La Révolution à Toulon - Le Club jacobin, l’esprit public et l’émigration

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La Révolution à Toulon - Le Club jacobin, l’esprit public et l’émigration
Revue des Deux Mondes3e période, tome 110 (p. 391-426).
LA
REVOLUTION A TOULON

I. Archives municipales de Toulon. — II. Archives départementales de Draguignan. — III. Lauvergne, Histoire de la Révolution dans le Var. — IV. Henry, Histoire de Toulon depuis 1789 jusqu’au Consulat. — V. Taine, la Révolution.

La Révolution n’a eu pendant longtemps pour historiens que des apologistes ou des détracteurs : ceux-ci qui la louaient sans réserves ni mesure ; ceux-là, qui la condamnaient tout entière. La raideur tranchante de ces jugemens contradictoires s’explique aisément par ce fait, que chacun abordait cette étude non dans l’esprit d’absolu désintéressement qui seul pouvait conduire à des conclusions équitables, mais avec les préoccupations, ou même les passions propres à l’époque où il écrivait. Or, ces préoccupations, et à plus forte raison ces passions, sont en histoire les mortelles ennemies de la justice.

Il semble que, de nos jours, l’histoire de cette grande et terrible époque commence à entrer enfin dans le domaine de la critique pure. Certes, la Révolution conserve des dévots et des adversaires également passionnés, qui voudraient nous obliger encore à l’admirer ou à la proscrire « en bloc. » Mais beaucoup d’autres esprits, dont la politique, — qui corrompt tout ce qu’elle touche, — n’a pas altéré la naturelle indépendance, protestent contre l’ultimatum de ces deux fanatismes. Et, en dépit de l’intolérance étroite des sectaires de l’une et de l’autre école, ces esprits libres et francs deviennent de jour en jour plus nombreux. Ils repoussent résolument le formulaire d’apologie ou de dénigrement qu’on voudrait leur imposer. Ils affirment que la Révolution n’est pas simple, qu’il y a en elle un surprenant mélange des passions les plus basses et les plus hautes, de crime et de vertu, de démence sanguinaire et de magnanime héroïsme. Et ils concluent logiquement que tout jugement simple rendu sur elle, tout jugement qui ne reflétera pas cette intime complexité, qui laissera dans l’ombre un des élémens de ce dualisme essentiel pour mettre l’autre seul en lumière, — tout jugement de panégyriste comme tout jugement de détracteur, par conséquent, — est suspect d’insuffisance, d’erreur, et doit être rejeté. L’auteur de l’étude qu’on va lire ose se flatter d’être un de ces esprits-là. L’étude elle-même montre la Révolution dans deux de ses aspects, l’un repoussant : la tyrannie d’un club jacobin dans une grande ville de province, — l’autre véritablement sublime : l’élan patriotique, les miracles d’héroïsme accomplis en même temps que les crimes, et qui, somme toute, les rachètent.


LE CLUB JACOBIN.
I

À Toulon, comme dans le reste de la France, le facteur principal des progrès de l’esprit démagogique pendant la Révolution fut le club. Étudions ce pouvoir nouveau : pouvoir non prévu, non défini, et par cela même illimité. Aucun article de la constitution ne le consacre, aucune manifestation régulière de la volonté du peuple ne lui donne un semblant même d’existence légale. C’est une règle fondamentale du nouvel ordre de choses créé par la Révolution, que tout individu ou tout corps dépositaire d’une partie quelconque de la puissance publique soit soumis à l’épreuve préalable d’une élection : lui seul échappe à cette loi. Pouvoir issu du bon plaisir seul de ceux qui l’exercent, il devrait logiquement payer la rançon de son vice originel, manquer d’autorité, de prestige et de force, soulever des résistances : et cependant il est, de sa nature, si envahissant et si formidable, que là où il surgit, il asservit ou absorbe tout, sans que personne songe à lui reprocher l’usurpation qu’il a commise sur le droit de la nation. Une poignée d’hommes, — et quels hommes ! — se réunit, annonce à grand fracas sa résolution de veiller désormais sur la chose publique, s’ingère aussitôt avec une violence qui n’a d’égale que son incapacité dans l’administration du village, du bourg, de la cité ; enfle son outrecuidance jusqu’à vouloir connaître des affaires de l’État et contrôler les actes de la représentation nationale : et les corps municipaux tremblent, les administrateurs du district et du département cèdent, les ministres obéissent, l’assemblée même souvent capitule ! Qui sont ces gens ? On l’ignore. — D’où sortent-ils ? On ne sait pas au juste, — du plus reculé et du plus abject des bas-fonds sociaux, à ce qu’il semble. — Qui leur a conféré le droit de parler si haut et si fort ? Personne. Qui les a revêtus de cette sorte de magistrature innomée qu’ils prétendent exercer ? Leur présomption et leur audace. — Le pouvoir « gisait à terre, abandonné dans la rue[1]. » Ils l’ont ramassé en disant : « Bonne trouvaille, le pouvoir est à nous ! » Et le club est fondé…

Arrêtons-nous ici pour assister à l’apparition d’un de ces produits spontanés de l’anarchie. L’exemplaire que Toulon nous en offre est tel, qu’on en chercherait vainement ailleurs un autre aussi parfait. S’il est vrai que les clubs soient devenus un des rouages principaux du régime nouveau, le club de Toulon résume à merveille, en les portant à leur plus haut degré de puissance, les traits essentiels de l’institution. Il est le type accompli du conventicule jacobin : qui le connaîtra bien, connaîtra tous les autres. Déterminer, ainsi qu’on se le propose, les origines de ce club, les élémens, — promptement modifiés, — qui concoururent à sa formation, l’esprit dont il fut animé, ses procédés d’action, la nature enfin de la domination qu’il s’arrogea : ce n’est donc point enfler à plaisir l’importance médiocre d’un cas particulier, spécial à la ville de Toulon et qui n’intéresse qu’elle. C’est prendre connaissance d’un phénomène qui s’est produit simultanément sur une foule de points en France, — avec moins d’intensité peut-être qu’à Toulon, mais dans des conditions absolument identiques ; — c’est, en un mot, dégager la philosophie générale du fait qui a peut-être influé, de la façon la plus décisive, sur la marche de la Révolution, qui a le plus efficacement contribué à lui imprimer un caractère de violence, et à la précipiter dans les voies de la démagogie. Cette analyse est d’autant moins hors de propos, que l’histoire de Toulon, pendant la période révolutionnaire, est étroitement mêlée à l’histoire de son club, ou plutôt que les deux histoires n’en font qu’une. Histoire tragique et sanglante : car dans aucune ville de France, — pas même à Paris, peut-être, — la liberté ne fut souillée par de pires excès.


II

Dès les premiers jours de la Révolution, « une société populaire » ou « patriotique » s’était constituée à Toulon, comme dans la plupart des villes de France[2]. Elle commença par recruter ses adhérens parmi les membres de cette bourgeoisie libérale, éclairée, qui voulait des réformes et qui accueillit avec enthousiasme la Révolution. La société populaire de Toulon fut « établie d’abord dans un but bien inoffensif par des hommes très honorables. » Telles avaient été, à Paris, les origines de la fameuse société des Amis de la constitution[3]. « Mais, — ajoute l’historien toulonnais à qui nous empruntons ces renseignemens, — elle se corrompit bientôt par ses relations avec les jacobins de Paris, et, sous le titre de club, devint le foyer de tous les crimes et le centre d’où partirent les actes atroces qui ensanglantèrent notre ville en marquant d’un signe d’horreur une partie de ses lanternes[4]. »

Quelques mois, en effet, se sont à peine écoulés, que la composition du club est déjà profondément modifiée. Les membres de la bourgeoisie, qui avaient formé d’abord le noyau de la société, s’écartent peu à peu, bientôt même se retirent tout à fait[5]. Leur place est prise par des hommes nouveaux, sortis pour la plupart des derniers rangs du peuple. « Qu’on se représente, dit un autre historien toulonnais, cette assemblée composée d’abord d’une centaine d’énergumènes, ensuite grossie de tous les oisifs qui ont soif et envie des biens que procurent seuls l’industrie et le travail ; en dernier lieu, augmentée par l’admission en masse des ouvriers du port, des matelots, des soldats, des forains sans aveu : et l’on aura une idée, faible encore, de ce que peut devenir à Toulon un véritable foyer d’anarchie[6]. » Ces hommes-là ne sont pas, comme les timides représentans de la bourgeoisie qu’ils remplacent, d’humeur à s’effrayer de la tournure que les choses ont prise. En précipitant son allure, la Révolution flatte la violence de leurs instincts. Bien plus, ils trouvent cette allure trop lente et voudraient l’accélérer encore. Ils sont gens d’ignorance robuste qui, ne sachant, ne soupçonnant même rien de l’infinie complexité des problèmes politiques ou sociaux, et se croyant néanmoins investis de la mission de les traiter, jugent que, pour les résoudre, les procédés les plus expéditifs sont les meilleurs : de même que rien ne vaut un coup de poing pour se débarrasser, dans la rue, de qui vous barre le chemin. Dans le vide de leurs cerveaux frustes, deux ou trois formules d’un dogmatisme raide et tranchant sont tombées ; elles y ont fermenté comme la vendange dans une cuve, elles obscurcissent de grisantes vapeurs les faibles lueurs de raison, de bon sens, de justice, d’humanité, que la nature leur avait départies. Ils sont ivres de liberté, de fraternité — ivres d’égalité surtout. Mais cette ivresse n’est pas inoffensive ; c’est une ivresse sombre, farouche : celle des vins frelatés d’où la gaîté du soleil est absente. Matelots, soldats, artisans, ouvriers, tous avaient un métier, — modeste métier manuel pour la plupart d’entre eux — qu’ils pratiquaient paisiblement, sans regarder à côté ni au-delà, à peu près satisfaits quand le labeur de la veille avait assuré le pain du lendemain. Tout à coup, l’idée leur est venue ou plutôt on leur a dit, — et ils ont cru aussitôt, — que leurs capacités étaient supérieures à cette humble tâche, qu’elles pouvaient se hausser à une vaste entreprise de transformation sociale, que la nation, — et qui sait, peut-être même l’humanité ? — attendait d’eux son bonheur, qu’ils se devaient désormais corps et âme à cette œuvre grandiose. Et les voilà partis sur cette chimère, emportés par elle dans une course vertigineuse, galopant bride abattue à travers l’absurde, en plein champ de démence. Une manie s’est emparée d’eux : la manie raisonnante et discoureuse. Tel, simple manœuvre hier, aujourd’hui disserte à perte de vue sur la politique, — dont les premiers élémens lui sont d’ailleurs totalement étrangers, — morigène les législateurs en titre, s’élève avec force contre leur circonspection et leur mollesse, propose des moyens d’une effrayante simplicité pour assurer, d’un trait de plume, la félicité publique. La déclaration des droits de l’homme, évangile politique et social supérieur à toute constitution et à toute loi[7], leur fournit les lumières nécessaires, des lumières qui ne peuvent tromper. De même, la Bible aux puritains de Cromwell. Et pas plus que ces dures « têtes-rondes, » ils ne sont capables d’éprouver une hésitation, de concevoir un doute. Eux aussi possèdent la source de toute vérité. Qu’y pourraient-ils puiser qui ne fût bon, qui ne fût sage, qui ne fût juste ; et de quel châtiment ne sera pas digne l’audacieux, le « non-conformiste » impie, qui oserait discuter les arrêts de cette sagesse, de cette justice souveraines ? Que la foudre populaire le frappe, l’anéantisse : le peuple, non plus que Dieu, ne saurait souffrir de blasphémateurs !

Le club, lieu de réunion où des gens d’esprit libéral et cultivé, de mœurs polies, aimaient à deviser entre eux, à se communiquer les nouvelles venues de Paris, à commenter les décrets de l’Assemblée, à se réjouir ensemble des bienfaisantes réformes accomplies, — ce club se transforme donc en un bouge, où des goujats apportent une tenue, des propos et une politique de cabaret. — Il arrive quelquefois que des élémens morbides, inoffensifs tant qu’ils restent dispersés dans l’organisme, se réunissent, se condensent en un point : la fièvre alors éclate. Le club, à Toulon, est de même un foyer où s’accumulent toutes les âcretés et toutes les sanies du corps social, une sorte d’abcès monstrueux qui attire tous les fermens malfaisans disséminés dans cette population de trente mille âmes, et qui centuple leur virulence, par cela même qu’il les rapproche. Un sûr instinct amène là les mécontens qui, croyant avoir à se plaindre de la société, ne réclament pas moins que sa subversion totale en expiation de ses torts envers eux. Artisans dégoûtés de leur métier trop rude, tâcherons insurgés contre la dureté de leur tâche, manœuvres las de peiner, ouvriers sans ouvrage parce qu’ils ne veulent pas travailler, soldats ayant déserté la caserne parce qu’ils ne veulent pas obéir, moines ayant jeté le froc parce qu’ils ne veulent pas observer la règle, tous les esprits rebelles à une discipline quelconque accourent au club et s’y enrôlent. Le club fournit à ces insoumis ce qui leur manquait, une tribune où ils vont pouvoir exhaler leurs récriminations ; un auditoire animé des mêmes passions, frémissant des mêmes haines, brutal et grossier comme eux : en sorte que, au lieu de demeurer isolés et par conséquent impuissans, tous ces réfractaires, mettant en commun leurs espérances et leurs rancunes, formeront un groupe formidable, d’autant plus audacieux qu’il se sentira plus compact. A côté des révoltés, les rêveurs, les illuminés en possession de la formule magique qui doit régénérer la nation : et la chimère de ceux-ci n’est pas moins dangereuse que les instincts subversifs de ceux-là, puisqu’elle préconise, elle aussi, les moyens radicaux comme seuls aptes à opérer la refonte de la société. Le club accueille les uns comme les autres ; les divagations des utopistes alterneront dans son enceinte avec les déclamations furibondes des sectaires. Il sert aussi de réceptacle aux ambitieux légers de convictions et de scrupules, qui cherchent à capter cette force aveugle au profit de leurs convoitises ; aux rhéteurs sans emploi qui s’improvisent tribuns ; aux déclassés qui, rebutés par toutes les carrières, trouvent dans le métier de démagogue une facile et fructueuse revanche des déceptions essuyées ailleurs par leur vanité ; à tous les hommes, enfin, sincères ou non dans leur fanatisme, dont les appétits de désordre, de violence, de domination brutale et oppressive, de représailles sanguinaires contre l’ancien ordre de choses, ont été déchaînés par la Révolution.

Entrons au club, assistons à l’une de ses séances. Depuis qu’une délibération de la municipalité, en date du 18 juin 1790, a définitivement reconnu l’existence de la société populaire[8], celle-ci tient régulièrement ses assises et se réunit chaque jour. A l’heure dite, ses membres arrivent, avec la ponctualité d’hommes qui savent qu’une grave mission leur incombe. Un emblème qu’ils portent à la boutonnière, un œil peint sur un ruban tricolore[9], rappelle d’une manière symbolique la nature et l’objet de cette mission, qui est avant tout de surveillance. Et, en effet, ils se considèrent, avec une conviction profonde, comme les sentinelles avancées, les gardiens en titre de la Révolution. Ne leur demandez pas qui leur a confié ce mandat, de quel droit ils prétendent l’exercer avec cette frénésie de zèle inquisiteur qui va leur faire découvrir partout des machinations et des traîtres. N’insinuez pas, surtout, que la validité d’un mandat qu’on se décerne ainsi à soi-même est suspecte, qu’elle fournit à tout le moins matière à contestation. Leur opinion sur ce point est faite, elle est inébranlable : c’est la volonté du peuple qui les a investis de ces fonctions. Ne cherchez pas à savoir quand, comment, cette volonté s’est exprimée en leur faveur. N’objectez pas que cette volonté souveraine qu’ils invoquent, à laquelle ils affirment que tout doit céder, c’est la leur, en réalité, qu’ils se sont eux-mêmes désignés, et que c’est une intolérable prétention de donner le caprice d’un individu pour le vœu de la nation. Inclinez-vous devant ce sophisme triomphant, devant ce nouveau Dieu le veut ! qui répond à tout, qui autorise tout, — et laissez passer ce mandataire du peuple qui, le bonnet rouge sur la tête, la pipe aux dents, des savates aux pieds, va travailler au bien de la chose publique !

Le local adopté par la société pour ses séances est l’église Saint-Jean. Toute décoration religieuse a disparu. Des attributs, des devises révolutionnaires s’étalent sur les murs. Une tribune a remplacé la chaire. Deux ornemens étranges la surmontent. Le premier est un drapeau polonais : le club a voulu rendre hommage à une nation qui combat pour son indépendance. Ce drapeau resta là jusqu’au 23 octobre 1792. Il fut alors retiré : le club ne voulait plus avoir sous ses yeux l’étendard d’un peuple « tombé sous l’esclavage des tyrans[10]. » Se moque qui voudra de ces enfantillages : ils montrent à quel diapason les âmes étaient montées et ne prêtent pas à rire. Car, parmi ces hommes qui faisaient un crime aux Polonais de n’avoir pas préféré la mort à la servitude, plus d’un, ne l’oublions pas, était sincère dans l’exaltation forcenée de son patriotisme ; et quand la France, à son tour, fut menacée, envahie comme la Pologne, il serait mort, s’il l’avait fallu, pour sauver la patrie et la liberté. — L’autre emblème est sinistre. C’est un lambeau de drap déchiré, troué, maculé de boue et de sang : la manche de l’uniforme d’un garde-suisse, tué le 10 août 1792, à la défense des Tuileries[11]. Un des seize fédérés toulonnais qui ont pris part à la journée[12] a rapporté de Paris ce trophée, — comme un sauvage le scalp de son ennemi, — et, pendant un an[13], l’église abritera la hideuse loque qui, placée au-dessus de la tête des orateurs du club, les inspire et stimule leur fanatisme, de même que la vue des reliques réchauffait naguère la piété des dévots.

A chaque séance, une cohue s’entasse dans l’église. Un système de recrutement par voie de simple cooptation, qui équivaut, dans la pratique, à l’admission en masse, a bientôt fait affluer au club, comme dans une sorte de sentine collective, toute la lie de la population toulonnaise. Plusieurs centaines d’individus portent le titre de membre de la « Société des vrais amis de la Constitution. » Ce titre est plus qu’un honneur : il est une sauvegarde. On le recherche, on l’envie, on s’en pare comme d’un brevet de jacobinisme éprouvé. Celui qui le porte n’a plus à trembler pour sa tête, et il peut faire trembler les autres pour la leur. Les professions représentées dans cette foule d’adhérens sont les plus humbles[14], celles qui, en exigeant un constant déploiement d’énergie physique, développent les muscles plus qu’elles n’affinent l’intelligence ; celles qui donnent le goût, le respect de la force, l’habitude de recourir à elle de primesaut, de compter sur elle pour trancher tout. Le club compte, en grand nombre, des portefaix, des bouchers, des forgerons, des charpentiers, des cordiers, des manœuvres, des « travailleurs à la terre, » des « perceurs de bronze » employés au forage des canons de l’Arsenal : tous gens de mœurs brutales, à la main prompte et lourde. A côté d’eux, une certaine quantité de membres de la bourgeoisie, des avocats, des journalistes qui rédigeront sa correspondance, des tabellions, des commerçans, des industriels. La crainte de passer pour tièdes révolutionnaires et d’être, à ce titre, placés dans la catégorie des suspects, d’où l’on passe bientôt dans celle des proscrits, les a enrôlés dans les rangs de cette société qu’ils abominent en secret. Et cette même crainte les pousse à renchérir sur le débraillé du costume adopté par les « patriotes, » à porter les bonnets les plus écartâtes et les plus sordides carmagnoles[15], à témoigner de leur « civisme » par la violence des propos qu’ils tiennent en public[16]. Ils sont les plus assidus aux séances, et c’est de leur bouche que sortent les motions les plus furibondes. S’ils ne tuent pas eux-mêmes, ils en seraient capables, au besoin, pour détourner tout soupçon de « modérantisme, » puisque, non contens de pousser à la tuerie, ils ont encore l’ignominie d’y applaudir. Après les massacres, ces lâches chansonnent gaîment les victimes et composent de petits vers, d’un tour satirique et badin, avec des jeux de mots, des remarques graveleuses sur la mine que faisait, dans les affres de son horrible agonie, tel malheureux qui vient d’être accroché à la lanterne. « N’en pendrem mai d’aristocrates, » — nous en pendrons encore des aristocrates ! — Ainsi débute une sorte de « Ça ira » local, en patois provençal, qui fit fureur à Toulon et qu’on chantait sur l’air très en vogue d’un chœur de Paul et Virginie :


Nous porter toi chez tes parens,
Sur un petit lit de feuillage[17].


« Il nous souvient, — dépose formellement l’honnête et véridique Henry, — d’avoir entendu, après les meurtres de juillet 1792, des personnes appartenant aux classes que nous venons de mentionner, composer, portes ouvertes, dans un café renommé alors, des couplets auxquels chacun fournissait un vers ou une idée et les chanter avec de grands éclats de rire : et pourtant, — nous le répétons, — c’étaient des hommes d’une bonne position sociale et jusque-là honorables dans leur état[18]. » L’infâme chanson est l’œuvre de ces bourgeois ; la peur les a rendus aussi féroces que les brutes sanguinaires dont ils provoquent et célèbrent ensuite les exploits.


III

Au milieu d’un air épais, saturé des fortes senteurs du tabac et de l’ail, la foule amassée dans l’ancienne église de Saint-Jean s’agite et vocifère. Un homme, qui porte en sautoir une écharpe tricolore sur une soutane[19], monte à la tribune. Des applaudissemens éclatent : le club a reconnu un de ses orateurs favoris, le prêtre démagogue Simond, membre de la municipalité, mystique redoutable, qui concilie dans ses professions de foi le jacobinisme et l’évangile, Robespierre et Jésus. Un ci-devant capucin lui succède : ce défroqué jette à ses auditeurs un discours blasphématoire et athée[20] qui, sortant de cette bouche et proféré dans ce lieu, leur semble de plus haut goût encore et les fait frémir d’aise. Un trait commun à tous les membres de l’association est, en effet, une instinctive hostilité contre la religion. Elle s’est manifestée d’abord par des attitudes inconvenantes dans les églises, des rires, des coups de sifflet, des huées pendant les offices, au cours des sermons, sur le passage même du saint-sacrement. Ces faits, dénoncés dès novembre 1791, par des curés constitutionnels qui demandent à la municipalité de prendre les mesures nécessaires pour en prévenir le retour[21], étaient répréhensibles assurément, mais, en somme, d’une assez inoffensive polissonnerie. Malheureusement, la résistance du corps ecclésiastique à la constitution civile du clergé, l’imprudente et factieuse lettre pastorale où l’évêque de Grasse, réfugié à Nice au milieu des émigrés, recommande à ses diocésains de ne pas se soumettre aux nouvelles lois[22], ont exaspéré cette hostilité et semblent, dans une certaine mesure, la justifier. Des incidens plus graves se produisent alors. Des iconoclastes s’attaquent aux images des saints et les lacèrent[23], avec la même rage qui les poussera bientôt à la destruction des emblèmes monarchiques. D’autres clubistes se plaisent à profaner les églises et y donnent rendez-vous à des femmes de mauvaise vie[24]. Scandales et sacrilèges ne rassasient pas encore la fureur croissante de leur impiété. Ils viennent « à la porte des temples, armés de nerfs de bœufs, de bâtons et de sabres ; ils tombent ensuite à coups redoublés sur les fidèles et n’épargnent point les membres du clergé[25]. » Leurs femmes les imitent : « A Toulon, des mégères se portaient aux abords des églises, accablant d’injures les dames pieuses qui s’y rendaient et allant même quelquefois jusqu’à les fouetter publiquement[26]. » Le club confond désormais dans une égale exécration l’aristocrate et le prêtre, l’ancien régime et l’Église. Le simple croyant lui est suspect au même titre que le ci devant gentilhomme : fidélité à Dieu ou fidélité au roi inquiètent, irritent pareillement l’intolérance de sa foi révolutionnaire et lui semblent dignes de pareils châtimens. Ainsi se forme, se précise peu à peu dans son esprit, la doctrine meurtrière de l’extermination en masse de tous les dissidens, déclarés ou secrets, de la Révolution. Vienne la Terreur, — la Terreur officielle, légale, si l’on peut dire, — le club est prêt à adopter, à pratiquer toutes les mesures, que le système recommande : car lui-même, du jour qu’il a commencé d’exister, a commencé aussi de terroriser.

Poussons plus avant l’analyse. Après avoir dit ce que le club déteste, cherchons à montrer ce qu’il aime. L’étude de ses sympathies n’est pas moins instructive que celle de ses haines.

Il aime l’indiscipline, il applaudit avec transport à tout acte de rébellion. Des troubles ayant éclaté à Aix, en décembre 1790, les officiers du régiment de Lyonnais voulurent faire marcher la troupe pour rétablir l’ordre. « Les grenadiers s’y sont opposés, — écrit la Société des amis de la constitution d’Aix à celle de Toulon, — et le brave Ferréol, lieutenant de grenadiers, s’est comporté avec le plus grand patriotisme : il mérite d’être élevé au plus haut grade ; il a empêché tout le régiment de marcher[27]. » Un si beau trait excite l’enthousiasme du club de Toulon. Il adresse aussitôt des félicitations aux sous-officiers de Lyonnais. « Frères et amis, les remercîmens de vos concitoyens vont être la récompense de votre patriotisme… La patrie depuis longtemps vous mit au nombre de ses plus vaillans défenseurs : elle vous conte aujourd’hui parmi ses meilleurs citoyens. Grenadiers, honorés-vous de ce glorieux titre. Le droit de la vertu est d’être cité pour modèle et vous venés d’acquérir à Aix le droit d’être celui de tous les soldats patriotes. » Et il se hâte d’offrir l’affiliation à la Société « pour MM. les sous-officiers et grenadiers qui ont contribué à votre généreuse résolution[28]. » Cette marque d’approbation collective donnée à des mutins ne lui suffit pas. Le principal auteur de la rébellion n’a-t-il pas conquis des titres à un hommage particulier et plus éclatant ? Le même jour, la Société écrit au lieutenant Ferréol : « Monsieur, l’expression manque à nos sentimens. Que pourrions-nous vous dire qui ne fût au-dessous de ce que vous avés fait à Aix ? Il en faut revenir à cette noble simplicité des temps héroïques. L’assemblée patriotique de Toulon a voté que votre nom serait mis au-dessus de la place de son président et surmonté d’une couronne de chêne. Nous vous demandons l’honneur de vous affilier à la Société des amis de la constitution dont nous sommes membres[29], »

Insurrection contre la société ou résistance à l’autorité des chefs militaires : la sympathie du club est acquise à toutes les révoltes. Les forçats même ont droit à ses bonnes grâces. Le bagne n’est-il pas une Bastille toujours debout et n’évoque-t-il pas le souvenir maudit de l’autre, « de cet horrible monument que des siècles barbares avaient élevé et entretenu pour servir la passion de nos anciens tirans… de ce colosse affreux qui renfermait tant d’innocentes victimes[30] ? » A quoi bon s’assembler si souvent devant le modèle de l’odieuse prison, expédié de Paris et déposé dans une des salles de la maison commune ? A quoi bon « pleurer et se lamenter à l’aspect du tableau représentant le cercueil des victimes trouvées mortes dans les cachots, » et pousser « des cris de haine et de vengeance contre les assassins de Latude, lorsqu’un habitué du lieu faisait le récit pathétique de la longue agonie de ce malheureux jeune homme[31] ? » Sans doute, le bonnet vert et la casaque jaune marquent encore du signe d’infamie plus d’un innocent, aussi digne de pitié que cet infortuné, dont la touchante histoire résume tous les crimes du passé. Arrière donc à ce préjugé qui condamne au mépris ceux qu’une justice souvent inique a condamnés au bagne ! La disgrâce qui a frappé ces pauvres gens ne vient-elle pas, en somme, de ce qu’ils ont secoué un joug, — celui des lois restrictives de l’indépendance individuelle, — de ce qu’ils ont protesté contre un assujettissement, fait acte d’hommes libres, en un mot ? .. Galériens attachés à la chaîne, soldats rivés à l’étroite et dure discipline du régiment : les uns aussi bien que les autres sont des victimes de l’ancien régime, des frères malheureux, opprimés, qu’il faut plaindre, qu’il faut aimer, qu’il faut aider à s’affranchir. Et c’est pourquoi le club, qui roue de coups les fidèles à la porte des églises pour se faire la main en attendant d’égorger les curés, se constitue protecteur en titre de la chiourme, lui rend visite, reçoit d’elle des adresses de remercîment. « Nous sommes pénétrés de ce que le club fait pour nous. Nous tâcherons de le mériter. Votre patriotisme ne pouvait se montrer avec plus d’éclat qu’en nous honorant de votre présence… Vous ne dédaignez pas les enfans des patriotes. Braves citoyens, que notre reconnaissance est vive ! Quelle nom excite à la vertu ! Nous vous supplions d’assurer les amis de la constitution que nous partageons la douleur des peuples dans ce moment et que la cimentation de la liberté de la nation remplit nos cœurs d’allégresse. Pour les forçats : Duplessy[32]. »


IV

Depuis que s’est constitué, à Toulon, cet « organe nouveau, supplémentaire et parasite qui, à côté des organes légaux, se développe dans le corps social… cette sorte d’excroissance dévorante dont l’envahissement est irrésistible[33], » toutes les affaires locales passent par les mains du club et n’arrivent à celles des corps chargés de l’administration de la cité, du district ou du département, que traitées à l’avance, triturées et déjà résolues par lui. Là, comme dans le reste de la France, il est « un vrai tribunal d’inquisition, » un « colosse de despotisme[34]. » Maître des élections, grâce au découragement des modérés qui s’abstiennent, à Toulon comme partout[35], et le laissent voter seul en faveur de candidats qu’il a choisis et qui, tenant leur mandat de son puissant patronage, obéissent servilement à ses injonctions, il est maître absolu de la municipalité et, par elle, de la ville. Mais les affaires de la commune, du district, du département même ne suffisent pas à assouvir ses appétits de domination, à calmer la fièvre d’activité qui le dévore. Il promène sur les départemens voisins la surveillance aiguë de son « œil » redoutable ; il porte plus loin même ses regards, jusqu’à la frontière, jusqu’à Paris ; il plane sur la France entière et, dès qu’il a découvert quelque chose de suspect, il dénonce. Écoutez sa profession de foi. Nous sommes, dit-il, « fiers de notre innocence et de notre civisme, inébranlables dans notre amour pour la constitution et dans nos efforts pour en propager les principes, infatigables dans notre surveillance pour l’observation des lois et dans notre activité pour en dénoncer les infractions[36]. » Surveillance et propagande : tout son programme tient dans ces deux mots. Et il est pénétré de l’importance de sa tâche ; elle prend tout son temps, absorbe toutes ses pensées. C’est avec une conviction profonde qu’il écrit aux Amis de la constitution d’Avignon : « Pardonnez à la brièveté de notre lettre. Le bien de la patrie en danger remplit tous nos momens[37]. »

Cette tâche, en effet, est énorme. Ces centaines, bientôt ces milliers de sociétés populaires qui, du sein de la décomposition générale, ont surgi, non-seulement se sont affiliées à la société des Amis de la constitution de Paris, sorte de « maison mère », cerveau et cœur de l’association, qui élabore la pensée directrice et qui la transmet[38], — mais elles se sont affiliées entre elles. Ainsi s’est formé le réseau souple et serré, au centre duquel veille le club des Jacobins. Celui-ci relie et noue les uns aux autres tous les fils de cette gigantesque toile d’araignée qui enlace la France, qui paralyse jusqu’à la plus faible manifestation de sa libre et sincère volonté. Or, toutes ces sociétés solidaires échangent des communications, des avis, des renseignemens de toute sorte, des offres de service, des congratulations, des certificats de civisme ; elles se font part de leurs inquiétudes, de leurs soupçons, de leurs espérances, de leurs affaires particulières, de leurs vues générales… De là, une correspondance immense et incessante. Le club de Toulon a-t-il, par exemple, reçu avis de la présence à Aix d’un individu suspect ? Aussitôt, il prévient la société sœur, lui jette le cri d’alarme, l’exhorte à agir sans retard et sans ménagement contre le traître : « Salus populi suprema lex esto ! Et quel droit particulier ne s’anéantit pas devant le droit national ? Cicéron eût-il sauvé la République, s’il eût respecté dans Catilina le droit de citoyen romain[39] ? » Graves paroles ! Sous la forme un peu pédante du souvenir classique qu’elles rappellent, elles laissent entrevoir comme une première ébauche, molle encore, mais qui se précisera bientôt, de la farouche doctrine du salut public, invoqué comme raison suffisante en faveur de tant de crimes ! Le même jour, — 17 décembre 1790, — le club de Toulon écrit aux sous-officiers et aux grenadiers du régiment de Lyonnais, au lieutenant Ferréol, comme on l’a vu plus haut, pour leur offrir l’affiliation, aux Amis de la constitution d’Avignon, pour accepter celle qu’ils lui proposent. Et il en est de même tous les jours. Le club est une sorte de ministère universel et mystique : le ministère de la volonté du peuple. Sa compétence s’étend à toutes les matières d’ordre politique indistinctement. Après avoir délibéré, dans ses séances, sur les innombrables questions qu’il considère comme tombant de droit sous sa juridiction, il les tranche, dans ses lettres, du ton autoritaire et rogue d’un potentat aussi convaincu de son infaillibilité, que sûr de son omnipotence. Juge-t-il, par exemple, insuffisantes les mesures prises par le gouvernement pour déjouer les complots des « ennemis de la constitution » et protéger les frontières ? Il somme la municipalité de réclamer auprès de l’assemblée le renvoi des ministres[40]. S’est-il avisé que cette même assemblée, — en essayant, par le décret du 10 mai 1791, de modérer la fureur de pétitionnement qui s’est emparée du pays[41], — que la constitution, en subordonnant à une condition de cens la qualité d’électeur, ont, pour parler le langage du temps, porté atteinte à un droit naturel, « imprescriptible et sacré » du citoyen ? Vite, il rédige une impérieuse adresse à l’Assemblée et la met en demeure ou de se dissoudre ou de révoquer ces décrets « plébicides et liberticides » qui ont « réduit le peuple à la triste condition des ilotes », qui lui ont ôté « jusqu’au droit de se plaindre, dernière consolation des malheureux[42]. » Affaires étrangères, complications diplomatiques, sont aussi bien de son ressort que les affaires intérieures. Trois patriotes de passage à Nice ont-ils été malmenés par des agens de recrutement qui veulent les enrôler de force dans les troupes du roi de Sardaigne, le club gourmande aussitôt le consul de France, lui reproche durement d’avoir manqué à son devoir en ne couvrant pas ses nationaux d’une suffisante protection. Le plus autoritaire des monarques, mécontent d’un de ses agens, oserait à peine lui adresser une aussi cruelle réprimande. Mais quoi ! le club est un souverain absolu qui a relégué l’urbanité au nombre des conventions hypocrites de l’ancien régime et qui s’en vante. « Le ton de liberté que notre missive respire vous étonnera peut-être ; mais, monsieur, les Amis de la constitution ne connaissent pas les ménagemens et la duplicité ci-devant appelée politesse[43]. » Un maître, en effet, est-il tenu à des formes courtoises lorsqu’il tance son valet ?

Autoritaire et despote, le club peut l’être impunément, car sa domination s’étaie sur un savant système d’intimidation qui fait trembler la ville entière devant lui. L’un des premiers et mieux qu’aucun autre en France, le club de Toulon a compris l’emploi de l’émeute, sa vertu toute-puissante et irrésistible. L’émeute est son instrument de règne. Il s’en sert pour prévenir toute insurrection contre sa monstrueuse tyrannie, pour paralyser d’avance, par la terreur seule qu’il inspire, tous ceux qu’il soupçonne d’être en secret impatiens de son joug. L’émeute est son art propre, l’objet favori de son étude ; il en possède à fond la théorie et, mieux encore, la pratique. Il excelle à la préparer et, quand il en a dressé le programme, il l’exécute avec une incomparable perfection. A-t-il surpris quelque velléité de résistance dans la population qu’il malmène, qu’il pressure, qu’il décime, dans l’un des corps administratifs qu’il asservit ou qu’il brave ? Ses espions lui ont-ils révélé, par exemple, qu’une partie de la garde nationale murmure contre lui et cherche secrètement un appui auprès du directoire départemental ? Que cette haute assemblée, composée de membres de la bourgeoisie libérale et modérée, médite de recourir à la représentation nationale pour délivrer la ville[44] ? Aussitôt les meneurs, dans une série de séances tumultueuses, chauffent à blanc les esprits des membres de l’association. Des déclamations furibondes retentissent à la tribune, des motions incendiaires éclatent. Toute cette tourbe grossière, rassemblée à Saint-Jean, se grise de paroles violentes, d’invectives, de menaces. Quand elle est arrivée au paroxysme de la fureur, on la lâche. La meute enragée se rue dans la ville, la parcourt avec des clameurs sauvages, des gesticulations frénétiques, qui redoublent chaque fois qu’elle passe devant la maison d’un suspect, d’un ennemi du club. On se contentait, dans les premiers temps, de faire halte un instant sous ses fenêtres et de le régaler, en manière de sérénade, d’une audition du « Ça ira », accompagné de gestes expressifs. Un peu plus tard, à partir de 1792, on tâche de le saisir et on le pend. Bientôt, on portera en triomphe des têtes coupées, on forcera des ci-devant à baiser ces faces blêmes, plantées à la pointe des piques[45]. La population paisible se cache et tremble derrière ses volets clos, au passage de la horde hérissée de sabres, de piques et de baïonnettes, qui hurle à plein gosier des refrains sanguinaires. Et c’est là ce qu’on appelle « une promenade civique. » Pas de semaine où le club n’en offre à Toulon le spectacle terrifiant. Aux momens de crise, ces promenades se renouvellent chaque jour. La malheureuse cité est ainsi tenue dans un état chronique de stupeur et d’épouvante qui abolit en elle toute énergie, toute faculté de résistance, qui la livre pieds et poings liés à ces sicaires. Quelque chose de cette terreur a passé dans les termes, singulièrement expressifs, qu’emploie, pour dépeindre ces scènes, un historien toulonnais qui en fut le témoin dans sa jeunesse. « Le club de Saint-Jean, dit Lauvergne, domina tous les pouvoirs du lieu sans exception. Ses velléités de désordre s’annonçaient par une émeute dont le bruit suffisait à l’effroi qu’il voulait propager ; lorsqu’il voulait frapper de plus rudes coups, le lion sortait de l’antre en rugissant, il parcourait la ville en semant dans les familles paisibles l’épouvante et la désolation[46]. » La « promenade » achevée, la bête regagnait sa tanière ; et, dans la ville muette, consternée, pas une voix ne s’élevait pour proposer à ces milliers d’hommes inoffensifs, parmi lesquels elle venait de prélever encore son sanglant tribut, de s’unir enfin contre elle et de l’abattre. Cela dura trois ans : de juin 1790 à juillet 1793. Pendant trois longues années, une bande de scélérats audacieux, composée par portions à peu près égales d’énergumènes et de malandrins, put terroriser à merci près de trente mille citoyens honnêtes, ayant pour eux, outre leur innocence, le droit, la loi, la force même, — puisqu’ils avaient le nombre, — mais manquant de la résolution nécessaire pour défendre, contre la plus odieuse des oppressions, leur liberté, leurs biens et leur vie. Devant un pareil spectacle, l’historien confondu s’arrête, ne sait plus que penser ni que dire, et se demande ce qui lui doit inspirer le plus d’horreur et de dégoût, de la férocité des bourreaux ou de la lâcheté des victimes…


L’ESPRIT PUBLIC ET L’EMIGRATION.
I.

Cette activité désordonnée, dont la correspondance du club de Toulon nous fournit les indices, n’est point particulière aux quelques centaines d’individus remuans et bruyans qui composent cette société populaire : elle est la marque même de l’époque, son signe propre et distinctif. Jamais l’âme humaine n’a été plus troublée, plus vibrante qu’en ce temps-là. On peut douter qu’à l’époque même des grands conflits religieux du XVIe siècle, qui l’ont si violemment émue, tant et de si puissantes passions se soient déchaînées sur elle, l’aient ainsi agitée en tous sens, labourée jusque dans ses profondeurs, fouettée de souffles si impétueux. Depuis que cette grande et terrible Révolution est commencée, la France a perdu le repos. Elle a les yeux ardemment fixés sur Paris, et la persistance même de cette contemplation l’hallucine. Toute parole dite là, tout événement qui s’y accomplit, retentissent aussitôt avec une violence extraordinaire jusqu’aux extrémités du corps, avidement tendu, de la nation. De là ces tressaillemens soudains, tantôt de crainte et tantôt d’espérance, aujourd’hui d’allégresse et demain de colère, ces transports convulsifs qui la secouent. Une vie intense s’est éveillée dans le pays ; il sent plus vite, plus fortement qu’autrefois ; mais cette sensibilité s’est développée jusqu’au point où elle devient maladive ; où la volonté d’un peuple, comme celle d’un individu menacé de démence, perd l’harmonie de son fonctionnement normal et, procédant par impulsions brusques, donne le spectacle inquiétant d’une force déréglée qui ne sait plus ce qu’elle fait et qui ignore où elle va. Si la France tout entière a la fièvre, Toulon est un des points où l’on peut observer les manifestations les plus caractéristiques de la maladie régnante.

Cette maladie a pour premier symptôme la prédominance exclusive des préoccupations d’ordre politique. — Autrefois, sauf le cas où de grands intérêts nationaux tels qu’une guerre, un traité, étaient en jeu, chacun en France s’occupait de ses affaires d’abord, de celles de sa province, de sa ville, de son bourg ou de son village ensuite, et fort peu de celles de l’État. Au roi et à ses ministres était dévolu le soin de veiller sur celles-là et de les régler de la façon la plus avantageuse et la plus honorable pour le pays. Depuis 1789, l’ordre est interverti : c’est aux affaires de la nation qu’on s’intéresse par-dessus tout. Le mal ne serait pas grand, ou même il n’y aurait là qu’un avantage au lieu d’un mal si, à ce zèle, s’unissaient l’expérience et la modération requises pour aborder d’aussi graves et complexes matières. Mais tout le monde se croyant apte à les traiter sans le moindre apprentissage préalable, tout le monde croyant avoir une opinion raisonnée sur elles, avec le droit d’exprimer cette opinion sous mille formes, articles de journaux, brochures, pamphlets, affiches, adresses, pétitions, discours ; de l’imposer par des manifestations bruyantes ou par la force même, au besoin, il en résulte que cet intérêt passionné pour la chose publique, cette fureur de s’ingérer sans titre ni mandat dans le gouvernement du pays, de donner des conseils aux pouvoirs légaux et de discuter leurs actes, se résout finalement en un affreux désordre, et qu’au lieu de l’activité féconde d’un peuple libre, travaillant dans la plénitude de son indépendance et de sa raison à l’œuvre de ses destinées, la France n’offre plus en spectacle que l’anarchie et le chaos. Qu’on en juge par ce qui se passe à Toulon. « Les affaires de la localité, nous dit expressément Henry, n’étaient plus pour l’administration de la ville que des objets bien accessoires ; l’état d’agitation pour l’autorité, celui de fermentation et d’émeute pour la population, paraissaient être devenus l’état normal : les affaires se rapportant à la politique… étaient celles qui dominaient exclusivement tous les esprits[47]… » La conseillère de tant d’inepties, de tant d’iniquités et de tant de violences ; le ferment malfaisant d’agitations stériles où se dépense et s’épuise le meilleur des forces vives d’un pays ; la « politique, » — considérée non pas comme une noble et haute science réservée aux plus éclairés et aux plus sages, mais comme une carrière ouverte à la turbulence des brouillons, aux convoitises des ambitieux, à l’intolérance étroite des sectaires, — la néfaste politique moderne vient de naître.

Et qu’on ne croie pas que ce soient les seuls citoyens « actifs, » c’est-à-dire investis à un degré quelconque du droit de suffrage, que la passion nouvelle ait envahis. Tout le monde est atteint. Les enfans mêmes se préparent, sur les bancs de l’école, au métier qu’ils voient universellement pratiquer autour d’eux : ils étudient, ils apprennent, — que dis-je ! — ils savent déjà les phrases creuses et sonores, les formules qu’un futur politicien doit connaître. On les y pousse, d’ailleurs ; on leur inculque, avec les règles de l’orthographe, les principes de cette vaine science ; on leur enseigne la langue emphatique qui lui est propre, qu’on parle autour d’eux, et qu’eux-mêmes parleront à leur tour. Voici une pièce manuscrite, dont la grosse écriture hésitante et tremblée révèle des doigts rudes encore au maniement de la plume, de lourds doigts de paysan ou d’enfant : c’est une lettre adressée, en 1790, à la municipalité, par de jeunes élèves du collège de Toulon. Cette municipalité a décidé qu’on leur donnerait désormais en prix le recueil des décrets de l’Assemblée ; elle a invité leurs professeurs à « développer devant eux les principes de la constitution. » Avec une ingénuité qui prêterait à sourire, si elle n’était au fond assez touchante et n’accusait un état d’esprit qui fut général à cette époque, et où l’ironie n’a rien à voir, pas plus que dans toute autre matière de foi, — car il s’agit ici, qu’on le remarque bien, d’une véritable religion qui se fonde, le culte de la Révolution, — ces enfans s’écrient : « Notre unique attention sera de puiser, dans ces ouvrages précieux, ces maximes salutaires qui, en formant l’homme de bien, lui font apprécier ce qu’il vaut, lorsqu’il ne dégrade point, par une conduite odieuse, sa qualité primitive… Nous maintiendrons de tout notre pouvoir la constitution, nous la chanterons en prose, en vers, nous la traduirons en latin et en toutes les langues connues, enfin nous la prônerons aux quatre coins de la terre, où la destinée pourra nous conduire… Vos très humbles et très obéissans serviteurs et jeunes citoyens, les écoliers de la troisième du collège de Toulon[48]. » De quoi, si ce n’est de politique, voulez-vous que s’occupent plus tard ces « jeunes citoyens de la classe de troisième, » dévoués à la constitution au point de la vouloir chanter en vers latins, et qui connaissent déjà le catéchisme de Jean-Jacques ?

Aussi bien qu’à l’école, la politique a pénétré à la caserne. De la bouche des soldats, comme de celle des collégiens, sortent des paroles naïvement déclamatoires qui sembleront d’une haute signification, pour peu qu’on prenne la peine de chercher et de découvrir, sous l’enflure des mots, la profondeur et, pour tout dire, la noblesse du sentiment qu’ils expriment. « Dites si, depuis que nous sommes dans vos murs, nous nous sommes montrés les esclaves du despotisme, si nous nous sommes comportés comme les soldats du roi ou comme ceux de la nation, si nous avons voué obéissance à l’homme ou à la loi ? L’honneur du soldat français dépend désormais du discernement de ces principes… » Ainsi parlent, en cette même année 1790, dans une adresse expédiée à la municipalité, au nom de leurs compagnies respectives, les sergens majors du régiment de Dauphiné[49]. De ces sous-officiers, sans doute, la discipline, l’esprit de subordination est suspect. Mais leur dévoûment à la nation, — ce qui somme toute vaut mieux encore, — parait sincère. Ils discuteront peut-être les ordres de leurs chefs ; mais, quand la patrie leur commandera de mourir, ils obéiront.

Au bagne même, chose à peine croyable, l’esprit nouveau s’est glissé, et une ardente sollicitude, pour les intérêts généraux de la nation, se manifeste au milieu de gens qu’on ne s’attendait guère à voir livrés à des préoccupations de cette sorte. Les forçats, ces mêmes forçats amis et protégés du club, dont le « cœur était rempli d’allégresse par la cimentation de la liberté de la nation, » écrivent, en avril 1790, au maire Richard, une lettre plus surprenante encore. Ils ont lu « le n° 96 du Courrier d’Avignon » et ils y ont vu que cette gazette les accuse de tramer une révolte. Ils se défendent contre cette accusation en termes chaleureux et comiques. « L’alarme est dans leur cœur. » Ils sont « pénétrés du désir le plus patriotique. » Ils veulent « désabuser les chefs de la nation et tous les citoyens, » adresser un mémoire à l’Assemblée nationale, une lettre au Courrier d’Avignon « pour prouver à toute la terre que l’esprit de rébellion n’est pas parmi eux[50]. » Ces forçats méconnus et vertueux qui reçoivent et qui lisent des journaux ; qui rédigent des mémoires, des adresses, des rectifications ; qui s’intéressent à la chose publique ; qui font de la politique, en un mot, eux aussi : l’étrange époque que celle-là ! ..

Cette invasion de la France par la politique ne va donc pas sans certains avantages qui compensent, dans une assez large mesure, les graves inconvéniens qu’on a signalés. Le désordre, assurément, est partout : dans la commune comme dans l’État. L’administration est soumise à l’ingérence brouillonne et tyrannique des clubs, ou à la brutale pression des émeutes. Le pays est profondément troublé, les crises s’y succèdent avec une rapidité et une violence extraordinaires ; toutefois, cette agitation n’est que l’excès d’une vitalité supérieure et, à tout prendre, elle vaut mieux que la mortelle torpeur, l’indifférence glacée qui annonce l’épuisement ou la sénilité d’un peuple. Qu’elle est riche, cette sève surabondante qui bouillonne dans les veines de la nation rajeunie ! Amour de la liberté, dévouaient passionné à la chose publique, foi dans l’avenir de la Révolution et dans la mission régénératrice de la France, patriotisme indomptable : un peuple qui porte tout cela dans son cœur peut bien délirer par momens. Et quel cerveau serait assez ferme pour n’être point troublé par les fumées d’un tel vin ? Mais ce vin est généreux et tout n’est pas malfaisant dans l’ivresse qu’il provoque ; le ferment des plus grandes actions s’y trouve, comme des pires ! D’ailleurs, s’il est juste de dire que, dès le premier ébranlement reçu de la Révolution, ce peuple a commencé de déraisonner, il est également équitable d’ajouter que, dans la suite, rien n’a manqué de ce qui pouvait l’aider à perdre tout à fait la tête. Au premier rang de ces influences funestes, qui ont fini par rendre chronique et exaspérer la dangereuse exaltation que quelques accès, à peu près inévitables au début d’une pareille crise, auraient sans doute assouvie et calmée, — chacun sait qu’il faut mettre l’attitude follement provocatrice, le langage et les actes inconsidérés ou criminels des émigrés. Mais il y a des vérités qu’il est bon d’affirmer sans cesse, parce que sans cesse on les conteste ou qu’on les oublie[51]. L’exemple de ce qui s’est passé à Toulon nous permettra de montrer la lourde responsabilité des adversaires de la Révolution, dans cette humiliante éclipse que va subir le doux et humain génie de la France, — devenu tout à coup méfiant, sombre et cruel, sous l’empire de la folie qui l’a peu à peu envahi. En effet, du jour où un ci-devant noble, ou un prêtre insermenté eurent passé la frontière, l’appréhension que ce gentilhomme et ce prêtre ne se fussent expatriés pour conspirer plus à l’aise contre la liberté s’empara du pays tout entier. Ce ne fut d’abord qu’un vague instinct de défiance. Rien ne prouve que, si les émigrés s’étaient contentés de mettre, — comme ils en avaient incontestablement le droit, — leur vie en sûreté, cette prévention ne se fût pas peu à peu dissipée. Mais il leur fallut davantage. Ils commirent le crime inexpiable de conspirer contre cette patrie qui devait leur être sacrée, quelque dure et injuste qu’elle se fût montrée envers eux. Ils ne daignèrent même pas conspirer en secret : c’est ouvertement, au grand jour, qu’ils bravèrent, qu’ils provoquèrent, qu’ils menacèrent. Le simple instinct devint alors, et par leur faute, une conviction raisonnée, fondée sur des faits, une passion impérieuse et inexorable. La France, de bonne foi, crut en péril cette Révolution sortie du fond de ses entrailles ; et elle entra aussitôt en fureur.


II

Dans les derniers mois de 1789, après les sanglantes journées des 5 et 6 octobre surtout, un grand nombre de gentilshommes avaient rejoint, à Turin, le comte d’Artois, réfugié dans cette ville auprès de son beau-père le roi de Sardaigne. Ils attendaient là les événemens, les yeux fixés sur cette France qu’ils n’avaient quittée qu’à regret, et où de tenaces illusions leur persuadaient qu’ils allaient pouvoir rentrer bientôt en triomphateurs. Chassés par la crainte, — une crainte amplement justifiée par les intolérables persécutions dont on les avait accablés[52], — ils étaient devenus à leur tour un sujet de crainte pour les partisans de la Révolution qui, n’ayant laissé à ces malheureux d’autre ressource que l’exil, ne leur pardonnaient pas néanmoins de s’être exilés. Beaucoup d’entre eux, trouvant Turin trop éloigné ou trop triste, avaient choisi pour résidence un point encore plus rapproché de la frontière et s’étaient établis dans la riante ville de Nice, où le consul de France, Leseurre, homme intelligent et actif, très dévoué à la Révolution, surveillait leurs menées et tenait soigneusement au courant de leurs irritantes fanfaronnades, de leurs propos, de leurs intentions et de leurs actes, les municipalités des villes qui, comme Antibes, Toulon et Marseille, étaient plus particulièrement menacées par les projets d’invasion que ces fous ne prenaient même pas la peine de dissimuler.

Dès le mois de février 1790, Leseurre donne l’alarme. Il envoie à la municipalité de Toulon le signalement d’un agent des émigrés chargé par eux d’une mission secrète en France ; en même temps, il annonce la prochaine invasion du territoire par le comte d’Artois à la tête d’une armée de plusieurs milliers d’hommes[53]. La municipalité remercie et promet de faire bonne garde. Elle communique aussitôt ces nouvelles aux municipalités voisines. Un frémissement de crainte et de colère court d’un bout à l’autre du département. Ah ! c’est là ce qu’ils méditent, ces aristocrates maudits, campés à deux pas de la frontière ! .. Ils guettent le moment de la franchir, de fondre sur des villes désarmées, de rentrer en France avec l’assistance des tyrans étrangers, d’y restaurer l’ancien régime aboli, toutes les iniquités et toutes les servitudes dont la nation s’est enfin délivrée : les dîmes, les péages, les corvées, les lettres de cachet ! Aux armes, citoyens ! .. Et les demandes de fusils, de sabres, de canons, de poudre, de balles et de boulets arrivent de toutes parts à Toulon. Marseille, La Seyne, Ollioules, Saint-Nazaire, La Valette, en réclament à l’envi[54]. A quel plus noble usage, qu’à la défense de la liberté conquise et menacée, pourraient servir ces innombrables engins de guerre dont l’arsenal est plein ? Qu’on le vide, s’il le faut, mais qu’on arme ces milliers de patriotes prêts à combattre et prêts à mourir ! .. Des armes ! c’est le cri que pousse la France tout entière en même temps que le département du Var. Si ces armes se sont trempées dans un autre sang que celui des ennemis de la patrie, qui donc les a mises aux mains de ceux qui en ont fait un si terrible usage ?

Trois mois se passent, dans l’attente énervante d’une agression, toujours différée par l’indécision et l’impéritie de ceux qui la préparent, mais regardée toujours comme imminente par ceux qu’elle menace. L’anxiété dont le pays est étreint ne se fait nulle part sentir avec plus de force que dans les départemens que bordent ces frontières, de l’autre côté desquelles on voit, on entend les émigrés tramer ouvertement leurs complots contre la Révolution, avec des airs de jactance, de ridicules rodomontades, qui trahissent l’incurable présomption de ces têtes légères. Dans ces départemens-là, on ne vit plus. Une étrange fièvre d’inquiétude, d’universelle défiance, de colère s’est emparée des esprits, les trouble, les affole, les prédispose aux résolutions violentes. Tout devient matière à soupçon. Le moindre fait, démesurément grossi par ces imaginations surchauffées, prend aussitôt des proportions énormes et menaçantes. Le chevalier de Moriès, par exemple, voulant faire, en juin 1790, un voyage d’agrément par mer le long des côtes, s’avise-t-il de commander à un marchand de Toulon divers pavillons destinés à pavoiser son bateau ? Le comité de recherches ouvre immédiatement une enquête ; cette commande lui paraît suspecte ; ces pavillons ne vont-ils pas servir à faire, « aux ennemis de la liberté, » des signaux ? Et un volumineux dossier gonflé d’interrogatoires, de procès-verbaux, de dépositions, se forme sur cette ridicule affaire[55]. Deux journaliers viennent affirmer qu’ils ont vu, sur la montagne appelée le « Baux de quatre heures, » un pavillon blanc élevé et abaissé à deux reprises différentes[56]. Signal royaliste évidemment : nouvelle enquête, nouveau dossier, nouvelles transes dans la ville et recrudescence de fureur contre les traîtres.

Reste à savoir si ces craintes, assurément excessives, étaient toutes imaginaires ; si le péril qui, après leur avoir donné naissance, les entretient, les renouvelle et les ravive sans cesse, était chimérique ou réel. Qu’on en juge. — Le 8 juillet 1790, le consul de France à Nice adresse une circulaire aux Français réfugiés dans cette ville. Le marquis de La Planargia, gouverneur-général de la cité et du comté de Nice, l’a engagé, au nom de sa majesté sarde, « à insinuer à messieurs les Français qui se trouvent à Nice, qu’il est bon qu’ils quittent le séjour de ladite ville parce que, d’après les avis qu’on a reçus, ni eux ni le païs ne peuvent y trouver leur compte. » Le roi ne refuse pas de leur donner asile dans ses États, mais il entend que les émigrés choisissent pour résidence des villes éloignées de la frontière et « qu’ils ne se réunissent pas en grand nombre dans la même ville. » Les villes fortifiées leur sont interdites ; Casal, Verceil, Carmagnole, Novare, sont autorisées à les recevoir. Ils sont invités à se conformer à ces ordres « dans le moindre délai possible[57]. » Pourquoi ces mesures sévères ? Une lettre de la municipalité d’Antibes à celle de Toulon nous l’apprend : « Messieurs, la ville de Nice ne sera plus le repaire des aristocrates qui s’y étaient réfugiés. Sa Majesté sarde, indignée de leur conduite, les en a chassés avec défense d’approcher de six lieues de sa côte[58]. » Ainsi, l’attitude des émigrés à Nice est telle, si imprudente, si provocante, que le propre beau-père du comte d’Artois est réduit à leur défendre de rester dans le voisinage de la frontière. L’ordre, à la vérité, fut révoqué quelques jours après, mais non pas sans que la cour de Turin leur recommandât expressément de ne plus abuser désormais de l’hospitalité qu’on leur accordait. « Les Français réfugiés dans cette ville sont parvenus à faire révoquer l’ordre qui les obligeait à la quitter, mais il leur a été enjoint de se comporter avec la plus grande modération. C’est M. le comte d’Artois qui leur a obtenu cette faveur[59]. » Cet avertissement aurait dû, à ce qu’il semble, sinon couper court à leurs intrigues, du moins les induire à y mettre un peu plus de circonspection. Mais quelle prise un conseil de prudence pouvait-il avoir sur ces écervelés qui, à Nice comme à Coblentz ou à Bruxelles, plaçaient au rang de leurs plus graves préoccupations des intrigues galantes, de futiles querelles de préséance, de simples questions d’uniformes[60] ? Ils continuèrent donc : les uns, — les fortes têtes du parti, les politiques, — à prophétiser bruyamment la prochaine restauration du roi dans la plénitude de son autorité, c’est-à-dire le retour de l’ancien régime ; les autres, — les jeunes, les mousquetaires de la cause, — à menacer et à braver de loin la Révolution, qui cependant ramassait contre eux ses forces et qui, dès la première passe du duel où ces téméraires la provoquaient, allait briser comme verre leurs fragiles épées de cour. « La fermentation extrême dont je suis témoin, — écrit Leseurre le 17 novembre 1790, — non de la part du pays, mais de ceux qui s’y sont retirés ; son augmentation sensible depuis quelques semaines ; diverses assemblées entre eux où l’on m’assure qu’a été signée une confédération pour sacrifier biens et vies à une contre-révolution ; le nombre considérable de ceux ailleurs, qui, dit-on, ont donné leurs signatures ; des propos violens jusqu’aux spectacles, dans les caftes, les rues, les boutiques ; l’annonce, que même des principaux ne dissimulent pas, d’une prompte revanche dont quelques-uns fixent l’époque au plus tard en janvier ou février ; l’arrivée imprévue à Turin de M. de Calonne, de l’abbé son frère et d’autres ; le ton plus fier que tous reprennent : tout chés eux décèle un redoublement d’espoir fondé sur quelque grande entreprise[61]. » A côté de cet avis général, déjà passablement alarmant, le détail précis, le fait concret qui frappe l’imagination populaire : « Une première démonstration de leur association est un uniforme qui vient d’être adopté par le party. Le fond de la couleur est bleu, le bouton en cuivre, portant une fleur de lys dans le champ[62]. » Leseurre enfin conclut : « On a certainement des vues pour s’emparer de quelque port comme de Toulon ou de Marseille, peut-être des deux. Quelqu’un a entendu dire : si le port était incendié… Je vous laisse, messieurs, à tirer les inductions de ce peu de mots recueillis : mais ils m’effraient… On ne voudrait pas, sans doute, s’engager dans l’intérieur du royaume sans auparavant s’assurer d’une clef par où recevoir des secours. Le projet sur Befford (Belfort) éclaire sur le plan à supposer[63]… » Qu’on juge de l’effet que devaient produire de pareilles révélations sur des esprits inquiets, et ombrageux, déjà trop disposés à voir partout des traîtres ! Faut-il s’étonner si, instruits d’un si noir complot, ils ont suivi le conseil de Leseurre : « Le meilleur moyen, pour déconcerter, est de paraître en mesure contre tout projet hostile, de redoubler d’activité pour en découvrir les partisans secrets[64]. »

Et chaque jour arrivent de nouvelles preuves de la grande conspiration ourdie à Nice par les émigrés. Le 20 novembre 1790, le consul de France ajoute, en post-scriptum, à sa lettre du 19 : « Depuis ma lettre écrite ; on m’a assuré que l’exécution du plan se tentera beaucoup plus tôt ; je recueille mes notions de diverses parts qui n’ont rien de commun. » Le 25, il écrit : « L’explosion doit se faire au plus tard en février ; d’autres disent beaucoup plus tôt… On ne peut garantir qu’Antibes soit un des objets, mais il y a lieu de craindre, et la chose est probable parce qu’il faut un point d’appui et que c’est la ville la plus à portée… Il est aussi très vraisemblable qu’on fera en même temps des tentatives ailleurs, surtout contre les ports de France, parce qu’on a des intelligences partout. Les forces extérieures ne sont pas les seules à redouter, mais ce sont les affidés intérieurs qui sont à craindre, parce qu’étant inconnus, on ne sait à qui on doit se fier. Il est sûr à n’en pouvoir douter que l’on travaille à Nice à estamper plusieurs milliers de boutons en cuivre, ayant dans le champ une fleur de lis en creux[65]… » Est-ce tout ? Non. « Trois chariots chargés de ballots d’uniformes français et de caisses d’armes sont partis du port de Limpia dans la direction de la frontière[66]. » Un garde national d’Antibes étant allé à Nice en uniforme est hué, insulté, poursuivi par une foule, à la tête de laquelle se trouvent des réfugiés français porteurs de la cocarde noire. On lui arrache sa cocarde tricolore et on la foule aux pieds ; il n’est délivré que par l’intervention de deux ordonnances du gouverneur qui le renvoie, le lendemain, par mer à Antibes, encore tout meurtri des coups qu’il a reçus[67]. Le prince de Condé, déguisé, s’est présenté à Turin chez l’armurier du roi de Sardaigne et lui a demandé s’il pouvait se charger d’une fourniture de dix mille fusils de munitions. Le marché a été conclu. L’armurier a envoyé un émissaire à Saint-Étienne pour y embaucher des ouvriers. Les réfugiés français qui se trouvent à Turin « se sont liés entre eux par un serment solennel dont l’objet n’est point public, mais que l’on présume être une ligue contre la Révolution[68]… » Une correspondance est découverte, qui prouve que les émigrés nouent des intelligences dans l’armée, cherchent à gagner à prix d’or des sous-officiers et des soldats à leur cause[69]. Au mois de décembre, ce n’est même plus d’invasion, de complot contre la Révolution qu’il s’agit, mais d’une sorte de Saint-Barthélémy tramée contre les patriotes. « Je me vois avec douleur dans le cas de vous confirmer la phrénésie des Français émigrés. Le même emportement et la même violence règnent toujours dans leurs propos. J’en suis instruit par diverses voyes ; les menaces sont affreuses, nulle tête n’est assés sacrée pour être respectée ; ils prétendent avoir dans Paris même un parti assés nombreux pour tout oser avec espoir de succez ; il n’attend, disent-ils, que l’étincelle pour éclater. Ils annoncent une grande entreprise vers le 1er janvier. Les lettres particulières de Coblentz sont montées sur le même ton[70]… » Leseurre ajoute, il est vrai, ces paroles remarquables : « Ces discours sont si universels, se tiennent avec si peu de précaution dans plusieurs maisons françaises principales, semblent se répandre même avec tant d’affectation, paraissent si peu proportionnés aux moyens, que je suis bien tenté de croire que ce n’est que pure forfanterie, et qu’à défaut de forces suffisantes au dehors, on tâche de semer l’inquiétude, l’effroi, la terreur au dedans pour achever d’y mettre la confusion, dans l’espoir de faire naître la contre-révolution de l’excès du désordre même[71]… » Les imaginations ne sont pas moins hantées désormais par cette révélation terrifiante d’un projet d’égorgement en masse, formé contre les patriotes par les perfides adversaires de la Révolution. A nous, qui sommes de sang-froid, l’accusation ne parait pas reposer sur une base bien solide. Mais à des gens qui traversaient une pareille crise, qui vivaient en pleine lutte, dont toutes les facultés d’enthousiasme, de crainte, de colère, étaient démesurément tendues et vibrantes, qu’importait, je vous le demande, qu’une telle idée fût déraisonnable ? .. Se figure-t-on qu’ils avaient, — était-il même possible qu’ils eussent, — conservé l’équilibre mental nécessaire pour examiner froidement un fait, discerner le vrai du faux, le chimérique du réel ? .. Non ; ils pensaient, comme ils agissaient, par impulsions brusques et irréfléchies. La dénonciation de Leseurre manquait de vraisemblance : elle n’en parut que plus clairement démontrée. Le propre de toutes les convictions profondes n’est-il pas de trouver, dans l’absurdité même d’une croyance, des raisons de croire davantage ? D’ailleurs, Leseurre lui-même qui, au mois de décembre 1791, ne parlait encore, comme on l’a vu, de ce complot qu’avec de prudentes réserves, se laisse gagner quelque temps après à l’universelle crédulité, à la manie de tout grossir, de tout dramatiser, d’apercevoir derrière les incidens les plus insignifians, des dessous ténébreux, d’effrayans abîmes de mystère. Ce ferme esprit se trouble comme les autres ; tout sens critique l’abandonne, il divague à son tour : « De fortes raisons me laissent croire que ce n’est point sans fondement que l’on assure qu’un affreux complot avait été formé pour égorger, dans plusieurs de nos villes des départemens méridionaux, les citoyens que la fureur des contre-révolutionnaires avait proscrits. Un plan général de massacre avait été concerté… Deux mots de guet avaient été donnés. Le premier, que j’ignore encore, mais dont j’espère être instruit, devait être prononcé par celui chargé de l’assassinat et, si la personne à qui il s’adressait ne répondait pas par le second mot, elle eût aussitôt été percée du fer meurtrier : or, ce second mot, qui devait sauver ou condamner la victime, était erro. On a entendu ces mêmes gens convenir que cette abominable conspiration avait été découverte avant le tems et avait rendu victimes les acteurs qui s’étaient chargés d’un rolle dans cette noire machination ; mais enfin ils se flattaient de renouer la trame et que le coup n’était que différé. C’était singulièrement contre Marseille que le premier acte de cette horrible tragédie était dirigé[72]. » Si ce Leseurre, que sa correspondance nous montre pourvu d’une singulière perspicacité, d’un sens politique à la fois très solide et très fin ; si un homme obligé par sa profession même à observer, à juger froidement, à peser ses paroles, en est là, où voulez-vous qu’en soient les autres ? Douteront-ils encore, alors que lui ne doute plus ? Hésiteront-ils à suivre le conseil que lui-même leur donne, à plusieurs reprises, de se défier des « ennemis intérieurs, » de surveiller « les traîtres du dedans, » plus redoutables que ceux du dehors ? Et si tout le monde ou à peu près finit par devenir suspect, si les prisons se remplissent, si l’horrible guillotine se dresse, qui donc, en somme, a déchaîné cette fureur de suspicion et de vengeance ? C’est, à n’en pas douter, ce que Leseurre appelle avec force : « la phrénésie des Français émigrés. »

III

Mais ce n’est pas la crainte et la colère seules qu’excitent, à Toulon, l’insolente attitude et les provocations des émigrés campés à Nice. Un autre sentiment plus noble trouve aussi, dans ces menaces, le plus puissant stimulant : l’amour de la patrie grandit en même temps que l’anxiété et se fortifie de tout ce qui l’augmente. On ne se contente pas de trembler pour la France et pour la liberté. A les voir en péril, on s’aperçoit qu’on tient à elles plus qu’à la vie même : en sorte que, — chose étrange, — cette crainte partout répandue, au lieu de déprimer les âmes, les élève bien au-dessus de leur niveau ordinaire, leur découvre la sublime beauté des sacrifices noblement consentis aux grandes causes, leur donne enfin cette forte trempe d’héroïsme qui a sauvé la Révolution, — et la patrie avec elle.

Ce point est mis en une vive lumière par la correspondance qu’échangent entre elles les municipalités des départemens menacés. Voici une lettre qu’écrit la petite ville de Cette à Toulon, en juillet 1790[73]. Cette vient d’avoir, par un de ses citoyens « dont le zèle pour le maintien de la Constitution est généralement connu, » la révélation « du plan des sinistres desseins des ennemis du bien public. » Une alliance a été conclue entre l’Espagne, la Sardaigne, l’Autriche et la Prusse. Un de « nos princes fugitifs » en sera le généralissime. Les alliés préparent une double attaque, sur Montdauphin et sur Perpignan. Les contre-révolutionnaires espèrent avoir pour eux Aigues-Mortes, Agde, Toulouse, Montauban, Lyon. « Leur projet est d’attaquer Nîmes et de le razer. » La municipalité de Cette a cru devoir donner à celle de Toulon « cet avis intéressant, » afin que les Toulonnais puissent se mettre en état de défense, « courir au secours de leurs frères menacés, » annoncer par des signaux l’approche des ennemis de l’État. Et les obscurs officiers municipaux qui ont écrit cette lettre trouvent, pour conclure, cette formule admirable qui en condense en trois mots tout l’esprit : « Nos bras, nos cœurs et nos vies sont à vous. » Ah ! les braves gens ! quelle mâle simplicité ! quelle sincérité d’accent ! quel profond sentiment de la solidarité nationale ! ..

Antibes manque de canons. Sentinelle avancée de la France du côté de la frontière sarde, la vaillante petite ville a, dès la fin de juillet 1790, mis en batterie sur ses remparts le peu de pièces dont elle dispose. Elle ne se fait aucune illusion sur la valeur de ses préparatifs de défense. « Jamais il y eut de magasins plus mal approvisionnés que les nôtres ; tous les affûts sont pourris, il n’y a point de madriers pour établir de plates-formes et, si nous avions un siège à soutenir, tout serait hors de service en vingt-quatre heures… Nous n’avons que huit hommes pour la garde du fort et pas un seul sur nos remparts pour veiller sur les canons qui sont en batterie[74]. » La situation, qui nous est ainsi dépeinte en août, ne s’est pas améliorée en novembre. « Nous avons peu de bras… Nos remparts manquent de canons et de tous les attirails de guerre nécessaires pour la défense d’une place[75]. » De l’autre côté du Var, qui marque la frontière entre la France et les États sardes, à deux pas d’Antibes par conséquent, les émigrés s’agitent, s’organisent, préparent l’invasion du territoire français. Antibes, évidemment, est destinée à essuyer le premier choc. Elle n’en doute pas, du moins. « Des avis certains, que nous venons de recevoir de Nice, nous annoncent que les esprits y sont dans la plus grande fermentation, que les réfugiés y abordent de partout et en grand nombre, et que notre ville court des dangers parce que c’est contre elle qu’ils semblent diriger leurs forces, pour avoir une place de guerre et un point de réunion[76]… » Si peu en état qu’elle soit de résister à une attaque, Antibes n’est pas moins résolue à se défendre. « Nous sommes, messieurs, dans une situation véritablement critique… Cependant nous sommes loin de nous décourager. Le sang de nos anciens Provençaux coule dans nos veines, et nous le garderons toujours pur et sans tache. Nous avons juré de vivre libres ou mourir, et jamais nous ne fausserons notre serment[77]… » Marseille, à qui cette lettre est adressée, mande aussitôt à Toulon : « MM. les officiers municipaux d’Antibes nous écrivent que le sang des Phocéens coule dans leurs veines ; c’est ce même sang qui vous anime ainsi que nous, et qui nous fait chérir la liberté avec idolâtrie. Non, messieurs, un peuple qui a brisé ses fers ne les reprend pas, et nous pouvons attendre avec une tranquille fermeté les attaques des ennemis de la Révolution, certains qu’elles échoueront contre le bouclier du patriotisme[78]. » En même temps qu’à Marseille, Antibes avait annoncé à Toulon sa généreuse résolution de s’ensevelir, s’il le fallait, sous ses propres ruines, plutôt que de se rendre. Écoutez en quels termes ; et, si vous trouvez de l’emphase, de la déclamation dans ces paroles, gardez-vous, comme d’une impiété, de sourire ! Car cette emphase est sincère ; elle n’est que la traduction toute naturelle, — on pourrait presque dire toute simple, — d’un sentiment qui, ayant acquis chez ces gens-là une force extraordinaire, ne pouvait plus s’exprimer avec des mots ni des formes ordinaires : et nous déclamerions comme eux, n’en doutez point, si la vigueur amoindrie de nos âmes nous permettait d’aimer la patrie comme ils l’ont aimée ! « Il est de notre devoir, disait Antibes, de vous instruire que la chose publique est en danger et que les réfugiés français qui sont à Nice font les préparatifs nécessaires pour venir s’emparer de notre place… Nous mourrons s’il le faut, mais nous mourrons libres… Nous nous ensevelirons sous les ruines de notre patrie. Ils n’iront jusqu’à vous qu’en marchant sur nos cadavres expirans, et nous ne vous demanderons ensuite qu’un marbre avec cette inscription : ICI FUT ANTIBES[79]. » Toulon réplique sur le même ton : « Écrivez-nous tous les jours… Si l’ennemi s’approche, nous volerons vers vous… La municipalité, la garde nationale, seront jalouses d’aller participer à l’honneur de vos sacrifices pour la patrie, à la deffense de vos possessions et à la destruction des ennemis du bien public. Envoyez-nous dès lors vos femmes et vos enfans ; ils trouveront des cœurs susceptibles d’un véritable amour ; ils partageront la frugalité de nos foyers que le déshonneur n’aura jamais souillés ; ils occuperont les places de ceux qui auront volé vers vous, et qui ne sauraient leur raporter d’autre nouvelle, que celle d’avoir réussi avec vous à les maintenir dans la jouissance de leur liberté[80]. » Que pensent, de cet héroïque dialogue entre les deux villes, ceux qui accusent la Révolution d’avoir seulement lâché la bride aux pires instincts de l’homme ? L’antiquité nous a-t-elle transmis quelque chose de plus beau ? Qu’importe un peu d’enflure dans les mots, quand il y a tant de noblesse dans les idées, tant de grandeur dans les actes !

Et cet héroïsme n’est pas un accès éphémère : il se soutient, il dure, il coule sans s’épuiser du cœur de ces hommes, il marque de son empreinte leurs pensées et leurs actes de chaque jour. — « MM. les administrateurs du département sont venus à notre secours, » écrit encore la municipalité d’Antibes à celle de Toulon. « Sous peu de jours, nous serons hors d’insultes, et alors nous attendrons avec une espèce d’impatience les ennemis. Mais nous craignons qu’ils ne trompent notre attente, parce que les traîtres sont toujours lâches[81]… » — L’héroïsme est devenu l’état d’esprit même de la nation tout entière. S’il se manifeste d’abord sur les points voisins de ceux où les émigrés trament leurs complots, il gagne de proche en proche jusqu’aux parties de la France qui semblent n’avoir rien à redouter de l’invasion. Une généreuse envie de coopérer au salut commun s’empare de villes du centre qui pourraient, en des temps de moins chaude solidarité nationale, se désintéresser d’un péril dont la menace est pour elles si lointaine. A la nouvelle d’une prochaine agression des émigrés et de leurs alliés contre Antibes, Le Puy s’émeut et veut aussitôt, comme Toulon, voler au secours de la vaillante petite ville. Un registre est déposé à la maison commune ; les jeunes gens viennent en foule s’y inscrire ; en quelques heures, une légion de volontaires est formée[82]. L’Auvergne a soif de combattre et de mourir pour la Provence, c’est-à-dire pour la patrie. Car il n’y a plus d’égoïsme nulle part : à l’étroit particularisme provincial s’est substituée une haute et large conception de la nation. Cette idée nouvelle vaut à elle seule des armées ; elle va produire des miracles, et c’est assurément un des plus beaux spectacles offerts au monde que cet universel élan d’un grand peuple qui vient de prendre conscience de lui-même et qui, poussé à bout par de folles provocations, se dresse tout à coup, animé d’une force invincible que ses ennemis ont mise en lui par ces provocations mêmes.

Tel est en effet le résultat inattendu des intrigues de l’émigration. Elles inquiètent, elles irritent la nation ; mais elles développent en même temps jusqu’au paroxysme le sentiment patriotique, elles resserrent, elles fortifient l’unité du pays, elles le préparent peu à peu à l’idée de combattre jusqu’à la mort pour son indépendance ; elles font aimer la Révolution à beaucoup de gens qui ne l’auraient, ni aimée avec la même chaleur, ni servie avec le même dévoûment, si ses adversaires n’avaient eu la maladresse d’obliger tout Français à confondre la cause de la Révolution avec celle de la patrie elle-même. Vienne la crise de la première invasion, la France est prête. Elle s’attendait à ce choc : elle le repousse victorieusement. Et ce sont les émigrés qui, en la tenant depuis deux ans sur le qui-vive sans une minute de repos, ont de leurs imprudentes mains bandé ce terrible ressort qui brise tout, leurs alliés et eux-mêmes, le jour où il se détend. Ôtez de l’histoire de ce temps ce fait capital : l’émigration ; ou supposez, — cette seconde hypothèse étant plus acceptable, — qu’au lieu de prendre dès le premier jour une attitude fanfaronne, provocante et agressive, l’émigration n’ait été que l’ostracisme volontaire d’un certain nombre de Français s’éloignant de leur pays jusqu’au jour où, l’animadversion populaire qui les en chassait s’étant enfin calmée, il leur eût été loisible d’y rentrer paisiblement et de s’accommoder tant bien que mal du nouvel ordre de choses, qui lui-même se fût accommodé d’eux, — et c’est ainsi précisément que les choses se passèrent dix ans plus tard, au temps du consulat : — tout change aussitôt. Sans l’émigration, la Révolution eût été tout à la fois moins terrible et moins grande ; les faits et les hommes y eussent été de proportions plus normales, y eussent moins complètement échappé à la mesure ordinaire, — qui ne peut pas leur être appliquée, — puisqu’ils la dépassent de toutes parts. L’émigration est indubitablement responsable en grande partie des pires excès de la Révolution : elle a, sinon provoqué, du moins entretenu et exaspéré l’inquiétude, la défiance, la colère, qu’on trouve comme élémens essentiels au fond de ce délire meurtrier qui s’empara du pays. Mais, — qu’on le remarque bien, — dans le même temps qu’ils obligeaient la Révolution à faire ainsi banqueroute à ses belles promesses de fraternité, de justice et d’amour, qu’ils la poussaient à se déshonorer en commettant, à son tour, toutes les iniquités et toutes les violences qu’elle avait chaleureusement flétries, — les émigrés, par cela même qu’ils créaient, concurremment avec l’état d’esprit anxieux, d’où sont sortis les crimes, l’état d’esprit héroïque, d’où sont sorties les grandes actions de cette tragique époque, préparaient sans le savoir le salut de cette Révolution dont ils tramaient la perte. Bien plus, ils travaillaient à sa réhabilitation future autant qu’à son salut présent et avec la même inconscience : puisque, grâce à eux, la Révolution allait pouvoir présenter leurs complots comme excuse de ses fureurs et racheter la grandeur de ses crimes par la grandeur de son patriotisme. Et c’est un problème historique dont l’intérêt n’est pas médiocre de savoir, — non pas si l’émigration a exercé une grande influence sur la marche de la Révolution, ce qui est depuis longtemps hors de doute, — mais si l’émigration peut-être n’aurait pas, tous comptes faits, rendu service à la Révolution.


GEORGE DURUY.

  1. Taine, Révolution, II, p. 40.
  2. Taine estime qu’à la fin de 1791, il n’y avait pas moins d’un millier de sociétés populaires en France. Ce chiffre devait être de beaucoup dépassé par la suite. « Après la chute du trône, il y en aura presque autant que de communes (26,000), dit Rœderer. » (Révolution, II, p. 46.)
  3. Taine, Révolution, II, p. 56.
  4. Henry, I, p. 129.
  5. Ce phénomène est général : « Vers la fin de 1789, les gens modérés, occupés, rentrent au logis… La place publique appartient aux autres. » — (Taine, Révolution, I, p. 271.)
  6. Lauvergne, p. 106.
  7. Voir, sur ce point important, Taine, Révolution, I, p. 273.
  8. Henry, I, p. 129.
  9. Ibid., II, p. 15.
  10. Ibid., I, p. 275-276.
  11. Henry, I, p. 275-276.
  12. Archives de Toulon. — Lettre de MM. Barrallieret Martelly-Chautard à la municipalité, du 12 août 1792. Un des « seize braves, » Roubaud, a été blessé d’une balle à la jambe. Un autre, Bouquet, a sauvé le drapeau du bataillon parisien de Saint-Marcel, dont les Suisses allaient s’emparer.
  13. Jusqu’en juillet 1793. Le premier soin de la réaction antijacobine fut alors de détruire cet emblème. — (Henry, II, p. 38.)
  14. Archives de Toulon. — Affiches des jugemens prononcés en 1793 contre d’anciens membres du club (voir les professions indiquées).
  15. Henry, I, p. 246.
  16. « Le nombre et la brutalité des perturbateurs croissaient de jour en jour ; il n’y avait plus de garantie de sûreté pour le citoyen paisible dont l’opinion politique ne se traduisait point au dehors en bravades et en provocations. » — (Lauvergne, p. 96.)
  17. Henry, I, p. 300.
  18. Ibid., I, 265.
  19. Henry, I, p 174.
  20. « Plusieurs prêtres avaient ainsi abondé dans les idées démagogiques et un ex-capucin avait osé, dans son délire, proférer, à la tribune du club, les plus grands blasphèmes contre la vérité de la religion et l’existence de Dieu. » — (Henry, I, p. 359.)
  21. Archives de Toulon. — Dossier intitulé : Scandales dans les églises ; lettres du curé de la paroisse de Sainte-Marie à la municipalité, en date des 24 novembre 1791 et 27 février 1792.
  22. Lauvergne, p. 86. — L’évêque de Vence avait fait de même. Ces mandemens avaient été répandus à plusieurs milliers d’exemplaires dans les deux diocèses.
  23. Ibid., p. 136.
  24. Archives de Toulon. — Jugemens, imprimés sur affiches, du tribunal populaire en 1793.
  25. Lauvergne, p. 136.
  26. Henry, I, p. 357. — De nombreux faits analogues sont cités par Taine. (Révolution, I, p. 240 et 241.)
  27. Archives de Toulon. — Dossier intitulé : le club patriotique de Toulon ; lettre de la Société des amis de la constitution d’Aix à celle de Toulon, du 15 décembre 1790.
  28. Archives de Toulon. — Même dossier ; lettre du 17 décembre 1790.
  29. Ibidem.
  30. Archives de Toulon. — Lettre du sieur Palloy, « patriote, entrepreneur de la démolition de la Bastille, » à M. le maire de Toulon, en date de 22 juin 1790. Il annonce renvoi d’un modèle de la Bastille. Ce modèle existe encore. On peut le voir au musée de Toulon.
  31. Lauvergne, p. 87 : — « La foule s’empressait de toucher la dalle provenant des pierres du cachot et sur laquelle était empreint le portrait du roi ; elle écoutait avidement, les yeux fixés sur un plan de la Bastille, la description qu’on lui faisait de cette affreuse prison… » — Notez à quel point ces conférences publiques sur la Bastille, entourées d’une savante mise en scène, de plans, d’images destinées à émouvoir la sensibilité des spectateurs, — ces « leçons de choses » faites en présence d’un modèle où se trouve, enchâssée comme une relique, la dalle d’un des cachots, — devaient frapper les esprits. Nous assistons ici à la genèse même d’une de ces tenaces et indestructibles légendes que la démonstration la plus claire de leur fausseté ne parvient pas à extirper de la conscience populaire.
  32. Archives de Toulon. — Cette curieuse pièce n’est malheureusement pas datée. Il est probable qu’elle se rattache à une affaire d’avril 1790 qui nous est connue, grâce à une autre lettre adressée, le 28 de ce mois, par les forçats, à M. Richard, maire, dont il sera question plus loin.
  33. Taine, Révolution, I. p. 272.
  34. Ces expressions se trouvent dans une pétition des officiers de la garde nationale de Besançon à l’Assemblée, citée par Taine. — (Révolution, II, 54.)
  35. Voir les chiffres instructifs donnés par Taine au sujet de ces abstentions. (Révolution, II, p. 373-374.)
  36. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre du 21 novembre 1790.
  37. Ibidem. — Lettre du 17 décembre 1790.
  38. Voici un exemple qui fera bien comprendre le mécanisme de ces affiliations. Le club de Toulon écrit, le 12 mai 1791, aux jacobins de Paris : « Frères et amis, nos frères d’Hyères nous ont fait part de la condition que vous avés mise à leur affiliation, qui est que leur demande soit appuyée par deux sociétés voisines. Nous nous empressons de vous garantir leur patriotisme et leur dévoûment à la Constitution. Nos frères d’Antibes nous ont aussi prié par leur dernière lettre d’appuyer leur demande on affiliation auprès de vous. Cette société, à qui nous n’avons accordé notre affiliation qu’après nous être complètement assurés de leur civisme, nous en a donné en diverses occasions des preuves non équivoques et surtout par la surveillance active qu’ils exercent sur des pays limitrophes. Ils ont soin de nous instruire exactement de tous les mouvemens des aristocrates réfugiés dans les États de Savoie… » — (Archives de Toulon ; correspondance du club.)
  39. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre du club de Toulon à la Société des amis de la constitution d’Aix, du 17 décembre 1790.
  40. Archives de Toulon. — Délibération du club, du 3 août 1790. — Admirez ici l’ingéniosité du mécanisme qui met artificiellement en branle ce qu’on appelle alors la volonté de la nation ! Le ministère a déplu aux Jacobins de Paris. Ceux-ci ont donné aussitôt le mot d’ordre aux innombrables sociétés affiliées à la leur. — Les clubs, obéissant docilement à l’impulsion reçue, inondent l’Assemblée de pétitions, d’adresses, de sommations, entraînent à leur suite les municipalités dans la même campagne : l’Assemblée cède sous cette formidable poussée, qui a toutes les apparences d’une manifestation spontanée de l’opinion publique, alors qu’elle n’est, en réalité, que le choc en retour, si l’on peut dire, de la volonté tyrannique, adroitement déguisée, d’une poignée de brouillons, d’intrigans et de sectaires. Toute cette tactique est exposée avec franchise dans les Mémoires de Grégoire, I, p. 387, cités par Taine, qui conclut excellemment : « Il faut que l’Assemblée marche, sinon on la traîne. » — (Révolution, II, p. 58.)
  41. Ce décret prohibait les pétitions collectives et n’autorisait plus que les pétitions individuelles. C’était enlever au parti jacobin un de ses moyens d’action les plus efficaces. Il cria aussitôt à la tyrannie.
  42. Adresse du club à l’Assemblée, citée par Henry, I, p. 172. Cette adresse fut imprimée et envoyée à toutes les sociétés populaires avec lesquelles le club de Toulon était en relations. Elle contient des passages bien intéressans : « Nos législateurs, les Amis de la constitution ont depuis longtemps juré de sacrifier leur vie pour la défense de vos sages décrets… Le serment qu’ils ont prêté ne peut être vain, et ils compteront au nombre de leurs ennemis, non-seulement ceux qui attenteraient à leur liberté à force ouverte, mais encore ceux qui, abusant de la confiance de la nation, chercheraient sous le manteau spécieux de la loi à les charger de nouvelles chaînes. Les législateurs qui ont mis au jour la sublime Déclaration des droits de l’homme et du citoyen seraient-ils les premiers à la violer ? .., La série des décrets présentés par le comité de constitution et adoptés par l’Assemblée nationale, malgré les efforts des bons citoyens, est une preuve non équivoque de cette dure vérité. L’un… attache toute la puissance du citoyen à la majeure ou moindre quantité de métal dont il est possesseur. Ce décret injuste priverait l’immortel auteur du Contrat social, nous ne dirons pas de représenter ceux qu’il aurait éclairés, mais de choisir celui qu’il croirait digne de sa confiance… » L’expédition de cette adresse à l’Assemblée fut annoncée, par le club, à Robespierre en ces termes : « Robespierre, car votre nom vaut lui seul l’éloge le plus pompeux, la Société des amis de la constitution a reçu avec reconnaissance le nouveau discours que vous lui avez fait passer et elle a de suite délibéré une adresse à l’Assemblée nationale pour lui demander la révocation des décrets plébicides et liberticides du marc d’argent… Continués, bon citoyen, à éclairer la nation sur ses véritables droits,.. etc. » — (Archives de Toulon ; correspondance du club ; lettre du 14 mai 1791.) Ici encore on trouve un (exemple d’application de la tactique exposée plus haut. La Montagne veut réviser un des articles de la constitution. Robespierre prononce un discours contre cet article. Le discours est envoyé, par les Jacobins, à la Société populaire de Toulon, qui se hâte d’intervenir, dans le sens indiqué, auprès de l’Assemblée. Le branle est donné à Paris : la machine se met en mouvement dans le pays tout entier. Et voilà encore une opinion factice, intéressée, l’opinion d’une infime minorité, qui va être présentée aux législateurs comme le vœu de la nation ! ..
  43. Archives de Toulon. — (Correspondance du club ; lettre du 16 mai 1791, au consul de France à Nice) — Le club de Pontarlier décidait, à la même époque, l’abolition « de l’usage de se découvrir pour saluer son semblable » et recommandait à ses membres « d’éviter soigneusement, en parlant, de se servir des mots : J’ai l’honneur. » — (Taine, Révolution, II, p. 48.)
  44. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre à M. Ricard, député de Toulon, du 21 novembre 1790 : « Nous venons d’apprendre que le directoire départemental du Var… vient d’écrire à l’Assemblée nationale pour obtenir l’interdiction du club de la ville de Toulon… »
  45. Lauvergne, p. 127 : « Les assassins forçaient les portes des royalistes et leur donnaient le choix entre une accolade au trophée et une corde de réverbère. »
  46. Lauvergne, p. 106.
  47. Henry, I, 204.
  48. Archives de Toulon. — Lettre à la municipalité, du 28 mai 1790.
  49. Archives de Toulon. — Dossier intitulé : Sentimens patriotiques des militaires de la garnison.
  50. Archives de Toulon. — Lettre du 28 avril 1790 à M. Richard, maire.
  51. Ou qu’on les néglige. S’il est permis d’adresser ici une critique à l’historien philosophe qui a marqué d’une si forte empreinte chacun de ses jugemens sur la Révolution, le reproche qu’on oserait faire à M. Taine est de n’avoir pas suffisamment mis en lumière certaines causes de cette démence sanguinaire qui, comme les intrigues des émigrés et les menaces des puissances, sont absolument étrangères à la Révolution elle-même.
  52. Voyez Taine : Révolution, I, p. 204 à 211 et 388 à 436.
  53. Archives de Toulon. — Dossier contenant la correspondance de Leseurre, consul de France à Nice, avec la municipalité, en 1790 et 1791, ainsi que d’autres pièces relatives aux menées des émigrés.
  54. Ibid.
  55. Archives de Toulon. — Affaire Moriès du 27 juin 1790.
  56. Archives de Toulon. — Procès-verbal de la déposition de deux journaliers, du 7 décembre 1791.
  57. Archives de Toulon. — Lettre du consul de France à Nice, du 8 juillet 1790.
  58. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité d’Antibes à celle de Toulon, du 12 juillet 1790.
  59. Ibid. — Lettre de la municipalité d’Antibes, du 16 juillet 1790.
  60. Voyez Forneron, Histoire générale des émigrés, I, p. 246 et suiv.
  61. Archives de Toulon : — Lettre du consul de France à Nice, à la municipalité, du 19 novembre 1790.
  62. Ibid.
  63. Ibid.
  64. Ibid.
  65. Archives de Toulon. — Lettre du consul de France à Nice, du 25 novembre 1790.
  66. Ibid.
  67. Archives de Toulon. — Procès-verbal dressé par la municipalité d’Antibes sur l’insulte faite à Nice à un de ses gardes nationaux. Le fait est postérieur de quelques semaines à ceux qu’on réunit ici : le procès-verbal est daté du 11 janvier 1791. Une lettre de Leseurre, à la municipalité d’Antibes, nous apprend que le gouverneur de Nice, M. de La Planargia, fit punir ceux qui avaient malmené le garde national, et qu’il adressa une sévère réprimande aux réfugiés français complices de ces violences.
  68. Archives de Toulon. — Lettre de Leseurre, sans date, mais évidemment de la même époque.
  69. Archives de Toulon. — Procès-verbal dressé, le 23 novembre 1790, par la municipalité d’Antibes et constatant la découverte, chez un sieur Audibert, de lettres échangées par cet individu avec le chevalier de Villeneuve-Tourette, et lui donnant des renseignemens sur l’esprit des deux régimens de Provence et des Ardennes. L’esprit des officiers et des sous-officiers est bon. « Provence est toujours le même, attaché d’amour pour son roi et animé du désir de répandre son sang pour le lui prouver. Il reste encore la plus grande partie des soldats des Ardennes qui pensent dans le sens de la Révolution… Je n’ai rien épargné de toute façon pour cimenter l’amitié qui règne entre les sous-officiers. Je désirerais faire plus du côté de la bourse, mais je ne suis pas riche, ayant femme, enfans et un modique emploi.., etc. » Le 29 novembre, nouvelle lettre de Leseurre : « L’on suit toujours le plan d’une contre-révolution. On parle du rassemblement d’une armée pour agir du côté des Alpes, composée de troupes des princes d’Italie. On y fait entrer celles du roi de Sardaigne, mais j’ai tout lieu d’en douter, et je ne vois encore rien qui l’annonce. Un grand personnage la commanderait et aurait en second un général prussien, que l’on suppose à Milan pour en diriger les opérations. Ou ajoute que l’on est sûr de 80 millions pour la former et l’entretenir, que le pape en prête 12… et le surplus avancé par divers princes et États. Je ne garantis pas ces bruits. Il est aussi question d’un concile que le pape convoquerait sur les affaires de l’Église : c’est le moyen favori de nos prélats réfugiés ici… »
  70. Archives départementales du Var à Draguignan. — Lettre du consul de France à Nice, du 19 décembre 1791. Série L, 256.
  71. Ibid.
  72. Archives départementales du Var, série L, 257 ; lettre du consul de France à Nice du 10 août 1792.
  73. Archives de Toulon.
  74. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité d’Antibes du 9 août 1790 à celle de Toulon.
  75. Archives de Toulon. — Lettre du 22 novembre 1790, de la municipalité d’Antibes à celle de Marseille.
  76. Ibid.
  77. Ibid.
  78. Archives de Toulon ; — Lettre de la municipalité de Marseille à celle de Toulon, du 27 novembre 1790.
  79. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité d’Amibes à l’administration du département du Var du 22 novembre 1790. Cette lettre fut imprimée, sans doute pour être distribuée aux communes du département. Elle est citée par Lauvergne, p. 79.
  80. Archives de Toulon. — Lettre du 25 novembre 1790, écrite par le comité de recherches de Toulon à MM. les officiers municipaux de la commune d’Antibes.
  81. Archives de Toulon. — Lettre du 29 novembre 1790.
  82. Archives de Toulon. — Lettre de la municipalité du Puy à celle d’Antibes, du 18 décembre 1790.