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La Question des Phosphates algériens

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La question des phosphates algériens
Maurice Colin

Revue des Deux Mondes tome 131, 1895


LA QUESTION
DES PHOSPHATES ALGÉRIENS


I

C’était au cours d’une de mes excursions dans la région des hauts plateaux de l’Algérie. Nous marchions, depuis le matin, dans ces vastes territoires de parcours qui s’étendent entre Teniet-el-Hâad et Boghari. Bien que nous ne fussions encore qu’en mai, les rayons verticaux d’un soleil implacable nous mettaient aux épaules de cuisantes sensations de brûlure. Autour de nous, un pays d’apparence aride et désolée, dont la monotonie avait vite lassé mon attention. Les yeux mi-fermés, je m’abandonnais au pas de ma monture, ne gardant plus la perception très nette des choses qui m’entouraient, et ce fut, à un moment donné, comme dans un rêve que je vis onduler de luxuriantes moissons. Je ne crus d’abord qu’à une obsédante hallucination des vibrations de l’air en feu qui m’enveloppait. Il fallut bien me rendre à l’évidence. Le cadre d’aridité et de désolation était resté le même. Mais, dans une légère dépression du sol, c’était bien un vaste champ de blé, dont les jaunes épis se dressaient innombrables, avec le bruissement familier des moissons mûrissantes. Ils surgissaient, évoqués, semblait-il, par quelque puissant magicien, tant s’affirmait le contraste de leur vigueur avec l’apparence inféconde du sol qui les avait nourris.

Certes, ce ne pouvait être par les savans procédés de la culture intensive qu’il fallait songer à expliquer ce contraste. Les fellah, dont la misérable mechta s’apercevait au loin, devaient être étrangers aux pratiques les plus élémentaires comme à la notion même de cette culture. À l’exemple de leurs aïeux, ils avaient dû se borner au superficiel grattage du soc de bois d’une charrue primitive, et, sans plus d’efforts et de soucis, s’en remettre à Allah, pour leur rendre au centuple le grain confié à la terre. Le laboureur arabe ignore tout autre procédé de culture. Depuis des siècles, le champ que je contemplais ne devait connaître ni labours, ni engrais, ni fumures. Pourtant, les promesses de sa récolte me semblaient comparables à celles des plus riches cultures que mon souvenir pût évoquer.

Il fallait donc qu’il eût dans son sein la source d’une inépuisable fécondité, ce sol qui prodiguait ainsi, de lui-même, ce qu’on ne peut ailleurs obtenir qu’au prix des patiens et coûteux efforts de la culture intensive. Le problème pouvait tenter un esprit observateur. Le vague de mes connaissances géologiques ne pouvait me permettre de l’envisager qu’avec l’étonnement qu’on éprouve en face de l’inexpliqué. Évidemment, ce n’est pas à mes yeux seuls qu’il a dû se présenter avec des allures d’irritant mystère.

Aujourd’hui ce problème n’est plus : le sol algérien a livré son secret. On sait désormais qu’il renferme les plus riches gisemens de phosphate de chaux qui soient connus dans le monde entier. De l’est à l’ouest, et à un niveau géologique bien déterminé, l’Algérie entière, après la Tunisie du reste, se trouve traversée par une large bande de terrain de 70 à 80 kilomètres de largeur où, presque partout, le phosphate de chaux se rencontre en couches remarquables par leur teneur et leur étendue. Ce serait là, d’après l’hypothèse la plus vraisemblable, l’ancien rivage d’une mer du début de l’époque tertiaire, la mer de l’époque suessonienne. Sur une immense plage, basse et marécageuse, le lent travail du flux et du reflux aurait trituré et mêlé les ossemens d’innombrables générations de monstres disparus, principalement de sauriens gigantesques, à en juger par la dimension des dents et des vertèbres qu’on a pu retrouver. Peut-être aussi, la mer suessonienne contenait-elle, dissoutes dans ses eaux, de fortes proportions de phosphate de chaux, dont les dépôts successifs auraient encore augmenté la richesse des gisemens qu’on rencontre aujourd’hui sur son ancien rivage. Quoi qu’il en soit, les quantités accumulées sont telles que, pendant des siècles, elles peuvent suffire à assurer la fécondité des cultures de céréales non seulement dans l’Algérie et la France, mais dans le monde entier. Si, comme celles qui l’ont précédée, notre civilisation doit sombrer et disparaître, ce ne sera pas, de longtemps du moins, dans les affres de la faim : l’Algérie tient en réserve de quoi singulièrement éclaircir le sombre avenir que Malthus a fait entrevoir à l’humanité.

Je ne veux pas abuser des chiffres. Il en faut cependant citer quelques-uns, pour donner une idée des richesses que recèle le sol algérien.

Sur un des points de la large bande de terrain que je signalais tout à l’heure, au nord-est de Tebessa et à quelques kilomètres de la frontière tunisienne, on a commencé l’exploitation de différens gîtes de phosphate, dont on peut, dès maintenant, présumer, avec quelque certitude, l’importance et l’étendue. Il y aurait là 300 à 400 millions de tonnes de dépôts phosphatés, se présentant dans des conditions qui en permettent l’exploitation industrielle. Les matériaux d’extraction contiennent, en effet, jusqu’à 78 p. 100 de phosphate de chaux, teneur bien supérieure à celle des gisemens qu’on a exploités en France, et comparable à celle des plus riches sables de la Floride. Or, si l’on songe à la valeur commerciale du phosphate de chaux, dont les cours actuels dépassent 40 francs la tonne, on est évidemment ébloui par la fantasmagorie des chiffres, quand il s’agit d’évaluer la somme totale des richesses enfouies dans le sol algérien.

Voilà les trésors dont l’utilisation naturelle permettait, après quinze siècles d’une culture ignorante et barbare, de retrouver parfois, dans les champs de l’antique Numidie, cette merveilleuse aptitude à la production des céréales qui, jadis, les avait fait considérer comme les greniers de Rome. Il suffisait de pluies appropriées pour que, dans certaines régions, l’action fertilisante de ses phosphates donnât au sol algérien tout ce qui lui aurait manqué, s’il avait dû le tenir de la sollicitude de ses habitans.

Évidemment, de semblables ressources méritaient mieux que cette utilisation naturelle. Elles sont aujourd’hui connues et, bien qu’elle n’en soit qu’à ses débuts, leur exploitation ouvre à l’Algérie un avenir dont il est difficile de contester les promesses et les espérances. Il me paraît, certes, de nature à calmer les inquiétudes et les appréhensions de tous ceux que préoccupait la crise si grave, traversée en ce moment par la colonisation algérienne. Dans une série d’articles publiés, l’an dernier, par un grand journal parisien, sous cette rubrique : Le mal de l’Algérie, un écrivain de talent avait su dépeindre cette crise avec une réalité trop saisissante pour ne point légitimer toutes les craintes. C’étaient les colons ramenés, par les déceptions de leurs entreprises viticoles, à la base de toute agriculture : l’élevage du bétail et la culture des céréales. Et dans quelles conditions ? Dans des conditions d’insuccès presque notoire. Aujourd’hui, et c’est là une vérité acquise, la culture des céréales ne peut être rémunératrice qu’à la condition d’être intensive, ce qui implique un judicieux emploi des fumures. Or, comment, en Algérie, se procurer ces fumures indispensables sans une augmentation notable du bétail algérien, et comment réaliser cette augmentation nécessaire dans un pays où la subsistance et, partant, la conservation du bétail se posent, chaque été, comme un problème inquiétant ?

Cet avenir assez sombre est éclairci désormais par la découverte des phosphates algériens ! Il est, en effet, inadmissible qu’on ne se préoccupe point de faciliter à tous ceux qui cultivent le sol algérien l’utilisation de ce merveilleux engrais, bien supérieur, pour la culture des céréales, aux fumures que peut donner le bétail. Que les colons de la Metidja et de la vallée du Chéliff, par exemple, aient, sans grands frais, la possibilité de l’amener et de le répandre dans leurs domaines, ils pourront se consoler des déboires de la viticulture et attendre patiemment que la découverte d’une plante fourragère, appropriée aux ardeurs du climat, leur permette de donner à l’élevage du bétail toute l’extension qu’il comporte dans un pays essentiellement agricole comme l’Algérie.

Mais, si intéressante qu’elle soit, l’utilisation locale des phosphates algériens semble peu de chose à côté des résultats qu’est susceptible de donner leur exploitation industrielle. Évidemment, cette exploitation ne peut être que successive. Si capable d’extension qu’on la suppose, la consommation agricole du phosphate de chaux est cependant limitée. Ce serait en avilir les cours que d’en jeter sur le marché des quantités trop grandes. D’autre part, il faudrait se garder d’oublier l’énorme mise en œuvre de capitaux que suppose l’exploitation normale et régulière des gisemens de l’Algérie. A côté des chemins de fer à aménager ou à construire, il y a les ports eux-mêmes à organiser, comme ont su le faire les Américains dans la Floride. Il y a aussi les usines à établir, afin de traiter sur place les matériaux d’extraction dont la teneur ne serait point assez riche pour qu’on les puisse exporter tels quels. Ce n’est donc pas l’œuvre d’un jour, pas même d’un siècle, que l’exploitation industrielle des milliards de tonnes de phosphate que peut contenir le sol algérien. Il faut, du reste, s’en féliciter ; car, ainsi comprise, cette exploitation est mieux qu’une cause brillante, mais passagère, d’enrichissement ; elle est pour l’Algérie, comme l’exploitation de la houille pour l’Angleterre et la Belgique, une source permanente de richesse et de prospérité.

Il est, enfin, un dernier point de vue qu’on ne saurait laisser dans l’ombre, alors qu’il s’agit de tirer des phosphates algériens tout le parti désirable : c’est le point de vue fiscal. Il n’est pas douteux, en effet, que le Trésor public soit en droit de compter sur l’industrie nouvelle qui s’ouvre en Algérie, pour y asseoir des ressources fiscales qu’il ne peut songer encore à demander à l’agriculture. Cela est d’autant plus légitime que l’État a un droit plus ou moins direct sur presque tous les territoires dans lesquels paraissent, jusqu’à présent, se localiser les gisemens à exploiter. Il s’agit soit de terrains domaniaux, soit de terrains appartenant à des départemens, à des communes ou à des douars[1], c’est-à-dire à des collectivités que l’État lui-même a dotées des propriétés dont elles sont aujourd’hui nanties. Dans ces conditions, peut-on contester au Trésor public la légitimité des prétentions qu’il voudrait émettre ? C’est bien le moins que, dans une large mesure, il soit appelé à prendre sa part dans les richesses d’un sol, dont la conquête lui a coûté tant de sacrifices.

C’est donc à un triple point de vue que la découverte des phosphates algériens apparaît riche d’espérances et de promesses. Mais il faut ajouter aussi que la réalisation de ces promesses et de ces espérances dépend, pour une très large part, des mesures que sauront prendre les pouvoirs publics, en vue de donner à l’exploitation qui commence la direction et les règles les plus propres à la favoriser.

Qu’a-t-on fait jusqu’ici dans cette intention ? Que se propose-t-on de faire ?

Telle est la double question qu’il me reste à examiner.


II

C’est au cours de l’année 1885, à Gafsa, en Tunisie, que, pour la première fois, M. Thomas signala de remarquables couches de phosphate de chaux. La découverte fit même, je crois, l’objet d’une communication à l’Académie des Sciences. Mais ce n’est point le retentissement qu’eurent la découverte et les communications de M. Thomas, qui devait faire naître la question des phosphates algériens. Bien qu’il eût insisté sur l’importance et la richesse des gisemens qu’il avait relevés, bien qu’il eût indiqué que ces gisemens devaient se continuer en Algérie, il ne sembla pas que, dès lors, on se soit douté de l’immense portée de sa découverte et qu’on ait songé à l’utiliser au point de vue industriel ou agricole. Il y eut bien, en 1888, aux environs de Tebessa, une tentative d’exploitation industrielle. Un M. Veckerley obtint de la commune mixte de Morsott la concession[2] d’un gisement de phosphate, et en commença l’exploitation. Cette tentative ne fut pas heureuse : le gîte avait été mal choisi : la teneur des phosphates n’était pas assez élevée pour que l’exploitation pût en être continuée avec profit : elle fut vite abandonnée.

Ce n’est que deux ou trois ans plus tard que la question des phosphates algériens devait se poser comme elle se pose aujourd’hui.

Il n’est pas sans intérêt d’indiquer, avec quelques détails, comment elle est entrée dans le domaine des faits qu’on ne discute plus. Elle le doit, en effet, à un étonnement analogue à celui que j’avais éprouvé moi-même aux environs de Boghari.

Mais, cette fois, les connaissances techniques de celui qui l’éprouvait lui permettaient d’expliquer et de conclure. L’ingénieur ordinaire des ponts et chaussées, résidant à Guelma, était, en 1890, chargé de faire une route assurant les communications entre Tebessa et la commune de Morsott. A raison des difficultés que pouvait présenter l’établissement de cette route dans le pays montagneux qu’il fallait traverser, l’ingénieur jugea nécessaire de se rendre lui-même sur les lieux pour en arrêter le tracé. Il avait avec lui un conducteur des ponts et chaussées qui était en même temps agent voyer de la commune mixte de Morsott. En procédant aux opérations du tracé, il arriva à un endroit où de merveilleuses récoltes de céréales étaient encore sur pied. Leur aspect était tel que l’ingénieur en fut frappé. « Elles appartiennent sans doute à des colons de Tebessa ? dit-il à son conducteur. — Nullement, répondit celui-ci : elles sont à des indigènes de la commune mixte et nous sommes sur des terrains collectifs de culture. — Mais alors ils doivent cultiver à l’européenne et avoir un outillage européen ? — Pas du tout, ils cultivent à l’arabe, se contentant de gratter la surface du sol et d’y jeter le grain. Et ce qui est encore plus surprenant, c’est que, dans ces parages, les lois de l’assolement ne sont point observées ; tous les ans, de mémoire d’homme, les cultures se succèdent dans les mêmes endroits, et les rendemens sont toujours prodigieux. — Il faut alors, dit l’ingénieur, qu’il y ait ici des engrais naturels d’une rare puissance. Quand vous ferez les travaux de la route, ne manquez pas d’ouvrir les yeux et d’examiner le terrain, vous trouverez certainement un riche gisement de phosphate de chaux. »

Une fois l’ingénieur parti, le conducteur se garda bien d’oublier ses recommandations. Au cours des travaux, son attention fui appelée sur un banc de pierre très friable, de couleur grisâtre, se nuançant parfois de vert ou de violet. Il en prit quelques morceaux et les porta chez un pharmacien pour les faire analyser. Ce dernier n’eut pas de peine à y constater d’énormes proportions de phosphate de chaux.

L’ingénieur ne s’était point trompé. Il semble que son conducteur aurait dû l’en aviser. Au lieu de le faire, ce dernier se rendit chez un courtier en grains et en alfa, de nationalité anglaise, qui faisait de grandes opérations dans la région de Tebessa. Il lui remit des échantillons, en l’engageant à voir si, en Angleterre, il ne trouverait pas des capitalistes pour exploiter un énorme gisement de phosphate de chaux. Homme d’affaires entreprenant et habile, ce courtier, un M. Crookstone, sut vite apprécier, à sa juste valeur, l’opération qu’on lui signalait. Il écrivit en Angleterre et envoya des échantillons : il y lit même plusieurs voyages et ne tarda pas à réunir les capitaux nécessaires à une vaste exploitation. Pendant ce temps, le conducteur faisait demander à la commune mixte de Morsott, dans les communaux de laquelle se trouvait le gisement qu’il avait relevé, la concession du droit d’exploiter ce gisement. La commission municipale[3] de Morsott accorda cette concession pour une durée de dix-huit ans, en fixant à 25 centimes par tonne la redevance que devrait payer le concessionnaire. Dès que l’approbation préfectorale eut rendu cette concession définitive, elle fut cédée par le concessionnaire à M. Crookstone, moyennant une redevance calculée d’après un tarif décroissant de 2 fr. 50 à 0 fr. 50 la tonne, mais avec la clause que le concessionnaire s’engageait à exploiter un minimum de 10 000 tonnes par an. On est aujourd’hui déjà bien loin de ce minimum : on prétend en effet que, cette année, l’extraction dépassera 500 000 tonnes. Or, avec les cours actuels des phosphates, c’est, pour l’exploitant, un bénéfice net de 15 à 20 francs par tonne. En admettant même quelque exagération dans les chiffres ci-dessus, il y a là une entreprise industrielle de premier ordre, dont les résultats peuvent être mis en balance avec ceux des plus riches mines d’or du Transvaal.

J’ai insisté sur les détails de cette première concession, car ils expliquent facilement les ardentes convoitises qui allaient s’allumer dans le département de Constantine. On ne tarda pas, en effet, dans un certain public, à connaître les conditions du traité qui avait été la conséquence de la concession accordée par la commune mixte de Morsott. On songea d’autant moins à les discuter que M. Crookstone, avec une initiative toute britannique, donna immédiatement à son exploitation le développement et les caractères d’une vaste entreprise industrielle. Dès lors, à Constantine, la « fièvre du phosphate » agita tous les esprits, La carte géologique de l’Algérie venait de paraître : on s’en disputa les exemplaires, afin d’y trouver l’indication des territoires susceptibles de renfermer les précieux gisemens. Il n’est pas douteux qu’il y aurait eu là le point de départ d’une spéculation effrénée. On se fût disputé tous les terrains d’origine suessonienne. L’imagination aidant, les richesses à acquérir eussent pris toute l’importance et toute la réalité des richesses acquises. Bien des espoirs eussent été déçus, bien des ruines consommées.

Pour une fois, tout au moins, on doit rendre hommage aux inextricables complications de la législation foncière algérienne, puisqu’elles ont eu le mérite de rendre une pareille spéculation impossible. C’est, en effet, dans des territoires où la propriété privée n’est point encore constituée que se trouvent, presque exclusivement, les gisemens à exploiter. L’État, les départemens, les communes mixtes ou indigènes[4], les douars, tels étaient donc les propriétaires en face desquels se trouvaient nécessairement les spéculateurs, c’est-à-dire autant de propriétaires qui ne peuvent aliéner, sans l’intervention de formalités administratives, longues et compliquées. La spéculation se trouvait ainsi arrêtée à sa source même.

Aussi bien, la seule voie à suivre paraissait indiquée. Il s’agissait d’obtenir des concessions analogues à celle qu’on avait accordée déjà. Les demandes affluèrent, soit à la commune mixte de Morsott, soit à la préfecture de Constantine. Mais, en présence des compétitions et des luttes qu’entraînait cette concurrence, la question ne pouvait rester une question purement locale. Le gouverneur général de l’Algérie en fut saisi. Comme on a pu le dire très justement, dans une discussion récente, celui-ci sut, en la circonstance, se montrer le digne représentant de la France et de l’administration française en Algérie. Comprenant de suite toute l’importance de la question, son premier soin fut d’interdire aux autorités locales de statuer désormais sur les demandes de concession qui leur seraient soumises. Il avait, sans doute, de bonnes raisons pour craindre que ces autorités n’apportassent point, à l’examen des demandes dont elles étaient saisies, toute l’impartialité et toute la compétence désirables. Il se préoccupait également de ne point laisser compromettre, par des décisions hâtives ou insuffisamment préparées, des richesses dont la bonne exploitation pouvait, au plus haut degré, intéresser les finances de l’État et la prospérité de la colonie, et il entendait, avant tout, étudier les moyens les plus propres à en tirer parti.

Si rapidement qu’elles eussent été dessaisies, les autorités locales avaient pu cependant accorder deux concessions nouvelles. L’une de ces concessions devait, comme la précédente, passer immédiatement entre les mains d’une société anglaise ; la dernière seule est restée aux mains d’une société française : la Société française des Phosphates de Tébessa.

Si j’insiste sur la nationalité des sociétés appelées à bénéficier des trois concessions accordées, c’est que, pendant longtemps, on paraît avoir considéré l’intervention des capitaux anglais, dans l’exploitation des gisemens de Tébessa, comme un véritable crime de lèse patrie. C’était le thème favori des critiques qu’en Algérie, comme en France, on dirigeait contre l’administration algérienne, et je m’étonnerais, du reste, qu’on renonce à s’en servir encore. Certes, on ne peut que déplorer que des capitaux français n’aient point pris, à Tébessa, la place exclusive à laquelle ils auraient pu prétendre. Mais ce serait étrangement méconnaître les premiers besoins de l’Algérie que de détourner, on ne sait dans quel intérêt, les capitaux étrangers de s’y aventurer. Depuis quand, au contraire, ces capitaux n’auraient-ils point, sur le sol algérien, droit aux mêmes protections que les capitaux français ? Ne sont-ils point susceptibles de contribuer, aussi efficacement que ceux-ci, à la mise en valeur des richesses algériennes, et, à ce titre, ne méritent-ils point les mêmes encouragemens et les mêmes faveurs ? La vérité oblige même à reconnaître que, jusqu’à présent, les capitaux anglais ont montré, pour les affaires algériennes, un empressement que sont loin d’avoir témoigné les capitaux français. L’exploitation de nombre de mines, celle de l’alfa, la recherche du pétrole, la construction du boulevard de la République à Alger, autant d’entreprises uniquement dues à l’initiative de capitalistes anglais. A Tébessa même, les sociétés anglaises, dont on incrimine l’ingérence, ont déjà consacré des millions à l’exploitation des gisemens concédés. Dès maintenant, ceux-ci sont reliés par des voies ferrées à la ligne du Bone-Guelma, et, en définitive, si la question des phosphates algériens se pose comme elle se pose aujourd’hui, c’est, il faut bien le reconnaître, grâce à la hardiesse et à l’initiative dont a su faire preuve M. Crookstone. Les aurait-on, au même degré, rencontrées chez des capitalistes français ?

Dans ces conditions, est-il prudent, est-il sage d’inquiéter et d’éloigner de l’Algérie des capitaux susceptibles de lui rendre de tels services ? Ne s’exposerait-on point à de graves mécomptes, en considérant comme démontré que les capitaux français sont disposés à profiter du privilège qu’on semble vouloir leur réserver dans les affaires algériennes ? Aussi bien, ce ne sont point des critiques de ce genre qui auraient pu permettre de revenir sur les concessions en face desquelles on se trouve à Tébessa, et empêcher qu’on ne les considère comme autant de faits accomplis.

Mais telle n’est point peut-être l’impression qu’on éprouve, quand on examine ce qu’on pourrait appeler le côté intime des concessions incriminées, c’est-à-dire quand on se préoccupe de leur moralité et de leur légalité mêmes. Une interpellation récente, portée à la tribune du Sénat, vient de mettre en pleine lumière ce côté intime que, dans le public, on avait ignoré jusqu’ici.

Assurément, les détails du discours de M. Pauliat ne sont point de nature à diminuer les préventions dont l’honorable sénateur du Cher a déjà le privilège dans certains milieux de la colonie. Mais, en Algérie comme en France, les hommes impartiaux ne pourront que rendre hommage à la préoccupation évidente qui le domine lorsqu’il intervient dans les choses d’Algérie : la préoccupation d’y revendiquer les droits de la moralité publique.

De fait, l’exposé qu’il a su faire des conditions et des circonstances dans lesquelles ont été obtenues deux au moins des trois concessions de phosphate, actuellement exploitées à Tébessa, ne pouvait manquer de soulever l’indignation du Sénat. Il l’a soulevée tant et si bien que, lorsque le gouverneur général a pris la parole en qualité de commissaire du gouvernement, il a dû bien vite se rendre compte qu’on n’attendait guère autre chose de lui que des explications sur les irrégularités et les complaisances administratives dont le tableau suggestif venait d’être évoqué. C’est la même expérience qu’a dû faire le ministre de l’Intérieur qui lui a succédé à la tribune. Vainement ont-ils essayé, l’un et l’autre, d’amener le Sénat à admettre que, dans la question des phosphates de Tébessa, il y avait autre chose que des responsabilités à dégager et à poursuivre. Profondément impressionné par les faits que l’interpellateur venait de dénoncer à sa tribune, le Sénat, pour l’instant, n’entendait y voir que cela. Aussi, après le gouverneur général et comme lui, le ministre de l’Intérieur a-t-il été contraint de céder au courant d’indignation qui entraînait le Sénat tout entier. Il a dû promettre une enquête sur les faits dénoncés à la tribune ; il a dû s’engager à ne point hésiter devant les solutions qui lui paraîtraient imposées par les résultats de cette enquête. Or, ce sont là des conclusions que ne faisait guère pressentir le début de son discours et qui, manifestement, lui ont été dictées par l’attitude de l’assemblée qui l’écoutait.

Voilà donc, de par la volonté du Sénat, la question des phosphates de Tébessa entrée dans une phase panamiste. Je ne sais si l’enquête promise par le gouvernement permettra de relever et d’établir des fraudes assez caractérisées pour entraîner l’annulation des concessions attaquées. Il est peut-être permis d’en douter[5]. Les enquêtes de ce genre n’aboutissent guère qu’à d’inutiles scandales ; et pour quelques coupables qu’elles atteignent, combien en laissent-elles échapper !

Quand, au contraire, laissant de côté la moralité des concessions, on se préoccupe uniquement de leur légalité même, il est permis d’envisager des résultats plus précis et plus certains. Comme l’a très bien indiqué M. Cambon, les questions algériennes sont si variées et si complexes qu’elles ne se présentent pas toujours avec une netteté parfaite aux yeux des autorités administratives appelées à les trancher. Il en résulte que celles-ci se peuvent aisément méprendre sur la voie légale dans laquelle il convient d’entrer pour les résoudre. Tel paraît avoir été le cas pour les concessions de Tébessa. Sans doute, de par la jurisprudence administrative établie dans la métropole, il fallait bien, nous l’expliquerons, voir de simples carrières dans les exploitations dont il s’agissait. Mais, partant de ce point de départ que les gisemens à exploiter se trouvaient dans des communaux appartenant à la commune mixte de Morsott, la préfecture de Constantine a pensé que la délivrance des concessions demandées se présentait comme une question purement communale. En conséquence, elle a estimé que, sauf son approbation ultérieure, c’était à la commission municipale qu’il appartenait de statuer[6].

Or, il est aujourd’hui démontré que les terrains, contenant les gisemens concédés, ne sont nullement des communaux dépendant de la commune mixte de Morsott, mais bien des territoires de parcours appartenant à des douars rattachés à cette commune. Dans ces conditions, la voie légale à suivre, pour l’obtention des concessions, était sensiblement différente. Il eût fallu réunir et consulter la djema[7] du douar intéressé. En outre, les concessions ne pouvaient devenir définitives sans l’intervention du gouverneur général ou, dans certains cas, du chef de l’État lui-même[8].

Je n’insiste pas davantage sur ces questions de légalité pure. Elles seront débattues, sans doute, devant les tribunaux compétens. J’en ai dit assez pour indiquer que, même en considérant comme désirable l’annulation ou tout au moins la révision des concessions accordées, mieux eût valu peut-être s’en tenir uniquement à une critique sévère de leur légalité. On n’eût pas, à coup sûr, inutilement déchaîné les scandales, les suspicions et les haines qu’on va nécessairement soulever dans la voie où l’indignation du Sénat semble avoir engagé le gouvernement.

Au reste, à quelque point de vue qu’elle parût s’imposer, l’annulation des concessions ne pourrait être prononcée sans qu’on se préoccupât de sauvegarder les intérêts légitimes de tous ceux qui ont dû croire à la régularité des titres, sur la foi desquels ils ont apporté à l’Algérie le concours de leur industrie et de leurs capitaux. C’est là un point qui ne saurait faire question. Il y va du bon renom de l’Algérie et de la France elle-même.


III

Nous avons dressé le bilan du passé. L’impression qui se dégage des faits, c’est que l’administration s’est montrée impuissante à défendre les intérêts généraux dans une lutte où les intérêts particuliers apportaient tant d’âpres convoitises. Mais il faut bien reconnaître que la législation existante ne lui fournissait peut-être pas des armes suffisantes. Si elle avait pu considérer les exploitations de phosphate comme des exploitations minières, certes les armes ne lui eussent point manqué. De bonne foi, on ne saurait lui reprocher de ne pas s’en être tenue à cette manière de voir. A vrai dire, celle-ci semble parfaitement conciliable avec les textes mêmes de notre législation minière. La loi organique des mines[9] laisse au chef de l’État le soin de fixer souverainement le caractère et, parlant, le régime, qui conviennent à une exploitation ; c’est à lui, et à lui seul, qu’il appartient légalement de résoudre la question de savoir si telle exploitation doit rester dans la classe des carrières ou passer dans celle des mines[10].

Au point de vue purement légal, la question pouvait donc sembler entière en ce qui concerne les exploitations de Tébessa.

Mais, dès qu’on ne se borne point au simple examen des textes, on est vite convaincu que l’administration locale ne pouvait songer à l’application du régime des mines. Depuis longtemps, en effet, la jurisprudence du service compétent a précisé les règles que le législateur n’avait point cru devoir fixer. En fait, c’est aujourd’hui cette jurisprudence qui fait la loi, puisque c’est elle qui règle l’application de celle-ci. Or, de par cette jurisprudence, le phosphate de chaux ne figure point dans les substances dont l’exploitation doit être soumise à la législation des mines, et partant, les exploitations qui en sont faites ne sont et ne peuvent être que de simples carrières.

Dans ces conditions, l’administration locale ne pouvait guère songer à appliquer aux exploitations de Tebessa une autre législation que celle des carrières.

Mais il faut évidemment reconnaître que l’application du régime des mines eût présenté d’incontestables avantages ; il eût, à coup sûr, rendu impossibles les faits regrettables que M. Pauliat a pu dénoncer à la tribune du Sénat. Le régime des mines, c’est en effet l’État choisissant librement ses concessionnaires et pouvant, par suite, exclure tous ceux qui ne lui paraissent pas présenter les garanties désirables. C’est l’exploitation exercée sous la surveillance de l’administration, dans les conditions et avec toutes les réserves qu’il plaît à l’État d’imposer dans l’acte de concession, mais, en même temps, avec toutes les facilités que la législation des mines donne aux concessionnaires pour tirer parti des richesses concédées. Le régime des carrières, c’est, au contraire, le propriétaire de la surface conservant tous ses droits, libre, par suite, d’exploiter à sa guise, par lui-même ou par ses ayans-cause, tous les gisemens que ses terrains peuvent contenir sans que l’administration ait à intervenir autrement que dans l’intérêt de la sécurité publique.

Aussi s’explique-t-on très bien que, dans l’intention d’assurer la bonne exploitation des phosphates algériens, le gouverneur général ait cru devoir proposer au gouvernement de les soumettre au régime des mines, sauf à ne consentir que des concessions temporaires. Il est à croire que le service des mines a eu de bonnes raisons à opposer à cette proposition. Elle a dû être abandonnée.

Il était cependant impossible de s’en tenir à l’application pure et simple du régime des carrières. Puisqu’on ne voulait point du régime des mines, la nécessité d’une réglementation spéciale s’imposait. C’est ce qu’a su comprendre le gouvernement. En vue de faire préciser les règles qui devaient constituer la réglementation nouvelle, il a fait appel à la compétence et aux lumières d’une commission interministérielle. Il l’a composée de manière à assurer à tous les intérêts engagés la représentation d’une indiscutable autorité[11]. Réunie à Paris, sous la présidence du gouverneur général de l’Algérie, cette commission a aujourd’hui terminé ses travaux.

Il ne semble pas qu’elle ait consacré de longues séances à discuter la question de savoir si l’exploitation des phosphates algériens devait être soumise au régime des mines. Tenant pour acquise la solution que le service des mines lui présentait comme seule acceptable[12], elle paraît s’être uniquement préoccupée des modifications qu’il convenait d’apporter au régime des carrières, pour assurer la bonne exploitation des phosphates algériens, prévenir le retour des scandales du passé, et sauvegarder, enfin, les légitimes intérêts du trésor public. Tel est, en effet, le triple but des dispositions contenues dans le projet de décret qu’elle présente à l’agrément du chef de l’État.

La réglementation dont elle demande l’adoption paraît, de prime abord, singulièrement compliquée, plus compliquée, assurément, que ne l’eût été l’adoption pure et simple du régime des mines. Mais c’est là une critique de pure forme, sur laquelle il ne convient guère d’insister, car, en passant à l’examen du fond même de la réglementation, on est vite convaincu de l’utilité, de l’efficacité de ses dispositions.

Et en effet, tout en maintenant les exploitations de phosphate dans la classe des carrières, elle procure, en définitive, tous les avantages et toutes les garanties qu’on pouvait désirer en réclamant l’établissement du régime des mines. La raison en est simple autant que décisive. Elle réside tout entière dans la situation géographique des territoires où, jusqu’à présent du moins, paraissent localisés les gisemens à exploiter. Éloignés du littoral, ces territoires n’ont point encore été atteints par la colonisation européenne, et la propriété privée ne s’y rencontre guère. Les seuls propriétaires en face desquels on se trouve, sont ou l’État lui-même, ou des collectivités qui, plus ou moins directement, dépendent de lui, des départemens, des communes, des douars. C’est assez de cette circonstance pour que, sans créer un régime apportant des restrictions graves à la propriété privée, on ait pu rigoureusement déterminer les conditions d’ouverture et d’exploitation des carrières de phosphate, et réserver, à l’administration, des prérogatives de surveillance et de contrôle non moins importantes que celles dont le régime des mines aurait pu la doter. Il a suffi de rappeler et d’appliquer, en les appropriant aux circonstances, les principes qui, dans notre droit administratif français, règlent et dominent la gestion des différentes propriétés publiques.

C’est ainsi que l’amodiation par voie d’adjudication publique devient la règle absolue pour toute exploitation de phosphate, entreprise dans des terrains dépendant de l’administration, à quelque titre que ce soit.

C’est ainsi également que chaque adjudication donne lieu à la rédaction d’un cahier des charges déterminant, à peine de déchéance, les conditions dans lesquelles les exploitations doivent être commencées et poursuivies.

Divisé en 4 titres, entre lesquels sont répartis les 15 articles dont il se compose, le projet consacre un titre premier à l’établissement des règles qui devront présider et à l’adjudication et à la rédaction du cahier des charges, quand il s’agira de l’exploitation de gîtes situés dans des terrains appartenant à l’État.

Les titres II et III du projet envisagent l’exploitation des gisemens situés, soit dans des propriétés départementales ou communales, soit dans des terrains communaux de douar ou relevant du droit musulman. Ils précisent les modifications qui, dans ces différentes hypothèses, devront être apportées aux règles du titre premier.

Enfin, dans un titre IV, le projet établit, à titre de dispositions générales :

1° Certaines servitudes destinées à faciliter l’exploitation des carrières de phosphate ;

2° La quotité du droit que le Trésor public sera en droit d’exiger et de percevoir par tonne de phosphate, marchand et prêt pour la vente, extrait en Algérie.

Je n’insiste pas autrement sur les détails d’une réglementation qui n’existe encore qu’à l’état de simple projet. Qu’il me suffise de constater que son application est de nature à favoriser singulièrement la formation et le développement d’entreprises viables, prospères et profitables à l’intérêt de tous. En la promulguant, les pouvoirs publics s’acquitteront, un peu tardivement peut-être, mais utilement à coup sûr, de la tâche nécessaire qui leur incombait dans la conservation et l’utilisation de richesses qu’on ne saurait laisser gaspiller sans nuire gravement aux intérêts de l’Algérie et de la France même.


MAURICE COLIN.


  1. Les douars sont des collectivités indigènes rappelant de très près les sections de commune de notre droit administratif français.
  2. Je parle ici de concessions pour employer le terme généralement usité. Juridiquement il est inexact et il faudrait parler d’amodiation.
  3. Dans les communes mixtes, la commission municipale est appelée à exercer les attributions du conseil municipal. Présidée par l’administrateur, elle est composée de colons et d’indigènes désignés par l’administration.
  4. A côté des communes dites de plein exercice dont l’organisation est identique à celle des communes françaises, il y a, en Algérie, deux autres catégories de communes : les communes mixtes et les communes indigènes. Dans ces deux catégories de communes, l’élément indigène est en forte majorité. Les premières appartiennent au territoire civil ; elles sont administrées par des administrateurs placés sous l’autorité des préfets et des sous-préfets. Les secondes, situées en territoire militaire, sont encore administrées par des officiers de bureau arabe, sous l’autorité des généraux de division. À ce point de vue, ceux-ci relèvent, du reste, du gouverneur général et non du commandant en chef du 19e corps d’armée.
  5. Une première enquête, ordonnée par le gouverneur général, n’a donné aucun résultat. Faut-il s’en étonner puisqu’il s’agissait surtout, pour les enquêteurs, d’apprécier et de dégager les motifs qui avaient dicté la conduite administrative de tel ou tel fonctionnaire ? A moins de circonstances spéciales et déterminantes, on ne peut guère supposer une question de ce genre résolue avec une certitude dictant des conclusions précises. En l’espèce, tout ce qu’ont pu dire les enquêteurs désignés par le gouverneur général, c’est que rien ne leur permettait de nier, pas plus que d’affirmer, les responsabilités mises en cause.
  6. J’ai déjà indiqué que, dans les communes mixtes, la commission municipale remplace le conseil municipal.
  7. La djema joue, dans les douars, le rôle que les commissions syndicales sont parfois appelées à jouer dans les sections de commune en France. Elle comprend l’adjoint indigène ou caïd et huit à douze notables indigènes désignés par l’administration.
  8. Voyez, sur tous ces points, les articles 17 et suivans du décret du 23 mai 1863.
  9. La loi du 21 avril 1810.
  10. Il n’est pas sans intérêt d’indiquer qu’à propos même des exploitations de phosphate de chaux, le principe a été très nettement affirmé par le Conseil d’État. Un sieur A… avait formé une demande en concession de mine, relative à l’exploitation d’un gisement de phosphate de chaux qu’il avait découvert. Transmise au ministre des Travaux publics, cette demande fut rejetée par lui à raison de ce motif que le phosphate de chaux n’est point une substance concessible. Cette décision, manifestement dictée par la jurisprudence du service des mines, fut frappée d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Celui-ci, par arrêt du 24 janvier 1872, n’hésita point à annuler la décision qu’on lui déférait. Voici les considérans de son arrêt :
    « Vu la loi du 21 avril 1810 ; — considérant qu’aux termes de l’article 28 de cette loi, il doit être statué sur les demandes en concession de mines par décret rendu en Conseil d’État ; qu’il suit de là que c’est à la même autorité, prononçant dans les mêmes formes, qu’il appartient d’accorder ou de refuser une concession, après avoir apprécié toutes les circonstances de l’affaire et notamment la question de savoir si la substance dont la concession est demandée rentre dans la catégorie des substances concessibles ; — qu’en conséquence, en rejetant la demande de concession formée par le sieur A… le ministre des Travaux publics a excédé ses pouvoirs ; — Art. 1. Est annulée, pour excès de pouvoir, la décision, en date du 13 janvier 1870, par laquelle le ministre des Travaux publics a rejeté la demande en concession d’un gite de phosphate de chaux formée par le sieur A… »
  11. Cette commission comprenait :
    Pour le ministère de l’Intérieur, MM. Cambon, gouverneur de l’Algérie ; Mastier, directeur des affaires départementales et communales : Brouillet, chef du service de l’Algérie ;
    Pour le ministère des finances, MM. Pallain, directeur général des douanes, et Vuarnier, directeur général de la comptabilité publique ;
    Pour le ministère des Affaires étrangères, MM. Bompard, directeur des affaires commerciales et consulaires ; Pavillier, directeur des travaux publics de la régence de Tunis :
    Pour le ministère du Commerce, MM. Chandèze, directeur du commerce extérieur ;
    Pour le ministère de l’Agriculture, M. Tisserand, directeur de l’agriculture ;
    Pour le ministère des Travaux publics, MM. Guillain, directeur des routes, de la navigation et des mines ; Linder, président du conseil général des mines ; Aguillon, inspecteur général des mines.
    La Commission avait pour secrétaires-adjoints, avec voix consultative : MM. Bellom, ingénieur des mines, et Thiébault, attaché au cabinet du gouverneur général.
  12. D’après une parole autorisée, celle de M. Aguillon, inspecteur général des mines et rapporteur de la commission interministérielle : « Le classement du phosphate de chaux dans les carrières, et surtout du phosphate de chaux en couches comme celles de l’Algérie, découle du principe qui, dans aucun temps ni aucun pays, n’a permis de séparer de la propriété superficiaire les substances minérales du tréfonds ne constituant que de simples amendemens pour la culture des terres… »