La Résurrection de la Colonne

La bibliothèque libre.
E. Dentu, libraire-éditeur (p. 1-7).
ÉDOUARD D’ANGLEMONT


LA


RÉSURRECTION DE LA COLONNE


Merses profundo, pulchrior evenit.
Horace.



PRIX : 50 c.



PARIS
E. DENTU, libraire-éditeur.
Galerie d’Orléans 13, Palais-Royal

1872


LA


RÉSURRECTION DE LA COLONNE




Merses profundo, pulchrior evenit.
Horace.


Qu’elle était belle à voir, cette colonne altière,
Ceinte d’une auréole aux rayons éclatants,
Fille de ces canons que, dans l’Europe entière,
Nos braves ont conquis, sans nombre, en d’autres temps,

En ces jours les plus grands de notre grande histoire,
Où l’héroïsme atteint les suprêmes hauteurs,
Qui brillent couronnés du sceau de la victoire,
Et qui font immortels les noms de nos lutteurs !

Vous apparaissiez là, mémorables journées,
Qu’attestent le Danube et la Sprée et le Rhin,
Aux yeux de l’univers, l’une à l’autre enchaînées,
Orbes étincelants d’un long serpent d’airain !

Avec vos majestés paisibles et sereines
Et l’éclat fulgurant de votre front vermeil,
Vous apparaissiez là, comme une cour de reines,
Sous les regards de feu d’un splendide soleil !

Bible de nos exploits, monument populaire,
Tu n’es plus ! Des brigands souverains de Paris,
Possédés d’une infâme et stupide colère,
Dans la fange ont couché ton épique débris !

En mil-huit cent quatorze, où le jeu des batailles
Roula jusqu’en nos murs des ennemis nombreux,
Colonne, ils ne t’ont point osé faire d’entailles,
Ceux dont tu reflétais les combats désastreux ;

Et, ce qu’aux jours futurs on ne voudra pas croire,
Des Français, des Français, lâches démolisseurs,
Ont scié sans effroi l’arbre de notre gloire,
Sous le rire infernal de nos envahisseurs !

Bourreaux dont la mémoire est justement flétrie,
Robespierre, Danton, quoi que vous ayez fait,
Devant le saint pilier qui chantait la patrie,
Vous n’auriez pas commis ce lugubre forfait !

Pourvoyeurs de la mort, rois de la guillotine,
Hideux profanateurs du saint mot : Liberté,
Ces bandits allumeurs de la guerre intestine,
Tueurs de monuments, sur vous l’ont emporté

Mais qu’entends-je ! une voix haute, retentissante
Et qui trouve un écho magique dans nos cœurs,
Dit : Colonne, renais, fière et resplendissante ;
Rouvre-toi, livre d’or de nos soldats vainqueurs !

Regardez ! Les palans, les échelles s’élèvent !
Le marteau bat l’enclume et la fournaise bout !
Pour se vêtir d’airain les pierres se soulèvent,
Bientôt, trophée unique, on te verra debout !

Nous reviendrons bientôt contempler ces images,
Qu’en spirale étalait ton poëme guerrier ;
Nous reviendrons bientôt t’apporter nos hommages
Et reverdir tes flancs de chêne et de laurier,

Nous dont le cœur nourrit une sainte espérance,
Au milieu des pâleurs de notre astre obscurci !
Oh ! oui, comme ce bronze, emblème de la France,
France, nous te verrons te relever aussi !

Nous dompterons encor le bras qui nous émonde,
Qui veut nous arracher nos fruits avec nos fleurs !
Celui qui dans sa main tient les phases du monde
Brisera tes anneaux, chaîne de nos malheurs !
 
Dieu me parle aujourd’hui comme aux anciens prophètes
Le poëte a, comme eux, ses divinations !
La gloire encore, ô France, aura pour toi des fêtes
Tu seras grande encore entre les nations !

Paris, 20 juin 1872.



Paris. Imp. SCHILLER, 18, rue du Faubourg-Montmartre