La Question du « Congo belge »
L’État indépendant du Congo va-t-il être transféré à la Belgique ? La question n’est pas nouvelle, mais elle est redevenue actuelle. Posée déjà devant le Parlement belge, mais aussitôt ajournée en 1895 et en 1901, déclarée inopportune par le roi Léopold en 1906, puis reprise et encore à la veille d’échouer il y a peu de mois, elle semble enfin sur le point d’aboutir à une solution. Avant d’examiner dans quelles conditions elle se pose aujourd’hui, il nous faut rappeler brièvement, car ce sujet a été traité ici même il y a longtemps[1], les origines du « Congo belge. »
Cet État a pris naissance et s’est développé de par la volonté d’un prince remarquablement doué qui a brisé tous les obstacles et triomphé de toutes les résistances pour parvenir à son but. En 1855, n’étant encore que duc de Brabant, il prononça devant le Sénat, où il venait d’entrer, un discours où il se préoccupait de la nécessité de trouver des débouchés à l’industrie et à l’activité de la population belge. Dès cette époque, — il y a un demi-siècle ! — il pressentait l’avenir de ces mystérieuses contrées de l’Afrique australe, figurées alors dans les atlas sous le nom de terres inconnues, et il s’intéressait au mouvement qui portait vers le continent noir des explorateurs alors uniquement guidés par l’amour de la science ou par la soif de l’évangélisation. Monté sur le trône (décembre 1865), Léopold II poursuivit son idée et déploya, dans l’exécution de son plan, une habileté et une ténacité merveilleuses.
Toutefois, ce plan, qu’héritier de la couronne il avait laissé pressentir dans des exposés où l’on croyait voir les chimériques rêveries d’un adolescent, le roi des Belges a pris soin de le tenir dans l’ombre. Au mois de septembre 1876, alors que les premiers récits de Stanley, ceux de Cameron et la publication du journal de Livingstone commençaient à passionner le public, il réunit à Bruxelles une quarantaine de géographes et de voyageurs de différens pays et les entretint de l’utilité qu’il y aurait à coordonner leurs efforts pour résoudre le problème africain, arracher les nègres à l’esclavage et « ouvrir enfin à la civilisation la seule partie de notre globe où elle n’ait pas encore pénétré. » Repoussant bien loin toute vue égoïste et ambitieuse, il déclarait « la Belgique heureuse et satisfaite de son sort. Si, disait-il, j’ai proposé cette réunion à Bruxelles, c’est qu’il m’a semblé qu’un État central et neutre serait un terrain bien choisi et que je serais heureux de voir Bruxelles devenir, en quelque sorte, le quartier général de ce mouvement civilisateur. » Langage habile, fait pour endormir les méfiances, car de ce modeste congrès géographique sortira en 1885, après diverses étapes[2], l’État indépendant du Congo, et l’entreprise internationale, qui affichait au début les allures d’une croisade, deviendra une fructueuse entreprise commerciale, — purement belge ou du moins, jusqu’à nouvel ordre, léopoldienne, — accaparant toutes les richesses des territoires où elle s’est installée.
Pour arriver à un but aussi pratique, — que seul peut-être il avait entrevu d’avance, — le roi Léopold trouva, à point nommé, l’homme qui lui était nécessaire et l’on se rappelle comment il utilisa les découvertes et la personne même de Stanley.
Nous n’avons pas à raconter ici l’odyssée du grand explorateur ni la façon dont il préluda à l’occupation du Congo au nom du Comité d’Études fondé par le roi des Belges. Les puissances comprirent bientôt que ce prince n’avait pas été mû dans son entreprise par des motifs uniquement humanitaires et scientifiques. Elles auraient pu s’entendre pour contester la capacité d’une société privée à s’arroger des droits de souveraineté territoriale, mais le Comité d’études qui, sur ces entrefaites, se transforma en Association internationale du Congo, sut endormir les jalousies et les convoitises éveillées, en affirmant que la liberté commerciale la plus absolue régnerait dans le nouvel État et que « le bassin du Congo deviendrait en quelque sorte le patrimoine commun de toutes les nations[3]. » Le mot même d’international habilement ajouté au nom de la Société devait faire illusion à l’opinion publique, et il n’y eut, en réalité, que la France et le Portugal, — ce dernier soutenu par l’Angleterre, — pour chercher à entraver l’œuvre du roi Léopold.
Cependant le drapeau français planté par Brazza avait barré la route à Stanley sur la rive droite du Pool. De leur côté, les Portugais, regrettant un peu tardivement de n’avoir pas mieux profité de la découverte de l’embouchure du Congo, faite en 1485 par leur navigateur Diego Cam, invoquaient leurs « droits historiques » sur le littoral et sur les deux rives du fleuve jusqu’à Noki, et ces prétentions étaient appuyées par l’Angleterre à laquelle le Portugal accordait, en échange, d’importans privilèges économiques (traité du 24 février 1884). Ainsi, à la veille de se voir fermer, d’un côté par la France, de l’autre par le Portugal, toute issue vers l’Océan, l’Association internationale était menacée de périr si, grâce à l’influence du roi des Belges, elle n’avait obtenu l’appui des autres puissances et si elle n’avait réussi à diviser habilement le Portugal et la France en se rapprochant de cette dernière au moyen d’un accord par lequel « le gouvernement de la République s’engageait à respecter les stations et territoires libres de l’Association et à ne pas mettre obstacle à l’exercice de ses droits ; l’Association, de son côté, déclarait qu’elle ne céderait à quiconque ses possessions et que si, par des circonstances imprévues, elle était amenée un jour à les réaliser, elle s’engageait à donner à la France un droit de préférence[4]. L’accord fut conclu le 23 avril 1884 entre notre ministre Jules Ferry, pour la France, et le colonel Strauch pour l’Association. La veille, Léopold II avait obtenu un autre succès : le gouvernement des États-Unis, devançant tous les Cabinets européens, prescrivait à ses agens de reconnaître le drapeau bleu étoile d’or de l’Association internationale au même titre que celui d’un gouvernement ami. Les puissances étaient d’ailleurs unanimes à protester contre le traité du 24 février qui, en réalité, aurait livré l’embouchure du Congo à l’Angleterre. Devant cette attitude, le Foreign-Office renonça à soutenir plus longtemps les « droits historiques » du Portugal. Celui-ci, réduit à ses propres forces, dut recourir à la France qui se fit la médiatrice entre le Cabinet de Lisbonne et l’Association. A la même heure, Bismarck, alors l’arbitre de la politique européenne, se proclamait, au Reichstag, le champion de l’œuvre entreprise par Léopold IL II s’entendit avec nous pour porter devant l’Europe la question africaine, et réunir à Berlin les représentais de quatorze États « en vue de régler dans un sentiment de bonne entente mutuelle les conditions les plus favorables au développement du commerce et de la civilisation dans certaines régions de l’Afrique et d’assurer à tous les peuples les avantages de la libre navigation sur les deux principaux fleuves africains (Congo et Niger) qui se déversent dans l’océan Atlantique. »
Parallèlement à la Conférence, mais en dehors de son sein, se poursuivaient, entre la France, le Portugal et l’Association internationale de laborieuses négociations qui aboutirent finalement à un compromis : le Portugal s’établit sur la rive Sud du Congo, jusqu’à la hauteur de Noki ; la France, dont les intérêts avaient été défendus avec succès par M. le baron de Courcel, notre représentant à Berlin, s’installa définitivement sur la rive Nord que Brazza avait si vaillamment conquise, en amont de Manyanga ; enfin l’Association obtint le couloir qui lui était nécessaire pour atteindre la mer et disposer des deux rives du fleuve entre Manyanga et l’Océan. Elle restait maîtresse des deux ports de l’estuaire, Banana et Borna, et pouvait en créer un troisième sur la rive Sud à Matadi. Tandis que cet accord était en train de se conclure entre les trois principaux intéressés, toutes les puissances représentées à Berlin avaient suivi l’exemple des États-Unis et de l’Allemagne, et reconnu, l’une après l’autre, l’État qui allait se constituer. Le 26 février 1885, la Conférence clôturait ses travaux par la signature de l’Acte général de Berlin qui trace les limites du bassin du Congo, fixe sa législation économique, y consacre le principe de la liberté commerciale entendue dans son sens le plus absolu, ainsi que la liberté de conscience et d’établissement garantie pour tous, édicté des mesures spéciales pour combattre la traite des esclaves et proclame la liberté de la navigation sur le Congo et le Niger, et sur leurs affluens.
« Le nouvel État, » déclara Bismarck avant de lever la séance, « est appelé à devenir un des principaux gardiens de l’œuvre que nous avons en vue ; je fais des vœux pour son développement prospère et pour l’accomplissement des nobles aspirations de son illustre fondateur. »
Léopold, d’après la Constitution belge, ne pouvait devenir souverain d’un autre pays sans l’autorisation du Parlement. Il annonça donc ses projets dans un message où il était dit que « le nouvel État serait indépendant comme la Belgique, et jouirait comme elle des bienfaits de la neutralité. Il n’y aurait entre la Belgique et le Congo qu’un lien personnel qui ne pourrait entraîner, en aucun cas, des charges pour la Belgique. » Les deux Chambres autorisèrent le Roi à prendre possession de ce trône exotique et, le 19 juillet 1885, sir Francis de Winton (un Anglais, chose piquante), qui avait succédé à Stanley comme administrateur général, proclamait à Banana, dans une cérémonie solennelle, la constitution de l’État indépendant. La nouvelle fut notifiée aux puissances, qui en accusèrent aussitôt réception.
Par sa patience et son habileté diplomatique, le monarque constitutionnel d’un petit État s’est donc érigé en souverain absolu d’une contrée immense qu’il n’a point visitée et qu’il gouverne, depuis vingt-trois ans, avec une omnipotence que Louis XIV lui-même ne connut jamais.
M. Paul Leroy-Beaulieu a déclaré que « Léopold II mérite d’être compté au rang des plus grands souverains de ce temps comme créateur d’empire. » L’éloge ne paraîtra pas exagéré si l’on songe à l’œuvre colossale que ce prince a su accomplir dans un pays grand comme quatre-vingts fois la Belgique et peuplé de sauvages adonnés au fétichisme, à l’anthropophagie, constamment en guerre les uns contre les autres et sans cesse exposés aux razzias des marchands d’esclaves. Après avoir réussi à pénétrer pacifiquement jusqu’aux Stanley-Falls, les Belges (par là il faut entendre l’armée indigène formée sous la direction d’officiers européens, belges pour la plupart) rencontrèrent les Arabes qui, venus de Zanzibar, s’étaient installés depuis près d’un demi-siècle dans la région située entre le lac Tanganika et le Congo, pour y faire le trafic des esclaves et de l’ivoire qu’ils écoulaient à Bombay et à Liverpool. Tôt ou tard la lutte devait s’engager entre les deux influences qui se disputaient le pays. Les Belges essayèrent pourtant de composer avec leurs adversaires, et ce n’est pas sans surprise qu’on apprit un jour que le célèbre négrier musulman Tippo-Tip, passé au service de l’Etat indépendant, avait été nommé gouverneur des Falls à la condition d’évacuer par la côte occidentale tout l’ivoire qu’il dirigeait autrefois sur l’océan Indien. Ce modus vivendi ne put se prolonger longtemps. Si Tippo-Tip resta fidèle à ses engagemens, d’autres chefs se révoltèrent ; en 1892, le massacre de M. Hodisler et de ses compagnons, agens du syndicat commercial du Katanga, amena la guerre ouverte et, à partir de ce moment, des expéditions, sous la conduite d’officiers intrépides tels que Dhanis, van Kerckhoven, Stairs, van Gèle, furent vigoureusement menées contre les Arabes qui, après une résistance de plusieurs années, finirent par être exterminés ou expulsés du pays.
Maître du territoire jusqu’au lac Tanganika, l’État indépendant allait se rendre possesseur de tout l’ivoire et du caoutchouc qui constituent la richesse de cette immense région. Mais Stanley avait déclaré, dès le début, que « sans un chemin de fer, il ne donnerait pas un penny du Congo. » Le grand fleuve dont il avait révélé le cours aurait été une voie de transport toute trouvée si, à 160 kilomètres de la côte, la navigation n’était interrompue par une série de 32 cataractes, barrière qui avait arrêté les efforts de tous ses devanciers. Il fallait une voie ferrée pour tourner cet obstacle : l’étude en fut entreprise sous la direction de l’énergique capitaine Thys. Les travaux commencèrent en 1890. Nul, au début, ne se doutait de la dépense que nécessiterait pareille entreprise dans un pays dénué de toute ressource. On avait calculé que le kilomètre de voie ferrée coûterait 60 000 francs. Or, en juin 1892, à peine parvenait-on au neuvième kilomètre et déjà l’on avait dépensé 11 millions et demi. Un grand nombre de travailleurs étaient morts à la peine, les autres s’étaient sauvés sur le territoire portugais pour ne pas subir le même sort. On juge de l’effet que produisirent ces nouvelles en Belgique, où la fondation de l’Etat du Congo n’avait jamais été populaire. Sans refuser au Roi d’abord l’approbation, plus tard l’appui financier qu’il demandait, tous les partis s’étaient évertués à dégager leur responsabilité respective. Cependant, en 1890, M. Beernaert avait été chargé de porter à la connaissance du pays le testament par lequel Léopold II déclarait « léguer et transmettre, après sa mort, à la Belgique, tous ses droits souverains sur l’Etat indépendant, avec faculté pour la Belgique de s’annexer cette vaste colonie, même du vivant du souverain si elle le jugeait bon, et le Parlement avait presque unanimement ratifié la convention par laquelle l’Etat belge avançait à titre de prêt, à l’Etat du Congo, une somme de 25 millions non productifs d’intérêts pendant dix ans. Le public belge était demeuré assez indifférent, plutôt sceptique et railleur, mais quand on apprit, en 1893, que des sommes considérables avaient été dépensées, des milliers de vies humaines sacrifiées à la construction d’un chemin de fer à peine ébauché, les critiques haussèrent le ton pour blâmer « l’aventure africaine. » Le Roi ne se découragea point ; il obtint que les établissemens belges qui avaient participé à la formation du premier capital, garantiraient à la Compagnie le placement d’un emprunt de 6 millions et, de leur côté, les Chambres, après une discussion qui se prolongea deux ans (1894-1896), approuvèrent une convention par laquelle l’Etat belge portait sa souscription de 10 à 15 millions et accordait, en outre, la garantie du Trésor à une émission de 10 millions d’obligations. Pendant ce temps, les travaux se continuaient ; on était parvenu à trouver, en les payant fort cher, des travailleurs sénégalais aussi intrépides que résistans. Grâce à eux, la voie ferrée atteignait, en mars 1898, la rive du Stanley Pool, et la ligne des Cataractes était solennellement inaugurée sous la présidence du colonel Thys. La dépense totale atteignait 75 millions, au lieu de 25 qui avaient été prévus ; mais, à peine le chemin de fer terminé, la moyenne des recettes s’éleva à plus d’un million par mois ; aussitôt, dans le public, un « emballement « véritable succéda au scepticisme des premières années. Les parts de fondateur tombées, cinq ans auparavant, à 250 francs, montèrent à 10 000 ; les actions de 500 francs, tombées à 300, montèrent à 2 500[5]. On comprit, dès lors, que l’œuvre entreprise par Léopold n’était pas le rêve d’un esprit chimérique et que les considérations philanthropiques et humanitaires invoquées au début cachaient un but essentiellement pratique.
Cependant les premières années furent difficiles. Malgré les avances faites par la Belgique, malgré les largesses du Roi, qui versait tous les ans un million de sa poche, la dépense excédait de beaucoup les recettes. La conférence de Berlin avait imposé une condition très dure à l’Etat indépendant en stipulant que les marchandises importées au Congo resteraient affranchies de droits d’entrée pendant vingt ans au moins. Aussi, en 1890, les signataires de l’Acte général se trouvant réunis à Bruxelles, le Roi en profita pour faire réviser cet article ; il allégua « les dépenses nécessitées par la répression de la traite, » et se fit autoriser à établir des droits d’entrée ne pouvant excéder 10 pour 100 (seuls les spiritueux acquittent un droit plus élevé). Cette nouvelle ressource fut bientôt reconnue insuffisante : c’est alors que, suivant le conseil du capitaine Coquilhat, — mort depuis, vice-gouverneur du Congo, — Léopold modifia complètement la politique économique suivie jusqu’alors et qui consistait à favoriser de son mieux l’initiative privée. Sans doute une ordonnance du 1er juillet 1885 avait mis toutes les terres vacantes dans les mains de l’Etat, c’est-à-dire du Roi, mais en fait, celui-ci respectait les droits des noirs et laissait les particuliers trafiquer des produits récoltés par les indigènes.
Durant cette première période s’étaient fondées plusieurs sociétés (le « groupe de la rue Bréderode ») devenues très florissantes sous la direction du colonel Thys. Tout à coup, le 21 septembre 1891, un décret, que le public connut plus tard, car il ne fut pas inséré au Bulletin Officiel, ordonna aux agens de certains districts de « prendre les mesures urgentes et nécessaires pour conserver à la disposition de l’Etat les fruits domaniaux, notamment l’ivoire et le caoutchouc. » Il fut décidé, en outre, que « les commerçans qui achèteraient ces produits aux indigènes se rendraient coupables de recel et seraient dénoncés aux autorités judiciaires. » On se doute du tolle que provoqua une telle mesure. C’était un arrêt de mort pour les compagnies qu’on avait paru encourager jusqu’alors ; le colonel Thys, qui était officier d’ordonnance du Roi des Belges, mais, en même temps, administrateur de ces sociétés, entra dès lors en lutte ouverte avec le souverain de l’Etat indépendant et, rappelant les termes de l’Acte de Berlin, qui avait proclamé la liberté commerciale, il réclama la reprise immédiate du Congo par la Belgique. Après de longues, discussions qui eurent un écho retentissant dans la presse et au Parlement, on aboutit à une transaction : les compagnies (autrement dit le trust du colonol Thys) obtinrent leur part, « un os à ronger, » et la presque totalité du territoire fut exploitée directement par l’État ou par les sociétés nouvelles auxquelles l’État accorda des concessions. En effet, de par la raison du plus fort, la majeure partie du sol a été déclarée terre vacante ; l’on n’a laissé aux indigènes que l’utilisation des parcelles qu’ils possédaient et cultivaient à la date du 1er juillet 1885, c’est-à-dire à une époque où la majeure partie du Congo n’était pas explorée. Encore ne peuvent-ils disposer des produits de leur récolte que dans la mesure où ils en disposaient, à cette date ; or, à la suite d’une enquête menée en 1893-1894 par les agens de l’État, — partie intéressée dans la question, — il a été déclaré qu’on ne pouvait relever, chez les indigènes du Haut-Congo, une exploitation commerciale du caoutchouc, sauf dans une région où l’on s’est arrangé depuis pour les empêcher de vendre à d’autres qu’à l’État. Les nègres ont donc été réduits à l’état de servage sur leurs propres terres et parqués dans des espaces restreints. Du jour où le Congo s’est trouvé constitué en « État indépendant, » la population a été comme immobilisée dans sa situation économique. Elle ne faisait pas de caoutchouc avant 1885 ; elle aurait sans doute appris, depuis, la valeur commerciale de cette plante. Peu importe ! puisqu’elle l’ignorait avant le 1er juillet 1885, elle a perdu à tout jamais le droit de l’exploiter.
C’est ainsi que le roi Léopold est devenu le plus grand marchand de caoutchouc et d’ivoire, comme aussi le plus grand propriétaire foncier qui ait jamais existé.
L’immense territoire composé de toutes les terres déclarées vacantes en 1892, — c’est-à-dire à peu près tout le Congo, — pouvait se diviser, jusqu’à ces derniers temps, en trois parts[6] :
1° Le Domaine privé, érigé depuis 1900 en domaine national, d’où le souverain tire les revenus affectés aux dépenses publiques ; 2° Le Domaine de la Couronne, d’une étendue de 289 375 kilomètres carrés (environ dix fois la superficie de la Belgique) ; situé dans la plus riche région du Congo, il a été détaché du domaine privé en 1896, ainsi qu’on l’a appris, six ans plus tard, par le Bulletin Officiel. Les décrets qui l’ont doté lui donnent, en outre, le droit de prendre, dans le territoire de l’Etat, six mines à son choix. Administré par un comité de trois membres que désigne le souverain, il a constitué jusqu’au 5 mars dernier, une personne civile. Nul ne savait ce qui se passait dans ce mystérieux domaine où il n’y avait ni missionnaire, ni magistrat. Les revenus, montant à 8 ou 9 millions, d’après les uns, à 4 ou 5 seulement, d’après les autres, devaient être employés, suivant les expressions de M. de Smet de Nacyer (chef du cabinet belge de 1899 à 1907) à créer ou subsidier (sic), même après le décès du Roi-Souverain, des œuvres, des travaux et des institutions d’utilité générale, tant en Belgique qu’au Congo. Ces revenus ont servi à élever de somptueux monumens, tels que l’Arcade du Cinquantenaire à Bruxelles, à entretenir les serres de Laeken et à payer de nombreuses subventions à la presse.
3° Les terres concédées à de grandes compagnies commerciales, la Compagnie du Kassaï, le Comptoir commercial, la Mongala, l’Abir, etc. Les excès auxquels se sont livrés les agens de la Mongala et de l’Abir ont été tels que, sous la pression de l’opinion publique, l’Etat a dû en reprendre l’exploitation (12 septembre 1906), dans des conditions d’ailleurs très favorables à ces deux puissantes sociétés. Celles-ci ont encaissé des bénéfices énormes. Les actions de la Mongala, émises à 500 francs, ont rapporté jusqu’à 1 000 francs, et les actions de l’Abir jusqu’à 2 400 francs en un an. C’était donc une affaire merveilleuse pour les actionnaires. Principal intéressé dans ces Compagnies, le souverain leur a délégué le droit d’exiger des indigènes l’impôt en travail, et c’est un des principaux griefs soulevés contre l’Etat indépendant. L’administration avait omis de déterminer la nature et le taux de ces prestations, ainsi que les moyens de contrainte à employer pour leur recouvrement. On devine le résultat. Un décret en date du o décembre 1892 (non publié au Bulletin Officiel) ayant chargé le secrétaire d’Etat « de prendre toutes les mesures qu’il jugera utiles ou nécessaires pour assurer la mise en exploitation des biens du domaine public, » les agens se crurent tout permis pour faire rentrer l’impôt. Nul contrôle n’était exercé sur eux. Ils fixaient eux-mêmes le taux des prestations et en opéraient le recouvrement comme ils l’entendaient, souvent par les moyens les plus barbares et les plus iniques : « ils avaient un intérêt direct à en accroître le rendement puisqu’ils recevaient" des primes proportionnelles à l’importance des produits récoltés[7]. » A vrai dire, le travail fourni par les indigènes était rétribué, mais d’une façon absolument arbitraire : « parfois même ils étaient payés en marchandises n’ayant guère de valeur dans la région. » Il y eut d’incroyables abus ; enfin, en 1903, un désaccord étant survenu entre l’administration et le tribunal de Borna, celui-ci déclara que « dans l’état de la législation, nul ne pouvait forcer les indigènes au travail. » Cette décision amena le gouvernement à établir un régime fiscal uniforme pour tout le territoire. Le décret de 1903 oblige tout indigène adulte et valide à fournir des prestations en travaux qui ne peuvent excéder, au total, une durée de 40 heures effectives par mois. Ces travaux sont rémunérés, et « cette rémunération ne pourra être inférieure au taux réel des salaires locaux actuels. »
L’impôt est perçu, suivant les régions, soit en vivres : chikwangue (pain de manioc, principal aliment du pays), poisson, produits de la chasse, animaux domestiques ; soit en corvées : coupes de bois, portage, pagayage ; soit en produits du domaine : arachides, copal, surtout caoutchouc. Il y a aussi des districts comme celui du Kassaï où l’impôt se paie en croisettes (barres de cuivre en forme de croix de Saint-André).
Le décret de 1903 apparut d’abord comme un réel progrès, au point de vue humanitaire, sur la législation ou plutôt sur l’absence de législation antérieure. Il allait mettre un terme, pensait-on, à l’arbitraire pratiqué, jusqu’alors, par les agens de l’Etat. Or, à peine ce décret était-il lancé qu’une circulaire du gouverneur général, en date du 29 février 1904, faisait savoir aux commissaires de district que « l’application de la nouvelle loi sur les prestations devait avoir pour effet, non seulement de maintenir les résultats acquis pendant les années précédentes, mais encore d’imprimer une progression constante aux ressources du Trésor. » La conséquence fut que, dans certaines régions surtout, les noirs ont continué à être surchargés de travail ; ils sont obligés souvent de faire de longues marches pour se rendre à l’endroit de la forêt où ils trouvent en abondance les lianes à caoutchouc et, là, réduits à se battre, les armes à la main, avec des concurrens qui leur disputent la récolte. D’autres succombent sous les portages excessifs dont on les épuise. La population vit sous l’empire de la terreur dans l’attente des agens du fisc qui ne reculent devant aucun moyen pour « faire de l’impôt. »
Le nouveau système était depuis peu de temps en vigueur lorsque, de divers côtés, des protestations se firent entendre et une société philanthropique anglaise bien connue, l’Aborigine’s protection Society, crut devoir adresser des représentations au souverain du Congo. Comme, au bout de trois ans, la situation n’avait été en rien améliorée et qu’à ces représentations, l’Etat indépendant n’avait opposé que des réponses dilatoires, cette société en appela aux autorités et à l’opinion publique anglaises (septembre 1896). Une campagne très vive fut menée dans la presse britannique. Sir Charles Dilke se fit l’écho de ces protestations à la Chambre des communes et demanda au gouvernement de prendre l’initiative d’une conférence internationale en vue « d’adopter et de mettre à exécution de nouvelles mesures capables d’assurer aux indigènes de l’Afrique un traitement équitable. » Cette proposition, repoussée alors, fut reprise et volée à l’unanimité, six ans plus tard (20 mai 1903). Les puissances pressenties refusèrent d’y adhérer. Cependant, le mouvement de protestation grandissait en Angleterre, les accusations se précisaient ; mais elles devinrent si violentes qu’elles parurent outrées et n’émurent que faiblement l’opinion en Belgique. Néanmoins, le gouvernement de l’Etat indépendant jugea nécessaire d’y répondre. Il fit rédiger plusieurs plaidoyers destinés à confondre les calomniateurs en célébrant en termes dithyrambiques l’œuvre grandiose et philanthropique accomplie au Congo. Les promoteurs de la campagne anticongolaise n’étaient-ils pas suspects ? C’étaient des missionnaires protestans anglais, et l’on rappelait qu’ils ont toujours joué un rôle plus politique que religieux en cherchant à amener l’annexion par l’Angleterre des pays qu’ils furent appelés à évangéliser. On les a vus, au Transvaal, prendre prétexte des mauvais traitemens, soi-disant infligés par les Boërs aux indigènes, pour réclamer l’intervention britannique. Ces procédés sont traditionnels de la part des Anglais à l’égard des petites nations auxquelles ils veulent chercher noise. Ce qui les indigne, aujourd’hui, disait-on, ce ne sont pas les abus et les « atrocités » qu’ils dénoncent avec tant de fureur, mais bien la pensée que le caoutchouc et l’ivoire du Congo sont entre d’autres mains que les leurs et que le marché d’Anvers supplante ou contre-balance, pour ces produits, le marché de Liverpool.
Tandis que la polémique se poursuivait sur ce ton, le consul anglais à Boma, M. Robert Casement, fut chargé par son gouvernement de procéder à une enquête dans le Haut-Congo ; il en résulta la publication d’un rapport qui confirmait la plupart des critiques adressées à l’État indépendant. Ce rapport fit sensation non seulement en Angleterre, mais en Allemagne, en Italie et aux États-Unis ; le Congrès international de la paix, siégeant à Boston, demanda que l’État indépendant fût déféré devant la Cour d’arbitrage de la Haye. De tous les côtés, des pétitions se signaient… Sous la poussée de l’opinion, le roi Léopold, par un décret du 23 juillet 1904, nomma, à son tour, une Commission d’enquête composée de trois membres : M. Edmond Janssens, avocat général à la Cour de cassation de Belgique, le baron Nisco, Italien, président par intérim du tribunal de Borna, et le docteur de Schumacher, conseiller d’État et chef du département de la justice du canton de Lucerne. Ces commissaires, choisis par le Roi lui-même, ne pouvaient qu’être bien disposés pour son administration. Néanmoins, on chercha tout de suite à restreindre leurs, pouvoirs, en décidant que l’enquête serait faite conformément aux instructions du secrétaire d’État. Devant les clameurs que souleva cette disposition, le gouvernement se vit obligé de la retirer et de conférer aux enquêteurs « des pouvoirs sans limites pour recevoir tous témoignages quelconques. »
La Commission, partie en septembre 1904, employa quatre mois à visiter, entre Boma et Stanleyville, une partie du territoire congolais relativement peu étendue, mais fort importante au point de vue du rendement en caoutchouc.
Elle était de retour à Anvers au commencement de mars 1905. Trois mois plus tard, son travail était achevé et remis au gouvernement qui… le garda dans ses tiroirs. On célébrait à ce moment les fêtes du Cinquantenaire : il ne fallait pas les troubler ! Ce fut seulement le 5 novembre, que le rapport parut dans le Bulletin Officiel de l’État. L’effet fut formidable. Quelque atténués, peut-être un peu remaniés, qu’en soient les termes, quelque enveloppée que soit la pensée des rédacteurs sous des formes diplomatiques, et bien que les éloges y alternent habilement avec les critiques, ce fameux rapport n’en apparut pas moins comme le plus terrible réquisitoire qu’on pût lancer contre l’administration congolaise. Encore faut-il remarquer que les procès-verbaux de l’enquête n’ont pas été publiés, sous prétexte du « développement considérable qu’aurait pris ce travail, et de la difficulté qu’il y aurait eu à faire la lumière sur certains faits déjà anciens, et pour lesquels tout contrôle était impossible. De plus, les plaignans avaient souvent mis en cause des personnes décédées ou rentrées en Europe. » Parmi celles-ci figuraient, en effet, le directeur de l’Abir, — qui, après avoir été interrogé trois fois par la Commission, disparut à la quatrième audience, et partit subitement pour l’Europe, — et aussi le commissaire général Costermans, qui s’était suicidé au moment de l’arrivée des enquêteurs à Boma.
Cependant les défenseurs de Boula-Matari[8] essayèrent de faire bonne contenance : ne voulant retenir de ce document que les lignes où est signalée la part incontestable du bien (transformation du pays, suppression de la traite, interdiction de l’alcool) dans l’œuvre accomplie au Congo, ils prétendirent, contre l’évidence même, que la Commission avait tout loué, tout admiré au cours de son enquête ; les quelques abus signalés n’étaient que des cas isolés, et toujours le fait d’indigènes employés comme agens inférieurs… Mais comment l’opinion publique n’aurait-elle pas été frappée de voir d’éminens magistrats, désignés par le Souverain, dénoncer en toute franchise des faits tels que ceux-ci : l’interprétation rigoureuse des décrets sur le régime foncier « enserre l’activité des indigènes dans des espaces très restreints et immobilise leur état économique (p. 152) ? Les noirs sont, pour ainsi dire, à la merci des autorités locales ou des sociétés concessionnaires qui peuvent, quand elles le veulent, arriver à de crians abus (p. 153). L’impôt des quarante heures se transforme, pour beaucoup d’indigènes, en une incessante corvée (p. 176). Le portage épuise les malheureuses populations qui y sont assujetties et les menace d’une destruction partielle (p. 188). Des actes de violence graves ont été commis dans plusieurs districts et, en particulier, dans les régions exploitées par certaines sociétés commerciales, » et ces violences étaient, non une exception, comme on l’a prétendu, mais « une règle habituellement suivie (p. 197). Les sentinelles (noirs armés d’un fusil et chargées de surveiller le travail des indigènes dans la forêt, se sont livrées à des crimes et à des excès sans nombre (p. 198-200). Les promenades militaires ayant pour but de rappeler les indigènes à leur devoir, deviennent souvent des expéditions guerrières dégénérant en massacres accompagnés de pillage et d’incendie… Le vague, l’imprécision des ordres donnés et, dans certains cas, la légèreté de celui qui était chargé de les mettre à exécution ont ou fréquemment pour conséquence des meurtres non justifiés (p. 213, 216, 217), » etc., etc.
Ces quelques exemples, pris au hasard dans un rapport qui ne compte pas moins de cinquante pages, prouvent assez que tout n’était pas imaginaire dans les accusations britanniques. Léopold II l’a loyalement reconnu dans un document dont nous parlerons plus loin, et voici comment il s’exprime à cet égard :
Il y a eu des désordres : ils sont inséparables de toute œuvre humaine. Si l’on voulait relever seulement pendant un mois les actes délictueux qui se commettent, fût-ce en temps ordinaire, dans les grandes villes du monde, et même dans les campagnes, on serait épouvanté des tableaux qu’on aurait sous les yeux. Il y a des crimes au Congo, beaucoup moins fréquens, en réalité, que ne le prétendent certains détracteurs, mais encore en trop grand nombre, comme le prouve la liste déjà longue des peines prononcées.
On a beaucoup admiré la sincérité de cet aveu ; mais, à le lire, il semblerait qu’il ne se passe rien d’anormal au Congo : là, comme en tous pays, malheureusement, il y a des désordres que la justice cherche à réprimer. Rien de plus. C’est ce qu’il semble difficile d’admettre. La véritable cause des crimes commis dans l’État indépendant, c’est le système fiscal appliqué depuis 1891 et qui, bon gré mal gré, pousse les fonctionnaires à abuser des indigènes et à employer envers eux des rigueurs vraiment inouïes pour obtenir un plus grand rendement en impôts ou en corvées. Certes, on a pu signaler des désordres, voire même des « atrocités » ailleurs. Ainsi que le dit M. Paul Leroy-Beaulieu, « chez les trois quarts des Européens venus aux colonies, il couve une âme de négrier, » et nous savons qu’au Congo français notamment, certains agens, grisés par leur situation indépendante, excités par le soleil tropical et trop âpres au gain, se sont livrés parfois à d’abominables excès, mais ce sont là des cas isolés ; ils ne peuvent en rien être comparés aux faits qu’on a constatés dans l’Etat indépendant, où les abus prennent facilement un caractère collectif. En effet, le grand inconvénient que la Commission d’enquête a dû reconnaître au Congo léopoldien, c’est l’identification de l’Etat avec les entreprises commerciales ; les agents commerciaux sont en même temps des fonctionnaires, et « la loi charge de la répression des abus celui qui semble intéressé à les commettre. » Tant que cette confusion d’attributions existera, les réformes ne seront qu’un vain mot. Certes, on envoie, de Bruxelles, des prescriptions humanitaires, mais elles resteront à l’état de lettre morte tant qu’on les accompagnera d’instructions telles que celle-ci (citée par le P. Cus dans sa note à la Commission d’enquête) : Portez à cinq tonnes par mois votre rendement en caoutchouc.
Il était impossible de ne point donner une sanction aux conclusions du rapport. Une Commission fut donc nommée par l’Etat, — c’est-à-dire par le souverain, — pour examiner les réformes proposées par les enquêteurs ; mais on regrettait de n’y voir figurer ni un missionnaire, ni un seul des officiers et des autres personnages compétens auxquels il aurait été naturel de s’adresser. En revanche, on y remarquait sept membres de cette administration même dont on faisait le procès. La presse belge, restée longtemps muette sur la question congolaise, la discutait maintenant avec passion. Coup sur coup parurent, à Bruxelles, diverses publications appelées à frapper l’opinion ; les plus remarquables furent, d’une part, la brochure intitulée : Vingt-deux ans d’administration belge au Congo (l’auteur anonyme ne tarit pas en éloges sur l’administration de l’État indépendant ; il nie qu’il y ait une question du Congo en Belgique : « C’est en Angleterre seulement qu’on cherche à en créer une ; ») d’autre part, l’important ouvrage de M. Cattier, professeur à l’Université de Bruxelles, et celui du B. P. Vermeersch. Ces deux auteurs, — l’un appartenant au parti libéral, l’autre, religieux de la Compagnie de Jésus, — diffèrent souvent dans leur manière de voir sur les réformes à introduire, mais tous deux s’accordent pour réclamer, comme les enquêteurs eux-mêmes, la réorganisation complète de l’administration et la refonte du régime fiscal. Tous deux s’accordent aussi pour réclamer la prompte annexion du Congo à la Belgique. M. Cattier condamne la suppression de la liberté commerciale, la création de l’impôt en travail (dont la Commission admettait le principe), les complaisances de l’État envers les compagnies concessionnaires. Il attaque avec une vigueur extrême la fondation du Domaine de la Couronne.
Le R. P. Vermeersch, sous une forme moins acerbe, adresse aussi de nombreux reproches à l’Etat indépendant : en ce qui concerne les franchises commerciales stipulées à Berlin, il se contente d’exposer les faits. Il s’intéresse peu aux griefs des puissances européennes, car « elles ont bec et ongles pour se défendre, et telle fut parfois leur politique qu’on pourrait peut-être, avec quelque raison, les prier de porter d’abord leur attention sur la poutre qu’ils ont dans l’œil. » En revanche, il blâme vivement le système fiscal établi en 1891, et signale tous les abus qui en ont découlé. Il conclut en demandant « que le Congo reste une œuvre belge, mais aussi une œuvre qui soit digne des Belges. »
L’ouvrage de M. Cattier avait paru depuis peu, la Question congolaise du R. P. Vermeersch venait de paraître et, entre ces deux publications, une interpellation de M. Vandervelde au sujet des devoirs qui incombent à la Belgique comme puissance signataire de l’Acte de Berlin, avait provoqué de violens débats à la Chambre quand on apprit que la Commission chargée d’examiner le fameux rapport avait remis ses conclusions entre les mains du Roi (avril 1906). Deux mois plus tard, le Bulletin Officiel de l’Etat publia une série de documens importans, parmi lesquels un décret de réformes renfermant de nombreuses clauses favorables aux indigènes et qui, si elles sont appliquées, modifieront heureusement leur sort : ainsi l’Etat ne leur accordait naguère que l’utilisation des étroites bandes de terre où ils habitent et qu’ils cultivent. Désormais, le gouverneur général ou le commissaire du district pourront attribuer à chaque village une superficie de terre, triple de l’étendue habitée ou cultivée par les noirs. Les indigènes sont autorisés à chasser dans les terres et les forêts domaniales, à pêcher dans les fleuves, rivières, lacs et étangs, en observant les lois et décrets très sévères qui réglementent cette matière (la chasse à l’éléphant reste interdite, bien que ces pachydermes causent souvent de terribles ravages dans les cultures). Citons encore les garanties prises pour que le nombre d’heures de travail correspondant à l’impôt ne dépasse point quarante heures par mois ; l’interdiction de charger les sentinelles de faire rentrer l’impôt ; l’introduction (depuis longtemps réclamée) d’une monnaie à laquelle s’habitueront vite les indigènes et qui facilitera, en les rendant plus équitables, les payemens qu’on leur fait, etc., etc.
Un décret spécial érige en Domaine national, sous la gérance d’un conseil de six membres nommés par le souverain, les biens administrés en régie par l’Etat et les mines non encore concédées. C’était ce qu’on nommait auparavant le Domaine privé.
Un autre décret alloue un prix de 200 000 francs à quiconque découvrira le remède propre à guérir cette cruelle maladie du sommeil qui décime l’Afrique équatoriale depuis quelques années ; en outre, un crédit de 300 000 francs est ouvert pour les recherches nécessaires à cette découverte.
Quelle que fût l’importance de ces documens, l’attention publique fut beaucoup plus attirée par la publication d’un codicille au testament royal de 1889 et d’une lettre adressée par le souverain à ses secrétaires généraux. Les prétentions émises, le ton même de cette lettre, si différent de celui qu’employait Léopold II dans ses précédentes déclarations, étaient de nature à provoquer l’inquiétude chez les Belges. Ceux-ci considéraient, depuis longtemps, le Congo comme devant leur revenir un jour : aussi, malgré les répugnances et les hésitations de la première heure, n’ont-ils pas ménagé leur concours à l’Etat indépendant dans la personne de leurs officiers, de leurs missionnaires, de leurs hommes politiques, les Lambermont, les Banning, les Beernaert, et tant d’autres. En outre, au point de vue financier, il est bon de rappeler que les Chambres ont voté : en 1887, rémission d’un emprunt à lots de 150 millions ; en 1889, une souscription de 15 millions pour le chemin de fer des Cataractes ; en 1890, un prêt de 25 millions non productif d’intérêts pendant dix ans. Par cette convention, le gouvernement s’engageait à ne contracter désormais aucun nouvel emprunt sans l’assentiment de la Belgique ; or, lorsque, au début de l’année 1895, il fut question d’annexer le Congo, l’Etat indépendant lit connaître aux Chambres qu’il s’était vu obligé de contracter avec un banquier d’Anvers (M. de Browne de Tiège), et dans des conditions fort onéreuses (6 pour 100), un emprunt remboursable par plus de 5 millions de francs. Il était stipulé qu’en cas de non-payement à l’échéance du 1er juillet 1895, le prêteur deviendrait propriétaire d’un territoire de 16 millions d’hectares, — plus de cinq fois la superficie de la Belgique ! — Les Chambres, pour parer au péril, votèrent une somme de 6 850 000 francs destinée tout à la fois à rembourser le banquier anversois et à couvrir l’insuffisance des ressources budgétaires du Congo. Enfin, en 1901, le Parlement déclarait abandonner le recouvrement des avances qu’il avait consenties, à moins cependant que la Belgique ne renonçât à l’annexion projetée. Cette question de l’annexion qui avait déjà été posée sans succès en 1895 et qui aurait dû être résolue définitivement en 1901, fut encore ajournée : le souverain ne jugeait pas le moment propice, mais il confirma, par une lettre officielle à M. Wœste, les droits acquis à la Belgique en vertu du testament royal de 1889 et de la Convention intervenue, en 1890, entre l’Etat belge et l’Etat indépendant.
On conçoit donc l’étonnement des sujets de Léopold à la lecture de la lettre où, non content de repousser fièrement toute ingérence étrangère, — ce qui ne pouvait que flatter l’orgueil national, — le Roi déclare le Congo son bien propre et s’attache à « rectifier les fausses notions juridiques que d’aucuns répandent sur la situation de droit et de fait de l’Etat indépendant. »
La Belgique a bien voulu m’aider de ses deniers dans quelque mesure. Mais le soin de constituer le nouvel État m’a incombé exclusivement. Le Congo a donc été et n’a pu être qu’une œuvre personnelle. Mes droits sur le Congo sont sans partage ; ils sont le produit de mes peines et de mes dépenses. Vous devez ne pas cesser de les mettre en lumière, car ce sont eux et eux seuls qui ont rendu possible et légitime mon legs à la Belgique. Ces droits, il m’importe de les proclamer hautement, car la Belgique n’en possède pas au Congo en dehors de ceux qui lui viendront de moi. Si je n’ai garde de laisser péricliter mes droits, c’est bien par patriotisme et parce que, sans eux, la Belgique serait absolument dépourvue de tout titre.
À cette déclaration le Roi joignait une clause par laquelle la Belgique, si elle voulait entrer en possession de sa colonie, devait s’engager à respecter à tout jamais la fondation du Domaine de la Couronne et l’établissement du Domaine national, « à ne diminuer par aucune mesure l’intégrité de ces institutions sans leur assurer en même temps une compensation équivalente. »
Les précautions prises par le souverain « pour mettre à l’abri contre tout gaspillage et tout pillage, le patrimoine du Congo, » montrent à quoi point il se méfie de la façon dont la colonie sera administrée quand il ne se trouvera plus au gouvernail pour la diriger suivant ses vues ; c’est pourquoi il a toujours cherché à retarder le plus possible l’heure de l’annexion.
Seuls, disait-il dans sa lettre, les adversaires du Congo poussent à une annexion immédiate. Ces personnes espèrent sans doute qu’un changement actuel de régime ferait chavirer l’œuvre en cours de progrès et leur permettrait de recueillir de riches épaves.
Ce langage provoqua de vifs commentaires. Le Roi, en léguant le Congo à la Belgique, avait solennellement déclaré que, même de son vivant, le pays pourrait s’annexer l’Etat indépendant avec les biens, droits et avantages attachés à la possession de cet État, ajoutant « qu’il refusait expressément toute indemnité du chef des sacrifices qu’il s’est imposés. » Avait-il le droit, seize ans plus tard, de subordonner son legs à des conditions aussi onéreuses ? Tout testament est un acte révocable, mais le testament de 1889 a été suivi d’un engagement contractuel entre le Roi et la nation qui lie également les deux parties. D’ailleurs, l’entreprise du Congo a été réalisée par Léopold II, roi des Belges ; elle n’aurait pu l’être par Léopold de Saxe-Cobourg.
La pérennité du Domaine de la Couronne, puissance formidable aux mains du Roi, soulevait, en particulier, des objections qui furent longuement développées par des orateurs, tant de la droite que de la gauche, quand se rouvrit, à la Chambre, le débat sur le Congo en novembre 1906. Les ministres répondirent en s’étonnant de voir manifester tant d’ingratitude envers l’auguste donateur auquel on méconnaissait le droit de se réserver une propriété privée dans l’immense ; territoire légué à la Belgique ; et cette propriété, il se la réservait, non pour en profiter, mais pour doter le pays de fondations utiles et de beaux monumens ! Les défenseurs de la Couronne rappelaient l’exemple du duc d’Aumale qui, en donnant Chantilly à l’Institut de France, a grevé son legs de nombreuses obligations artistiques, littéraires et charitables. Pourquoi ne serait-il pas permis au roi des Belges d’en faire autant ? Les contradicteurs répliquèrent qu’il est impossible de comparer un pareil legs, si important soit-il, à une fondation comme le Domaine de la Couronne. D’ailleurs, le duc d’Aumale, en grevant son legs de différentes obligations, laissait à l’Institut des ressources plus que suffisantes pour entretenir richement le musée de Chantilly. Le Congo, au contraire, a peine à se suffire à lui-même. Dès lors, comment admettre qu’un vaste territoire formant une sorte d’Etat dans l’Etat, gouverné par un triumvirat et ayant sa constitution et son budget, soit détaché de la colonie pour fournir les ressources nécessaires à bâtir par exemple, une Walhalla à Bruxelles ou à doter Ostende d’une reproduction du Palazzo Vecchio de Florence ! Plusieurs orateurs ont rappelé ce principe, naguère proclamé par l’association économique américaine et aujourd’hui généralement reconnu, que « les finances de chaque colonie doivent être administrées exclusivement dans l’intérêt de la colonie et de son développement, et non dans l’intérêt de la métropole. »
Finalement, après une discussion qui se prolongea durant trois semaines la Chambre adopta, le li décembre 1906, par 128 voix contre 2 et 29 abstentions, un ordre du jour auquel le gouvernement se rallia et qui peut se résumer ainsi :
La Belgique, appelée par le testament royal du 2 août 1889 à recueillir la pleine souveraineté de l’État indépendant, possède aussi le droit de reprendre le Congo en vertu de la lettre royale du 5 août 1889 et de la loi du 10 août 1901 ; il est de l’intérêt du pays de se prononcer du vivant du Roi sur la question de la reprise. Les déclarations contenues dans la lettre du 3 juin 1906 ne sont pas des conditions, mais des recommandations solennelles ; la reprise laissera entières la liberté et la souveraineté de la Belgique : la convention de cession n’aura pour objet que de réaliser le transfert et de prescrire les mesures d’exécution : le pouvoir législatif belge réglera en pleine liberté le régime des possessions coloniales.
Les passages que nous avons soulignés montrent les graves concessions faites par le gouvernement pour obtenir l’adhésion de la Chambre. Le Roi, qui suivait le débat par téléphone, s’était vu finalement forcé d’abandonner les prétentions formulées dans sa lettre du 3 juin, et les conditions mises par lui à sa donation n’étaient plus maintenant que « des recommandations solennelles. »
A la suite du vote de la Chambre, une Commission parlementaire, composée de 17 membres appartenant à tous les partis, fut chargée d’élaborer un nouveau projet de loi coloniale. Les XVII, — comme on les appelle en Belgique, — se réunirent pour la première fois le 31 janvier 1907 sous la présidence de M. Schollaërt, et M. de Smet de Naeyer déclara que le gouvernement était prêt à donner son concours pour fournir les dominions nécessaires à l’élaboration de la loi ; mais, dans les réunions suivantes, la plupart des questions relatives au Congo furent éludées ou repoussées comme indiscrètes (M. Wœste a même dit impertinentes) en vertu de la fiction d’après laquelle « le Congo est un État indépendant qui ne peut être mis en demeure de répondre à un questionnaire. » « Nous devons, ajouta le président, éviter de donner des armes au Times ! » D’ailleurs, la Commission n’avait pas à s’occuper du Congo, mais seulement à préparer un projet de loi coloniale.
Cependant, le ministère présidé par M. de Smet de Naeyer étant tombé (avril 1907), M. de Trooz, chef du nouveau Cabinet, annonça aux Chambres que le gouvernement avait l’intention de présenter, avec la loi coloniale, un projet de transfert de l’État indépendant à la Belgique.
Cette résolution était inattendue. Le Roi n’avait-il pas déclaré, onze mois auparavant, que « seuls les adversaires du Congo poussaient à une annexion immédiate ? » Le mouvement de l’opinion, et surtout la pression menaçante de l’Angleterre, l’ont forcé à hâter une solution qu’il aurait voulu ajourner encore. C’est en effet de l’Angleterre, nous l’avons dit, que sont venues les premières, comme aussi les plus persistantes et les plus énergiques protestations contre le régime congolais. Il y avait à cela plusieurs explications vraisemblables : d’abord, la fureur des commerçans de Liverpool indignés de voir l’État indépendant accaparer l’ivoire et le caoutchouc du Congo, malgré les clauses formelles du traité de Berlin ; peut-être la jalousie de certains protestans devant le succès des missions catholiques ; enfin, chez quelques hommes d’État britanniques, l’idée de derrière la tête d’évincer la Belgique d’une partie, tout au moins, de cette riche région et de s’y installer à sa place. Sans doute la France a un droit de préférence que l’on ne songe pas à contester jusqu’ici, mais dont aussi l’on ne se préoccupe guère, car il paraît douteux que la République française, qui a déjà fort à faire dans son propre Congo, tienne beaucoup à agrandir sa colonie de l’immense Congo léopoldien. L’Angleterre a dû penser qu’il lui serait facile, le cas échéant, de recommencer ici ce qui lui a déjà réussi ailleurs et de nous faire renoncer à nos droits… moyennant quelques compensations.
Il serait pourtant injuste d’attribuer des motifs intéressés à l’Angleterre tout entière. C’est avec un sincère sentiment d’indignation, sans doute, que les membres de la Congo Reform Association ont déclaré, dans leurs écrits et dans leurs meetings, une guerre acharnée à l’Etat indépendant. Le Cabinet de Saint-James s’est associé à ce mouvement. Il y a deux ans et demi (pour ne pas remonter plus haut), sir Edward Grey, ministre des Affaires étrangères, chargea sir Edward Harding de présenter des observations à Bruxelles sur les abus constatés par le rapport de la Commission d’enquête et qui avaient été, depuis longtemps, dénoncés par les consuls anglais. « Le gouvernement de Sa Majesté, ajoutait-il, a constaté avec beaucoup de regret et de surprise que le rapport a été publié sans les dépositions des témoins, » et il insistait pour que cette publication fût faite d’une façon complète avec celle des travaux de la Commission des réformes. À cette sorte d’ultimatum il fut répondu, par l’organe de M. de Cuvelier, secrétaire général, « qu’aucune puissance étrangère n’avait le droit d’intervenir dans l’administration intérieure de l’Etat indépendant. Le gouvernement anglais pouvait intervenir en faveur de ses propres sujets dans le cas où les droits de ceux-ci seraient lésés au Congo, mais il n’avait pas à s’occuper des indigènes. »
L’orgueil britannique, froissé de cette réponse hautaine, se montra encore plus irrité de la lettre du 3 juin 1906 où le roi Léopold repousse d’une façon catégorique toute velléité d’ingérence dans ses affaires : à la Chambre des lords, le marquis de Lansdowne déclara, d’accord avec le gouvernement, que « l’Angleterre n’admettrait certainement pas les prétentions extraordinaires émises par le chef de l’Etat indépendant. » A la Chambre des communes, sir George Parker traita le manifeste du 3 juin de défi extraordinaire au monde civilisé. D’autres orateurs attaquèrent violemment, non le roi Léopold, monarque constitutionnel pour lequel les Anglais professent la plus vive sympathie, mais le souverain du Congo « qui leurre l’Europe comme elle ne fut jamais leurrée par aucun potentat, et qui, après s’être installé dans l’Afrique équatoriale en invoquant des motifs de civilisation et de philanthropie, y applique le plus terrible instrument d’oppression et de cruauté que le monde ait jamais connu. » Les réformes annoncées par les décrets du 3 juin furent qualifiées de leurre et de bluff. Enfin, le ministre des Affaires étrangères déclara que l’Angleterre était animée de bonnes dispositions pour la Belgique, et désirait lui faciliter l’annexion du Congo ; mais, ajouta-t-il en terminant, nous n’attendrons pas indéfiniment. Quelques mois plus tard, sir Edward Grey disait encore : « Le sentiment est unanime en Angleterre sur cette question : sentiment honnête, désintéressé, n’ayant rien de politique… Nous ne voulons pas empêcher la Belgique d’invoquer ses titres pour annexer le Congo, mais il faudrait qu’elle y changeât complètement le système de gouvernement. Ce faisant, elle trouvera chez nous bon vouloir, aide et encouragemens. Quelle que soit l’intention des puissances, il nous serait impossible d’accepter plus longtemps l’état de choses actuel sans examiner de très près quels sont nos droits et quelles sont nos obligations au Congo. » Le chef du Foreign Office a renouvelé ces déclarations, au cours de l’année dernière. Certains membres de la Chambre des communes s’étant plaints de la trop grande longanimité du gouvernement britannique, sir Edward répondit que, vu le changement du Cabinet belge, il était juste d’observer l’expectative pendant un temps raisonnable ; « mais, a-t-il ajouté, je répéterai ce que j’ai déjà dit : je ne crois pas que nous puissions attendre indéfiniment… Nous avons été jusqu’ici les meilleurs amis de la Belgique, et des temps peuvent venir où elle regrettera de ne l’avoir pas reconnu… mais il faut qu’elle opère une transformation complète au Congo. On peut nous donner autant de réformes qu’on voudra ; ce que nous demandons, ce sont des résultats. »
Quoi qu’on pense de cette ingérence étrangère et des conseils d’amis qui s’imposent de la sorte, il était impossible à un petit pays comme la Belgique de n’en pas tenir compte, et au roi Léopold de persister dans son attitude intransigeante. La Commission des XVII reprit donc ses travaux (septembre 1907) pour discuter le projet de loi coloniale. En même temps, les plénipotentiaires du souverain du Congo négocièrent avec les plénipotentiaires du roi des Belges le traité de cession que M. de Trooz déposa le 3 décembre sur le bureau de la Chambre.
Les journaux officieux déclarèrent aussitôt que ce projet qui obligeait la Belgique à respecter toutes les fondations existantes au Congo, était à prendre ou à laisser, et que le Parlement n’avait qu’à accepter ou à repousser l’annexion sans en discuter les clauses. Cependant, le maintien de la Fondation de la Couronne soulevait une vive opposition dans tous les partis. L’opinion du petit groupe socialiste était connue d’avance, mais une fraction importante de la droite, ayant à sa tête M. Beernaërt, — qui fut un des principaux collaborateurs du Roi au début de l’entreprise africaine, — et M. de Lantsheere, tout en se montrant favorable au principe de l’annexion, manifestait hautement son hostilité à l’égard du projet. La gauche libérale, de son côté, se déclarait résolue à le rejeter. Dans ces conditions, une crise gouvernementale semblait imminente quand, dans les premiers jours de janvier 1908, la mort subite de M. de Trooz et son remplacement par M. Schollaërt vinrent modifier la situation. Le nouveau chef du Cabinet a reconnu, dans sa déclaration ministérielle, que « la teneur du traité avait soulevé certaines appréhensions dans beaucoup d’esprits, même chez les citoyens dévoués à la politique coloniale et admirateurs de l’œuvre du souverain. » Le bruit courut que le premier ministre avait fini par obtenir du Roi l’abandon de la Fondation de la Couronne. Néanmoins, les pourparlers se prolongeaient quand l’attitude du gouvernement britannique et le langage tenu par Edouard VII lui-même dans son discours du trône à la Chambre des lords, le 29 janvier, prouvèrent au roi Léopold la nécessité d’aboutir enfin à une solution.
Mon gouvernement, avait dit le roi Edouard, a la pleine conscience de la grande anxiété ressentie au sujet du traitement qui est infligé à la population indigène du Congo. L’unique désir de mon gouvernement est de voir le gouvernement du Congo administrer l’État avec honnêteté et conformément à l’esprit de l’Acte de Berlin. J’ai la confiance que les négociations actuellement en cours, entre le souverain de l’Etat du Congo et le gouvernement belge, produiront ce résultat.
Cette intervention directe du roi Edouard dans l’affaire congolaise causa une vive impression à Bruxelles. Trois semaines plus tard, le lord-maire de Londres, les magistrats de la Cité, revêtus de leur costume de cérémonie, et d’autres hauts personnages assistaient à la grande manifestation organisée par la Congo Reform Association, donnant ainsi, par leur présence, une sorte de sanction au violent réquisitoire dressé par le secrétaire de la Société, M. Harris, contre le souverain de l’Etat indépendant qu’il a placé « au-dessous du Sultan » et comparé à « Néron et Pizarre réunis. » En même temps était publié un Livre blanc contenant les rapports des consuls de la Grande-Bretagne qui ont parcouru le Congo durant le cours de l’année dernière : ces rapports tendent à prouver que, presque partout, des instructions et des circulaires ont modifié, au détriment des indigènes, le sens apparent des décrets de réforme et qu’en somme la situation n’est pas changée : l’impôt en travail demeure excessif ; l’emploi de la monnaie n’a guère fait de progrès. « Ce régime, conclut le consul Thesiger, est une des causes de dépopulation ; le long de la frontière, les indigènes se sauvent sur la rive française ; ailleurs, les populations surmenées et mal nourries sont ravagées par la petite vérole et la maladie du sommeil. »
Il faut ajouter, d’ailleurs, que ce « Livre blanc, » aussitôt traduit en français à Bruxelles, a déjà reçu une réponse de l’Etat indépendant, s’attachant à réfuter les allégations des consuls anglais et constatant que ceux-ci se gardent d’établir aucune comparaison entre le Congo belge et les colonies voisines.
Pour la neuvième fois depuis cinq ans, la question congolaise revint devant le Parlement britannique, à la fin de février dernier : les orateurs furent unanimes à déclarer que la situation était intolérable et qu’il fallait en finir, « car, depuis trop longtemps, le souverain du Congo berne les puissances européennes et les empêche d’arriver à une solution. »
« Je sais parfaitement, répondit sir Edward Grey, que les sentimens si intenses qui viennent d’être exprimés dans cette enceinte sont l’écho fidèle de ceux qu’éprouve la nation tout entière. On peut affirmer que, pendant ces trente dernières années, aucune des questions de politique extérieure n’a plus violemment et plus profondément ému le pays. » Il termina en se ralliant à l’ordre du jour de M. Leif Jones qui invitait le gouvernement à faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir un changement de système au Congo.
Cet ordre du jour fut adopté par acclamations. Cependant les négociations continuaient, à Bruxelles, pénibles et laborieuses, entre le Roi et le premier ministre qui, désespérant de trouver un terrain d’entente avec le souverain, fut, dit-on, sur le point de donner sa démission. L’opinion publique s’inquiétait de ces pourparlers interminables. « Catilina est à nos portes, — écrivait, le 1er mars, M. Wauters, l’éminent directeur du Mouvement géographique, — et nous délibérons toujours. »
Enfin, le 5 mars, M. Schollaërt, après une dernière entrevue avec le Roi, déposait sur le bureau de la Chambre l’ « acte additionnel au traité de cession du Congo. » La Fondation de la Couronne est supprimée ; les biens qu’elle possédait font retour au souverain qui, de son côté, abandonne à l’Etat les terres d’Afrique, le portefeuille de la Fondation ainsi que certains immeubles situés en Belgique et sur la côte d’Azur (au cap Ferrat). Parmi ces immeubles, il en est une partie dont le Roi garde l’usufruit sa vie durant. Au Congo (dans le Mayumbé) il se réserve, en pleine propriété, 40 000 hectares de terres pour y poursuivre des expériences de culture en caféiers et cacaoyers. La cession est grevée de nombreuses obligations, savoir :
Une rente de 120 000 francs au prince héritier jusqu’à ce qu’il monte sur le trône et une rente de 75 000 francs à la princesse Clémentine jusqu’à son mariage ; une rente de 60 000 francs aux administrateurs de la Fondation et à leur personnel ; une subvention annuelle de 65 000 francs aux missionnaires de Scheut. Une somme de 400 000 francs doit être consacrée, chaque année, au maintien, au renouvellement et au développement de certaines collections coloniales et aux serres tropicales de Laeken. L’État belge s’engage à respecter les concessions faites, il y a quelques mois, à l’American Congo Company et à la Compagnie forestière et minière. Il prend à sa charge tout ce qui, dans les sommes dues par la Fondation de la Couronne, intéresse spécialement la Belgique. Cette charge s’élève à 1 133 000 francs. L’État Belge est substitué aux droits et aux obligations de la Fondation concernant les travaux somptuaires commencés ou projetés à Bruxelles, à Ostende et à Laeken. Un fonds spécial de 45 millions (le Roi en demandait 60) sera créé, et affecté au paiement de ces travaux, sous le contrôle de la Cour des comptes.
Il y aura en outre à créer, à charge de la colonie, un fonds spécial de 50 millions, payables en 15 annuités. Ce fonds est attribué au Roi, en témoignage de gratitude, et doit être affecté par lui (et, pour le fonds non engagé à sa mort, par ses successeurs) à des destinations à son choix mais toujours relatives au Congo.
Ces conditions assez onéreuses ont immédiatement soulevé de nombreuses objections. De même qu’un légataire n’accepte que sous bénéfice d’inventaire un héritage impliquant des charges et des responsabilités considérables, les Belges, gens en général fort pratiques, avant d’accepter les cadeaux qu’on fait ainsi miroiter devant leurs yeux, demandent à vérifier. Jusqu’à ces derniers temps, ils ont été très imparfaitement renseignés sur la situation financière du Congo, car toutes les questions posées à ce sujet étaient écartées par le gouvernement comme indiscrètes ou inopportunes. Ainsi, de 1893 à 1906, l’État indépendant s’est borné à publier, au début de chaque exercice, les prévisions budgétaires sans révéler ensuite si elles avaient été atteintes ou dépassées. Nous savons aujourd’hui que le déficit a été la règle durant cette longue période ; depuis 1900 seulement, recettes et dépenses s’équilibreraient aux environs de 35 millions de francs. Dans ce chiffre n’entre pas le budget du Domaine de la Couronne qui a formé, jusqu’à ce jour, une administration séparée. Cette Fondation étant supprimée, ses revenus, — dont on continue à ignorer le montant, — vont grossir les finances de la future colonie ; d’un autre côté, les charges nouvelles imposées par l’Acte additionnel s’élèvent à 4 600 000 francs en chiffres ronds. L’opposition a vainement demandé des explications au sujet d’un prêt de 30 millions fait, en 1906, par l’Etat du Congo à la Fondation de la Couronne et dont l’emploi n’a jamais été bien déterminé. On s’étonne que l’Etat indépendant, alors qu’il bouclait difficilement son budget, ait pu avancer pareille somme en échange de laquelle le souverain lui a cédé dernièrement des immeubles, tels que la Tour japonaise de Laeken, le portique-promenoir d’Ostende, un chalet et des serres à Middelkerke, un chalet et un jeu de golf à Clemskerke, etc.
L’exposé des motifs déclare que l’Etat a un passif de 114 millions et un actif de 121 millions, chiffre dont une partie est représentée par des titres et par des immeubles (situés en Belgique) dont la valeur paraît bien surfaite.
Il n’y a pas à se dissimuler que les recettes de la colonie diminueront dans de notables proportions, non seulement par suite de la suppression du travail forcé, mais aussi parce que l’exploitation intensive qui a marqué la période de 1896 à 1904 semble avoir épuisé certaines régions. En outre, le caoutchouc, malgré le débit considérable qui s’en fait grâce à l’industrie automobile, est en train de subir une forte dépréciation parce qu’on en a planté dans toutes les régions équatoriales et que le caoutchouc de Ceylan, de Malaisie, de Sumatra, des Philippines, commence à lutter victorieusement avec le caoutchouc du Congo et du Brésil. Or, ce produit est actuellement la seule véritable richesse du Congo : on ne peut plus trop compter sur l’ivoire (les réserves d’ivoire mort accumulées par les indigènes et qui rapportèrent de gros bénéfices durant les premières années étant aujourd’hui épuisées). Les plantations de caféiers et de cacaoyers ne donnent qu’un rendement dérisoire. L’annexion va donc coûter cher à la Belgique. M. de Smet de Naeyer n’a-t-il pas reconnu lui-même qu’on devra dépenser peut-être un milliard pour outiller le Congo ? C’est pourquoi le Times, voulant effrayer nos voisins, a dit qu’ « il leur faudrait choisir entre le déficit et le régime oppressif actuellement en vigueur. » Les radicaux belges déclarent que leur pays n’a pas besoin de colonie : « en 1878, la Belgique était, suivant Elisée Reclus, la première nation du monde au point de vue du commerce, de l’industrie et de l’agriculture, et elle ignorait le Congo. Ce climat meurtrier où l’Européen ne peut guère vivre plus de trois ans de suite, où il ne peut faire souche, ne sera jamais une colonie de peuplement ; à peine si l’on y compte un millier de Belges, alors que 70 000 commerçans belges sont établis dans le Nord de la France. En outre, des révoltes sont à prévoir. La répression exigera des envois de troupes et des dépenses considérables ; l’Allemagne a bien dépensé un milliard pour venir à bout de l’insurrection de quelques milliers d’Herreros. Que si, par miracle, le Congo devait réellement être une bonne affaire pour la Belgique, celle-ci aurait, plus que jamais, à redouter des complications internationales et les convoitises britanniques. »
À ces objections, les défenseurs du projet, et notamment M. de Lantsheere, dans son remarquable rapport du 1er avril, répondent que, sans doute, la nouvelle colonie aura quelques années difficiles à passer ; toutes les colonies en sont là, dans leurs débuts, et cependant, la plupart des nations cherchent à en avoir. La France ne regrette pas d’avoir dépensé 4 à 5 milliards en Algérie. Le Congo ne sera jamais une colonie de peuplement, soit, mais la population sans cesse croissante de la Belgique trouvera des débouchés pour son activité industrielle et commerciale, dans ce pays d’une fertilité exceptionnelle, habité par trente millions de noirs dont les besoins ne feront qu’augmenter. Aussi la ville d’Anvers, ce grand marché du caoutchouc et de l’ivoire, désire-t-elle ardemment l’annexion qu’elle sent favorable à ses intérêts. La valeur du caoutchouc pourra subir des fluctuations (la baisse actuelle provient, en grande partie, de la crise américaine), mais ce produit, dont la consommation augmente d’année en année, a encore, quoi qu’on en dise, un bel avenir devant lui. D’autres élémens sont venus, d’ailleurs, s’ajouter aux ressources du Congo, par suite de la découverte de richesses minières considérables (cuivre et étain) dans la région du Katanga. Quant aux complications internationales, c’est une chimère à l’aide de laquelle on cherche à effrayer le pays.
Ces réponses résument bien l’opinion courante en Belgique, du moins parmi ceux qui s’intéressent à cette importante question, car la masse du public y demeure fort indifférente. Dans les milieux parlementaires, à part les représentans du parti avancé qui, en désaccord sur ce point avec M. Vandervelde, proposent l’internationalisation du Congo, la plupart, à quelque parti qu’ils appartiennent, estiment que le pays se diminuerait moralement et commettrait une irréparable faute, en abandonnant aux convoitises étrangères les vastes territoires où la Belgique a fait tant de sacrifices, dépensé tant d’héroïsme et tant d’efforts et où ont péri beaucoup de ses enfans, officiers, religieuses et missionnaires. C’est la dernière chance de colonie qu’elle ait. Ne serait-ce pas folie de la laisser échapper ?
Outre le projet de loi transférant l’État indépendant à la Belgique, les XVII en ont élaboré un autre sur le gouvernement du Congo belge. C’est la cinquième version du projet de loi coloniale qui fut déposé, en 1901, puis rangé dans les cartons, exhumé en 1906, et qui, après les remaniemens apportés par la Commission, se présente aujourd’hui sous une forme entièrement différente de la rédaction primitive. Celle-ci ne modifiait guère la situation : le Roi conservait, dans la colonie, un pouvoir presque absolu, et le rôle dévolu au Parlement se réduisait à peu de chose. Dans le projet actuel, au contraire, nous serions tentés de trouver que, sous l’influence clos idées ambiantes, on a fait la part trop belle au Parlement, car c’est à lui qu’est attribué le vote du budget. N’aurait-il pas été plus sage de confier cette mission au Conseil colonial sur lequel les Chambres auraient pu, d’ailleurs, exercer un contrôle ? Le projet crée, en effet, un ministère des Colonies et un conseil colonial composé d’un président et de 14 membres, dont 8 nommés par le Roi et 6 par les Chambres. Le pouvoir législatif, au lieu d’appartenir au Roi, sera seulement exercé par lui, et les décrets seront rendus sur la proposition du ministre des Colonies. Aucun acte du souverain n’aura d’effet s’il n’est contresigné par un ministre. L’administration congolaise ne pourra plus lever d’impôts à son gré. L’inamovibilité de la magistrature est garantie et le pouvoir exécutif ne pont suspendre l’action des tribunaux. Le Congo belge a une personnalité distincte de celle de la métropole. Il est régi par des lois particulières. L’actif et le passif de la Belgique et de la colonie demeurent séparés.
Les supérieurs des missions belges au Congo avaient adressé, cet automne, une lettre à la Commission des XVII pour faire observer que la loi, telle qu’on la présentait alors, ignorait, pour ainsi dire, les indigènes, et ne contenait aucune disposition en leur faveur. On a tenu compte de cette observation en instituant une commission permanente de sept membres chargée de veiller sur tout le territoire de la colonie, à la protection des noirs et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles d’existence. « Des lois régleront, à bref délai, en ce qui les concerne, les droits réels et la liberté individuelle. »
En somme, cette législation coloniale prête peu le flanc aux critiques, mais, ainsi qu’il fallait s’y attendre, elle est loin de satisfaire les adversaires irréductibles tant à Londres qu’à Bruxelles. Tandis que le Congo Reform Association, par la plume virulente de M. Morel, continue à fulminer de plus belle contre l’administration congolaise, le gouvernement belge est occupé à négocier, avec l’Angleterre et les Etats-Unis, qui exigent des garanties en faveur de la liberté commerciale et des intérêts des nègres. A Bruxelles, les débats ouverts, le mois dernier, devant le Parlement, ont amené, d’abord, une tentative d’obstruction de la part de l’extrême gauche. Celle-ci, voyant que la majorité paraissait acquise au projet, prétendit que le gouvernement voulait étrangler la discussion et faire voter l’annexion précipitamment avant les élections législatives du 24 mai, et elle chercha sans succès à obtenir que le pays fût consulté, au moyen d’un référendum. M. Schollaërt, dans son discours du 24 avril, a désarmé ses adversaires en déclarant que le gouvernement, loin de vouloir escamoter le vote, désirait que « le débat eût toute son ampleur. » Le programme du chef du Cabinet, au sujet de l’administration de la future colonie, mérite d’être loué sans réserves :
Nous devons, a-t-il dit, nous efforcer d’assurer aux populations plus de bien-être ; répandre et généraliser l’emploi de la monnaie et arriver ainsi à établir le payement de l’impôt en argent. Nous devons tendre à supprimer le travail forcé ; continuer les efforts déjà tentés pour diminuer les corvées, surtout celle du portage. Nous devons, par de très larges et très généreuses concessions de terres, étendre les propriétés des indigènes. Nous devons aussi leur assurer bonne et prompte justice, intègre, impartiale, éclairée et suffisamment nombreuse. Nous sommes enfin fermement décidés à remplir scrupuleusement toutes les obligations qui résultent pour nous des conventions, et notamment du traité de Berlin.
Un tel programme, s’il est loyalement appliqué, comme le veut M. Schollaërt, semble de nature à rallier les suffrages de tous ceux qui ne sont pas hostiles, de parti pris, à l’annexion Aussi le débat parlementaire qui doit se poursuivre après les élections, portera-t-il plutôt sur le traité de cession et sur les clauses imposées par le Roi dans l’Acte additionnel. Non seulement ces clauses paraissent très lourdes, mais les membres de l’opposition n’admettent pas que le Roi en impose aucune, le pays ayant le droit d’effectuer la reprise sans conditions. Ils reprochent au traité de cession de forcer la Belgique à respecter toutes les concessions et tous les monopoles. Sans doute la Fondation de la Couronne est supprimée ; mais, en fait, le territoire du Congo reste partagé entre le domaine national, d’une part, et les compagnies concessionnaires de l’autre. Les administrateurs de la Fondation conservent leurs places. Rien de changé, à ce point de vue, au régime ancien.
Quoi qu’il en soit, suivant toute probabilité, le projet du gouvernement, plus ou moins amendé, finira par être voté à une forte majorité, et la Belgique entrera en possession de la belle colonie que, depuis longtemps déjà, on s’est habitué à appeler le « Congo belge. » Nous devons le souhaiter à tous égards, non seulement à cause des vives sympathies qui nous lient à nos voisins du Nord, mais aussi parce que le Congo belge restera, au milieu des puissances qui se disputent l’Afrique australe, un tampon aussi nécessaire que la Belgique elle-même l’est en Europe. S’il y a eu naguère de lamentables abus commis dans l’État indépendant, les Belges tiendront à honneur de les réparer et, sans négliger le côté pratique de la question, ils penseront aussi qu’ils peuvent accomplir là-bas une belle et grande mission à laquelle ils ne voudront pas se dérober.
BARON JEHAN DE WITTE.
- ↑ Voyez la Revue du 1er novembre 1900, Une visite à l’État indépendant du Congo, par M. le comte Charles d’Ursel ; — du 1er juillet 1898, le Congo français et l’État indépendant, par M. le comte H. de Castries ; — du 1er novembre 1890, les Indes Noires, par M. le vicomte E.-M. de Vogué.
- ↑ L’Association internationale africaine (1877) ; le Comité d’études du Haut-Congo (1878) ; l’Association internationale du Congo (1882).
- ↑ Voyez Cattier, Droit et administration de l’État indépendant du Congo (1898).
- ↑ Ce droit de préférence, — ou de préemption comme on dit en Belgique, — a été confirmé depuis dans différentes conventions survenues entre la France et l’État du Congo. Toutefois, ce droit ne saurait être opposé à la Belgique (Convention du 5 février 1895).
- ↑ Actuellement les parts de fondateurs sont à 4 000 francs environnes actions à 1 480 francs.
- ↑ Il y avait aussi naguère une zone réservée qui a été englobée, en 1906, dans le Domaine national.
- ↑ Rapport de la Commission d’enquête, p. 165.
- ↑ Ce sobriquet, qui signifie briseur de rochers, fut donné jadis par les indigènes à Stanley ; il est appliqué maintenant par eux à l’État indépendant lui-même.