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La Rebelle/14

La bibliothèque libre.
Calmann-Lévy, éditeur (p. 113-126).


XIV


Josanne n’eut pas le courage d’aller chez Mariette. Elle rentra dans son petit logement, ôta son chapeau, son manteau, sans même allumer la lampe, et, couchée sur le divan, elle sanglota.

Elle souffrait et jouissait d’être seule, tendait les bras vers un secours inconnu et aussitôt le repoussait. Ses larmes mouillaient ses joues, son bras replié, les cheveux de sa tempe. Tout son corps était rompu. Quand ses sanglots faisaient trêve, elle soupirait et gémissait comme un enfant.

Au-dessus, au-dessous, les voisins dînaient : on entendait des rires, des bruits d’assiettes. Le peintre du second faisait un vacarme effroyable : il raclait une mandoline et imitait le toréador.

Un coup de sonnette réveilla Josanne. Elle alla ouvrir, à tâtons. La concierge lui apportait un paquet :

— C’est arrivé à midi, madame…

La jeune femme alluma une bougie, examina le paquet, enveloppé de papier blanc, lié de ficelle rouge, chargé de timbres étrangers.

— De Naples !

La ficelle coupée, le papier déchiré, elle vit une étroite et longue boîte en sparterie, tressée et nouée de rubans, et, dans la boîte, cinq ou six camélias d’un blanc très pur, enveloppés d’ouate. Il y avait une carte, sous les fleurs : « Noël Delysle, Albergo Reale, Posilipo », envoyait à madame Josanne Valentin « ses vœux de bonne année et ses hommages ».

Elle prit les fleurs et, délicatement, les démaillota, une à une… Leurs beaux pétales semblaient ciselés en pleine cire et l’on eût dit, à les voir, en la perfection de leur blancheur, que leur pulpe mate, épaisse et fine, ne se fanerait jamais.

Josanne versa de l’eau dans un tube de cristal, disposa les fleurs, les porta sur la cheminée. Et ces actes, machinalement accomplis, la divertirent de son chagrin.

Sa montre marquait neuf heures : elle chercha des biscuits dans le buffet de la cuisine, mit une bouilloire sur la lampe à alcool ; le thé fut bientôt prêt. Elle mangea et but, assise sur le divan, sa tasse posée sur un escabeau, à la lueur de la bougie. Ses cils étaient moites encore. Une mèche, détachée de son chignon, tombait sur son épaule.

Le peintre, au-dessous, continuait son tintamarre.

La glace de la cheminée doublait les beaux camélias qui avaient fleuri pour Josanne, — si loin de Josanne ! — dans quelque jardin tout jaune d’oranges mûres, au pays de Graziella.

« Ce sont mes étrennes… J’ai tout de même des étrennes !… »

Un involontaire sourire éclaira son visage encore en pleurs… Ainsi, pour la troisième fois, à des heures de sa vie où elle sentait plus cruellement la solitude et l’abandon, un réconfort lui venait de cet inconnu, de ce Noël Delysle : le livre lu, sous l’Odéon… la lettre reçue à Chartres… ces fleurs…

Elle regarda la carte, l’adresse, la formule banale et courtoise, — et elle regretta que M. Delysle n’eût pas écrit… Deux fois, depuis qu’elle était à Paris, elle avait reçu de Venise, de Rome, des lettres courtes et jolies, qu’elle conservait.

« Je les mettrai dans la boîte en sparterie, pensa-t-elle, et toutes celles qu’il m’écrira… s’il m’écrit encore… C’est gentil, cette correspondance… »

Elle commença de se déshabiller. Toutes les cinq minutes, elle allait admirer les camélias, et sur ces fleurs sans parfum, elle respirait l’odeur lointaine, l’enchantement de l’Italie.

Assommée de fatigue, elle s’endormit, rêva que mademoiselle Bon épousait M. Bonnafous et que « madame Neuf » s’était jetée dans la Seine près du viaduc du Point-du-Jour…

Le lendemain, elle envoya un billet de remerciement à M. Delysle, écrivit son article sur la Villa Bleue et tâcha de secouer sa tristesse. Mais son âme demeurait ébranlée ; elle ne se défendait plus contre l’assaut des souvenirs. Elle éprouva toutes les rages, toutes les jalousies, toutes les lâchetés, et ce furent des jours terribles.

Vainement elle crut se fortifier en allant à Chartres voir sa tante et son fils. Claude n’était plus son Claude, à elle : c’était l’enfant de Maurice. Josanne découvrait en lui des traits, des nuances de physionomie qu’elle n’avait jamais remarqués et que son imagination malade créait peut-être… Elle se rappelait cette « madame Neuf » à qui la maternité ne suffisait pas. « Moi aussi, égoïstement, j’ai besoin qu’on m’aime… » Claude, séparé d’elle, l’oubliait…

L’emmener ?… Elle ne pouvait pas. L’argent lui manquait encore pour payer une domestique, et l’enfant, trop petit, ne pouvait aller à l’école ni rester seul au logis. À Chartres, il était heureux, il prospérait, sous l’aile de mademoiselle Miracle. Josanne revint à Paris, découragée, désespérée, et, pendant une semaine, l’obsession la harcela : elle voyait partout l’ancien amant, — dans la rue, dans les omnibus, chez Mariette…

Un soir, en quittant le Monde féminin, elle crut reconnaître Maurice, qui la suivait. Elle l’apercevait par moments, et elle se disait :

« Je suis folle… Voilà que j’ai des hallucinations, maintenant !… »

Mais, dans la cour du Carrousel, elle le sentit si proche qu’elle se prit à trembler toute et que ses genoux défaillaient. Il la joignit, l’arrêta : c’était bien lui… Il suppliait :

— Josanne, il faut que je vous parle !… Josanne !…

— Non, allez-vous-en !

Des passants se retournèrent. Alors elle se remit à marcher, et Maurice marcha près d’elle. Ils regardaient devant eux, n’osant pas confronter leurs angoisses.

— Il faut que je vous parle… une minute seulement… Ne croyez pas… que j’aie voulu… Enfin quoi que j’aie fait, je ne suis pas un misérable…

— Je ne veux pas vous écouter. Je ne vous connais plus.

— Josanne, ce n’est pas possible… Il y a eu, entre nous, trop de choses… Nous ne pouvons pas vivre comme cela, vous me méprisant, et moi portant votre mépris… Depuis que je vous ai vue, dans le bateau, je vous cherche, je rôde autour de votre journal : je vous écris des lettres que je déchire… Croyez-moi, mon Dieu ! croyez-moi !

Elle l’interrompit :

— Quoi ? que voulez-vous ?… Que pouvez-vous dire ?

Il comprit qu’elle l’écouterait, et, cessant de supplier, il répliqua :

— Vous devez à vous-même de m’entendre… J’ai eu des torts envers vous. Vous me détestez, soit !… Mais il ne faut pas que ma faute… s’il y a faute !… déshonore à vos yeux tout le passé.

— Le passé !… De quoi est-il fait, ce passé ?… De toutes mes souffrances, de toutes mes humiliations… Ah ! votre prudence, votre manière de rejeter sur moi toutes les responsabilités !… Vous n’étiez guère généreux, ni brave !… Notre passé !…

— Josanne, je le répète, j’ai eu des torts… mais je vous ai aimée…

— Aimée !…

Elle eut un retour de colère :

— Aimée ! quelle dérision !… Et puis, que m’importe ?… Tout ça, votre amour, mon amour, notre passé, n’existe plus. Je ne vous ai pas regretté. Je ne vous déteste même pas… Et ce n’est pas la maîtresse qui crie en moi, contre vous, c’est la mère…

Elle se tut, car elle étouffait. Maurice voulut lui prendre le bras et l’entraîner : elle se dégagea, hostile.

Ils traversèrent ainsi, Maurice suivant Josanne, le guichet du Louvre. Sur le quai, le fracas des omnibus et des voitures les surprit. Le vent soufflait du nord. L’air frigide et coupant avait le goût d’un morceau de glace qui fondrait en touchant les lèvres. Josanne ramena sa fourrure contre sa bouche. Elle frissonnait.

— Venez par ici, implora Maurice ; je vous en prie…

Elle le regarda… Non, il ne mentait pas, à cette heure ! C’était son tour de prier et de s’humilier, et de souffrir… L’inquiétude blêmissait ses joues, décolorait ses yeux bleus, enlaidissait presque son visage, et cette légère disgrâce physique émut Josanne, au plus tendre de son cœur. Naguère elle ne pouvait supporter le passage d’une tristesse sur ce visage aimé. Et maintenant elle luttait contre l’habitude ancienne devenue instinct, — l’habitude de dire le mot, de faire le geste qui console.

Le long du Louvre, puis sur le trottoir que la terrasse des Tuileries domine, droit devant eux, ils allaient. La découpure grise de la rive gauche, avec ses toits, ses clochers, ses dômes, se violaçait peu à peu contre le rouge cru du ciel hivernal. Des ombres de sépia marquaient les arches des ponts, et l’eau argentée ou noire, et çà et là glacée de rose, semblait immobile entre le lacis des arbres penchés.

Quand les premiers becs de gaz s’allumèrent, en guirlandes pâles, le paysage parisien prit la force, la netteté, l’éclat imprévu de la plus belle estampe japonaise. Mais ni Maurice ni Josanne ne voyaient cette froide splendeur du crépuscule, qui touchait les yeux les moins sensibles et donnait aux passants distraits un court saisissement de plaisir,

— … Rappelez-vous… rue Rataud… ce matin où je vous parus injuste, ingrat, féroce… Je vous avais dit que c’était horrible de vivre séparé de vous, toujours… J’étais malheureux, et je vous savais malheureuse… Que pouvais-je pour vous ? Rien.

Josanne dit, lentement :

— Quand vous m’avez aimée, vous saviez que je n’étais pas libre, que je ne pouvais pas, que je ne voulais pas me libérer… Et vous saviez très bien que ce n’était ni par intérêt, ni par faiblesse, ni par crainte de l’opinion, que je restais à mon foyer… Croyez-vous que je n’avais pas rêvé une autre vie, que j’étais faite pour la trahison ? Mais j’avais un devoir envers mon mari malade et malheureux. J’acceptais ce devoir… et je gardais pourtant un droit sur moi-même… Vous saviez tout cela… Je ne suis pas une inconsciente. Je vous ai parlé tout net, au début…

Il répondit :

— J’ai très bien compris. Mais, je vous le répète, je ne pouvais rien.

— Vous pouviez m’aimer, malgré tout, à travers tout, comme je vous aimais, et me donner l’appui d’une fidèle tendresse, à défaut du secours matériel. Vous pouviez tout… Mais il fallait pouvoir aimer, d’abord… Et cela, vous ne le pouviez pas…

Il protesta :

— Je vous ai aimée, passionnément…

— Allons, si vous êtes sincère, à cette heure, épargnez-vous, épargnez-moi cette vaine justification. Je ne vous reproche rien. Vous avez des préjugés ; vous êtes un peu lâche. La morale courante vous justifie : la morale est pour vous, contre moi. Votre conscience vous commandait de m’abandonner, avec notre enfant ? C’est possible ! Mais pourquoi donc avez-vous des remords ? Que faites-vous ici ? Cela m’étonne.

Il ne répondit pas directement. Il répéta que des scrupules personnels et le chagrin de sa pauvre mère l’avaient décidé à la rupture sans qu’il cessât d’aimer Josanne. L’effroi de la solitude stérile l’avait conduit au mariage, et, quand il avait appris la mort de Valentin, il était déjà fiancé.

— Devais-je reprendre ma parole ?… Oui, peut-être… Mais je croyais… j’étais sûr que vous ne me pardonneriez pas ma défection… que vous me détestiez… Et puis, cette jeune fille qui avait confiance en moi, cette famille qui m’accueillait… J’ai été faible, je l’avoue… Et cependant, je ne crois pas être un malhonnête homme… Mais je comprends tout de même votre indignation… J’aurais dû vous écrire… Vous auriez compris mes sentiments…

Il essayait d’être loyal, mais les mots disaient trop ou trop peu. L’habitude de l’atermoiement, du détour gênait sa volonté réelle de sincérité. Il cherchait malgré lui les phrases prudentes qui ne le compromettaient pas. Et il souffrait de ne pas oser l’expression exacte et véridique, de ne pas trouver l’accent qui convainc. Il essayait d’expier sa faute en l’avouant, — et il se justifiait encore… Il parlait de sa famille, de sa situation.

Et tout à coup :

— Des phrases, tout ce que je dis !… Des phrases qui n’expliquent rien, qui vous irritent, qui me rendent ridicule ou odieux !… Je voudrais parler selon mon cœur ; je ne peux pas.

Josanne répondit :

— Maurice…

Sa voix était changée… Que Maurice fût humble devant elle, et, cette fois, enfin, prêt à pleurer, c’était assez pour que sa rancune tombât.

— Maurice… laissez les phrases… Et si c’est mon pardon qu’il vous faut pour vivre en paix, eh bien ! je vous le donne…

Il demeura figé sur place. Quoi ! si vite, si simplement, elle pardonnait ?

— Ah ! chère Josanne, je vous reconnais là !… Si bonne, si généreuse !… Je n’espérais plus…

Elle murmura :

— Je ne peux pas vous haïr… Je ne vous ai jamais haï, et, maintenant, je n’ai pas le désir, je n’aurais pas la force de vous faire du mal… Serai-je plus heureuse moi, si vous êtes malheureux ?… Non… Vous disiez vrai… Il y a, entre nous trop de choses… Je vous ai trop aimé… Cinq ans !… Ah ! j’ai eu un grand, un très grand chagrin… Mais le plus dur est passé… Je souffre moins… Je suis mieux… Votre vie est faite… Je referai la mienne… Seulement… il ne faut plus parler de tout ça… il faut vous en aller…

Elle se troublait visiblement… L’amour, réprimé d’abord par l’orgueil, lui montait du cœur aux lèvres… Et Maurice, troublé comme elle, contemplait Josanne avec ses yeux d’autrefois… Confondu, plein de honte et de reconnaissance, il aurait voulu la tutoyer, se rapprocher d’elle, un peu, si peu que ce fût…

Il n’osait.

Pourtant il tendit sa main, et Josanne tendit la sienne. Ils se regardèrent, enfin… Lui n’avait pas changé, mais elle !… Comme elle était pâlotte et maigrie ! Et sur elle, et en elle, quel deuil !

Il se rappela des gestes d’elle, sa vivacité, sa langueur, son joli rire, la flamme de sa bouche, la fraîcheur de son corps. Elle avait été l’amante de sa jeunesse, la première et la seule femme qu’il eût possédée dans l’amour. Et il la sentit presque sienne encore, liée à lui par les souvenirs communs, par l’enfant commun… Et il désira, violemment, que le lien secret ne pût se rompre, que Josanne ne pût l’oublier tout à fait, même… même aux bras d’un autre…

Intolérable pensée ! intolérable vision !… Une jalousie toute nouvelle tenailla le cœur de Maurice. Il lâcha la main de Josanne. Il dit, comme s’il avait eu le droit d’interroger :

— Comment vivez-vous ? Qu’allez-vous faire ?…

— Je suis seule… Je gagne ma vie… un peu mieux qu’autrefois…

— Seule ? Mais… mais alors…

Il éprouvait une répugnance à parler de l’enfant, — lui qui attendait un autre enfant, officiel et légitime, dont il avait, par avance, la fierté. — Comment exprimer une tendresse paternelle qu’il ne ressentait guère, et, d’autre part, comment ne pas parler de Claude ?… Mais il avait aimé Josanne, il l’aimait encore, et leur fils représentait leur passé d’amour, l’espèce de droit que l’homme garde — ou croit garder — sur la femme qu’il a rendue mère.

— Et Claude ?… dit-il enfin.

— Vous vous rappelez son existence !

— Il y a une heure que je me contrains pour ne pas vous parler de lui, répondit Maurice sans même s’apercevoir qu’il mentait. Je voulais que la femme pardonnât, et maintenant la mère pardonnera peut-être…

— Claude est à Chartres, pour quelques mois encore. Il va bien.

— Vous le reprendrez avec vous ? Il restera près de vous, toujours, n’est-ce pas ?

— Qu’est-ce que ça vous fait ?

— Je pense que vous serez moins triste, quand il sera là… moins seule… Ah ! Josanne, il faudra l’aimer beaucoup.

— Vous n’allez pas m’apprendre comment je dois aimer mon fils !… Vous auriez mauvaise grâce !…

— Pardon ! dit-il, confus.

Ils revenaient de la Concorde vers le Louvre. Le crépuscule tombait.

Maurice songea qu’il était tard. Sa femme l’attendait. Il n’avait plus rien à dire à Josanne, — rien qu’un souhait absurde, contraire à toutes ses habitudes de prudence, — souhait qu’elle ne voudrait pas entendre, et qu’elle n’exaucerait pas…

Il hésitait… Le souhait tremblait sur sa bouche, incertain, honteux, comme un aveu d’amour coupable…

Maurice balbutia :

— Josanne… Je voudrais…

— Quoi ?

— Il faut que je m’en aille, Josanne… C’est affreux de nous séparer ainsi… J’ai tant de choses à vous dire !… Si vous saviez !… Josanne, je voudrais être sûr que je vous reverrai… Je ne peux pas croire que nous nous quittons pour toujours…

— Je suppose que vous ne me ferez pas de visite de noces ! répliqua Josanne en se durcissant contre l’émotion. Nous avons dit les choses essentielles et définitives, ce soir… Et je n’ai aucune raison de continuer cet entretien…

— Nous serions morts l’un pour l’autre ?… Je ne vous reverrai pas… je ne reverrai pas Claude, jamais !

— Vous l’avez bien voulu !… Et puis, comment ?… pourquoi ?… Non !… non !…

Il surprit le tremblement de la voix, la crispation nerveuse de la main serrant la fourrure sombre.

Il pensa : « Quelle folie je fais !… » Mais, devant cette Josanne qui se dérobait, qui lui échappait, devant ce visage bouleversé tout à coup, et qui était bien un visage de femme amoureuse et tentée, il retrouvait la sensation de la conquête… Elle avait eu ce regard, ce geste, cet air de souffrance, le soir lointain où, dans une rue déserte, en revenant de chez madame Grancher, il lui avait dit :

« Je vous veux. Soyez toute à moi… »

Il n’imagina point qu’elle pût redevenir sa maîtresse, mais il voulut garder une prise sur elle, la tenir, de loin, par les souvenirs d’amour, par l’enfant, et qu’elle le sentît toujours présent dans sa vie, et qu’il fût entre elle et les autres hommes, entre elle et l’amant futur qui viendrait…

Enhardi par la solitude, il se rapprocha, et il répétait : « Josanne !… ma chère Josanne !… » d’une voix triste, tendre, pénétrante, d’une voix que Josanne reconnaissait, hélas ! qui éveillait en elle les échos profonds du désir, et qui s’insinuait, caressait, touchait son âme et ses sens à la place vive et secrète…

Elle résistait, détournant la tête pour ne pas voir le visage aimé, les yeux… Ah ! ces yeux bleus de Maurice !…

— Je vous en conjure… Laissez-moi !… Allez-vous-en !…

— Josanne…

— Non !

— Josanne, au nom de l’amour ancien !… Nous fûmes heureux quelquefois, Josanne !… Rappelle-toi !… Promets-moi que tu me laisseras revoir Claude… C’est à Claude que je pense… Écoute !… Je ne te demande rien que tu ne puisses m’accorder… Revoir Claude… pas chez toi… dehors…

— Non !… non !…

— Tu ne peux pas me refuser ça, maintenant… Tu m’as pardonné… Maigrie ta douleur, et mes fautes, vois, nous sommes ensemble, je tiens ta main, et tu vas pleurer… Josanne, qui fus ma Josanne, tu peux bien me bannir de ta vie, tu ne me banniras pas de toi-même, et jamais je ne t’oublierai, et jamais tu ne m’oublieras…

Il perdait la tête, il ne savait plus ce qu’il disait :

— L’amour ne peut pas, ne doit pas renaître entre nous, mais en te revoyant, là, tout à l’heure…

— Maurice !

— Pas demain… dans longtemps… si une circonstance grave… Suppose que l’enfant soit malade… en danger… Alors, promets-moi de m’avertir… Cela n’arrivera jamais, sans doute, mais il faut promettre. Il ne faut pas dire « Jamais ! »

Éperdue, elle répondit :

— Eh bien ! oui… dans ce cas… peut-être… dans ce cas seulement… Mais ça n’arrivera pas ! j’en suis sûre !

— Tu m’écrirais, tu me laisserais venir !… Et même, dans toute autre circonstance où tu aurais besoin d’une aide, d’une amitié sûre. Il faut croire à mon dévouement. Je voudrais réparer, racheter…

Elle cria presque.

— Oui, oui, mais laissez-moi ! Vous ne voyez donc pas que vous me faites du mal ?… Oh ! je veux m’en aller, me reposer, être seule. Si vous m’avez aimée, je vous en supplie, laissez-moi !

Il fut effrayé de ce qu’il avait fait :

— Je vous obéis, ma chère Josanne. Excusez-moi. J’ai été si violemment ému ! Je n’aurais pas dû, peut-être…

Elle dit tout bas :

— Adieu !

Il répondit doucement :

— Au revoir !… J’ai votre promesse…

Et chacun suivit son chemin.