La Réouverture du Vieux Colombier
LA RÉOUVERTURE DU
VIEUX COLOMBIER
En octobre 1913, le Vieux Colombier se mettait au travail.
On a d’abord souri de ses efforts… Nous avions nous-mêmes le sentiment profond de notre insuffisance au regard de la tâche à laquelle nous commencions de dévouer notre vie. Mais nous travaillions, jour et nuit, sans relâche, regardant devant nous notre idéal grandir. C’est à la continuité de notre labeur, puis à sa qualité qu’on eut à rendre justice.
La ferveur, le dévouement, une certaine insouciance des dangers à courir, avaient inspiré notre élan. Des amitiés sérieuses, groupées autour de nous en nombre grandissant, l’avaient affermi, soutenu. En mai 1914, l’heureuse réalisation d’une comédie de Shakespeare, la Nuit des Rois, fit entrer le Vieux Colombier dans la notoriété.
Août 1914 disperse aux armées ou dans les services de guerre les jeunes hommes de notre maison. Tout paraissait fini. C’est alors que commence à vivre, de sa vraie vie spirituelle, l’idée du Vieux Colombier. Ce que la violence, la séparation, le deuil ont détruit, la pensée le reforme. Où qu’ils soient, en quelque condition qu’ils se trouvent, les fondateurs, les collaborateurs, les amis du Vieux Colombier pensent à cette petite maison menacée. Ils éprouvent qu’un sentiment commun les unit entre eux, et les relie à ce point du monde français. Ils prennent conscience d’une chose qui existait, là. Une chose plus belle peut-être et plus grande que nous n’avions nous-mêmes su la voir. Et même après que nous eûmes compris que la guerre serait longue, nous n’avons point renoncé à préserver, nourrir, fortifier en nous la foi qui nous montrait l’avenir et nous promettait une renaissance.
En 1913, nous disions :
Le théâtre est aux mains des cabotins et des marchands. Tout ce qui le touche s’avilit. Le vrai poète s’y refuse. Le vrai public s’en détourne. Une poignée de travailleurs convaincus, que l’indignation arrache à leur solitude d’écrivains et d’artistes, vont essayer de servir l’œuvre d’art au théâtre. Ils n’ont pour doctrine que leur conscience droite, leur désintéressement, le respect de la beauté. Gardiens de la culture, ils veulent rendre la vie aux chefs-d’œuvre des maîtres. Ouvriers de l’avenir, ils veulent que toute œuvre vraiment neuve et sincère trouve ses interprètes et son public. Ils veulent avant tout, sur des fondations intactes, élever un théâtre nouveau et, débarrassant la scène de ce qui l’opprime et la souille, remettre aux mains du créateur, pour son libre jeu, un instrument docile.
Aujourd’hui, cinq ans passés, nous n’avons rien d’autre à dire.
À ceux qui, depuis cinq ans, nous demandent : que ferez-vous après la guerre ? nous avons eu la fierté de pouvoir répondre : nous continuerons ce que nous avions commencé.
Nous avions fait déjà quelques preuves. Nous en avons fait de nouvelles, d’octobre 1917 en avril 1919, aux États-Unis, où le Vieux Colombier reçut mission de représenter, pendant deux ans, le théâtre français.
Les mêmes hommes se réunissent au même lieu pour reprendre un effort commun. Ils ont mûri. Ils ont plus d’expérience et de raison. Non moins d’ardeur. Ils ont subi des épreuves. Leur volonté n’a point fléchi, ni tourné. Ils ne sont pas nés de la guerre. Mais elle a pesé de tout son poids sur eux, d’un poids dont ils ne seront jamais plus soulagés. Elle les a poussés, mais dans le sens où librement ils s’étaient engagés. Elle a pour ainsi dire accusé chaque trait de leur figure et de leur caractère. Ils sont plus que jamais résolus à se donner tout entiers à leur tâche, pour l’amour de ce qu’ils font, et pour la grandeur du pays.
La situation du théâtre français est pire à la fin de 1919 qu’elle ne l’était en 1913-14. Partout c’est le désarroi qui succède au malaise, la rébellion au dégoût. D’entre ceux-là mêmes qui trop longtemps furent les complices d’une si profonde démoralisation, des voix s’élèvent pour appeler un renouvellement. Nous souhaitons le succès de ces volontés retrempées. Leurs œuvres témoigneront de la vertu des hommes nouveaux. Mais, si nous ne sommes plus seuls à protester, on voudra peut-être se souvenir que nous fûmes les premiers à combattre. On voudra peut-être relire ce que nous écrivions il y a six ans. On saluera peut-être avec confiance, à l’heure où il reprend vie, le Vieux Colombier dont toute l’ambition est de compter, dans ce grand changement du monde, comme une force de résurrection.
Le samedi 8 novembre, à 16 heures, Hôtel des Sociétés Savantes, 8, rue Danton, se tiendra la première Réunion des Amis du Vieux Colombier. M. Jacques Copeau y parlera de l’Avenir du Vieux Colombier. Tous les abonnés et lecteurs de la Nouvelle Revue Française sont cordialement invités. Ils sont priés de donner une réponse, avant le 4 Novembre, au Secrétariat du Théâtre, 21, rue du Vieux-Colombier.