La Religion impérialiste/02

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La Religion impérialiste
Revue des Deux Mondes5e période, tome 18 (p. 860-882).
LA RELIGION IMPÉRIALISTE

II[1]
LES CAPACITES RELIGIEUSES DES TROIS RACES OCCIDENTALES

En exposant les vues ethniques de M. Chamberlain, nous avons dit qu’à ses yeux l’expression palpable de la race, sa marque visible en chacun des individus qui la composent, c’est la mentalité, le « pli de la pensée, » qui s’exprime surtout par la « conception du monde[2], » c’est-à-dire par la philosophie et la religion. Un peuple ou un homme doit être jugé et classé, estimé ou méprisé, appuyé ou combattu suivant la valeur de sa conception du monde ; car c’est là ce qui, en lui, est essentiel, indélébile, inflexible, imprescriptible. Et, par une action réciproque, la conception du monde façonne à son tour les individus et les peuples qui l’ont engendrée, en sorte qu’il est pour eux d’une importance suprême de veiller avec un soin jaloux sur cet héritage des ancêtres, de le transmettre intact aux descendans, de ne le développer du moins que dans le sens de ses qualités intimes et de ses caractères essentiels, de le garder surtout des contacts impurs et des promiscuités dégradantes. Gobineau faisait du langage, en ses heures de mysticisme et de « réalisme » oriental, une âme de la race, un être vivant dans un milieu spécial que créent nos facultés abstractives[3] M. Chamberlain accorde inconsciemment la même substantialité à ce qu’il regarde comme l’âme de la race, à savoir la « conception du monde, » qui, à l’exemple du champ magnétique mis au contact de la limaille de fer, oriente dans sa sphère d’action les individus amorphes, de manière à les disposer en ordonnances harmonieuses et en dessins ingénieux[4]. Il nous faut donc examiner d’abord la conception du monde dans les trois groupes ethniques sur lesquels se fonde le XIXe siècle civilisé : Juifs, Méditerranéens, Slavo-Celto-Germains ; avant de tracer les perspectives qui s’ouvrent pour l’avenir devant la seule intéressante parmi ces personnalités éthérées, devant l’âme germanique. La préoccupation, fondamentale de M. Chamberlain, c’est en effet d’élargir les voies, d’aplanir les sentiers à une religion enfin digne de ce nom, à une foi telle que le monde n’en possède pas encore. Les Juifs et les Méditerranéens vont être écartés, préalablement, de toute coopération à cette œuvre sainte ; les premiers pour leur rationalisme desséchant, les seconds pour leur fétichisme incorrigible. On nous montrera ensuite les Germains éminemment préparés à l’accomplir, et cela tout à la fois par l’héritage politique de leurs ancêtres Aryas, par la vertu des paroles désormais mieux interprétées d’un Christ dégagé de son entourage judaïque, enfin par le privilège des élaborations mystiques et philosophiques déjà réalisées au sein de la race privilégiée.


I

La vocation religieuse toute spéciale dont le peuple juif aurait été doué par les décrets de la Providence fut jadis l’objet d’une conviction bien arrêtée dans l’esprit des théologiens critiques. Aux yeux d’un Ewald ou d’un Renan, le Sémite passait pour l’être religieux par excellence, la constitution du monothéisme biblique pour un immense service rendu à l’humanité tout entière par le petit peuple palestinien. Nietzsche n’écrit-il pas encore[5] : « Nous autres hommes du Nord, nous tirons certainement notre origine de races barbares, même par rapport à notre don religieux : nous sommes mal pourvus à cet égard. » Mais Schopenhauer et Gobineau avaient soutenu la thèse contraire, indépendamment l’un de l’autre, et M. Chamberlain la conduit plus loin que ses prédécesseurs. Nul homme, dit-il, dès les premières pages de son introduction[6], n’est aussi pauvre en véritable religion que le Sémite. Et encore[7] : « Les nombreuses branches du tronc sémitique, si richement douées par ailleurs, ont été de tout temps étonnamment pauvres en instinct religieux. » A l’en croire, on constaterait en effet de très bonne heure chez ces peuples une sorte d’arrêt de développement dans l’évolution métaphysique, ainsi que le chaos méditerranéen nous en offrit déjà un exemple dans la sphère politique et sociale. La constitution du monothéisme à Jérusalem, œuvre si fort appréciée d’ordinaire par les héritiers émancipés du dogme chrétien, tels qu’un Kant ou un Spencer, ne serait en réalité qu’un appauvrissement métaphysique[8], une déchéance véritable au regard de l’admirable monothéisme aryen, déjà réalisé dès longtemps par les brahmanes. Car ces prêtres géniaux, grâce à une puissante synthèse de leur panthéon compliqué, proclamèrent le Dieu « Un » et non pas « Unique, » ce qui est bien différent. — Il est facile de le reconnaître d’ailleurs, l’Unité synthétique qui est applaudie en ce lieu n’est pas autre chose que le panthéisme de la philosophie allemande classique ; et l’auteur des Assises oublie vraiment trop que ce prétendu monothéisme aryen, si « vivant, » fut réveillé dans l’âme moderne par un penseur juif, Spinoza. Enfin sa sévérité pour la conception judaïque de Dieu et de ses rapports avec l’homme se marque plus encore lorsqu’il baptise ce système théologique du nom de « monolâtrie » qui exprime bien à son avis le matérialisme foncier, la crainte servile dont il croit reconnaître les inspirations au fond des documens bibliques.

L’animosité aveugle qui perce en tout ceci s’explique fort bien si l’on songe que M. Chamberlain, fort ami de la mystique, croit l’âme juive rebelle à tout mysticisme, infectée de rationalisme intransigeant par fatalité de naissance. Et cette illusion lui vient de ce qu’il emprunte en somme à son maître Schopenhauer [9] sa conception du caractère aussi bien que de la religion judaïque. Inspiration qui n’est pas très heureuse, car l’auteur du Monde comme Volonté fut toujours égaré lui-même sur ce point par une antipathie irraisonnée. Parce qu’il croyait indo-germaniques les thèses bouddhiques et mystiques qui séduisirent sa naïve jeunesse, le penseur de Francfort a fait tout simplement du Juif l’antithèse vivante de l’ascète pessimiste, que déifie son système. Parce qu’il voyait dans la Volonté incarnée sous l’apparence de la matière le principe mauvais, l’Ahriman du monde de la Représentation, il a réalisé dans le Juif, qu’il n’aimait point, l’incarnation la plus parfaite de la Volonté, insuffisamment vaincue par l’Intelligence. Matérialisme et Volonté prépondérante seraient ainsi les deux pôles du judaïsme, s’engendrant réciproquement l’un l’autre. M, Chamberlain, non content d’accepter ces vues excessives, les exagère encore jusqu’à se représenter parfois la mentalité juive comme amorphe, aveugle à l’exemple de la Volonté schopenhauerienne ; par là, ce qu’elle apporte aux autres peuples, sa contribution à l’œuvre civilisatrice, sa part dans les fondations du XIXe siècle n’aurait ni physionomie ni forme arrêtée, ne serait que Volonté, direction de la Volonté. N’est-ce pas concéder imprudemment à ceux qui nous sont donnés comme les adversaires du germanisme le monopole de la force du caractère et de la ténacité victorieuse ?

L’objection a été présentée à M. Chamberlain. On lui a fait observer que l’Aryen, presque bouddhique parfois, constamment mystique en tous cas, qu’il dessine après son maître en philosophie, semble l’antipode de l’Aryen que chérit l’anthropo-sociologie contemporaine, sorti celui-là de Gobineau, de Darwin, de tous les professeurs d’énergie du temps présent : figure combative et impérialiste au premier chef, chez laquelle la Volonté dominatrice n’a pas encore subi l’assaut de l’intellectuellisme anémiant. Comment donc la même étiquette ethnique peut-elle recouvrir de si différentes personnalités ? S’il s’étonne à cette objection, c’est que l’auteur des Assises n’a pas assez vu que deux aryanismes, absolument contradictoires, végètent dans les dessous de la philosophie historique contemporaine en Allemagne : l’aryanisme politique et aristocratique, d’une part, c’est-à-dire celui de Gobineau, qui est aussi celui de Nietzsche dans sa période intéressante ; l’aryanisme philosophique et religieux, d’autre part, c’est-à-dire celui de Schopenhauer et de l’école wagnérienne. Les mots d’ordre du premier sont : septentrionalisme intransigeant, race blanche pure, Anglo-Saxons, volonté, libre arbitre, positivisme, impérialisme ! Ceux du second : méridionalisme, origine noire de l’humanité. Bouddha, déterminisme, mysticisme, extase artistique ! A la faveur de quelque dextérité dialectique, nous pouvons bien attribuer l’une et l’autre tournure d’esprit aux Aryens comme aux Sémites, parce que toutes les grandes civilisations ont enfermé dans leur sein ces contrastes intellectuels : mais, pour notre usage personnel, il nous faut opter entre les deux partis sous peine de nous traîner de contradictions en impossibilités.

Si nous sommes Aryen et doucement sentimental, disons les Sémites juifs volontaires, matérialistes et rationalistes, avec Schopenhauer ; si nous nous sentons Aryen et impérialiste, nommons ces mêmes Sémites mélaniens, bouddhistes, artistes, rêveurs, avec Gobineau, en nous réservant soigneusement les qualités contraires. Mais peindre l’Aryen à la fois artiste et réaliste, rêveur et pratique, impérialiste et attendri, c’est une gageure intenable. M. Chamberlain a tenté de la gagner : il marche avec Gobineau dans l’ordre temporel, avec Schopenhauer dans la sphère spirituelle : de là une confusion dont il lui est impossible de se dégager entièrement, en dépit de ses dons éminens de debater et de styliste. Ajoutons que, par une étrange mésaventure, ces deux aryanismes qui ne s’accordent en rien se touchent cependant dans leur égale incapacité à distinguer le Juif de l’Anglo-Saxon. Tandis que l’aryanisme gobinien ou anthropologique est contraint de concéder à l’Israélite l’énergie, la ténacité, l’intelligence pratique, qui l’éloignent des Sémites noircis pour le rapprocher des Aryens, l’aryanisme schopenhauerien est forcé de stigmatiser dans l’Anglais l’optimisme, le matérialisme, l’arrivisme, qui sont, à ses yeux, des insuffisances judaïques. Par là tous deux identifient bon gré mal gré Juif et Saxon, s’ils continuent d’opposer de leur mieux Aryens et Sémites.

On sait l’affinité intellectuelle souvent révélée par les événemens entre les âmes israélites et britanniques, depuis les inspirations mosaïques des puritains jusqu’aux jongleries bibliques des Mormons, et qu’une théorie, récemment reprise par quelques fantaisistes d’outre-Manche, fait descendre des dix tribus d’Israël, un instant égarées dans le capharnaüm de la science historique, les enfans contemporains d’Albion. Faut-il rappeler encore que le créateur de l’impérialisme jingoë fut un Juif, Disraeli, et qu’au total on pourrait bâtir toute une thèse sémitico-aryaniste sur le spectacle du monde moderne, en classant Israélites et Yankees sous la rubrique commune de conquérans nietzschéens ! Un critique allemand écrivait, peu après l’apparition des Assises[10] : « Il est vraiment singulier qu’un écrivain aussi pénétrant qu’érudit, et qui d’ailleurs, né en Angleterre, a pour ainsi dire l’Angleterre sous le nez, ait pu analyser si longuement la psychologie des Juifs sans s’apercevoir qu’il caractérise tout simplement ses compatriotes. Que les Anglais et les Yankees soient de purs Juifs pour le pharisaïsme et le sens des affaires, c’est ce dont le monde convient unanimement, car cela a été répété partout. Nul ne s’étonne même que le Juif ne joue pas de rôle en Angleterre et aux Etats-Unis : la raison en est que les indigènes reproduisent ses traits à une plus haute puissance. » Nous percevons ici la voix de l’Allemagne celtique, familiale, sentimentale, qui tremble devant la prussification grandissante et confond dans une égale réprobation les grands financiers cosmopolites et les oppresseurs des Boers ! Schopenhauer est sorti de cette Allemagne-là : c’est pourquoi l’entreprise est sans issue qui s’efforce d’allier ses leçons de charité sans réserve aux durs préceptes de l’impérialisme théorique.

Le Juif Spinoza est en particulier l’objet de la constante malveillance de M. Chamberlain. Prévention des plus injustes, si l’on songe que le solitaire de La Haye fut profondément germanique, à définir le germanisme philosophique comme le fait M. Chamberlain, c’est-à-dire déterministe, mystique et christiste[11]. On sait les accens de reconnaissance réfléchie[12] que l’auteur de l’Éthique a inspirés, à Gœthe (qui est toujours nommé le « Grand Aryen » dans les Assises), à Lessing, à Schleiermacher, à Jacobi. Et si Kant a davantage échappé à son influence directe, il n’en fut pas de même des continuateurs du sage de Kœnigsberg, un Schelling, un Hegel. La philosophie allemande classique n’est guère, à vrai dire, qu’une paraphrase du spinozisme, et nul n’en est plus profondément, quoique plus inconsciemment pénétré que Schopenhauer. M. Chamberlain, impérialiste divisé contre lui-même, reproche surtout à Spinoza d’avoir fondé le droit sur la force, et il ajoute[13] : « Qu’il ait ensuite tiré, de semblables prémisses, une morale élevée, cela prouve seulement ses dons innés de casuiste. » Quelle méconnaissance regrettable d’un des plus nobles ouvriers de la morale humaniste ! Il n’y a aucune casuistique dans l’édifice éthique de Spinoza, mais au contraire une puissante et saine logique constructive, et les fondations en sont d’ailleurs tout autant aryennes que sémitiques, si le stoïcisme, perfectionné par le christianisme, en a fourni les matériaux essentiels. — Enfin les théoriciens juifs du collectivisme contemporain, Marx, Lassalle, Bernstein, se voient encore plus dédaignés que leurs pères par M. Chamberlain, qui, tout en les invitant à s’occuper des affaires de leur peuple, leur oppose son compatriote Thomas Morus, dont l’Utopie, si pénétrée de sentiment religieux, annonce beaucoup mieux, à son avis, ce que sera peut-être quelque jour le socialisme germanique.

Remarquons en terminant que la religion juive, parfois si maltraitée dans les Assises, y rencontre aussi les mêmes retours d’indulgence extrême que nous avons notés à propos de la constitution physique et morale d’Israël. Tantôt M. Chamberlain nous présente parmi ces prétendus matérialistes « maint pieux rabbin vivant dans l’humilité, l’observation de la loi, la charité, la tolérance, en sorte qu’il serait à tout peuple un honneur, et à toute religion un appui[14]. » Tantôt l’Ancien Testament, cette œuvre qu’il attribue d’ailleurs aux bâtards mal conformés du Bédouin et du Hittite, devient sous sa plume[15] un « vrai chef- d’œuvre, » dont l’action fut unique au monde, que Gœthe et Herder ont célébré, qui suffit aux aspirations de l’homme du peuple comme à celle des esprits cultivés, un livre enfin qui trahit quelque chose de génial et de surhumain (daemonisch-genial). Après avoir analysé l’apport aryen dans le christianisme, M. Chamberlain reconnaîtra soudain les mérites du judaïsme en cette collaboration d’où sortit la religion de l’Occident. « La conception historique du Messie, le pittoresque poème évangélique, apportèrent, dit-il, la certitude et la conviction à des esprits singulièrement lassés par les spéculations alexandrines du Démiurge et du Logos. » Bien plus, la « Volonté » israélite créa l’Église, une et disciplinée, car l’élément helléno-latin, préférant la conversion tout intérieure, la patience et la charité, apportait plutôt à la doctrine nouvelle des qualités dissolvantes. Sans le dogme, et sans l’intolérance, deux faits prétendus sémitiques, on n’eût jamais réalisé une corporation religieuse homogène. Là encore nous sommes obligés de reconnaître dans le judaïsme une garantie de force et de durée[16] : et nous lui devons même « de la reconnaissance » pour avoir sauvé l’héritage du Germain à ce tournant de l’histoire[17]. Qu’ensuite reviennent les réserves, parfois les invectives, M. Chamberlain a prouvé par ces lignes sincères qu’il est téméraire de condamner trop durement des civilisations matérielles ou des conceptions du monde différentes de la nôtre quand elles ont fait leurs preuves de vitalité par leur persistance et par leur influence. « Ce qui est réel est rationnel, » disait prudemment Hegel. A regarder de près les erreurs prétendues de nos pères dans leurs alliances ou dans leurs emprunts, on est souvent contraint de reconnaître qu’ils furent plus sages et plus pratiques qu’un examen trop superficiel du milieu et du moment ne nous l’avait révélé d’abord.


II

En définitive, la religion judaïque est pourtant écartée par les considérations qui précèdent des matériaux propres à construire la doctrine germanique de l’avenir. Il nous faut examiner maintenant s’il en est de même pour la religion méditerranéenne, pour la conception du monde dans le Chaos des peuples. A l’avis de l’auteur des Assises du XIXe siècle, cela ne fait aucun doute, car cet amalgame confus de races étrangères les unes aux autres ne pouvait manquer d’exprimer son origine défectueuse, sa mentalité déplorable, son incohérence psychique par son défaut de religion véritable. Et parfois, en effet, nous trouvons M. Chamberlain plus sévère encore aux bâtards méridionaux qu’aux métis orientaux, dans l’évaluation de leur capacité philosophique, ainsi qu’il le fut jadis dans l’appréciation de leurs qualités ethniques. En parlant de la solution kantienne du problème de la liberté, il lui échappera de dire[18] : « Un Juif ne pouvait se poser ce problème ; inutile même de parler de ces balayures humaines, africaines, égyptiennes et autres, qui aidèrent à bâtir l’Eglise chrétienne. » Ou encore, en regrettant la prétendue judaïsation de la doctrine du Christ par saint Paul et la confusion d’idées qui en résulta chez ses disciples gentils : « L’esprit juif accepté dans sa pureté eût été moins pernicieux, car il eût tenu en bride les instincts fétichistes du Chaos des peuples. » Voilà donc une fois encore la Méditerranée humiliée devant la Palestine.

La puissance actuelle de la religion méditerranéenne réside surtout dans l’Eglise romaine, et M. Chamberlain prête souvent l’oreille aux voix mystérieuses de son hérédité anglo-saxonne pour s’élever avec passion contre une si dangereuse ennemie : c’est alors le no popery, avec toute son énergie aveugle et sa brutale intolérance, qui se répercute dans les pages de son livre. Les fils des Romains, dit-il, les Européens du Sud, « sont aujourd’hui tombés à l’idolâtrie sans fard, et, par là, sont sortis du groupe des peuples de culture[19]. » Mais il est inutile d’insister sur cet aspect des Assises du XIXe siècle, qui n’apparaît ni nouveau, ni même actuel, n’étant que le prolongement outré, exaspéré davantage encore, des critiques de la Réforme.

Beaucoup plus intéressante nous semble la discussion qui nous est offerte de l’idée « catholique » et de l’Universalisme dans l’Eglise romaine. Ici, en effet, nous sommes au cœur des préoccupations impérialistes, car la Rome pontificale est bien une concurrence religieuse, mais aussi une concurrence politique et temporelle pour le germanisme : on le voit assez par les polémiques que suscite outre-Rhin l’attitude du parti du Centre. Il importe donc aux fervens de la race septentrionale, d’écarter préalablement ce fantôme anti-germanique, s’ils veulent tenter de bâtir ensuite, sur les assises morales héritées par notre âge, un temple nouveau qui soit bien accommodé aux exigences minutieuses de l’hygiène nordique.

Au moment d’entamer sa campagne d’assainissement religieux, M. Chamberlain, toujours disposé d’ailleurs à s’enflammer soudain de sympathie pour les adversaires les moins ménagés par sa plume, rencontre pourtant un aspect de l’activité romaine qu’il est contraint d’admirer et d’applaudir en bonne logique ; c’est le côté gouvernemental et organisateur du catholicisme. Il sait les dangers du fractionnement préparé par l’individualisme protestant, par les « variations « inséparables de l’inspiration personnelle. « Tout schisme, dit-il, doit nécessairement préparer des schismes nouveaux[20]. » Au lieu que la thèse qui proclame non seulement l’autorité spirituelle du pape, mais encore sa suzeraineté temporelle et le droit supérieur de l’Eglise universelle sur les choses de ce monde, est une idée grandiose, fondée d’ailleurs dans la doctrine et dans la vie même du Christ[21]. Combien plate serait une pensée qui n’en saurait pas discerner la beauté et la force incommensurable ! L’Église cherche à réaliser avant tout le bonheur présent de ses fidèles : non contente de préparer leur avenir céleste, elle entend faire de ce monde passager un vestibule magnifique de l’au-delà. Si certaines concessions préliminaires, indispensables à l’unité de la foi, lui sont préalablement consenties, Rome montre la plus vaste tolérance et l’esprit le plus large. En savoir d’organisation, en puissance de tradition, en expérience de l’humanité, elle possède un trésor « plus grand et plus admirable qu’on ne saurait le dire en paroles. » Dans les notions de catholicité, de continuité du pouvoir spirituel, d’infaillibilité, d’institution divine, de révélation incessante et universelle, de royaume de Dieu sur terre, de pasteur suprême représentant du ciel[22] ; dans tout cela, il y a tant de bon et tant de beau que la croyance sincère à ces choses doit nécessairement donner la force ! Et qui le sentirait mieux que l’homme qui va précisément chercher dans la chimère d’une religion germanique nouvelle la force dont ses frères de race ont besoin pour triompher parmi les candidats à l’empire du monde ?

Ce sont là de magnifiques louanges ! Mais les qualités gouvernementales de Rome sont gâtées, aux yeux de M. Chamberlain, par l’usage excessif qu’elle s’est avisée d’en vouloir faire. L’universalisme, — qu’il prenne la forme du catholicisme théorique, du monopole industriel, ou du socialisme international, — inquiète au même degré ce particulariste de la race. Or, la ville de Rome eut le destin singulier d’incarner deux fois cette idée ambitieuse en ses deux avatars successifs, le païen et le chrétien. L’Eglise romaine, héritière des Césars, ne met pas plus qu’eux de bornes à ses velléités conquérantes. Que la grande majorité des catholiques soient cependant d’excellens patriotes, c’est ce qui est évident, mais ils se montrent en cela aussi respectables qu’illogiques. Le thomisme[23] exprima jadis ces aspirations de l’Eglise dans le domaine de la science, en réclamant pour elle le Tout-savoir. Le jésuitisme les a traduites plus récemment et plus pratiquement par la milice puissante qui s’efforce d’assurer à Rome le Tout-pouvoir. Or, l’universalisme, malgré ses séductions et ses prestiges, demeure pour ses adeptes un péril, une cause certaine de faiblesse, que M, Chamberlain fait profession de ne pas accepter pour le germanisme. A l’en croire, c’aurait été là l’écueil du Saint Empire romain germanique, dont la monstrueuse bâtardise est exprimée dans son nom même et qui fit place hier seulement au plus logique édifice de l’« Empire allemand germanique. »

En effet, non sans s’avouer, à l’occasion, que la vieille idée romaine de la domination du monde, partagée à titre d’héritage commun entre la Papauté et l’Empire d’Occident, fournit aux Germains les linéamens de leur organisation sociale, la base solide de leur civilisation, notre auteur regrette pourtant, par une de ces contradictions qui lui sont familières, que Charlemagne ait accepté sa couronne de Rome et du Pape, plutôt que de la demander à Byzance, comme il y avait songé d’abord. En conséquence de cette décision malencontreuse, non seulement le grand capitaine franc ouvrit la porte à la romanisation de l’Allemagne, mais encore il devint la proie de l’idée romaine, impériale et universaliste, égarant par là pour longtemps, sur une voie antipathique à leur tempérament, ses sujets germains. Car les Germains sont de purs nationalistes par vocation. Ne l’ont-ils pas démontré, en effet, au lendemain de leur victoire commune, lorsqu’ils se sont barricadés les uns contre les autres en créant les royaumes divers de l’Europe actuelle ? Que l’histoire leur en apporte encore une fois l’incitation, et ils façonneront sans efforts une douzaine de nationalités nouvelles. Avis au grand homonyme de l’auteur des Assises, au brillant ancien ministre des Colonies britannique, si soucieux de maintenir l’unité impériale dans ses trop vastes domaines administratifs ! — Oui, c’est même à la condition expresse de se limiter vers l’extérieur qu’il est permis de se développer sans bornes à l’intérieur ; et, tout au contraire, l’expansion sans bornes vers l’extérieur, à la façon romaine, produit nécessairement la limitation, l’étroitesse, la régression à l’intérieur[24]. Retenons cette idée subtile, car elle paraît avoir trouvé un écho retentissant dans l’éloquence abondante de l’empereur Guillaume II, ce mystique et ce néoromantique sur le trône des Césars allemands.

M. Chamberlain reste conséquent avec ces vues particularistes, tout au moins sur le terrain religieux, quand il proclame expressément son désir de voir le Chaos des peuples garder sa foi propre, quelque dégradée qu’elle lui apparaisse. Le christianisme germanique, dont nous esquisserons les beautés, encore endormies dans les limbes des créations futures, ne sera pas, dit-il, ne saurait jamais être la doctrine de la Méditerranée. Mais, dans la sphère des intérêts matériels, notre auteur ne semble pas toujours disposé à la même réserve. Il prévoit à plusieurs reprises l’hégémonie nordique, et, dans la conclusion du chapitre des Assises qui est consacré à l’Etat, il nous montre nettement les Germains se préparant à exercer l’« empire du monde[25]. » Il faudrait, pour nous tirer de ces contradictions, que cet Empire fût tout intellectuel, moral, conseiller de progrès, importateur de perfectionnemens variés. Acceptons-en l’augure, sans trop compter sur la durée d’une modération si méritoire, et constatons que le coupable universalisme catholique est ici morigéné par un homme qui devrait bien méditer, parmi les Paroles du Christ[26], si persuasives à ses yeux, la parabole de la poutre et de la paille.


III

Quoi qu’il en soit des développemens futurs de l’impérialisme germanique, l’impérialisme catholique, on nous l’affirme ici plus qu’on ne nous le démontre, ne possède pas dans la doctrine romaine une assise capable de porter la religion parfaite. Tournons-nous donc vers le troisième des groupes ethniques qui se partagent actuellement le sol de l’Europe, vers la famille germanique.

Les vues de M. Chamberlain sur les tendances religieuses du Germain dans le passé, et, en conséquence, sur, sa probable doctrine d’avenir, ont été conçues pour la plus grande part sous l’influence de Schopenhauer, aussi bien que ses opinions, précédemment exposées par nous, sur la religion judaïque. L’auteur des Assises du XIXe siècle refait en somme à la façon du sage de Francfort l’histoire philosophique et religieuse de l’humanité ; et il a la parfaite bonne foi de recommander chaleureusement[27] la lecture du chapitre ingénieux qui ouvre les Parerga du maître[28] et contient en effet toute la quintessence de ses propres développemens. — Considérez par exemple ses appréciations sur la philosophie indienne antique. Lui aussi, est convaincu que l’Europe aryenne a retrouvé sur les bords du Gange ses véritables livres saints, et que l’Indologie doit se raccorder à la germanistique sans lacune appréciable. Mais il les reliera entre elles par la même voie inattendue, et tout artificielle, en somme, que préconisa l’auteur du Monde comme volonté[29] : car, de cette germanistique, il efface à son tour l’Edda, l’Odinisme, le Walhalla, dont les noms ne sont pas même prononcés au cours de cette longue enquête sur la religion du Germain qui s’appelle les Assises du XIXe siècle. Ce n’est point par les vieux cultes nordiques considérés comme issus de l’Asie mère, mais par le prophétisme peut-être, assurément par le christianisme initial et enfin par la mystique allemande du moyen âge, que la primitive pensée aryenne se rattacha germaniquement à notre âge, et à la philosophie de Kant, fleur exquise et caractéristique de ce vieil arbre cultural. Tout cela nous avait été dit déjà. Toutefois, il est une différence importante entre les complaisances indiennes de Schopenhauer et celles de M. Chamberlain. Le premier penseur cares- sait surtout le bouddhisme, à une époque où l’on distinguait encore assez mal cette doctrine de ses racines brahmaniques. Disposition qui contribua à jeter sur sa philosophie cette espèce d’inertie locomotrice et de lassitude blasée qui en est la marque propre. Mais les nations septentrionales ont trop vigoureusement réagi durant la deuxième moitié du XIXe siècle contre les idées de découragement qui planaient sur le milieu de cet âge, pour que les images de pessimisme et de Nirvana qui séduisirent le solitaire de Francfort puissent être encore acceptées sans retouche par ses disciples modernisés. Ceux-ci ont trouvé un ingénieux procédé pour recueillir la plus grande partie de l’héritage de leur maître, tout en modifiant quelque peu le ton de ses leçons.

A cet effet, l’un des plus éminens dans leurs rangs, le professeur Deussen de Kiel, l’ami clairvoyant de Nietzsche, a jugé bon d’approfondir et de mettre en pleine lumière les origines de la pensée indienne, le Véda et le brahmanisme primitif ; et M. Chamberlain l’a suivi avec enthousiasme dans cette voie[30]. Aux yeux de ce nouvel essaim d’aryanistes plus ou moins impérialisés, le bouddhisme est l’œuvre propre d’une sorte de chaos des peuples dans l’Extrême-Orient, la doctrine d’élection de ces races inférieures, non-aryennes, qui, soumises autrefois par les conquérans blancs, les Aryas, sont revenues ultérieurement à la surface ethnique par une de ces mystérieuses sélections sociales, dont l’anthropo-sociologie contemporaine nous montre partout le spectacle. Sans doute, le chef du mouvement, Cakya-Mouni, était d’illustre et pure origine, mais ce fut dans toute la force du terme une sorte de Philippe-Egalité, un traître à sa race et à sa caste, que ce prédicateur égalitaire. Nous avons montré ailleurs combien l’âme aristocratique de Gobineau avait passionnément accueilli dès son aurore une appréciation si impérialiste, et comment il avait corrigé d’instinct sur ce point l’aryanisme amolli de Schopenhauer. Ce n’est donc pas un guide aussi peu sûr que le Bouddha qui doit diriger de nos jours l’âme germanique, mais bien plutôt l’antique sacerdoce des Aryas purs, les auteurs des livres védiques et des systèmes des philosophies indiennes orthodoxes qui s’alimentent à la source limpide des conceptions de la race blanche.

Que d’ailleurs les conséquences d’un tel changement de front soient très appréciables au point de vue strictement philosophique, c’est ce qu’on ne saurait prétendre, car brahmanisme et bouddhisme sont bien moins différens dans leur inspiration que ne voudraient nous le faire croire les exagérés de la race. Aussi, en dépit des progrès de la philologie sanscrite, les néo-aryanistes en arrivent-ils à peu près aux mêmes conclusions théoriques, sinon pratiques, que leur précurseur, le solitaire de Francfort. Seule, l’étendue de l’auditoire qu’ils souhaitent pour leurs leçons est réduite, par un parti pris d’exclusivisme ethnique parfaitement étranger à ce fervent de l’identité métaphysique que fut Schopenhauer. La suite de cet examen le démontrera.

La tentative sera-t-elle plus heureuse qui va maintenant s’attacher à la personne du Christ pour aryaniser plus nettement encore qu’on ne l’avait fait jusqu’ici, mais aussi pour impérialiser, au moins dans sa source première, le Nouveau Testament, si pessimiste et si déprimant dans l’interprétation schopenhauerienne ? Nous l’avons dit, pour tous les adeptes de l’aryanisme mystique, l’héritier qualifié du védisme, c’est le Christ ! Et, certes, quand on a constaté l’attitude hostile de cette école à l’égard du judaïsme, on ne peut se défendre d’abord d’un soubresaut d’étonnement devant l’énoncé d’une prétention à ce point inattendue. Quoi ! vous allez chercher en Palestine, au milieu des bâtards Hittito-Bédouins, la lumière des Aryens et, par suite, le flambeau du monde ! On comprendrait à la rigueur qu’un chrétien orthodoxe, persuadé que le Christ est Dieu au sens propre du mot, le détachât en conséquence de son milieu judaïque, ne vit dans les circonstances de sa vie terrestre que hasard sans conséquence, ou plutôt mystère impénétrable de la Volonté suprême. Mais ce chrétien ne s’efforcerait pas du moins à faire de son Sauveur un fils de sa propre race. Si le Christ n’est pas Juif à ses yeux, c’est parce qu’il est plus qu’un homme et qu’il plane bien au dessus des nationalités terrestres.

Tel n’est pas le sentiment qui anime M. Chamberlain. Il est intimement convaincu que la race se traduit dans la pensée et que la pensée est le critérium infaillible de la race. Une pensée dont il ressent par toutes les fibres de son âme la parenté, la fraternité même, et l’irrésistible attraction sur son être intime, une pensée si efficace à l’émouvoir ne saurait donc être à aucun prix reconnue par lui pour la fleur ou le fruit de la race qu’il a proclamée d’abord antagoniste, antipathique à son essence. De là à affirmer présente dans le sang l’affinité constatée dans les circonvolutions cérébrales, il n’y a qu’un pas. Dès longtemps Richard Wagner[31] et ses Bayreuther Blaetter[32] (où M. Chamberlain gagna ses éperons philosophiques), ont fait du Christ un Aryen. Toutefois l’auteur des Assises ne va pas absolument jusque-là, de façon expresse tout au moins, bien qu’une telle conclusion soit le corollaire évident de toute sa discussion sur ce point. Il se contente d’établir de son mieux, par quelques prestidigitations ethniques, que Jésus ne fut pas Juif de sang : quant à démontrer l’aryanisme du Sauveur, il ne le tente pas sur le terrain anthropologique, et il ne fournit qu’un argument implicite, qui est l’inspiration sublime de l’Evangile : mais nous venons de rappeler que cet argument-là lui paraît d’ordinaire plus que suffisant, qu’il est même le seul décisif à ses yeux !

Voyons la première partie de la thèse. Que le Christ ne soit pas un Juif, cela résulte pour M. Chamberlain de la situation ethnique dans la Galilée, patrie de Jésus[33]. Il a une longue démonstration pour établir que cette province s’était peu à peu vidée de tous ses élémens judaïques, accueillant en revanche des immigrations de tout ordre, dont il est difficile, il est vrai, de spécifier la provenance et la valeur, mais qui n’avaient à coup sûr rien de commun avec les enfans de Juda. En conséquence, « on ne voit pas la plus petite raison pour admettre que les parens de Jésus aient été Juifs de race[34], » ni que leur fils ait possédé « une seule goutte de sang juif pur dans ses veines[35]. » D’ailleurs, les Galiléens ne sont-ils pas décrits par tous les historiens de la Palestine comme des têtes ardentes, d’énergiques idéalistes, des hommes d’action, implacables adversaires de la domination romaine, ainsi que le prouva Jean de Giscala, le fanatique défenseur de Jérusalem ? Les femmes du Nord étaient, en général, d’une beauté remarquable, bonnes, tolérantes, fort différentes en un mot des autres Juives, telles au moins que les imagine M. Chamberlain ! Enfin les Galiléens prononçaient difficilement les sons gutturaux si fréquens dans les idiomes sémitiques, puisqu’on leur défendait de lire en public la prière, où leur élocution rurale faisait rire l’auditoire : cette conformation particulière de leur larynx ne trahit-elle pas un fort mélange de sang non sémitique ! Tels sont les enfantillages auxquels descend le chevaleresque auteur des Assises, quand il oublie ses justes suspicions contre l’anthropologie politique et s’en va lui demander des armes pour soutenir ses passions philosophiques.

Si M. Chamberlain se contente d’insinuer que le Christ fut un Aryen, c’est bien ouvertement qu’il proclame impérialiste et exclusiviste le fondateur de l’Eglise universelle. Jésus, à l’en croire, aurait été sur toutes choses, combatif, dur, intolérant. D’autres lisent bien dans l’Evangile la fameuse doctrine de la non-résistance au mal, chère au comte Tolstoï, ou encore le précepte de présenter la joue gauche à qui vous frappe sur la joue droite. Mais ces prétendus enseignemens d’humilité auraient été jusqu’ici mal compris. En réalité, ils nous invitent à discipliner notre Volonté, en vue de notre avantage propre, et non pas du bien d’autrui : à faire, en nous, de l’ascétisme l’école de l’autorité ; à pratiquer d’abord l’obéissance, pour mieux exercer ensuite la mission du commandement. Le Christ enseigne bien la conversion de la Volonté, mais non pas pour l’orienter vers son anéantissement, à la mode de Bouddha et de Schopenhauer : il s’agit au contraire, dans l’Evangile, d’une conversion « seigneuriale » qui n’est qu’une initiation au rôle aristocratique de dominateur et de « maître. » Le Christ est donc enrôlé à son tour parmi les conquérans nietzschéens sous la plume d’un penseur qui fait profession de dédaigner Nietzsche. Jésus annonce, dit-il, des milliers d’années de guerre : il ne prêche pas la pusillanimité, mais le courage muet dans la lutte contre les instincts d’esclave en notre cœur. Seuls des héros, des « maîtres » peuvent être chrétiens au véritable sens du mot, car leur guide enseigna non l’humilité forcée du serviteur, mais l’humilité autonome du maître, qui s’abaisse vers les humbles dans toute la plénitude de sa force. Ajoutons qu’un impérialiste doit être optimiste, et que Jésus le sera donc dans les Assises du XIXe siècle, presque jusqu’à l’épicuréisme parfois[36] ; les textes pessimistes du Nouveau Testament nous étant donnés pour des emprunts malheureux faits aux Anciens Livres de Juda par les rédacteurs de l’Evangile. En sorte qu’ici Schopenhauer se voit pleinement renié pour un moment par son disciple, en faveur des espérances d’avenir de la race germanique. Eh quoi ! un Ancien Testament pessimiste, l’inspirateur du Nouveau passé dans le camp de l’optimisme ! Que dirait le penseur de Francfort, à contempler l’un des siens jouant de la sorte avec les enseignemens de la bonne doctrine, et débauchant, pour les entraîner dans un chassé-croisé échevelé, les graves concepts de sa philosophie religieuse. Enfin, comment ne pas s’arrêter un instant ici pour admirer la plasticité vraiment surhumaine de cette figure du Christ, qu’un Stirner vantait déjà comme le grand Insurgé de l’Individualisme, et qu’un Nietzsche, un Chamberlain proclament à leur tour le théoricien de cet impérialisme croisé de mysticisme qui leur est cher !

Et pourtant l’opinion commune voit depuis dix-huit siècles dans cet impérialiste divin un égalitaire décidé ; elle imagine, dans ce maître sans faiblesse, un « doux et un humble de cœur ! Il faut donc qu’il existe une cause bien puissante à cet égarement universel. Sans doute ! et M. Chamberlain nous la signale avec amertume. La source d’une pareille erreur est dans le travail déformant des Eglises, qui a commencé, au lendemain même de la tragédie du Calvaire, sur la personnalité du Christ. C’est la déviation imprimée par les propres compagnons de Jésus à l’esprit de son enseignement réel qui a créé l’état d’âme ambigu, les erreurs et les tâtonnemens, prolongés jusqu’à ce jour, de ses véritables héritiers ethniques, les Germains. Est-il donc pour ces derniers un moyen de se reprendre enfin, de retrouver, sous les substructions bâtardes accumulées par des architectes judaïsans ou romanisans, la doctrine primitive et pure qui avait été conçue et prêchée pour leur bien particulier ? Et voici que, guidée par une inspiration analogue à celle d’un autre mystique éminent du temps présent, Léon Tolstoï, M. Chamberlain, bien qu’il agisse dans des vues diamétralement contraires à celles du penseur russe, s’est avisé de son côté que le seul moyen d’entendre le Christ en personne, c’était de tendre l’oreille aux paroles directes que lui prêtent les Evangélistes, en négligeant les narrations incertaines et les commentaires superflus qu’y joignirent ces incultes esprits. Notre enthousiaste aurait peut-être dû considérer davantage que les mots précieux qu’il va recueillir amoureusement, ayant passé par les mêmes cerveaux, par les mêmes mémoires que le surplus des écrits évangéliques, ne sont ni plus ni moins suspects de déformation et de contre-sens. Néanmoins, comme il est en effet permis de penser que le respect et l’affection des disciples a plus pieusement garanti contre l’usure de la tradition orale les discours du Maître que les incidens de sa carrière, M. Chamberlain s’est imposé la tâche de publier un recueil complet et critique des « Paroles du Christ[37]. » Tolstoï a fait le même travail en son particulier, et l’a conseillé à ses fidèles : toutefois, plus profondément mystique que son émule anglo-allemand, le penseur moscovite se confie davantage à l’inspiration individuelle et recommande à chacun de nous de procéder encore à un choix personnel, parmi ces paroles. Il faut les marquer préalablement d’un crayon rouge ou bleu dans notre exemplaire du Livre saint[38] ; après quoi nous retiendrons celles-là seulement dont nous nous sentons émus et entraînés.

Quant à M. Chamberlain, il nous les a données et recommandées toutes, car toutes sont telles à ses yeux qu’elles « pourront vaincre le temps et l’espace. » En revanche, leur cadre historique, avec son mélange de thaumaturgie, serait déjà incontestablement vieilli, dépassé par le positivisme de la science moderne. Aujourd’hui, ce ne sont plus des miracles qui peuvent convertir, mais des paroles ! Jésus n’a-t-il pas toujours défendu qu’on racontât ses prodiges : cependant qu’Origène, fort Germain par la pensée, écrivait déjà avec une belle fierté : « Nous ne croyons pas le Christ pour ses miracles ; mais, parce que nous croyons en Lui, nous ne doutons pas de ses miracles. » Voilà des citations qui sont singulièrement instructives. Ainsi donc on retrouve le pur spinozisme au terme de l’évolution de la philosophie allemande, aussi bien qu’à ses débuts : et cela dans un livre qui maltraite si cruellement Spinoza ! Nous verrons quel parti M. H. S. Chamberlain a tiré de ses spéculations évangéliques pour préparer la foi germanique de l’avenir.

Auparavant, il nous faut suivre rapidement les avatars germaniques de la pensée chrétienne dans les Assises du XIXe siècle. Saint Paul nous y est présenté après son maître comme aussi peu juif que possible. Sa ville natale, Tarse, qu’on nous donnerait en toute autre circonstance comme peuplée de bâtards syriens, est ici traitée de pure colonie grecque ; et s’appuyant sur la doctrine de l’hérédité mentale qui est exposée dans le Monde comme Volonté. M. Chamberlain croit distinguer que le converti du chemin de Damas eut pour père un Juif, pour mère une Grecque ! Néanmoins, alors que Schopenhauer, s’attachant surtout au côté mystique dans la personnalité de Paul, faisait de lui l’incarnation des tendances prétendues aryennes du christianisme naissant, l’auteur des Assises, sans fermer les yeux sur des mérites très évidens, accuse pourtant l’apôtre des Gentils d’avoir judaïsé la pensée du Christ. C’est que notre critique voit Jésus purement aryen, et que Paul lui apparaît en conséquence comme fort imbu de judaïsme initial, quand il le rapproche d’un modèle, qu’il a posé, par définition, comme le Germain parfait. L’Epître aux Romains serait, par exemple, toute juive, si l’Epître aux Galates porte des traces d’aryanisme en raison des attaches celtiques de ses destinataires : l’auteur commun de ces deux missives avait donc joué un rôle ambigu et néfaste, en somme, dans les origines chrétiennes.

Rallumée aux étincelles aryennes qui dormaient sous la cendre dans l’âme inquiète des Pères de l’Église, la mystique allemande flamboie durant tout le cours du moyen âge : c’est la philosophia teutonica, la philosophie teutonique par excellence. On croirait lire parfois des transcriptions du Véda (comme Schopenhauer l’avait dès longtemps souligné avec une tendre émotion), chez maître Eckhart, chez l’anonyme de Francfort, auteur de Theologia Deutsch, chez Suso, enfin chez Jacob Bœhme, le cordonnier de Gœrlitz, inspirateur de Kant et de Hegel. Paracelse, Antoinette Bourignon, Molinos, sont présentés comme les continuateurs de la pensée germanique dans les Assises aussi bien que dans le Monde comme Volonté, et il ne manque que Mme Guyon à cette liste d’élus[39] !

Par Bœhme, et le mouvement piétiste du XVIIIe siècle, la transition est directe entre la mystique teutonne et la philosophie allemande classique. Son chef de file, Kant, est le dieu de M. Chamberlain, qu’on considérerait à très juste titre comme un néo-kantien, bien qu’il garde une indépendance réelle vis-à-vis de ce maître chéri[40]. Kant lui apparaît comme préparant immédiatement, par ses destructions nécessaires autant que par ses suggestions géniales, ce christianisme germanique qui est encore à naître, au seuil duquel nous touchons seulement, et dont l’auteur des Assises hâte de ses vœux, prépare de toute son activité l’indispensable avènement.

Contrairement à l’opinion commune, le continuateur immédiat de Kant, ce n’est pas Fichte[41], dont Kant lui-même condamnait la scolastique étroite, les déductions insoutenables ; ce n’est pas davantage Hegel, ce Thomas d’Aquin protestant, comme Spinoza est l’Aquin juif[42] ; ce n’est pas Schelling, un véritable nain, dont les proportions demeurent incommensurables avec celles du penseur de Kœnigsberg ; c’est, les Assises du XIXe siècle tout entières en sont la démonstration, c’est Schopenhauer[43], qui l’a d’ailleurs assez proclamé lui-même à la face de l’Univers pour en inspirer la conviction à un disciple aussi prévenu en sa faveur que M. Chamberlain. Nous avons montré déjà, et nous montrerons davantage encore à quel point le livre que nous examinons reste sous l’influence du Monde comme Volonté pour toute sa partie religieuse. Jadis M. Chamberlain se donnait sans ambages pour un Schopenhauerien convaincu : il s’est récemment émancipé au moins en paroles vis-à-vis de cet inspirateur comme de plusieurs autres, car la préface de la troisième édition de son livre règle ses comptes avec Schopenhauer, Gobineau, Richard Wagner sur un ton assez dégagé ; mais il se croit plus indépendant de ses premiers maîtres qu’il ne l’est devenu en réalité. Il rejette, sans doute, l’esprit bouddhique, quiétiste, humanitaire qui florissait vers 1855, et fit le succès du Monde comme Volonté ; mais il a été devancé dans cette évolution, car l’heure fatidique de 1870 a sonné depuis lors pour l’Allemagne (et, par contre-coup, pour l’Angleterre, qui date de là son évolution impérialiste), apportant des perspectives d’avenir assez enivrantes pour réfuter le pessimisme de Gobineau comme celui de Schopenhauer, ces chefs de file des deux écoles aryanistes du temps présent. Le premier a vécu assez longtemps pour ébaucher parfois la correction de sa propre main ; le second n’a pas eu ce loisir, quoiqu’il espérât bien voir l’an 1891, lorsqu’il se plaisait sur le tard à fixer au nombre de cent le compte normal des années dévolues ici-bas au sage vainqueur de ses passions. Mais ses continuateurs ont élagué, développé, rectifié pour lui dans son œuvre, et à cette besogne s’est signalé la plus récente divinité du panthéon des Assises, Richard Wagner, qui nous amène au terme de cette trop aride revue philosophique.

Nous n’estimons pas en effet que M. Chamberlain soit fort redevable au maître de Bayreuth considéré comme penseur. À ce dernier titre, Wagner n’était pas assez riche en inspirations originales pour se montrer très prodigue de ses dons. Mais le biographe pénétrant du génial musicien lui doit autre chose que des idées : ce qu’il tient de lui, c’est une des révélations les plus efficaces de sa religion mystique, dont nous dirons les extases musicales.

Nous terminons donc, sur ce grand nom d’hier, l’examen historique des rudimens du germanisme psychique dans le passé. Le résultat de l’enquête n’a pas été comme parmi les enfans

[44] de Juda ou du chaos : on nous a montré mainte raison d’espérer un renouveau des facultés religieuses, chez les héritiers qualifiés du védisme, du christisme, du mysticisme et du kantisme. Combien il reste à faire toutefois ! « Mehr Licht ! plus de lumière, » disait Goethe expirant ; c’est, une fois encore, le cri de désir qui s’échappe des lèvres balbutiantes d’un dévot du grand poète. Il n’aperçoit dans l’avenir qu’obscurité menaçante et perspectives de désastre, si le XXe siècle voit se fermer l’étroite et précaire échappée ouverte encore sur des destinées glorieuses pour la seule humanité digne de ce nom. Les Germains se créeront enfin une doctrine religieuse propre à les soutenir dans la lutte pour l’Empire du monde, ou ils achèveront de périr, noyés dans les races inférieures dont ils acceptent les notions empoisonnées.

Or, c’est là le problème que, placé, lui aussi, sous l’influence schopenhauerienne et wagnérienne, Frédéric Nietzsche se posait, dès sa jeunesse. Il cherchait alors, sous le nom de véritable culture allemande, une religion nouvelle, qu’il parut souhaiter d’abord spécifiquement germanique. Il en trouvait, lui aussi, les élémens dans la musique et dans la philosophie de sa nation : mais il ne mêlait pas le christianisme à ses spéculations romantiques. Gêné d’ailleurs par l’étendue même de son champ visuel, et par l’état précaire de sa santé, il n’est pas parvenu à dresser un édifice aussi cohérent dans ses parties que celui dont les Assises du XIXe siècle ont tracé du moins le plan. Les matériaux disparates qu’il a laissés sur le chantier dont il fut chassé par la maladie présentent le plus haut intérêt : il n’a pas eu le loisir ou la force d’opérer entre eux une sélection indispensable et de les assembler d’une main ferme, par un mortier résistant. Cet insuccès laisse une portée réelle à l’œuvre moins compréhensive, moins large et moins géniale, mais plus empirique, plus poussée et plus décidée dans la forme dont nous avons entrepris l’étude. Il nous reste en effet à examiner ce gage de salut et de triomphe, que M. Chamberlain entrevoit pour les siens dans la naissance, prochainement menée à bien après tant d’avortemens, d’une Religion spécifiquement germanique.


ERNEST SEILLIÈRE.

  1. Voyez la Revue du 1er décembre.
  2. M. Chamberlain déclare préférer infiniment le terme purement germanique de « Weltanschauung, » conception du monde, à la vague expression grecque de philosophie, héritage d’un temps où la « sagesse » semblait résumer la catégorie de l’idéal pour des peuples enfans.
  3. Voir son essai philosophique dans la Zeitschrift für Philosophie (Leipzig, 1868).
  4. P. 312.
  5. Par delà le Bien et le Mal. Édition Henry, p. 63.
  6. p. 8.
  7. P. 220.
  8. Lire, à titre d’antidote aux exagérations de M. Chamberlain dans ce domaine, les excellens articles du docteur F. O. Hertz dans la Politisch-Anthropologische Revue, II, 7 et 8.
  9. Déjà, dans son livre sur Richard Wagner, M. H. S. Chamberlain écrivait que bâtir sur Schopenhauer, c’est « bâtir sur le roc, » et il le nomme, dans les Assises (p. 398), « un des penseurs les plus puissans qui aient jamais vécu, dont la pensée possédait une plasticité symbolique sans exemple, inconnue même à Platon, à ce point que sa conception du monde semble en beaucoup de points parente d’une religion. »
  10. Grenzboten, 5 avril 1900.
  11. Nous nommons ici « christisme » l’admiration pour la personne du Christ, unie à la condamnation des Églises qui sont sorties de lui.
  12. Voyez Vérité et Poésie (111, 14). « Heureusement, j’avais reçu en moi la personnalité et la doctrine d’un homme extraordinaire : d’une manière incomplète, il est vrai, et comme à la dérobée ; mais j’en éprouvais déjà de remarquables effets. Cet esprit qui devait avoir sur toute ma manière de penser une si grande influence, c’était Spinoza. En effet, après avoir cherché dans le monde entier un moyen de culture pour ma nature étrange, je finis par tomber sur l’Éthique de ce philosophe. Ce que j’ai pu tirer de cet ouvrage, ce que j’ai pu y mettre du mien, je ne saurais en rendre compte, mais j’y trouvai l’apaisement de mes passions... Ce qui m’attachait surtout à Spinoza, c’était le « désintéressement » sans bornes qui éclatait dans chacune de ses pensées. Cette parole admirable : « Celui qui aime Dieu parfaitement « ne doit pas demander si Dieu l’aime aussi, » remplissait toute ma pensée. Ce mot hardi qui vient après : « Si je t’aime, que t’importe, » fut le véritable cri de mon cœur... Toutefois... les plus intimes unions résultent des contrastes. Le calme de Spinoza, qui apaisait tout, contrastait avec mon élan, qui remuait toutes choses... Par une affinité nécessaire s’accomplit l’union des êtres les plus différens. « 
  13. P. 170.
  14. P. 451.
  15. P. 453.
  16. P. 572.
  17. P. 257.
  18. p. 884.
  19. P. 751.
  20. p. 680
  21. P. 672.
  22. P. 679.
  23. P. 863. Les Assises nous enseignent que saint Thomas d’Aquin fut d’origine germanique, mais que, trop séduit par la grande idée anti-germanique de l’universalisme, il aurait enfin dressé contre le germanisme intellectuel la machine de guerre qui est sa Somme théologique. De sorte que, dans la philosophie comme sur les champs de bataille, les Germains ont fourni des mercenaires aux ennemis de leur sang et continuent de le faire aujourd’hui.
  24. C’est une idée allemande antérieure à l’impérialisme actuel, et dont on retrouve la trace dans Renan (De l’avenir religieux des sociétés modernes), que le vieux monde romain a péri par l’unité et que le salut du monde moderne sera la diversité nationale, héritage des conquérans germains. M. Chamberlain la mêle ici de façon peu conséquente à son impérialisme foncier.
  25. P. 687.
  26. Voir plus loin l’analyse de son ouvrage qui porte ce titre.
  27. P. 860.
  28. Esquisse d’une histoire de la doctrine de l’idéal et du réel.
  29. Voir ses études dans la Beilage de l’Allgemeine Zeitung, 1899. N° 229 et 230.
  30. Après Schlegel et Schopenhauer, M. Chamberlain considère l’arrivée de la littérature hindoue en Europe comme l’aurore d’une seconde Renaissance qui sera plus saine dans ses origines et plus efficace dans ses restaurations religieuses que le mouvement helléno-latin du XVIe siècle. Et, si on lui objecte que cent ans se sont écoulés déjà depuis la découverte des monumens sanscrits, sans que l’influence religieuse en soit bien appréciable, de son propre aveu, il répond qu’un long travail grammatical et philologique s’imposait en présence de ces idiomes éteints depuis tant de siècles. Le fruit aryen serait arrivé à maturité depuis hier seulement, avec l’œuvre du professeur Deussen.
  31. Werke, X, 232.
  32. Voir dans le numéro de janvier-février 1886, l’article de A. SeidI, intitulé Jésus l’Aryen. Récemment, un critique d’art parisien s’étonnait de trouver cette mention singulière sous une toile envoyée par un Septentrional à nos Salons annuels. Elle ne surprend plus les spectateurs renseignés en pays germanique, et certains Français commencent à s’y rallier. (Voyez G. de Lafont, les Aryas de Galilée, Paris, 1903.)
  33. P. 212 et suiv.
  34. P. 214.
  35. P. 218.
  36. P. 202.
  37. Worte Christi. — Bruckmann, Munich, 1902.
  38. Voir l’opuscule de Tolstoï, Comment lire l’Évangile ?
  39. P. 883.
  40. P. 771. Voir, dans les Kantsudien (VII 4), l’étude de M. Vaihinger : H. S. Chamberlain, ein Juenger Kants, composée surtout de citations des Assises.
  41. P. 918 (note).
  42. P. 683.
  43. Pour sa part, l’école marxiste estime que Fichte et Hegel élaborèrent le côté révolutionnaire du kantisme, tandis que Schopenhauer n’en acceptait que l’aspect réactionnaire ; et ces deux conceptions du monde antagonistes, qui sont le matérialisme historique et le mysticisme germaniste, se partagent ainsi d’un commun accord l’héritage philosophique du so.ge de Kœnigsberg, qui garde par là le privilège de figurer dans l’arbre généalogique officiel de toutes les branches de la pensée spéculative en Allemagne.
  44. Voyez dans les Bayreuther Blaetter, juin 1895, son étude sur la régénération dans Wagner.