La Revanche du prolétariat/I

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LA REVANCHE

DU PROLÉTARIAT

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Avant d’être Français, je suis socialiste et citoyen du monde.
(Réponse à M. de Beaurepaire, dans le procès du Chant des Prolétaires.)
Toutes les armes sont bonnes contre les tyrans.
(La Commune immortelle.)
I

La République actuelle, issue de la honte impériale et de l’abjection bourgeoise, au bruit du canon de Sedan et des fusillades versaillaises, est une courtisane hypocrite, n’accordant ses faveurs qu’aux puissants.

Si elle a le plus souverain mépris pour les prolétaires, en revanche ses plus gracieux sourires sont pour des Alphonse, pour des Bismarck.

Prudhomme et Tartufe, Ratapoil et Vautour sont ses amants de cœur.

Les escapades de la belle leur importent peu, car ils reçoivent part égale de ses caresses.

À l’instar de Bonaparte, de Bourbon ou d’Orléans, la République bourgeoise a toujours combattu les aspirations des déshérités.

Lorsque, las de souffrir, ils en appellent aux armes, elle déploie contre eux plus de cruauté même que ces malfaiteurs couronnés.

Deux fois en ce siècle, elle les massacre sans merci aux jours néfastes de Juin et pendant la Semaine sanglante.

Les peuples n’ont pas, dans leurs annales, de répression semblable à cette dernière[1].

Ceci, en vertu de cet axiome, que les parvenus sont les plus insolents et les plus aristocrates des hommes.

« Les temps héroïques, disent-ils, sont passés. »

Comme si, par l’arrivée au pouvoir des bancocrates et des saltimbanques politiques, l’œuvre de la Révolution était terminée ; comme si tant de larmes et de sang versés, tant de tortures subies, tant de victimes sacrifiées, tant de dévouements mis au service de l’idée nouvelle ne l’avaient été que pour donner aux fils des bourgeois de 89 la puissance et les privilèges qu’avaient jadis les nobles !

Voici quinze ans que, pour la troisième fois, cette République nominale existe : qu’a-t-elle fait pour le peuple ?

Quel spectacle nous montre-t-elle, du haut en bas de l’échelle sociale ?

En haut, une poignée d’oiseaux de proie, de parasites, dispensés de toute œuvre utile, de toute obligation réelle.

En bas, la foule des prolétaires, des salariés, qui lutte et succombe sous l’étreinte des vampires du Capital.

Paysan courbé et ridé, dis-nous si le député cher à ton cœur t’a enlevé la moindre charge de tes abrutissants labeurs ; dis-nous si tes républicains gouvernementaux ne t’ont pas volé comme leurs congénères monarchistes.

Ouvriers des chiourmes et des fosses capitalistes, dites-nous si vos élus ont empêché vos bourreaux, leurs complices, de vous rationner et de souiller vos filles hâves de privations avec le produit de vos peines.

Femmes, dites-nous si les ministères qui se succèdent et fatalement se ressemblent ont rendu une seule goutte de lait à vos seins taris, ou ont donné sa suffisance à votre estomac délabré ; dites-nous si vous ne continuez pas à regarder, comme Tantale, le pain qu’on expose à vos regards faméliques.

Enfants, dites-nous quelles sont les misères que vous n’avez pas connues.

Cet ordre social, qui donne tout à ceux qui ne font rien, et rien à ceux qui font tout, serait-il immuable ?

Nous ne le pensons pas.

Depuis quelques années, un réveil se produit dans le monde entier.

Les délégués autorisés du travail commencent à comprendre que le problème à résoudre n’est pas seulement corporatif, national : il est international, universel.

Chaque jour, les groupes ouvriers : chambres syndicales, cercles d’études, fédérations révolutionnaires, etc., se multiplient, et les sacrifiés de partout cherchent à se tendre la main par-dessus les frontières pour organiser la résistance commune.

N’étaient les divisions que des dirigeants méprisables sèment adroitement parmi les travailleurs de tous pays, la victoire serait prochaine.

Sentant, comme l’empire à son déclin, leur domination finir, les bourgeoisies diverses se servent des moyens les plus perfides pour enrayer l’avènement du peuple.

Si les salariés conscients veulent voir, à brève échéance, le règne de la Justice, ils doivent donc mettre une sourdine à leurs luttes personnelles.

Pour ce résultat, il faut compter sur la pression, qui commence à se faire sentir, des spectateurs impartiaux.

Quoi qu’il en soit, le jour où de Paris, sinon de Berlin, partira l’étincelle, une immense explosion aura lieu, et l’on sera étonné du chemin qu’aura fait le communisme.

L’enterrement de Vallès peut en donner un avant-goût : comme à celui de Blanqui, plus de 100, 000 socialistes s’y pressaient, à l’ombre des drapeaux rouge et noir, bravant la police occulte et ces gommeux dont elle défend les rentes, les étudiants catholiques ou chauvins.

Tous ceux qui, dans la capitale, ont quelque aperception de l’avenir, avaient tenu à honneur d’y prendre part, depuis les communistes allemands, venant affirmer la fraternité des peuples sur le cercueil d’un de ses plus fermes défenseurs, jusqu’à de jeunes collégiens, faisant leurs premiers pas dans la voie sociale, sous la conduite du professeur Hémery-Geoffrin.

Des manifestations de ce genre, où les écoles socialistes se confondent, marquent dans l’histoire et rendent possible l’union révolutionnaire.

Sur ce sujet brûlant, voici une citation, qui a son importance, du citoyen Jean Allemane :

… Il est grand temps que cessent les divisions qui annihilent les forces prolétariennes, qu’un terme soit mis aux jalousies et aux rancunes qui font que le peuple ouvrier, ne se contentant pas des haines internationales, se divise en une foule de particulets adverses.

Il faut que l’union de tous ceux qui produisent se fasse contre tous ceux qui vivent à leurs dépens, et que le travailleur s’affirme socialiste-révolutionnaire, aussi bien à l’atelier qu’à la caserne, car, malheur au peuple s’il n’y a similitude de drapeau entre tous ses enfants[2].

  1. « Trente-cinq mille cadavres de prolétaires, de soldats de la souffrance, combattant pour la République sociale, pour leur place au banquet de la vie, devaient joncher les rues de la capitale du monde civilisé.
    » Depuis les proscriptions de Sylla, qui ensanglantèrent l’ancienne Rome, jamais tuerie pareille de gens désarmés ne s’était accomplie, » (A. Le Roy et O. Souètre. — Fusillé deux fois et la Commune ressuscitée, p. 2.)
  2. Prolétariat, no 33, col. 2.