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La Reconnaissance de Sakountala (Foucaux)/Intermède

La bibliothèque libre.
Traduction par Philippe-Édouard Foucaux.
E. Picard (p. 112-116).

INTERMÈDE.


Le beau-frère du roi, chef de la police, entre d’abord ; puis viennent deux gardes, tenant un homme qui a les mains liées derrière le dos.


les deux gardes, battant le prisonnier. Allons, voleur, parle. Où as-tu volé cet anneau du roi qui porte son nom gravé ?

le prisonnier, d’un air craintif. Soyez bons, mes seigneurs ! je n’ai pas fait une chose pareille !

le 1er garde. Le roi t’a pris sans doute pour un brahmane éminent, et il t’a fait ce présent ?

le prisonnier. Écoutez-moi un instant. Je suis un pêcheur qui demeure dans l’enceinte de Sakrâvatâra[1].

2e garde. Voleur, est-ce qu’on te demande qui tu es ?

le chef de la police. Soûtchaka, qu’il nous dise tout avec ordre. Ne l’interrompez pas, vous deux.

les deux gardes, au prisonnier. Parle donc, comme l’ordonne le beau-frère du roi.

le prisonnier. Je soutiens ma famille avec des pièges à prendre les poissons, tels que des filets, des hameçons et le reste.

le chef de la police, souriant. Jolie profession, vraiment !

le prisonnier. Seigneur, ne parlez pas ainsi.

« La condition dans laquelle on est né, quoique méprisée, ne doit pas être abandonnée ; le Brahmane, cruel dans le sacrifice qui ôte la vie à un animal[2], peut cependant être doux et compatissant. »

le chef de la police. Après, après ?

le prisonnier. Un jour que je coupais en morceaux un poisson qu’on appelle rôhita, j’ai aperçu cet anneau orné de cette pierre précieuse. Puis, comme je le montrais pour le vendre, j’ai été arrêté par vos seigneuries. Tuez-moi ou laissez-moi aller, mais c’est bien ainsi qu’il est venu entre mes mains.

le chef de la police. Djânouka, ce misérable à mauvaise odeur est sans nul doute un pêcheur. Mais il faut rechercher avec soin comment il a trouvé cet anneau. Allons donc au palais du roi.

les deux gardes. Oui, Seigneur. Et toi, marche, coupeur de bourse ! (Ils se mettent en marche.)

le chef de la police. Soûtchaka, soyez attentifs tous les deux à garder cet homme à la porte du palais, jusqu’à ce que j’en sorte après avoir annoncé au roi notre maître comment cet anneau m’est parvenu, et après avoir reçu ses ordres.

les deux gardes. Que sa Seigneurie entre et soit bien reçue du roi. (Le chef de la police sort.)

le 1er garde. Djânouka, sa seigneurie reste longtemps, en vérité.

le 2e garde. Ne faut-il pas attendre le loisir des rois ?

le 1er garde. Djânouka, j’ai une démangeaison aux mains de mettre une fleur à ce criminel[3]. (En parlant ainsi il montre le prisonnier.)

le prisonnier. Votre seigneurie ne voudrait pas être, sans raison, un meurtrier.

le 2e garde, au prisonnier, après avoir regardé au loin. Voici le commandant qui vient de ce côté, une lettre à la main, après avoir reçu les ordres du roi. Tu vas servir de pâture aux vautours, ou bien tu verras de près la gueule des chiens !

le chef de la police. Soûtchaka, qu’on laisse aller en liberté cet homme qui vit de sa pêche. La trouvaille de cet anneau est véritablement justifiée.

soûtchaka. Le commandant va être obéi.

2e garde. En voilà un qui, après être entré dans la demeure de Yama[4], en est revenu. (En parlant ainsi il détache les liens du prisonnier.)

le pêcheur, saluant le chef de la police. Vous méprisiez tant mon métier !

le chef de la police. Voici un présent d’une valeur égale à l’anneau, que le roi te fait donner. (Il donne le présent au pêcheur.)

le pêcheur, le prenant en s’inclinant. Je suis bien heureux de la faveur du roi.

soûtchaka. Celui-là est vraiment favorisé, qui, après être échappé au pal, est placé sur le dos d’un éléphant.

djanouka. Commandant, la satisfaction du roi prouve combien cet anneau est estimé de lui.

le chef de la police. Ce n’est pas, je crois, pour sa grande valeur que le roi l’estime à un si haut prix ; mais c’est que la vue de ce joyau lui rappelle une personne bien-aimée. Pendant quelque temps, quoique sa nature soit réservée, il a laissé percer l’agitation de son esprit.

soûtchaka. Un grand service vient d’être rendu au roi par son beau-frère.

djanouka. Mais, dis-moi, ceci ne profitera-t-il qu’à cet ennemi des poissons ? (En parlant ainsi, il regarde le pêcheur avec mépris.)

le pêcheur. Messieurs, que la moitié du présent soit le prix de la couronne de fleurs que vous vouliez me donner !

djanouka. C’est convenu.

le chef de la police. Pêcheur, te voilà maintenant le premier de mes meilleurs amis ; les premières heures de notre amitié doivent être consacrées avec la liqueur du Kâdambari. Et pour cela, entrons chez le distillateur !

tous. C’est cela !

(Tous sortent)
FIN DE L’INTERMÈDE.
  1. V. p. 104.
  2. La loi brahmanique permet dans un cas pressant de manger la chair d’un animal, et prescrit dans certains sacrifices le meurtre des animaux. Le bouddhisme, au contraire, n’admet, dans aucun cas, qu’on donne la mort à un être vivant, quel qu’il soit.
  3. J’emprunte la note suivante à M. Monier Williams :

    « Dans le drame de Malati et Madhava, on voit qu’avant d’offrir une personne comme victime à Civa ou à son épouse Dourgâ, la coutume était de lui mettre une couronne de fleurs sur la tête, d’où l’on peut inférer qu’il en était de même pour les condamnés à mort ordinaires. »

  4. Le Pluton indien.