La Révolte des machines (Rolland)/Acte I

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Éditions du Sablier (p. np--).


ACTE I

L’Homme, roi des Machines.

L’intérieur d’un immense Palais des Machines.

(POINT DE VUE : D’une galerie du premier étage — du haut d’un grand escalier — d’où l’on domine l’ensemble du hall gigantesque et son peuple de machines. Un trottoir roulant monte par l’escalier, dont il occupe la partie médiane, et débouche sur la galerie. Ce trottoir, comme on le verra par la suite, fait le tour du hall, en montagnes russes, gravissant les galeries du premier étage, puis redescendant, en arcades. À l’autre extrémité du hall, il aboutit à une très vaste scène, — juste en face de la galerie du grand escalier. Sur cette scène aura lieu la cérémonie qui sera décrite plus loin.)

C’est le jour de l’inauguration officielle. L’armée des machines est en place, immobile.

Tout le long du trottoir roulant, des deux côtés — sur le grand escalier, qu’on voit de haut en bas — et sur la galerie du premier étage — des troupes en brillants uniformes font la haie ; par derrière, une foule se presse, tâche de voir le cortège qu’on attend.

Musique (orchestres et chœurs). Les soldats présentent les armes. Le cortège fait son entrée, au milieu des acclamations. Il est porté — lentement, avec une majesté un peu grotesque — par le trottoir roulant. Arrivé à hauteur de l’esplanade du premier étage, il y décrit un arc de cercle, puis tourne vers la gauche.

À cette première rencontre, le spectateur voit seulement passer les figures qui vont jouer les rôles principaux dans l’histoire, et qu’il pourra plus tard examiner une à une : il suffit ici d’un coup d’œil d’ensemble.

En tête, le Président avec quelques souverains exotiques (princes asiatiques, rois africains, en costumes mi-partie Mille et Une Nuits et gala européen) ; derrière eux, des ambassadeurs chamarrés de toutes nations, de toute couleur, des généraux dorés et panachés, des officiers de tout uniforme, des académiciens, des membres des Parlements. Le beau sexe est représenté dans le cortège par les femmes de quelques dignitaires, par des actrices, des mondaines, des beautés officielles, et autres grandes oiselles du Tout-Cosmopolis, illustres à des titres divers.

La mise en scène mettra particulièrement en lumière certains groupes du cortège : — en premier lieu, le Maître des Machines, dont la puissante originalité doit tout de suite attirer l’attention ; près de lui, sa femme, ses ingénieurs et ses aides ; — puis, la Belle Hortense et sa petite cour ; — puis, la jeune Avette et un groupe de gais jeunes gens ; — puis, quelques figures officielles : le vieil académicien Bicorneille, le diplomate Agénor, etc.

Le cortège s’engouffre à gauche sur le trottoir roulant, et fait le tour du grand Hall — tantôt au premier étage, tantôt redescendant au rez-de-chaussée — de façon à voir sous tous les aspects les machines monstrueuses ou cocasses.

Il débouche ensuite sur une vaste scène en amphithéâtre, qui tient le fond du Hall et domine la salle. Il tourne le long de la rampe, puis, arrivé à la droite de la scène, il fait demi-tour à gauche et aboutit au pied d’une tribune, située au centre de la scène où sont disposées des rangées de sièges. Au premier rang, fauteuils d’apparat pour le Président et les souverains. D’autres sièges, moins pompeux, mais aussi au premier rang, pour le Maître des Machines et pour les principaux personnages.

Après qu’ils ont pris place, le spectateur voit, tour à tour, par leurs yeux, l’ensemble du Hall qu’ils dominent et la foule, à droite, à gauche, en bas, qui les acclame, — puis, d’en bas, par les yeux de la foule, la scène et les personnages officiels qui y sont assis, — enfin, une à une, en images agrandies, les figures des héros de l’histoire :

1. LE PRÉSIDENT, — parfaitement nul, solennel et affable, avec un éternel sourire qui ne comprend jamais rien. Mais sympathique et brave homme.

2. LE MAÎTRE DES MACHINES — MARTIN PILON, que ses ouvriers appellent : MARTEAU PILON, et ses détracteurs : « Pilon marteau », — 40 à 50 ans. D’allure athlétique. Tête puissante, et un peu grimaçante. Expression énergique et heurtée, qui devient par instants étrangement sarcastique et méprisante. Gestes brusques, gauches, passionnés. Énorme violence concentrée. On le sent brûlé de passions, grandes et petites. Il prête à rire (aux sots) ; mais il n’est jamais tout-à-fait ridicule. Excessivement nerveux et chargé d’électricité sub-consciente.

3. SA FEMME, FÉLICITÉ. — Une belle femme, un peu lourde et carrée, plus très jeune, assez mal fagotée, l’air d’une robuste paysanne endimanchée. Prête aussi à rire aux gens distingués. Cela lui est parfaitement égal ; au lieu que son mari, très susceptible, en souffre impatiemment. Elle a un flegme solide, bon œil, bonne langue et bons poings.

4. LA BELLE HORTENSE, — la fameuse comédienne, grande, blonde, opulente, splendidement enturbannée et emplumée, — la reine de la mode, et royalement bête. Elle fait partie de toutes les cérémonies officielles de la République des Machines : elle en est un meuble indispensable.

5. LA JEUNE AVETTE, dite AVIETTE, — 18 à 20 ans, sportive, rieuse, délurée, ne craint rien, ne respecte rien, ne songe qu’à s’amuser, leste, souple, étourdie, imprudente, effrontément moqueuse, — et son ami ROMINET, jeune électricien, disciple favori de Martin Pilon, 20 à 25 ans, — lui aussi vif, rieur, intelligent et malin comme un singe.

6. Quelques types, un peu caricaturaux, du cortège : Académiciens, Diplomates, Perruches et Daims.

Le Président monte à la tribune et lit le discours d’inauguration, dont la suite se projette sur l’écran en images emphatiques.

(Pendant le Discours, on voit dans le bas de l’écran le haut du corps des personnages officiels qui écoutent, et leurs pantomimes.)

Le discours du Président est un panégyrique de la Civilisation, de la Science, et de la Pensée Humaine, dominatrice de la Nature. Comme repoussoir au siècle de Lumière, l’orateur oppose l’obscurantisme du passé. Il refait, à sa façon, l’histoire de l’Humanité, — s’apitoyant lourdement sur nos ancêtres ignorants, qui peinaient pour accomplir les actes les plus simples. Le Président manifeste pour la vie pastorale d’antan une ironie écrasante.

Moments principaux du Discours, à projeter en images caricaturales, et précisés par les phrases suivantes également projetées sur l’écran :

1. L’HUMANITÉ, MESSIEURS, A ATTEINT LE FAÎTE DE LUMIÈRE…

2. APRÈS QUATRE-VINGTS SIÈCLES D’UNE MONTÉE ÉPUISANTE, DES PROFONDEURS DE LA NUIT ET DE L’ABÎME…

3. QUEL CONTRASTE, MESSIEURS !… EN BAS, DE PAUVRES ÊTRES, MAL DÉGAGÉS ENCORE DU LIMON DE LA TERRE, ET RONGEANT SON ÉCORCE COMME DES VERS, AVEC DES PEINES INOUÏES… EN HAUT, DES DEMI-DIEUX, AURÉOLÉS DE GÉNIE, ET SOUVERAINS DE LA NATURE…

4. IMAGINEZ, MESSIEURS, LES EFFORTS RISIBLES QU’IL FALLAIT JADIS À L’HOMME, POUR LE RÉSULTAT LE PLUS SIMPLE : POUR EXTIRPER DE LA TERRE SON PAIN QUOTIDIEN !…

(Le vieil Adam, tout nu, qui bêche un sol dur, semé de ronces, de reptiles, et de cailloux tranchants, — et qui s’arrête à tout instant, pour essuyer sa sueur…)

5. PLUS PRÈS DE NOUS, CES COMIQUES CHARRUES À BŒUFS, CETTE TRACTION ANIMALE D’UNE LENTEUR DE TORTUES, CES OUTILS BAROQUES, CES FAULX DÉSUÈTES, CETTE RIDICULE « VIE PASTORALE » QUI ENCHANTAIT NOS ENFANTINS AÏEUX…

6. AUJOURD’HUI…

(Une grande plaine, que labourent, ensemencent et moissonnent, avec une rapidité vertigineuse, des machines, actionnées par un seul homme, au front de penseur, nonchalamment assis sur un observatoire, et lisant son journal…

7. LE COURS DU PROGRÈS HUMAIN EST PAREIL À UN FLEUVE, — D’ABORD HUMBLE, OBSCUR, ZIGZAGUANT, CAILLOUTEUX, QUI A L’AIR DE NE PAS AVANCER, QUI SEMBLE ÊTRE BLOQUÉ, — PUIS, QUI SE FRAIE UN PASSAGE, LENTEMENT, PATIEMMENT — ET PEU À PEU S’ACCÉLÈRE, PLUS VITE, TOUJOURS PLUS VITE, JUSQU’À CE QU’IL CATARACTE, NIAGARA FORMIDABLE, DANS L’ÉCLATANTE LUMIÈRE…

8. AU DÉBUT : « TU GAGNERAS TON PAIN À LA SUEUR DE TON FRONT… » — AUJOURD’HUI : « IL DIT : QUE LA LUMIÈRE SOIT !… ET LA LUMIÈRE FUT… »

LE PRIMATE DE LA PRÉHISTOIRE ET LE DEMI-DIEU MODERNE.

9. LE TYPE ULTRA-MODERNE DE CE DEMI-DIEU AMÉRICAIN, QUI, DE SON FAUTEUIL DE BUREAU, COMMANDE AU SOLEIL ET À LA LUNE, ET À TOUS LES ÉLÉMENTS. UN PEUPLE DE MACHINES OBÉIT AUX PRESSIONS NÉGLIGENTES DE SES DOIGTS SUR UN CLAVIER DE BOUTONS ÉLECTRIQUES.

10. SALUONS, MESSIEURS, CETTE VISION MAGNIFIQUE : L’HOMME ROI DES MACHINES ! LA FÊTE DE CE JOUR CONSACRE SA VICTOIRE, L’APOGÉE DU PROGRÈS ET DU GÉNIE HUMAIN.

Pendant ce discours, se déroulent autour de la tribune, aux premiers rangs de l’assistance officielle, diverses petites scènes :

La Belle Hortense minaude avec sa cour de Snobs. Le Maître des Machines ne cache pas ses sentiments ardents pour la belle actrice. Tout le monde s’en aperçoit et s’en amuse, sans qu’il le remarque. Sa femme Félicité finit par le lui faire voir : il en manifeste un dépit irrité (dont les effets se traduiront tout-à-l’heure, quand son subconscient commencera à agir). Pour le moment, il s’oblige à suivre la cérémonie, — à tout instant distrait par sa passion pour Hortense, par sa colère jalouse contre les adorateurs d’Hortense, par son dédain méprisant pour toute l’assistance ; il montre ce dédain d’une façon trop visible, en ricanant et haussant les épaules, à certaines âneries du discours présidentiel. Le Maître du Protocole doit lui adresser un rappel à l’ordre. D’ailleurs, le Président, tout plein de son éloquence écrite, (qu’il lit avec d’autant plus d’intérêt que, sans doute, elle n’est pas de lui), ne s’aperçoit de rien : — il ne s’aperçoit jamais de rien.

Au point final du discours, le Président pousse un bouton électrique qui met en mouvement toute l’armée des machines. (Acclamations de la foule.)

Puis, il donne la parole au Maître des Machines, qui s’avance, au milieu des applaudissements, heureux de l’occasion d’étaler orgueilleusement son génie devant cette assistance qui s’est ralliée de lui, et surtout devant la Belle Hortense, qu’il veut conquérir. Il commence par présenter à l’assemblée, d’un geste large, du haut de l’estrade, l’armée des Machines qui lui obéit militairement, à la prussienne. Série d’évolutions d’ensemble. Sur un signe, toute cette armée grondante, ronflante, tournante, gesticulante, s’arrête et retombe figée dans une immobilité de mort — puis, sur un autre signe, se remet à gronder, ronfler, tourner, gesticuler. Le Maître semble un magicien qui déchaîne et enchaîne les Éléments. Enthousiasme du grand public — et surtout des ouvriers du Maître, qui lui sont dévoués. Son orgueil en grossit encore. Il prend des allures dominatrices.

Sans souci du protocole, d’un geste autoritaire, il invite la société à le suivre, et commence la présentation des Machines — ou plutôt, sur un large espace dégagé, au milieu du Hall, il fait comparaître quelques-unes des machines nouvelles.

1. LES MACHINES DE FORMIDABLE PUISSANCE — qui, même exactes et soumises, font passer un frisson dans l’assistance. L’une soulève une masse monstrueuse et la porte négligemment au-dessus de l’honorable assemblée. L’autre a cent bras d’acier qui se déroulent et se hérissent de toutes parts, comme une araignée gigantesque.

2. LES MACHINES PSYCHOLOGIQUES : — La machine pour lire dans la pensée. Elle a la forme d’un œil, au bout d’une trompe d’éléphant, qui s’allonge, se pose par un bout sur le crâne du patient, et qui, par l’autre bout, comme une lanterne magique, projette sur l’écran ce qu’on voit dans le crâne : l’animal qui sommeille, les pensées secrètes. — Le Maître des Machines commence par quelques démonstrations anodines sur gens de moindre importance. Puis, comme il n’a pas perdu de vue la belle Hortense, et qu’il remarque, avec un dépit croissant, qu’elle ne fait aucune attention à lui (car elle est engagée dans un flirt avec le diplomate Agénor, jeune, chauve, élégant, insolent, prétentieux, qui prend avec elle des privautés), il est furieux et se venge en étalant aux yeux du public la niaiserie de leur pensée. Il s’approche très poliment et leur offre de faire la petite expérience, à laquelle ils se prêtent sans défiance : car ils n’ont pas suivi les essais précédents.

Le principe à adopter, dans ces images, sera de représenter la personne, telle qu’elle s’idéalise d’une façon caricaturale dans sa propre pensée, avec une figure symbolique qui matérialise l’impression : — ainsi, pour la belle Hortense, Hortense impératrice, au bras d’un des souverains, noirs ou jaunes, ou même de deux, avec une cour d’adorateurs : au fond, dominant la scène, un paon qui fait la roue. Pour d’autres individus, une girouette, un dindon qui glousse, un dormeur ligoté d’une toile d’araignée, un singe gambadant, etc. Et toujours, à côté du symbole, une scène grotesque de la vie imaginaire du personnage.

Dès les premières expériences, plusieurs des assistants, qui ont une peur du diable qu’on ne lise dans leurs pensées, s’esquivent, plus ou moins habilement, vont se mettre en queue du cortège, ou cachent leur figure et tâchent de se faire oublier. — En revanche, d’autres, bons nigauds, s’offrent complaisamment : ainsi, l’un ou l’autre des souverains exotiques.

Le Maître du Protocole s’empresse d’expliquer d’une façon flatteuse les insolentes images. On cherche à mettre un terme aux expériences indiscrètes. Mais voici le plus embarrassant : le Président se propose lui-même, pour être examiné. Son entourage essaie de l’en dissuader. Mais il ne veut pas comprendre ; il faut en passer par sa volonté. L’épreuve est nulle, le résultat : « zéro ». L’écran reste blanc (avec quelques vibrions flottants.) Il n’y a rien. — Gêne amusée de l’assistance. Le protocole s’évertue à idéaliser ce néant impeccable : netteté, intégrité, clarté. (Le zéro devient la circonférence du cercle, symbole de la perfection.) Le Président ne comprend toujours pas, et continue de sourire, enchanté.

Tandis que le Maître des Machines est occupé, aussi bien du Président que de la Belle Hortense, la petite Aviette, qui s’est déjà fait remarquer par ses allures gamines, sans souci de la solennité de la cérémonie, est prise d’un accès de malice : elle vient, à pas de loup, et applique l’appareil à lire la pensée sur la nuque du Maître des Machines. Aussitôt, on voit, projetés sur l’écran, les sentiments de Marteau Pilon, à l’égard de l’assemblée. Ils sont terriblement audacieux, méprisants, peu flatteurs pour les uns et les autres. Mais certains de ces sentiments sont, aussi, ridicules pour lui-même : ainsi, sa vanité et sa passion pour l’actrice. — Aux rires de l’assistance, l’inventeur s’aperçoit de la farce ; et il y met un terme. Mais l’indiscrète expérience lui a fait bien des ennemis ; et sa mauvaise humeur en est accrue. Dans son irritation, il perd le contrôle de lui-même ; et son subconscient commence à entrer en jeu. C’est le début de la « Révolte des Machines ».

D’abord, de simples facéties :

La cérémonie officielle est terminée, le cortège se remet en marche sur le trottoir roulant. Mais voici qu’en défilant le long de la rampe, le trottoir fait des siennes, danse, titube, se trémousse, s’amuse à faire sautiller les graves personnages — et, par une halte brusque, projette en l’air, d’un bond à la Nijinski, le Président et le cortège. — Indignation générale. Le Maître des Machines se précipite, fait arrêter le trottoir, échange des explications affairées avec ses ouvriers, aigres-douces avec les officiels, s’excuse comme il peut : — de plus en plus irrités, les uns et les autres.

Le cortège reprend sa marche, mais se refuse, cette fois, à remonter sur le trottoir roulant. Le spectateur accompagne les officiels personnages, dans leur traversée à pied du Hall des Machines, par l’allée centrale.

Les machines continuent leurs gamineries. Un long bras de machine va sournoisement pincer le gras du dos de la Belle Hortense, qui se retourne indignée et injurie le vieux et respectable académicien Bicorneille (qu’elle appelle, d’ailleurs, par erreur, Bicorneau). On rit bien, dans le petit groupe d’Aviette, Rominet, et parmi les ouvriers ; l’assistance échange des regards égayés. — Mais rira bien qui rira le dernier !… Chacun ne tarde pas à s’inquiéter, pour son propre compte, de ce qui peut arriver. — Voici un tuyau de caoutchouc, qui, s’allongeant subitement, emboîte, comme une trompe, le nez du diplomate, qui faisait la cour à Hortense. — Un autre tuyau de métal lâche une pétarade de fumée au visage de l’Archimaréchal, qui fait un bond en arrière. —

La redingote d’un élégant à monocle, un roi de la mode, se trouve relevée par-dessus sa tête, les deux basques tendues comme deux voiles. — Un tube lance-ciment crachote négligemment à droite et à gauche. — Enfin, le Président est happé au passage par une grue, soulevé de terre et emporté très haut, cul par-dessus tête. Mais même la tête en bas, il garde son haute forme à la main, et semble, en l’agitant, saluer l’assemblée. Le Maître des Machines s’épuise en objurgations, pour obtenir de la machine qu’elle dépose à terre le Président. Et, en même temps, son subconscient le fait ricaner, malgré lui, des poses grotesques du bonhomme.

C’en est trop : l’indignation, qui s’amassait depuis quelque temps, déborde. Le Maître des Machines est arrêté. On l’apostrophe furieusement, on le menace, on le malmène, et on le conduit en prison. Sa femme veut le défendre ; les soldats la repoussent. Les ouvriers (qui se sont bien amusés) manifestent pour Marteau Pilon leur sympathie attristée. Le Maître des Machines, au comble de la rage, montrant le poing à ses insulteurs, est entraîné par l’escorte.

Au fond du tableau se projettent les idées de vengeance et de destruction qu’il a en tête.

Alors, le cortège reprend son défilé, grave, compassé, au pas de l’oie, — d’autant plus solennel qu’il a été vexé. Mais ce n’est pas sans jeter, à droite, à gauche, des regards soupçonneux sur les machines qui, saintes nitouches, ont repris leur air innocent, mais ont, de temps en temps, un petit frémissement étouffé, qui fait se retourner l’assistance.

Le cortège sort par la grande porte du Hall, qui se vide rapidement. Au moment où la porte se referme sur les derniers visiteurs, dans le crépuscule qui tombe, un frémissement général parcourt toutes les machines, d’un bout à l’autre du Palais vide. Un instant, seulement. Les gardes, restés aux portes, qui se retournent au bruit, ne voient rien d’anormal. Les machines sont rentrées dans l’immobilité. Silence.

POINT DE VUE du spectateur : du fond de la salle, de la scène maintenant déserte, — de façon à embrasser, une dernière fois, l’ensemble du Hall et des machines, et, à l’autre bout, la foule qui sort par la grande porte du milieu.