâce aux surprofits retirés des colonies, pouvait s’offrir le luxe de jeter quelques miettes de ses bénéfices à l’aristocratie ouvrière afin de se la concilier. Mac Donald ne s’est même pas permis ce luxe.

Arrivé au pouvoir, il commença par faire adopter le budget établi par Curzon, alléguant qu’il n’avait pas eu le temps de préparer un nouveau budget pour l’année en cours. C’est pourquoi il pria les ouvriers de se résigner à l’ancien budget pour 1924. Les leaders des trade-unions consentirent facilement à lui faire crédit sur ce point.

Dans la question importante du chômage, Mac Donald trompa odieusement la classe ouvrière. On espérait qu’il aiderait les sans-travail. Non seulement il ne leur donna rien, mais il intervint contre le poplarisme, c’est-à-dire contre le mouvement qui a pris naissance dans un des faubourgs de Londres, où la municipalité se trouve aux mains des trade-unions et où les militants syndicaux dirigés par Lansbury mènent une politique d’aide aux ouvriers et, en particulier, aux chômeurs. Mac Donald s’éleva contre cette politique, déclarant que c’était là une charité que ne pouvait se permettre le gouvernement.

Il assigna, on le sait, des sommes importantes pour la construction de cinq dreadnoughts et continua la politique militariste de ses prédécesseurs, au lieu de la réfréner comme il l’avait promis avant les élections. Et, lorsque, tout dernièrement, on le lui reprocha à la conférence du Labour Party, il se retrancha derrière le chômage et déclara : « Je construis cinq dreadnoughts pour donner du travail à deux mille ouvriers. » A quoi un secrétaire d’un syndicat lui répondit par cette question ironique : « Ne conviendrait-il pas, en ce cas, de déclarer une petite guerre pour occuper encore plus de sans-travail ? »

Mac Donald en vint même à intervenir cantre les grèves économiques. Un mois avant sa chute, dans sa préface à son livre Le Socialisme critique et constructeur, il écrivait que les grèves économiques étaient un moyen arriéré et que les ouvriers devaient y renoncer.

Il faut, disait-il, souligner que l’aide sociale, comme le poplarisme, et les grèves pour l’augmentation des salaires et la réduction de la production, loin de mener au socialisme, peuvent faire dévier le mouvement socialiste.

En un mot, dans sa politique intérieure, Mac Donald s’efforça autant qu’il le put de complaire à la bourgeoisie anglaise.

La justesse du pronostique de l’I. C.

Quand Mac Donald vint au pouvoir, nous nous demandions quel allait être le sort de son gouvernement et, à ce propos, nous indiquions quatre éventualités :

1) Le gouvernement Mac Donald ne sera qu’un épisode éphémère ; il sera renversé par un vote quelconque dans un avenir rapproché et disparaîtra sans laisser de traces.

2) Mac Donald et consorts s’adapteront si bien à leur situation qu’ils deviendront les auxiliaires avantageux des impérialistes anglais qui les laisseront au pouvoir pendant un temps assez long pour leur faire mener leur politique et compromettre le Labour Party devant la classe ouvrière anglaise, à laquelle ils n’apporteront que déceptions.

3) Il peut se produire une différenciation dans le Labour Party lui-même. Son aile gauche se renforcera, les masses ouvrières exerceront une pression sur le gouvernement et en obtiendront des mesures réelles susceptibles d’améliorer leur existence. Le Labour Party se dissociera. Mac Donald, Clynes, Henderson et consorts résisteront évidemment aux revendications des ouvriers et nous aurons ainsi les prémisses de la constitution d’un parti communiste de masse en Angleterre.

4) Sous la pression des masses, le gouvernement Mac Donald, malgré l’esprit contre-révolutionnaire de ses membres, deviendra dans une certaine mesure le porte-parole des ouvriers. Il s’engagera alors entre lui et la bourgeoisie une lutte susceptible d’aggraver rapidement la crise en Angleterre et de la transformer en crise révolutionnaire.

Autant qu’on puisse le prévoir, la première et la quatrième éventualité ont peu de chances de se réaliser. Très probablement, le cours des événements suivra une ligne intermédiaire entre la deuxième et la troisième perspective.

Nous étions près de la vérité. En effet, durant ces neuf mois, la politique intérieure de Mac Donald a suivi une ligne intermédiaire entre les deux éventualités que nous venons d’indiquer.

Le but de la bourgeoisie anglaise : compromettre
le Labour Party devant les peuples coloniaux

La bourgeoisie anglaise est une des plus clairvoyantes du monde. Longtemps sa politique étrangère a fait sa force. Mais maintenant, c’est là qu’elle est le plus vulnérable, particulièrement dans la question de l’Inde, de l’Egypte et de la Chine.

Il n’est pas douteux que la bourgeoisie, qui jouait avec Mac Donald comme le chat avec la souris, avait surtout en vue de l’utiliser pour sa politique extérieure.

Curzon avait mené, particulièrement à l’égard de l’U. R. S. S. et des colonies anglaises, une politique excessivement brutale qui rendait impossible son maintien au pouvoir.

Dans les colonies anglaises, surtout dans l’Inde, la plus importante de toutes, on fondait, depuis plusieurs années, de grandes espérances sur le Labour Party. La population hindoue se disait que si le Labour Party venait au pouvoir, il aurait une politique différente de celle de ses prédécesseurs et que l’Inde pourrait respirer librement.

Il est certain que, dans l’expérience qu’ils tentaient avec Mac Donald, les représentants les plus perspicaces de la bourgeoisie avaient pour but principal de compromettre le Labour Party devant les colonies de l’Angleterre et surtout devant l’Inde, l’Egypte et l’Irlande, auxquelles est venue maintenant s’ajouter la Chine.

La bourgeoisie est-elle arrivée à ses fins ? Oui, dans une large mesure. Le gouvernement Mac Donald est fortement compromis devant les peuples coloniaux d’Angleterre. Il y a quelques mois, Hindous, Irlandais et Egyptiens se disaient : Curzon et Lloyd George sont des représentants des classes possédantes, nous ne devons pas juger par eux de toute l’Angleterre ; la classe ouvrière, le Labour Party, aura une autre politique. Mais, maintenant, ils ne peuvent plus continuer à tenir ce langage. En effet, le gouvernement Mac Donald a mené et mène à l’égard de l’Egypte, de l’Inde et de l’Irlande l’ancienne politique, c’est-à-dire une politique aussi impérialiste, aussi spoliatrice, aussi esclavagiste que celle de Curzon. Voici ce que disait lui-même Mac Donald de sa propre politique, dans son discours du 27 septembre à Derby :

Je défie n’importe quel libéral de démontrer à un électeur raisonnable que le nom, la réputation, la situation présente et l’avenir de notre pays aient souffert tant soit peu aux yeux du monde du fait de l’existence d’un gouvernement travailliste. (Times, 29 septembre 1924.)

En somme, Mac Donald tient à montrer à la bourgeoisie qu’elle n’a pas lieu d’être mécontente de lui et qu’il vaut bien Curzon ou Lloyd George.

Pourquoi la bourgeoisie anglaise avait besoin
d’un gouvernement “ ouvrier ”

Pourquoi la bourgeoisie s’est-elle risquée à livrer le pouvoir à Mac Donald, qui, quoique menchéviste avéré, est lié à la classe ouvrière ? Le jeu valait la chandelle. Curzon et Lloyd George avaient un intérêt capital à compromettre la force nouvelle qui se dressait devant eux et qui était le seul espoir des peuples coloniaux opprimés. Et ils ont obtenu à cet égard des résultats sérieux. Quand la classe ouvrière anglaise se sera débarrassée de ses traîtres et possédera un parti véritablement prolétarien, elle aura beaucoup à faire pour effacer, chez des centaines de millions d’esclaves coloniaux de l’Angleterre, l’impression que leur a laissée Mac Donald.

La bourgeoisie anglaise voulait faire accomplir par Mac Donald un certain nombre de besognes qu’elle ne pouvait confier à Curzon, dont les méthodes réactionnaires avaient soulevé l’indignation du peuple. Il lui fallait, avant tout, compromettre le parti ouvrier devant les peuples des colonies. Et elle y a réussi.

Il lui fallait s’immiscer dans la politique de la Chine. Avec Mac Donald, elle y est arrivée mieux qu’elle n’aurait pu le faire avec Curzon. La classe ouvrière anglaise n’a presque pas résisté à la politique impérialiste de Mac Donald en Chine. Le prolétariat russe a créé la Société Ne touchez pas à la Chine, qui, en Allemagne également, a rallié la sympathie des masses ouvrières. Le prolétariat anglais, lui, n’a pour ainsi dire presque rien entrepris contre la politique de Mac Donald à l’égard de la Chine, politique qu’il eût infailliblement combattue si elle avait été menée par un réactionnaire avéré comme Curzon.

Quant au plan Dawes, on l’a représenté presque comme une victoire du « socialisme constructeur », en tout cas comme une victoire du pacifisme, alors qu’il n’est qu’un formidable système d’oppression des ouvriers d’Allemagne et d’une série d’autres pays. Or, il était beaucoup plus commode aux capitalistes de le faire accepter par Mac Donald que par Curzon. A la conférence annuelle de son parti, à Newcastle, le leader des conservateurs a entièrement approuvé la politique de Mac Donald dans la question du plan Dawes, dont il a dévoilé les dessous.

A l’horizon politique, dit-il, deux projets d’emprunt sont à l’ordre du jour : l’emprunt allemand, sur la base du plan Dawes, et l’emprunt soviétiste sur la base des traités projetés par notre gouvernement et les représentants de la Russie Soviétiste. Il convient d’examiner chacun de ces emprunts d’un point de vue spécial. Je sais que dans les milieux industriels il existe une forte opposition à l’emprunt allemand, et l’on ne saurait nier en effet que la concurrence de l’Allemagne menace fortement notre commerce. Son exportation peut nous nuire sérieusement. Mais il est encore d’autres adversaires du plan Dawes, d’autres adversaires de l’emprunt allemand, d’autres adversaires de la restauration de l’industrie et du commerce allemands. On na pas parlé de ces adversaires, et pourtant leur importance est grande. Quels sont-ils ? Ce sont les communistes. Il y a deux jours, les périodiques ont consacré toute une colonne à une assemblée communiste où l’on avait fait un rapport dirigé contre le plan Dawes, qui, soi-disant, apporte l’asservissement à l’Allemagne ? Pourquoi donc les communistes en Angleterre sont-ils contre ce plan ? Parce qu’ils agissent sur l’ordre de Moscou. Et pourquoi Moscou s’oppose-t-il au plan Dawes ? Parce que Moscou na pas encore renoncé à l’espoir, si longtemps caressé, de la révolution mondiale. Moscou sait qu’une Allemagne pacifiée et satisfaite sera un obstacle aux tendances communistes ; il sait également qu’il n’a rien à redouter de l’Allemagne dans sa situation actuelle.

Messieurs, la question du maintien de la civilisation se pose devant l’Europe Occidentale, et notre devoir est de faire tout ce qui dépend de nous pour la défendre. Le rempart de la civilisation occidentale (l’Allemagne) doit être fort pour résister à la poussée destructrice qui vient de l’Orient ; or, le moyen le plus efficace pour assurer sa solidité est la réalisation du plan Dawes, qui remet en contact le marché allemand et les autres marchés du monde. Mieux que personne, je connais les arguments d’ordre commercial que l’on peut apporter contre ce projet, mais je vous prie de réfléchir sérieusement, profondément à cette question et de vous demander si ce n’est pas notre devoir incontestable de fortifier l’Europe et la civilisation humaine. (Times, 3 octobre 1924.)

Comme nous l’avons dit plus haut, c’était par l’entremise de Mac Donald qu’il était le plus commode de réaliser le plan Dawes, que l’on a représenté aux ouvriers européens comme une victoire du principe pacifique et démocratique et qui n’est, en réalité, qu’un plan de rapine, dicté principalement par les impérialistes américains alliés aux banquiers anglais.

Ainsi donc, dans une série de questions fondamentales de politique extérieure, le gouvernement menchévik de Mac Donald a été un jouet entre les mains de la bourgeoisie anglaise.

L’attitude des ouvriers anglais envers l’U. R. S. S.

Pourtant, il est une question, celle de l’attitude envers l’U. R. S. S., dans laquelle la bourgeoisie anglaise s’est quelque peu fourvoyée.

La révolution russe, qui, comme un aimant, a attiré les cœurs des ouvriers du monde entier, a ému profondément les couches les plus arriérées, les plus routinières du prolétariat anglais et a laissé des traces profondes dans leur esprit. C’est ce qui explique entre autres l’accueil fait aux représentants des syndicats russes à Hull. Les masses anglaises s’intéressent extrêmement à l’U. R. S. S. Fréquemment, les militants syndicaux les plus modérés déclarent : « Admettons que les bolchéviks soient des barbares, qu’ils aient fait beaucoup de mal, cassé trop de vaisselle, toujours est-il qu’on ne peut leur refuser d’avoir balayé la bourgeoisie, d’avoir fait quelque chose de nouveau, d’avoir renversé le tsar et de ne s’être pas comportés avec lui aussi aimablement que Mac Donald et ses ministres envers le roi d’Angleterre. » C’est ce que les ouvriers anglais ont parfaitement compris.

Pourquoi les bourgeois anglais combattent
l’emprunt russe

Voilà pourquoi la question de l’attitude envers l’U. R. S. S. est maintenant une des plus importantes en Angleterre. Conservateurs et libéraux poussent les hauts cris au sujet du traité anglo-soviétiste, qu’ils se préparent à faire échouer au Parlement. La question de l’emprunt particulièrement a déchaîné des discussions furieuses. Dans leurs éditoriaux, les journaux bourgeois déclarent que cet emprunt est destiné à l’I. C. C’est là, on le sait, une absurdité manifeste. Libéraux et conservateurs savent parfaitement qu’il s’agit d’un emprunt pour la restauration de l’économie en U. R. S. S. et non pour l’I. C.

Pourquoi donc la bourgeoisie veut-elle empêcher l’emprunt russe ? Est-ce de crainte de perdre 30 à 40 millions de livres sterling ? Evidemment non. Chacun sait que les prêts que consentira l’Angleterre au gouvernement soviétiste seront solidement garantis. Chaque bourgeois anglais comprend que le traité signé par Mac Donald et Rakovsky n’est pas sans avantages pour lui. Quant à nous, il ne nous enthousiasme pas particulièrement. Nous avons dû consentir à des concessions importantes, que certains camarades jugent excessives. Mais dans l’ensemble, le traité était et reste acceptable pour les deux parties. Au point de vue purement commercial, il est, il va de soi, entièrement acceptable pour les capitalistes anglais.

Affirmer, comme le font ces derniers, qu’il est dangereux d’investir 30 à 40 millions de livres sterling en U. R. S. S. est une absurdité. Notre gouvernement est le plus solide qui soit au monde et les obligations qu’il assume sont plus sûres que celles de beaucoup d’autres Etats. L’Europe prête aux Polonais et aux Roumains, quoique le pouvoir des seigneurs polonais et des boyards roumains soit infiniment moins stable que celui des Soviets. Commercialement, l’emprunt projeté est une affaire non seulement sûre mais très avantageuse pour la bourgeoisie anglaise.

Néanmoins, on cherche à le faire échouer. Pourquoi ? Tout d’abord probablement sous la pression des impérialistes américains. Ces derniers jours, les principaux journaux de New-York et même le Sun, organe ultra-conservateur, déclarent que l’action du premier gouvernement ouvrier en Angleterre a été exceptionnellement heureuse. Dans ses éditoriaux la presse américaine est unanime à signaler les grands services rendus par le gouvernement travailliste dans les questions de politique intérieure et extérieure à l’exception du traité anglo-soviétisie, qui, selon, elle, est une lourde faute.

Les lords anglais et les milliardaires américains recommencent à faire bloc contre l’U. R. S. S. On se souvient que le ministre américain des Affaires étrangères, Hughes, rêvait jadis de faire venir la Russie à récipiscence et déclarait que jamais l’Amérique ne reconnaîtrait l’Union des Républiques Soviétistes. Dans certaines questions de politique étrangère, libéraux et conservateurs anglais marchent aux côtés et parfois sous la baguette des milliardaires américains. Les milliardaires d’outre-Atlantique délivrent à Mac Donald un certificat de bonne conduite et déclarent, en riant dans leur barbe, que le gouvernement travailliste a fait de la bonne politique extérieure. En ce qui concerne le plan Dawes, dont ils sont les auteurs, les capitalistes américains, évidemment, ne peuvent qu’approuver la politique de Mac Donald. Il en est de même en ce qui concerne la Chine. Ils ne peuvent également qu’applaudir au discrédit qu’a jeté sur le gouvernement ouvrier la politique de Mac Donald en Egypte, en Irlande et dans l’Inde. Mais Mac Donald a commis une « lourde faute » : il a signé le traite anglo-sovietiste.

Comme on l’a vu, le traité lest commercialement plus avantageux pour les capitalistes anglais que pour l’U. R. S. S. Les capitalistes anglais cherchent des marchés et savent parfaitement que la Russie peut être pour eux un immense débouché. L’économie russe se relève et les Anglais suivent attentivement ses progrès. Ils savent, par exemple, que la Russie a un très grand besoin d’objets textiles. Les capitalistes américains savent que la Russie leur achète du coton pour des dizaines de millions de roubles. Quelques-uns d’entre eux, esprits bornés, déclarent qu’elle le fait pour obtenir sa reconnaissance de jure. Grosse erreur ! Le coton est beaucoup plus précieux pour la Russie que le droit bourgeois. Avec le coton, elle produira des étoffes et les enverra à la campagne, mais sa seule reconnaissance par un pays, même aussi opulent que l’Amérique, ne lui donnera pas une seule pelisse, pas un seul caftan.

Pourtant, quoique le traité anglo-soviétiste lui soit avantageux, la bourgeoisie anglaise pousse les hauts cris. Pourquoi ? Parce que la bourgeoisie anglaise et américaine, la plus riche du monde, ne se règle pas toujours uniquement sur des questions commerciales. Elle sait parfois s’élever au-dessus de ses intérêts commerciaux immédiats et mettre en premier plan ses intérêts généraux de classe. C’est pourquoi elle juge le traité anglo-soviétiste inadmissible pour elle. Elle a voué, en effet, une haine farouche, irréductible à la révolution russe victorieuse.

Les prolétariats russe et anglais

La situation, semblait-il, était pour l’U. R. S. S. la plus défavorable qui pût se concevoir. La bourgeoisie avait mis à la tête du gouvernement un des leaders les plus expérimentés de la IIe Internationale, en même temps qu’un des adversaires les plus irréductibles du pouvoir soviétique. Avant son avènement, Mac Donald, dans un article sur la politique internationale du Labour Party, déclarait qu’il ne tolérerait pas les « turlupinades » des diplomates soviétistes. Dans ce même article, il écrivait : « Seule, la IIe Internationale fermer et bien informée… a supporté tout le poids de la lutte contre le bolchévisme au moment de l’apogée de sa force, et ce n’est qu’en continuant cette politique que l’on arrivera à se débarrasser cette ivraie. »

Ainsi donc, le gouvernement « ouvrier » était dirigé par un homme qui, pour des raisons faciles à comprendre, était prêt à faire toutes les saletés possibles au pays des Soviets et à l’Internationale Communiste. Les leaders travaillistes menaient une campagne furieuse contre nous, exploitant les moindres « faits » pour nous discréditer. Or, quelques mois ont passé et que voyons-nous ? La classe ouvrière russe a opéré sa jonction avec la classe ouvrière anglaise. Cette jonction, il est vrai, n’a été qu’un succédané de ce qui aurait pu être si nous avions eu l’alliance de deux gouvernements véritablement prolétariens. Mais les ouvriers des deux pays se sont compris. Quelque modérée, quelque traditionaliste que soit la classe ouvrière anglaise, elle nous a tendu la main. Lorsque les politiciens ont voulu faire échouer à la dernière minute le traité anglo-sovietiste, elle a forcé Mac Donald à le signer.

Nos syndicats sont également l’objet de la haine des auxiliaires de Mac Donald. Or, quand leurs représentants sont arrivés en Angleterre, ils y ont été accueillis avec un enthousiasme indescriptible. Les ouvriers anglais leur faisaient cortège, leur donnaient des mouchoirs rouges en souvenir, fraternisaient sincèrement avec eux.

Le niveau politique du prolétariat anglais
s’est sensiblement élevé

Quelque modérés, quelque enclins à l’opportunisme que soient les ouvriers anglais, ils n’en ont pas moins compris à leur manière l’avènement du parti travailliste au pouvoir. Ils se sont dit que, puisqu’ils avaient un gouvernement ouvrier, ils pouvaient faire une pression sur les riches, obliger ces derniers à délier les cordons de leur bourse, à venir en aide aux chômeurs, à procéder à la nationalisation des mines, des chemins de fer, etc. Ils ont conservé leur instinct de classe.

Ils ont commencé à comprendre qu’il leur fallait prendre véritablement le pouvoir en mains. Le gouvernement ouvrier actuel, se sont-ils dit, est le gouvernement de Sa Majesté ; n’empêche que la bourgeoisie a été obligée de nous laisser prendre le pouvoir ; donc, nous sommes une force, nous l’emportons. Et, instinctivement, ils ont cherché autour d’eux des alliés. Et où les ont-ils trouvés ? Evidemment en U. R. S. S. Ils commencent maintenant à réfléchir sérieusement aux mesures qu’il leur faudra prendre quand ils auront un gouvernement ouvrier véritable.

Comme l’avait prédit l’I. C., la classe ouvrière anglaise, en dépit de l’état d’esprit et des manœuvres de ses leaders, s’est incontestablement révolutionnée durant ces neuf mois. Au début même de l’expérience Mac Donald, nous disions : le gouvernement menchéviste servira à secouer les ouvriers anglais. C’est ce qui est arrivé. Le prolétariat anglais s’est mis à poser plus sérieusement la question du pouvoir. Or, voyant cela, Lloyd George et Curzon décidèrent qu’il fallait en finir. Ils avaient déjà retiré tout ce qu’ils pouvaient de Mac Donald et l’évolution des masses vers la gauche rendait dangereuse la continuation de l’expérience. Quand les libéraux et les conservateurs comprirent que Mac Donald, sous la pression des masses, allait être obligé de signer le traité anglo-soviétiste, ils se dirent : trêve de plaisanterie. Cette question est en effet de la plus haute importance ; c’est autour d’elle que s’est déroulée la dernière et que se déroulera la prochaine campagne électorale.

La bourgeoisie a fini par se rendre compte que le gouvernement travailliste était une arme à deux tranchants. L’arme était bonne quand il fallait frapper les ouvriers allemands (plan Dawes), faire une pression sur l’Inde ou sur la Chine. Mais l’existence de ce gouvernement archi-menchéviste enflammait les ouvriers, leur donnait le désir du pouvoir, les révolutionnait progressivement et créait par-dessus la tête de Mac Donald une jonction entre les ouvriers anglais et ceux de l’U. R. S. S.

La bourgeoisie a décidé que la plaisanterie avait assez duré. Son instinct de classe est extrêmement développé et, pour conserver sa domination politique, elle est prête à faire de grands sacrifices économiques.

Un rôle auquel n’est pas accoutumé Mac Donald

Comment se déroulera la lutte des partis dans cette campagne électorale ? Quelle sera la position du Labour Party ? Comme on la vu, Mac Donald est loin de sympathiser à la Russie. Il a trempé dans l’aventure géorgienne. Leader de la IIe Internationale, il n’a jamais cessé de songer à déshonorer le communisme aux yeux des ouvriers. Pourtant, dans leur campagne électorale actuelle, les chefs du Labour Party seront obligés de dire la vérité sur l’U. R. S. S., c’est-à-dire de faire de la propagande pour l’Union Soviétique. Qu’ils le veuillent ou non, ils devront non seulement renoncer à calomnier le pays des Soviets, mais le glorifier devant les masses anglaises.

La presse bourgeoise britannique elle-même ne se fait pas faute de signaler la position équivoque de Mac Donald.

Voici ce qu’écrivait à ce sujet le Daily News (organe des libéraux) un peu avant la chute du gouvernement travailliste :

Si la dissolution du Parlement se produit sur la question russe, il faut bien se dire qu’aux nouvelles élections, chaque ouvrier, même de droite, prendra position en bolchévik.

Il est des cas curieux. Les menchéviks russes se sont trouvés dans une situation analogue à celle des leaders du Labour Party. Tout récemment, Abramovitch et Tsérételli faisaient, à une séance du Comité Exécutif de l’Independent Labour Party un rapport sur « les horreurs de la répression en Géorgie ». On les écoutait plus ou moins attentivement. A la fin, quelqu’un leur demanda : « Faut-il tout de même ratifier le traité anglo-soviétiste ? » Et nos honorables menchéviks durent déclarer à contre-cœur : Oui, malgré tout, il faut le ratifier. Ils comprennent qu’il est impossible au Labour Party de ne pas ratifier le traité, parce que telle est la volonté des masses et qu’il se discréditerait à leurs yeux s’il s’y refusait. Et, pour faire chorus avec leurs patrons, les leaders travaillistes, ils se prononcent pour cette ratification.

Oui, l’histoire est parfois paradoxale : en ce moment, le parti le plus important de la IIe Internationale, mis au pied du mur, doit faire sa campagne électorale dans une large mesure au profit des Soviets. Mac Donald et ses confrères seront obligés de trouver aux élections des arguments sérieux en faveur de l’U. R. S. S., sinon, leur échec est à peu près certain.

C’est ce que confirment les événements actuels. Voici ce qu’a dû dire le ministre de l’Hygiène publique, Whitley, à ses électeurs de Birmingham :

Hier, nous étions au fort de la lutte économique de classe ; ces élections donneront une impulsion à la lutte politique de classe. Je vous demande de ne pas vous y dérober et de ne pas trahir votre classe. Je demande au prolétariat de Birmingham d’oublier tous les anciens désaccords politiques et d’entrer dans la lutte comme une classe unique, debout tout entière contre ceux qui veulent l’anéantir. Les événements n’ont rien de fortuit. Ils découlent naturellement de la situation économique et politique. Nos adversaires ne consentent pas à la paix avec la Russie. Ils veulent lui faire la guerre. Le pouvoir soviétiste a mis le capitalisme au rancart. Son rôle ne se borne pas à défendre les ouvriers russes, il travaille pour le bien des ouvriers du monde entier. Voilà pourquoi tous les ennemis de la classe ouvrière veulent écraser la Russie avant qu’elle ne se soit militairement et économiquement affermie. Il ne s’agit pas d’une question d’argent, d’un emprunt, mais des intérêts de la classe ouvrière. Si le gouvernement travailliste avait proposé un emprunt de 50 millions de livres pour écraser la Russie, les conservateurs et les libéraux l’auraient applaudi et il n’y aurait pas eu besoin d’organiser de nouvelles élections. Ainsi donc, la crise politique que nous traversons est Le résultat direct de la lutte des capitalistes contre la Russie. Une grave lutte économique va s’engager. Le capitalisme anglais s’est empêtré dans des difficultés inouïes, non pas par suite du manque de capacité ou d’énergie de ses représentants, mais, en vertu de son caractère même. Il a atteint ses extrêmes limites, il n’a plus d’issue et telle est la raison véritable de la crise actuelle. (Daily Herald, 6 octobre 1924.)

Il faudra défendre également Campbell

Prenons par exemple l’affaire Campbell qui a servi de prétexte à la dissolution du Parlement. Actuellement, le parti communiste anglais est encore faible. Il possède un hebdomadaire dirigé par Campbell. Ce dernier, il y a quelque temps, publia un appel dans lequel il exhortait les soldats a ne pas tirer sur les grévistes. Mac Donald, furieux, ordonne de le déférer aux tribunaux et le fit arrêter. Mais les ouvriers anglais jugèrent qu’il était raisonnable de recommander aux soldats de ne pas tirer sur les grévistes.

Les communistes ne sont encore en Angleterre qu’une minorité, de sorte qu’il n’y a pas contre eux d’hostilité marquée dans les milieux ouvriers. Campbell n’avait fait qu’exprimer l’opinion de la majorité des travailleurs. Le gouvernement Mac Donald fut obligé de le relâcher et de clore l’affaire par un non-lieu. Ce fut là la pelure d’orange qui fit glisser Mac Donald. Conservateurs et libéraux ne lui pardonnèrent pas sa reculade et décidèrent de le renverser sur cet incident. Maintenant, Mac Donald et ses amis devront démontrer à la classe ouvrière anglaise qu’il n’y avait pas lieu d’arrêter Campbell ni de le poursuivre. L’histoire, on le voit, est des plus curieuses.

En Allemagne, on n’en est plus à ces méthodes de lutte. Dans ce pays, il y a déjà eu des corps-à-corps, des guerres civiles où les communistes étaient d’un côté de la barricade et les social-démocrates de l’autre. En Angleterre, les antagonismes de classe ne sont pas encore aussi aigus. Communistes et social-démocrates ne se sont pas encore combattus l’arme à la main. De là la situation équivoque du Labour Party.

Mac Donald est chargé par la bourgeoisie de la débarrasser des communistes, et il s’y emploie de son mieux. La veille de sa chute, il les faisait exclure du Labour Party. Sa motion, il est vrai, n’a été adoptée qu’à une majorité insignifiante : 1.800.000 voix contre 1.500.000.

Le résultat de ce vote, comparativement aux précédents — dit le Times dans son numéro du 8 octobre — saute aux yeux. La raison en est incontestablement que les communistes se sont fortifiés dans les trade-unions, où ils sont très actifs et jouissent de tous les droits et obligations de syndiqués. Fréquemment ils sont représentés dans les organes dirigeants. Tout récemment encore, les mineurs ont élu à la direction de leur union un communiste connu. Les chiffres précités montrent qu’un grand nombre de congressistes ne voulaient pas exclure les communistes, mais la majorité est assez considérable pour dicter au Parti une tactique déterminée et, si les résolutions adoptées sont appliquées, les communistes ne pourront plus, l’année prochaine participer comme délégués aux conférences du Parti ni poser leur candidature aux élections parlementaires. Néanmoins, il ne faut pas oublier que leur situation n’en est en rien modifiée.

A la dernière minute, Mac Donald a essayé de se concilier la faveur de la bourgeoisie en lui montrant qu’il était prêt à pourchasser les communistes. Mais il était déjà trop tard et la bourgeoisie lui a dit : Tes bonnes intentions ne suffisent pas ; les ouvriers ne sont pas tous de ton avis ; tu en as 1.800.000 pour toi et 1.500.000 contre ; le traité anglo-soviétiste provoque l’enthousiasme dans les masses prolétariennes ; la jonction des ouvriers russes et anglais s’est faite malgré toi et, puisqu’il en est ainsi, va-t’en. Voilà ce qui explique la crise parlementaire.

A quoi aboutiront les élections anglaises ?

Quel sera le résultat des élections ? Certes, il est difficile d’être prophète, particulièrement quand il s’agit d’un pays étranger que nous avons peu étudié et que nous connaissons relativement mal. Autant qu’on puisse en juger à l’heure actuelle, il y a bien peu de chances que Mac Donald revienne au pouvoir ― ce qui ne veut pas dire que son Parti ne fournira pas des ministres au nouveau cabinet et ne jouera pas longtemps encore un rôle important dans les combinaisons gouvernementales. Ce n’est pas pour ramener immédiatement Mac Donald au pouvoir que la bourgeoisie anglaise vient de le renverser. Il faut s’attendre maintenant à la constitution, sous une forme ou sous une autre, d’un bloc entre conservateurs et libéraux. Mac Donald n’aura pas la majorité absolue au Parlement, mais peut être obtiendra-t-il la majorité relative. Il a pour lui les ouvriers devant lesquels il n’a pas encore eu le temps de se compromettre autant que devant les peuples des colonies. D’après les usages parlementaires anglais, le parti qui détient la majorité relative doit former le cabinet. Mais quand la classe ouvrière s’ébranle, quand la bourgeoisie sent un danger sérieux pour elle, les traditions parlementaires passent au second plan. Si les capitalistes avaient voulu faire une pression sur Mac Donald, dans la question du traité anglo-soviétiste par exemple, ils auraient pu arriver à leurs fins sans recourir à la dissolution du Parlement. Mac Donald leur aurait obéi.

Si la bourgeoisie a cru devoir provoquer la dissolution du Parlement et les nouvelles élections qui en sont la conséquence, ce n’est vraisemblablement pas pour redonner le pouvoir au gouvernement travailliste. Certes, elle redoute quelque peu les ouvriers et si ces derniers remportent une grande victoire électorale, peut-être n’osera-t-elle pas leur résister et sera-t-elle obligée de rappeler Mac Donald au pouvoir. Mais c’est là une éventualité peu probable. Le parti libéral vraisemblablement sera écrasé entre deux meules : les conservateurs et le Labour Party, qui, tout porte à le croire, accroîtront le nombre de leurs voix. Une partie des libéraux ira aux conservateurs, une autre aux ouvriers. Maintenant déjà, un certain nombre de libéraux sont passés au Labour Party, qui, ils le voient, fait en somme leur politique. Il est possible que le pouvoir échée soit aux conservateurs, soit aux travaillistes soutenus respectivement les uns par la droite, les autres par la gauche du parti libéral. En tout cas, que Mac Donald soit écarté du pouvoir ou, y revienne, le révolutionnement de la classe ouvrière anglaise se poursuivra lentement, mais sûrement.

Si Mac Donald échoue aux élections et que Curzon soit appelé à former le cabinet, il se manifestera incontestablement un mouvement contre lui parmi les ouvriers anglais, qui supporteront beaucoup moins docilement qu’auparavant le joug des conservateurs, car outre que leur conscience de classe augmente, ils ont déjà le désir du pouvoir. Avec le gouvernement Mac Donald, la classe ouvrière anglaise, pour la première fois dans l’histoire, a eu, ou plutôt a cru avoir ses hommes au pouvoir. Pour elle, un gouvernement conservateur, c’est le danger de nouvelles guerres, la croissance du chômage, la politique d’aventures, l’offensive du capital contre le prolétariat. Curzon aura nécessairement une politique « ferme », mais ce sera pour lui un jeu dangereux : il n’arrivera qu’à révolutionner les ouvriers et à prouver la justesse du communisme.

Si Mac Donald revient au pouvoir, son gouvernement ne sera plus le même qu’auparavant. Personnellement, Mac Donald ne changera pas et tremblera encore davantage devant les capitalistes. Aujourd’hui, il fanfaronne, il clame qu’il fera sentir sa « volonté » à la bourgeoisie anglaise et invite les masses à une « lutte encore sans exemple ». Mais, revenu au pouvoir, il redeviendra le politicien petit-bourgeois que nous avons connu. « Nous avons été, dit-il, des hommes pratiques à notre naissance, nous le serons à notre mort et au moment de notre résurrection ». A mon avis, l’expression n’est pas tout à fait heureuse : comment peut-on être « pratique » à sa mort ? Quant au moment de leur « résurrection », lui et ses coadjuteurs, nous n’en doutons pas, seront « pratiques » : ils se mettront immédiatement à cirer les bottes de la bourgeoisie. Mais les ouvriers ne seront pas les mêmes qu’auparavant. Ils seront plus fermes, plus exigeants, car ils auront la preuve que, même sur l’arène politique, ils ont pu obtenir quelque chose, forcer leurs adversaires à accepter de nouveau un gouvernement ouvrier.

On ne saurait croire que l’Angleterre traverse à l’heure actuelle une crise politique au sens véritable du mot, que le sol tremble sous les pieds de la bourgeoisie. La bourgeoisie anglaise est expérimente, riche, forte encore sur le continent ; en outre, elle a de nombreuses colonies, où le mouvement révolutionnaire de libération nationale est encore faible. Néanmoins, elle subit une première secousse et, comme l’avait prédit Lénine au moment où il n’était pas encore question d’un gouvernement travailliste, les menchéviks anglais travaillent maintenant pour nous.

Notre parti frère anglais marche sous le mot d’ordre : A bas le gouvernement ouvrier royal ! Vive le véritable gouvernement ouvrier ! Ce mot d’ordre tombe sur un sol bien préparé : les prolétaires comprennent qu’il ne suffit pas de s’intituler gouvernement ouvrier pour être véritablement le représentant de leurs intérêts.

Le temps travaille pour nous

Un des principaux mots d’ordre du Labour Party sera vraisemblablement : Ratification intégrale du traité anglo-soviétiste. Il y a un peu plus d’un an, Curzon posait un ultimatum à l’U. R. S. S. qu’il menaçait des pires représailles si le bateau de pêche saisi dans les eaux russes ne lui était pas rendu et si on ne lui payait pas une forte indemnité pour l’emprisonnement de deux agents provocateurs britanniques. Maintenant, l’Angleterre traverse une grave crise politique et son parti gouvernemental exige la ratification intégrale du traité anglo-soviétiste. Comme on le voit, le temps travaille pour nous.

Certains camarades se plaignent que la révolution mondiale tarde à venir et se demandent si l’Internationale Communiste n’en est pas un peu responsable. Il faut reconnaître que le révolutionnement de l’Europe occidentale pourrait s’effectuer plus rapidement. En réalité, l’I. C. peut et doit travailler encore plus énergiquement. Pourtant, en toute conscience, nous ne pouvons nous plaindre de la lenteur des événements. La course de l’histoire, comme le disait Lénine, n’est pas si lente qu’on veut bien le dire, puisque, en ces neuf mois, nous avons vu et l’avènement de la IIe Internationale au pouvoir dans une série de pays et le début de sa retraite, en même temps que des symptômes sérieux de révolutionnement des ouvriers.

L’ère démocratico-pacifiste
n’est qu’un épisode historique

Tout récemment encore, on parlait de l’avènement d’une ère démocratico-pacifiste. Gouvernement travailliste en Angleterre ; en France, Bloc des Gauches, soutenu par les socialistes ; gouvernement social-démocrate au Danemark ; cabinet Davidovitch en Yougoslavie ; demain, gouvernement socialiste en Belgique, etc. En un mot, c’était, disait-on, l’épanouissement du « pacifisme démocratique ». Quelques camarades se hâtèrent d’en conclure que la révolution prolétarienne mondiale était ajournée pour longtemps, qu’une nouvelle période de développement capitaliste s’ouvrait et qu’il fallait, en conséquence, modifier notre tactique. Le 5e Congrès de l’I. C. a dû constater que la bourgeoisie tente un nouveau procédé de gouvernement par l’intermédiaire des menchéviks, des hommes de la IIe Internationale, car elle ne peut plus gouverner avec les anciennes méthodes et confier le pouvoir à des réactionnaires avérés. Elle est oblige de s’affubler du masque du pacifisme et de la démocratie et d’appeler au pouvoir une deuxième fois après la guerre les représentants de la IIe Internationale. Dans son analyse de la situation, le Ve Congrès de l’I. C. est arrivé à la conclusion que cette période sera de courte durée, que la mascarade de la bourgeoisie atteste non pas sa force, mais sa faiblesse. Ce n’est pas de cœur joie que la bourgeoisie recourt à ces méthodes, mais parce que le peuple devient de plus en plus conscient.

Chaque changement de système, chaque passage du fascisme au pacifisme, de la démocratie à la dictature blanche et vice versa ébranle les fondements du monde bourgeois. L’ère démocratico-pacifiste passera et la révolution viendra. Notre tâche, au moment où nos ennemis se cachent et se déguisent, est de les démasquer et de rester des bolchéviks irréductibles. De là, entre autres, la nécessité de la bolchévisation de nos partis.

Que voyons-nous maintenant ? Si Mac Donald ne revient pas au pouvoir, s’il est remplacé par Curzon et Lloyd George, que restera-t-il de la fameuse « ère » démocratico-pacifiste ? Absolument rien.

En France également, le pacifisme se fane avant d’avoir eu le temps de s’épanouir. Le Bloc des Gauches qui, par ses promesses fallacieuses, avait, il y a quelques mois, rallié les suffrages d’un grand nombre d’ouvriers, a maintenant beaucoup perdu de son prestige. Herriot se débat au milieu de difficultés financières sans nombre.

Les menchéviks déclarent : « Il est maintenant définitivement prouvé que Lénine est le représentant de l’ancienne tactique sanglante qui ne vaut absolument rien ; mais Mac Donald et Herriot, les représentants de la nouvelle tactique pacifiste montreront ce qu’ils savent faire. En réalité, l’ère démocratico-pacifiste touche déjà à sa fin. Ce n’est qu’un épisode historique assez intéressant, qui peut se répéter sous une forme ou sous une autre dans différents pays mais qui n’en reste pas moins un épisode. Les antagonismes de classe s’accentuent. La bourgeoisie et le prolétariat sont face à face, prêts a s’élancer l’un contre l’autre.

L’influence grandissante des Soviets.

Ne nous plaignons donc pas de la lenteur du cours des événements. Songeons au temps où Lénine et ses compagnons d’armes posaient les fondements de l’I. C. et de notre parti. Il se passait alors moins d’événements graves en dix ans que maintenant en dix jours. L histoire nous comble. Chaque mois, chaque semaine nous apporte quelque chose de nouveau.

Le spectacle est vraiment digne d’intérêt. En Angleterre, forteresse du capitalisme, le parti le plus important de la IIe Internationale, pour se défendre, devra, sous la pression des ouvriers, combattre pour les bolchéviks. Quelle est la cause de cet événement inattendu ? En dernière analyse, la marche des événements n’est pas déterminée par notre diplomatie, mais par des choses simples comme le développement de la lutte de classes, sur laquelle sont basés le marxisme, le léninisme, l’I. C. et notre parti. Malgré ses préjugés contre le bolchévisme, le prolétariat anglais avec sa forte aristocratie ouvrière sent et voit la justesse de notre cause et ne se laissera pas abuser.

Sous l’influence du développement des antagonismes de classes, il se produit une différenciation au sein de l’internationale Syndicale d’Amsterdam. A la dernière conférence de Vienne, les délégués des syndicats anglais, au cours de leur polémique avec les délégués allemands, leur ont posé cette question : « Dites-nous plutôt où sont Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg ? » En d’autres termes : « Caïn, qu’as-tu fait de ton frère Abel ? » Voilà un exemple de divergences de vue dans l’organisation des Amsterdamiens.

Au sein de la classe ouvrière anglaise, la différenciation également a commencé et c’est là un événement d’une portée mondiale. Marx déjà avait dit que la révolution sans l’Angleterre ne serait qu’une tempête dans un verre d’eau, car l’empire anglais est un empire mondial.

Ainsi donc, toutes les tentatives de nos adversaires de nous discréditer se retournent contre eux. Le gouvernement « ouvrier » de Mac Donald n’a-t-il pas été la meilleure propagande en notre faveur ?

Que devons-nous désirer des prochaines élections anglaises ? Nous souhaitons de tout cœur la victoire à l’honorable Mac Donald. Qu’il triomphe aux élections et gouverne l’Angleterre pendant neuf, dix-huit mois et même davantage, quoique, en réalité, il soit plus gouverné que gouvernant. Qu’il continue son expérience, qu’il montre au monde comment les menchéviks construisent « pacifiquement » le pouvoir ouvrier. La leçon sera instructive. Nous qui avons appris à l’école de Lénine à créer un pouvoir ouvrier véritable, nous lui souhaitons la victoire, mais nous ne pleurerons pas s’il est battu. Dans l’un et l’autre cas, le mouvement ouvrier anglais ne cessera de se développer. Durant ces neuf derniers mois, il a fait de grands progrès. Les sympathies des ouvriers anglais pour l’Union Soviétiste augmentent.

Jamais les Soviets russes n’ont été si populaires parmi les masses ouvrières que maintenant. En 1920-1922, pendant les années de famine, l’idée du pouvoir soviétiste n’avait pas une telle force d’attraction parmi les ouvriers réformistes. Maintenant, tous les ouvriers, même menchéviks, savent que notre situation s’améliore. Si les salaires, chez vous, sont encore inférieurs aux nôtres, disent-ils, par contre vous allez de l’avant tandis que l’Europe décline. Dans un an ou deux, la question du rendement du travail dans nos usines aura véritablement une importance internationale. Lors de son dernier séjour à Moscou, Fimmen racontait qu’il avait reçu du président d’un syndicat des transports fluviaux, réformiste avéré et adversaire de Moscou, une lettre suggestive. Ce réformiste, informé des conditions de travail faites en Russie, écrivait à Fimmen : « Si c’est là la vérité, on nous a indignement trompés ».

Notre travail quotidien a donc une importance immense pour la propagande du communisme. Même réformistes, les ouvriers restent des ouvriers. Quand on leur disait que la famine et l’anthropophagie régnaient en Russie, que les ouvriers y étaient asservis, ils ne comprenaient pas la Révolution russe. Mais quand ils voient l’avers de la médaille : liberté des ouvriers, accroissement de la production, amélioration de la situation générale, le pouvoir soviétiste leur apparaît ce qu’il est véritablement : le régime le plus désirable.

Nous avons tout lieu d’être satisfaits de l’expérience de ces neuf derniers mois. Nous suivrons évidemment avec le plus grand intérêt la campagne électorale en Angleterre. On dit que nous envoyons des agitateurs communistes parmi les ouvriers anglais. Les bourgeois, comme Hughes, se figurent parfois que nous pouvons à chaque instant, expédier dans chaque pays autant d’agitateurs que nous le voulons. Par malheur, il n’en est pas ainsi. Maintenant, les bourgeois et les menchéviks eux-mêmes se chargeront de propagander nos idées, de travailler en faveur de l'Union Soviétiste. Nous espérons qu’en défendant leur peau et en essayant de terrasser Lloyd George et Baldwin, les leaders du Labour Party seront maintenant obliges de dire la vérité sur l’U. R. S. S. Et la classe ouvrière d’Angleterre verra que l’Union des Républiques Soviétistes montre la voie à tous les pays et que, dans le monde, ce n’est pas le « socialisme constructeur » qui triomphe, mais le léninisme.

G. Zinoviev.