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La Reine Margot (Dumas)/II/XVI

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C. Lévy (2p. 143-150).


XVI

de mouy de saint-phale.


Cette fois, Catherine avait si bien pris ses précautions qu’elle croyait être sûre de son fait.

En conséquence, vers dix heures, elle avait renvoyé Marguerite, bien convaincue, c’était d’ailleurs la vérité, que la reine de Navarre ignorait ce qui se tramait contre son mari, et elle était passée chez le roi, le priant de retarder son coucher.

Intrigué par l’air de triomphe qui, malgré sa dissimulation habituelle, épanouissait le visage de sa mère, Charles questionna Catherine, qui lui répondit seulement ces mots :

— Je ne puis dire qu’une chose à Votre Majesté, c’est que ce soir elle sera délivrée de ses deux plus cruels ennemis.

Charles fit ce mouvement de sourcil d’un homme qui dit en lui-même : C’est bien, nous allons voir. Et sifflant son grand lévrier, qui vint à lui se traînant sur le ventre comme un serpent et posa sa tête fine et intelligente sur le genou de son maître, il attendit.

Au bout de quelques minutes, que Catherine passa les yeux fixes et l’oreille tendue, on entendit un coup de pistolet dans la cour du Louvre.

— Qu’est-ce que ce bruit ? demanda Charles en fronçant le sourcil, tandis que le lévrier se relevait par un mouvement brusque en redressant les oreilles.

— Rien, dit Catherine ; un signal, voilà tout.

— Et que signifie ce signal ?

— Il signifie qu’à partir de ce moment, sire, votre unique, votre véritable ennemi, est hors de vous nuire.

— Vient-on de tuer un homme ? demanda Charles en regardant sa mère avec cet œil de maître qui signifie que l’assassinat et la grâce sont deux attributs inhérents à la puissance royale.

— Non, sire ; on vient seulement d’en arrêter deux.

— Oh ! murmura Charles, toujours des trames cachées, toujours des complots dont le roi n’est pas. Mort-diable ! ma mère, je suis grand garçon cependant, assez grand garçon pour veiller sur moi-même, et n’ai besoin ni de lisière ni de bourrelet. Allez-vous-en en Pologne avec votre fils Henri, si vous voulez régner ; mais ici vous avez tort, je vous le dis, de jouer ce jeu-là.

— Mon fils, dit Catherine, c’est la dernière fois que je me mêle de vos affaires. Mais c’était une entreprise commencée depuis longtemps, dans laquelle vous m’avez toujours donné tort, et je tenais à cœur de prouver à Votre Majesté que j’avais raison.

En ce moment plusieurs hommes s’arrêtèrent dans le vestibule, et l’on entendit se poser sur la dalle la crosse des mousquets d’une petite troupe.

Presque aussitôt M. de Nancey fit demander la permission d’entrer chez le roi.

— Qu’il entre, dit vivement Charles.

M. de Nancey entra, salua le roi, et se tournant vers Catherine :

— Madame, dit-il, les ordres de Votre Majesté sont exécutés : il est pris.

— Comment, il ? s’écria Catherine fort troublée ; n’en avez-vous pris qu’un ?

— Il était seul, Madame.

— Et s’est-il défendu ?

— Non, il soupait tranquillement dans une chambre, et a remis son épée à la première sommation.

— Qui cela ? demanda le roi.

— Vous allez voir, dit Catherine. Faites entrer le prisonnier, monsieur de Nancey.

Cinq minutes après, de Mouy fut introduit.

— De Mouy ! s’écria le roi ; et qu’y a-t-il donc, Monsieur ?

— Eh ! sire, dit de Mouy avec une tranquillité parfaite, si Votre Majesté m’en accorde la permission, je lui ferai la même demande.

— Au lieu de faire cette demande au roi, dit Catherine, ayez la bonté, monsieur de Mouy, d’apprendre à mon fils quel est l’homme qui se trouvait dans la chambre du roi de Navarre certaine nuit, et qui, cette nuit-là, en résistant aux ordres de Sa Majesté comme un rebelle qu’il est, a tué deux gardes et blessé M. de Maurevel ?

— En effet, dit Charles en fronçant le sourcil ; sauriez-vous le nom de cet homme, monsieur de Mouy ?

— Oui, sire ; Votre Majesté désire-t-elle le connaître ?

— Cela me ferait plaisir, je l’avoue.

— Eh bien ! sire, il s’appelait de Mouy de Saint-Phale.

— C’était vous ?

— Moi-même !

Catherine, étonnée de cette audace, recula d’un pas vers le jeune homme.

— Et comment, dit Charles IX, osâtes-vous résister aux ordres du roi ?

— D’abord, sire, j’ignorais qu’il y eût un ordre de Votre Majesté ; puis je n’ai vu qu’une chose, ou plutôt qu’un homme, M. de Maurevel, l’assassin de mon père et de M. l’amiral. Je me suis rappelé alors qu’il y avait un an et demi, dans cette même chambre où nous sommes, pendant la soirée du 24 août, Votre Majesté m’avait promis, parlant à moi-même, de nous faire justice du meurtrier ; or, comme il s’était depuis ce temps passé de graves événements, j’ai pensé que le roi avait été malgré lui détourné de ses désirs. Et voyant Maurevel à ma portée, j’ai cru que c’était le ciel qui me l’envoyait. Votre Majesté sait le reste, sire ; j’ai frappé sur lui comme sur un assassin et tiré sur ces hommes comme sur des bandits.

Charles ne répondit rien ; son amitié pour Henri lui avait fait voir depuis quelque temps bien des choses sous un autre point de vue que celui où il les avait envisagées d’abord, et plus d’une fois avec terreur.

La reine mère, à propos de la Saint-Barthélémy, avait enregistré dans sa mémoire des propos sortis de la bouche de son fils, et qui ressemblaient à des remords.

— Mais, dit Catherine, que veniez-vous faire à une pareille heure chez le roi de Navarre ?

— Oh ! répondit de Mouy, c’est toute une histoire bien longue à raconter ; mais si cependant Sa Majesté a la patience de l’entendre…

— Oui, dit Charles, parlez donc, je le veux.

— J’obéirai, sire, dit de Mouy en s’inclinant.

Catherine s’assit en fixant sur le jeune chef un regard inquiet.

— Nous écoutons, dit Charles. Ici, Actéon.

Le chien reprit la place qu’il occupait avant que le prisonnier n’eût été introduit.

— Sire, dit de Mouy, j’étais venu chez Sa Majesté le roi de Navarre comme député de nos frères, vos fidèles sujets de la religion.

Catherine fit un signe à Charles IX.

— Soyez tranquille, ma mère, dit celui-ci, je ne perds pas un mot. Continuez, monsieur de Mouy, continuez : pourquoi étiez-vous venu ?

— Pour prévenir le roi de Navarre, continua M. de Mouy, que son abjuration lui avait fait perdre la confiance du parti huguenot ; mais que cependant, en souvenir de son père, Antoine de Bourbon, et surtout en mémoire de sa mère, la courageuse Jeanne d’Albret, dont le nom est cher parmi nous, ceux de la religion lui devaient cette marque de déférence de le prier de se désister de ses droits à la couronne de Navarre.

— Que dit-il ? s’écria Catherine, ne pouvant, malgré sa puissance sur elle-même, recevoir sans crier un peu le coup inattendu qui la frappait.

— Ah ! ah ! fit Charles ; mais cette couronne de Navarre, qu’on fait ainsi sans ma permission voltiger sur toutes les têtes, il me semble cependant qu’elle m’appartient un peu.

— Les huguenots, sire, reconnaissent mieux que personne ce principe de suzeraineté que le roi vient d’émettre. Aussi espéraient-ils engager Votre Majesté à la fixer sur une tête qui lui est chère.

— À moi ! dit Charles, sur une tête qui m’est chère ! Mort-diable ! de quelle tête voulez-vous donc parler, Monsieur ? Je ne vous comprends pas.

— De la tête de M. le duc d’Alençon.

Catherine devint pâle comme la mort, et dévora de Mouy d’un regard flamboyant.

— Et mon frère d’Alençon le savait ?

— Oui, sire.

— Et il acceptait cette couronne ?

— Sauf l’agrément de Votre Majesté, à laquelle il nous renvoyait.

— Oh ! oh ! dit Charles, en effet, c’est une couronne qui ira à merveille à notre frère d’Alençon. Et moi qui n’y avais pas songé ! Merci, de Mouy, merci ! Quand vous aurez des idées semblables, vous serez le bienvenu au Louvre.

— Sire, vous seriez instruit depuis longtemps de tout ce projet sans cette malheureuse affaire de Maurevel qui m’a fait craindre d’être tombé dans la disgrâce de Votre Majesté.

— Oui, mais, fit Catherine, que disait Henri de ce projet ?

— Le roi de Navarre, Madame, se soumettait au désir de ses frères, et sa renonciation était prête.

— En ce cas, s’écria Catherine, cette renonciation, vous devez l’avoir ?

— En effet, Madame, dit de Mouy, par hasard je l’ai sur moi, signée de lui et datée.

— D’une date antérieure à la scène du Louvre ? dit Catherine ?

— Oui, de la veille, je crois.

Et M. de Mouy tira de sa poche une renonciation en faveur du duc d’Alençon, écrite, signée de la main de Henri, et portant la date indiquée.

— Ma foi, oui, dit Charles, et tout est bien en règle.

— Et que demandait Henri en échange de cette renonciation ?

— Rien, Madame ; l’amitié du roi Charles, nous a-t-il dit, le dédommagerait amplement de la perte d’une couronne.

Catherine mordit ses lèvres de colère et tordit ses belles mains.

— Tout cela est parfaitement exact, de Mouy, ajouta le roi.

— Alors, reprit la reine mère, si tout était arrêté entre vous et le roi de Navarre, à quelle fin l’entrevue que vous avez eue ce soir avec lui ?

— Moi, Madame, avec le roi de Navarre ? dit de Mouy. M. de Nancey, qui m’a arrêté, fera foi que j’étais seul. Votre Majesté peut l’appeler.

— Monsieur de Nancey ! dit le roi.

Le capitaine des gardes reparut.

— Monsieur de Nancey, dit vivement Catherine, M. de Mouy était-il tout à fait seul à l’auberge de la Belle-Étoile ?

— Dans la chambre, oui, Madame ; mais dans l’auberge non.

— Ah ! dit Catherine ; quel était son compagnon ?

— Je ne sais si c’était le compagnon de M. de Mouy, Madame ; mais je sais qu’il s’est échappé par une porte de derrière, après avoir couché sur le carreau deux de mes gardes.

— Et vous avez reconnu ce gentilhomme, sans doute ?

— Non, pas moi, mais mes gardes.

— Et quel était-il ? demanda Charles IX.

M. le comte Annibal de Coconnas.

— Annibal de Coconnas ! répéta le roi assombri et rêveur, celui qui a fait un si terrible massacre des huguenots pendant la Saint-Barthélémy ?

M. de Coconnas, gentilhomme de M. d’Alençon, dit M. de Nancey.

— C’est bien, c’est bien, dit Charles IX ; retirez-vous, monsieur de Nancey, et une autre fois, souvenez-vous d’une chose…

— De laquelle, sire ?

— C’est que vous êtes à mon service, et que vous ne devez obéir qu’à moi.

M. de Nancey se retira à reculons en saluant respectueusement.

De Mouy envoya un sourire ironique à Catherine.

Il se fit un silence d’un instant.

La reine tordait les ganses de sa cordelière. Charles caressait son chien.

— Mais quel était votre but, Monsieur ? continua Charles. Agissiez-vous violemment ?

— Contre qui, sire ?

— Mais contre Henri, contre François ou contre moi.

— Sire, nous avions la renonciation de votre beau-frère, l’agrément de votre frère ; et, comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, nous étions sur le point de solliciter l’autorisation de Votre Majesté, lorsqu’est arrivée cette fatale affaire du Louvre.

— Eh bien ! ma mère, dit Charles, je ne vois aucun mal à tout cela. Vous étiez dans votre droit, monsieur de Mouy, en demandant un roi. Oui, la Navarre peut être et doit être un royaume séparé. Il y a plus, ce royaume semble fait exprès pour doter mon frère d’Alençon, qui a toujours eu si grande envie d’une couronne, que lorsque nous portons la nôtre il ne peut détourner les yeux de dessus elle. La seule chose qui s’opposait à cette intronisation, c’était le droit de Henriot ; mais puisque Henriot y renonce volontairement…

— Volontairement, sire.

— Il paraît que c’est la volonté de Dieu ! Monsieur de Mouy, vous êtes libre de retourner vers vos frères, que j’ai châtiés… un peu durement, peut-être ; mais ceci est une affaire entre moi et Dieu : et dites-leur que, puisqu’ils désirent pour roi de Navarre mon frère d’Alençon, le roi de France se rend à leurs désirs. À partir de ce moment, la Navarre est un royaume, et son souverain s’appelle François. Je ne demande que huit jours pour que mon frère quitte Paris avec l’éclat et la pompe qui conviennent à un roi. Allez, monsieur de Mouy, allez !… Monsieur de Nancey, laissez passer M. de Mouy, il est libre.

— Sire, dit de Mouy en faisant un pas en avant. Votre Majesté permet-elle ?

— Oui, dit le roi.

Et il tendit la main au jeune huguenot.

De Mouy mit un genou en terre et baisa la main du roi.

— À propos, dit Charles en le retenant au moment où il allait se relever, ne m’aviez-vous pas demandé justice de ce brigand de Maurevel ?

— Oui, sire.

— Je ne sais où il est pour vous la faire, car il se cache ; mais si vous le rencontrez, faites-vous justice vous-même, je vous y autorise, et de grand cœur.

— Ah ! sire, s’écria de Mouy, voilà qui me comble véritablement ; que Votre Majesté s’en rapporte à moi ; je ne sais non plus où il est, mais je le trouverai, soyez tranquille.

Et de Mouy, après avoir respectueusement salué le roi Charles et la reine Catherine, se retira sans que les gardes qui l’avaient amené missent aucun empêchement à sa sortie. Il traversa les corridors, gagna rapidement le guichet, et une fois dehors ne fit qu’un bond de la place Saint-Germain-l’Auxerrois à l’auberge de la Belle-Étoile, où il retrouva son cheval, grâce auquel, trois heures après la scène que nous venons de raconter, le jeune homme respirait en sûreté derrière les murailles de Mantes.

Catherine, dévorant sa colère, regagna son appartement, d’où elle passa dans celui de Marguerite.

Elle y trouva Henri en robe de chambre et qui paraissait prêt à se mettre au lit.

— Satan, murmura-t-elle, aide une pauvre reine pour qui Dieu ne veut plus rien faire !