La République française aux hommes libres
Dans chaque État, le droit d’établir une Conſtitution & de la changer appartient eſſentiellement à l’univerſalité du peuple, qui même ne peut aliéner par aucun contrat, par aucune convention, le pouvoir de l’exercer.
Les hommes qui, réunis en corps de nation, occupent un territoire, ont donc le droit inaliénable d’y établir les pouvoirs sociaux, & de retirer ceux qu’ils ont conférés.
Aucun autre peuple n’a celui ni de méconnoître un pouvoir qu’ils auroient établi, ni de continuer de reconnoître celui qu’ils auroient détruit, ni de limiter leur ſouveraineté, ni d’intervenir dans l’exercice libre & indépendant qu’ils veulent en faire.
La ſouveraineté appartient aux nations eſclaves comme aux nations libres, & celles qui ont ſouffert qu’elle leur fut enlevée, peuvent légitimement s’en reſſaiſir ; elles peuvent au jour, à l’inſtant qu’elles le veulent, rompre les traités honteux que leurs tyrans leur ont fait ſouſcrire.
Tel eſt le droit que la nation françaiſe tenoit de la nature même, qu’elle vient d’exercer dans toute son étendue, & auquel jamais elle ne ſouffrira qu’il ſoit porté la plus foible atteinte.
Elle reſpectera ce droit chez les autres nations, & n’emploiera jamais ni la force, ni la ſéduction pour obliger un peuple étranger à recevoir ou à conſerver des chefs qu’il voudroit rejetter, à maintenir ſes loix s’il vouloit les changer, à les changer s’il vouloit les conſerver.
Amie de tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté, elle n’oubliera jamais qu’eux ſeuls ont droit de décider pour eux-mêmes en quoi cette liberté consiste, et comment ils veulent l’exercer. Si, pour la conſervation de ſon indépendance ou pour l’intérêt commun du genre humain, elle croit devoir les aider à ſe donner une Conſtitution libre, ce fera celle qu’ils auront librement choiſie.
Elle ne fera jamais de conquête, parce qu’elle fait que, ſur chaque territoire, la ſouveraineté appartient au corps de nation qui l’habite ; & elle ne ſe permettroit de conſentir à une réunion que dans le cas où elle lui ſeroit demandée par un vœu émis avec une entière indépendance.
Dans les pays occupés par ſes troupes, les peuples qui voudront être libres deviendront ſes amis & ſes alliés ; elle plaindra ceux qui préféreront de relier eſclaves, & ne les ſoumettra qu’aux précautions néceſſaires pour les empêcher de lui nuire. Si enfin elle avoit le malheur d’être obligée d’envahir le territoire d’un peuple déjà libre, elle exerceroit à ſon égard cette généroſité que ſe doivent mutuellement des hommes dont la nature avoit fait des frères, & qu’une erreur paſſagère a rendus ennemis.
La nation françaiſe, en adoptant ces principes dictés par la raiſon & par la juſtice, a droit d’eſpérer que les peuples étrangers les reſpecteront à ſon égard.
Elle reconnoît leurs gouvernemens, parce qu’ils exercent leurs pouvoirs avec le conſentement exprès ou tacite, mais général & paiſible de chaque nation. Elle doit croire qu’aucune d’elles ne refuſera de reconnoître celui que lui ont donné ſes repréſentans inveſtis de ce pouvoir par le vœu unanime & formel des citoyens.
Dans leurs relations extérieures, les nations amies de la paix, celles dont la juſtice & non l’ambition dirigeoient les chefs, ont conſtamment reconnus les gouvernemens que, même ſuivant leurs principes, elles regardoient comme illégitimes, & elles les ont reconnus d’après ce ſeul motif qu’ils étoient établis.
Cette conduite eſt une conſéquence néceſſaire de l’indépendance qui appartient à tous les peuples, & qui ſeroit bleſſée ſi, une nation étrangère ſe rendoit juge de la légitimité des pouvoirs par leſquels ils font régis.
Ainſi les puiſſances de l’Europe ont reconnu la république des Provinces-Unies, auſſi-tôt que paſſant de l’état d’une généreuſe inſurrection à celui d’une aſſociation régulière, elle a formé un corps de nation.
Ainſi ces mêmes puiſſances ont reconnu le gouvernement de Cromwel, lorſque la néceſſité ou l’erreur eut ſoumis le peuple anglais à l’autorité uſurpée d’un Protecteur.
Ainſi lorſque la Convention de 1683 eut appellé le Prince d’Orange au trône, & changé l’ordre d’hérédité, Guillaume & ſes ſucceſſeurs furent ſolemnellement reconnus par l’Europe entière.
Ainſi les diverſes révolutions dans la Conſtitution du Dannemarck, de la Suède, de la Bohême, de la Hongrie, n’ont rien changé dans leurs relations extérieures.
Ainſi auſſi-tôt que les Etats-Unis d’Amérique après avoir déclaré leur indépendance, ont été conſtitués en un corps de nation ſéparé de l’Angleterre, l’Europe s’eft empreſſée de les reconnoître.
Enfin lorſque Pierre a été précipité du trône de Ruſſie par une conſpiration ; lorſque ce trône qui, ſuivant les uſages établis, devoit appartenir à ſon fils, a été occupé par une princeſſe étrangère ; lorſque cette révolution, faite par un petit nombre de courtiſans & les régimens des Gardes, a été terminée ; lorſque les armées & la nation ruſſe ont obéi aux ordres émanés de Catherine ii ; tous les princes ont traité avec elle, aucune puiſſance ne s’eſt occupée d’examiner la légitimité de son tître ; aucun roi n’a pris les armes pour venger l’honneur des couronnes, qui cependant avoit été un peu bleſſé dans la perſonne de Pierre iii.
Ce n’eſt donc pas ſeulement l’exécution des principes les plus inconteſtables du droit public, c’eſt l’uſage ſuivi depuis longtems par toutes les puiſſances de l’Europe que la France réclame aujourd’hui pour elle.
Elle ne peut donc traiter avec aucune, ſi ſon indépendance abſolue dans ſon gouvernement intérieur, n’eſt la bâſe du traité ; elle ne peut accepter aucune condition qui renferme le moindre ſacrifice de cette indépendance.
Enfin, par la même raiſon que la France a renoncé à toute conquête, la conſervation de l’intégrité de ſon territoire eſt encore la condition préalable de toute négociation avec une puiſſance qui en auroit envahi quelques portions.
Les principes énoncés par les deſpotes ligués contre elle, doivent frapper les nations les plus engourdies. L’opinion que les rois peuvent réclamer une autorité légitime, indépendante de la volonté du peuple, y eſt formellement prononcée. On ne rougit point d’y préſenter le genre humain comme l’inaliénable patrimoine d’une douzaine de familles ; on y menace du pillage & de la mort quiconque oſera ne voir dans ces races ſacrées que des hommes ſoumis aux loix émanées de la volonté nationale ; & c’eſt dans le dix-huitième siècle que la tyrannie, fière des automates qu’elle a pliés à une honteuſe diſcipline, oſe tenir cet inſolent langage ! Elle ſemble croire incurable cette ſtupidité qui eſt ſon ouvrage, comme ſi les accens de la liberté n’appartenoient pas à toutes les langues ; comme ſi, dans leur énergique ſimplicité, ils ne devoient point frapper tous les eſprits & réveiller tous les courages.
Ainſi ces rois ne ſe donnent même pas la peine de diſſimuler leur mépris pour les hommes, ils ne cachent pas qu’ils ne veulent plus ſouffrir ſur la terre que des cadavres ou des eſclaves. Grâces leur foient rendues de cette imprudence qui ſans doute ranimera le ſentiment de la dignité première. Ce ne ſont point les Français, ce ſont les tyrans eux-mêmes qui ont ſonné le tocſin de la liberté, et les écrits les plus ardens de cette propagande qu’ils ont fait ſemblant de craindre, ne vaudront jamais un ſeul de leurs maniſestes. Mais quelle eſt donc cette guerre qu’ils viennent faire à un peuple libre ? C’eſt une guerre de fauſſaires, d’incendiaires et de traîtres.
Ils fabriquent de faux aſſignats avec leſquels la horde émigrée trompe & ruine les négocians de leurs propres alliés. C’eſt par la corruption et le parjure qu’ils cherchent à pénétrer dans nos villes ; ils permettent, ils ordonnent des violences perſonnelles contre les patriotes vertueux qui leur ſont indiqués par ces français parjures dont ils ont accepté la honteuſe alliance.[1]
Sont-ils forcés d’attaquer une de nos places, ce n’eſt point aux murailles & aux ſoldats qu’ils font la guerre, c’eſt aux maiſons & aux habitans, ce ne ſont point les armées qu’ils cherchent à vaincre, ce n’eſt point la puiſſance nationale qu’ils veulent combattre, c’eſt l’eſpèce entière des hommes libres qu’ils dévouent à la deſtruction. Croient-ils les intimider ? non ſans doute, mais ils ſatiſfont la ſoif de ſang humain qui les dévore. Ils ſavent bien qu’ils s’expoſeroient à d’horribles répréſailles, ſi la nation françaiſe était moins généreuſe mais ce ſont ces repréſailles mêmes qu’ils appèlent : ils voudroient élever par là entre leurs ſujets & nous une haine qui leur répondit d’une obéiſſance prête à leur échapper. N’ont-ils pas déjà fait bruler les faubourgs de Courtrai par un traître qui depuis a passé dans leur armée ? Ne ſe ſont-ils pas oppoſés à ce que les victimes infortunées de cette trahiſon reçuſſent la réparation que leur offroit la France, d’un dommage fait en ſon nom ? Et c’eſt après tous ces crimes commis de ſang-froid, c’eſt après avoir épuiſé contre nous toutes les perfidies du machiavéliſme, toute la férocité des conquérans ſauvages ; qu’ils oſent reprocher au peuple français des excès dont nous gémiſſons & dont il ſe répent, mais où le reſſentiment de leurs trahiſons, le ſpectacle de leur férocité, l’indignation contre leurs inſolentes menaces l’ont entraîné malgré lui.
La nation Françaiſe eſt juſte ; elle ne confond point avec ſes véritables ennemis un prince égaré par eux, au point de méconnoitre les intérêts les plus preſſans. Elle ne conford point avec la maiſon d’Autriche qui veut ſa ſervitude ou ſa ruine, le roi de Pruſſe sécretement, deſtiné par cette maiſon à partager bientôt l’aſſerviſſement ou la chûte de la France. L’illuſion de l’un doit ceſſer, mais la haine de l’autre ſera éternelle, parce que, ſans parler ici des humiliations auxquelles les trahiſons de Marie Antoinette ont expoſé l’orgueil Autrichien, le chef de cette puiſſance ne renoncera point à ſes projets contre l’Italie, contre la Suiffe, contre le Brandebourg, contre l’empire, pour le ſuccès deſquels le dévouement ſervile de la France, ou la deſtruction de ſes forces eſt évidemment une condition néceſſaire.
L’Autriche fait trop que ſi le peuple français reſte libre, elle ſera forcée de reſpecter elle-même la liberté de l’Europe ; elle fait que la guerre entre elle & nous ſera éternelle, tant qu’une révolution dans la Belgique ne placera point entre Vienne & Paris toute l’étendue de l’empire germanique ; elle fait que les états qui forment cet empire ne doivent qu’à nous, ne peuvent conſerver que par nous ce qui leur reſte encore d’indépendance, et que la crainte, l’avarice ou l’orgueil ne peuvent le leur faire oublier longtems.
La cauſe de la France eſt à la fois celle de la liberté des hommes, contre les rois, & de l’indépendance des peuples contre les conquérans uſurpateurs ou copartageurs de nations, et cette cauſe doit triompher. Dans la guerre, l’enthousiasme eſt un ſigne conſtant & certain de la victoire. Cromwel avoua lui-même à Ludlow, qu’averti par les premières défaites des troupes du Parlement, il ſe crut obligé d’exciter le fanatiſme de ſes ſoldats, pour oppoſer la fureur religieuſe à l’honneur chevalereſque des défenſeurs de Charles i. L’amour de la liberté, de l’égalité eſt aujourd’hui la paſſion dominante des Français ; forts de cet enthouſiaſme allumé au flambeau de l’éternelle vérité, ils n’ont beſoin du fanatiſme d’aucune erreur. Ils n’en auront même pas à combattre. On fait aujourd’hui d’un bout de l’Europe à l’autre, que tous les hommes ont les mêmes droits, que les rois n’ont de pouvoir légitime que celui qu’ils tiennent de la volonté ou de l’inſouciance du peuple gouverné par eux, que la conſcience de l’homme devant être libre, chacun eſt le maître de choiſir ſon Dieu comme ſes prêtres.
Nul homme de ſens n’oſe défendre ni les rois, ni la nobleſſe, ni l’établiſſement d’un culte excluſif, que comme des inſtitutions politiques utiles à la paix, à la proſpérité d’une nation trop ignorante ou trop corrompue pour s’en paſſer encore. On en est réduit à calomnier les hommes, à les accuſer d’être indignes d’exercer dans toute leur étendue ces droits qu’ils tiennent de la nature, & que l’on n’oſe plus leur conteſter. Or quel enthouſiasme ! quelle paſſion capable de grands efforts ! quels mouvemens dignes de commander les ſuccès, peuvent naître de cette froide & fauſſe politique ! A quel imbécile perſuadera-t-on de mourir pour défendre ce qu’on eſt obligé de lui donner comme une erreur, que par mépris pour lui-même on juge encore utile de conſerver.[2]
C’eſt donc entre l’intérêt perſonnel, entre l’amour de l’argent & des distinctions, & les plus nobles, les plus énergiques paſſions du cœur humain, que ſe balance la victoire ? Et pourroit-elle reſter long-tems incertaine ?
Un tyran fit bruler dans l’Ecole de Crotône tous les diſciples de Pythagore qui prêchoient la liberté & la deftruction des rois. On prétend qu’Edouard premier, roi d’Angleterre, ordonna le maſſacre de tous les Bardes, parce qu’ils excitoient les Gallois à défendre contre lui leurs droits & leur indépendance. Mais aujourd’hui les vérités ne ſe tranſmettent plus ſeulement par la bouche des philoſophes & des poëtes, & ne périſſent plus avec eux. L’invention de l’imprimerie leur a conféré un caractère indeſtructible, & les tyrans réunis ne peuvent plus eſpérer d’en étouffer une ſeule dans le ſang de ſes défenſeurs.
Les eſclaves de quelques rois doivent, dit-on, ſe réunir à Luxembourg, pour y ordonner au nom de leurs maîtres, l’éternelle deſtruction de la liberté du genre humain, & ils y prononceront ſur la deſtinée de la nation Française, dans une citadelle autrichienne, au milieu des bayonnettes de nos ennemis. Mais ce honteux projet, cette lâche et criminelle inſulte à la raiſon, à la juſtice, aux droits des peuples, n’a pu être imaginé que par les vils conducteurs de nos ſtupides émigrés ; et quelle nation, ſi elle a conſervé quelque ſentiment de ſa dignité, ſouffriroit que ſes chefs oſaſſent y prendre part en ſon nom, & trafiquer avec les rois du ſort de l’humanité entière, comme d’un vil troupeau qu’ils peuvent égorger, dépouiller ou partager à leur gré ? Oui ſans doute, il ſe prépare un congrès en Europe, & les deſpotes ligués travaillent à en accélérer l’époque, mais c’eſt celui où les repréſentans des peuples libres prononceront ſur le fort de tous les rois.
De l’imprimerie de Fiévèe, rue Serpente, No. 17.
- ↑ Si trop ſouvent, par une politique coupable, on
s’eſt permis d’employer, dans une guerre contre une Nation,
le ſecours de ſes citoyens rébèles, les hommes d’Etat
dignes de ce nom, ont toujours ſenti l’injuſtice & le danger
de ce honteux moyen.
Jean de Witt, cet homme qui réuniſfoit à tant de vertus & de courage le génie des ſciences & celui de la politique, ne voulut pas que, dans la guerre entre Cromwel & les Provinces-Unies, Charles ii montât ſur la flotte hollandaiſe.
- ↑ Qu’on liſe l’Ouvrage de Burke, le plus éloquent ennemi des principes français, & on trouvera qu’il ſe réduit à ce peu de paroles : Les hommes ſont des ſots éternellement deſtinés à être trompés & gouvernés par des rois & par des prêtres, & c’eſt pour le plus grand bien de tous. Les gens d’eſprit comme moi iront-ils ſe fatiguer pour éclairer les ſots ? non. Mais ils prendront, dans leurs dépouilles, la part que les rois & les prêtres voudront bien leur laiſſer.