La Revanche du prolétariat/IX

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Librairie socialiste internationale (p. 25-28).
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IX

La propriété individuelle et ce qu’on nomme « patriotisme » sont les bases de la dégénérescence et de la servitude humaines.

Le patriotisme, la gloire militaire, comme le capital, auquel ils servent de moyens de défense, ne sont que la résultante des larmes et du sang des prolétaires..

Ces derniers, que sont-ils ? Chair à machine pour le créer, chair à mitraille pour le défendre !

Avez-vous vu partir pour la bataille un régiment bien équipé, aux armes luisantes, et dont les hommes marchent gaîment, en bon ordre, pleins d’entrain, de force et d’espérance ? Il suffit de quelques heures pour transformer cette troupe en un amas confus de fuyards éperdus, déchirés, le visage noirci, traînant des membres brisés, poussant des cris de douleur, et n’offrant plus que le spectacle d’un lamentable désarroi.

Parcourez ces villages en ruines, regardez ces chaumières en feu, contemplez ces champs dévastés et couverts de cadavres, et dites-nous, chauvins imbéciles, si les guerres, les guerres de conquêtes,ne sont pas les plus monstrueux des crimes.

Un seul genre de guerre, en notre époque encore barbare, est légitime : c’est la guerre du travailleur contre le capitaliste, de l’opprimé contre l’oppresseur : la guerre sociale.

Comme disaient nos pères de 93, « l’insurrection est le plus sacré des devoirs. »

Elle éclatera périodiquement tant que les écrasés de la féodalité nouvelle n’auront pas réalisé leur idéal de Justice.

Les travailleurs soulevés obtiennent plus en un jour de victoire qu’en cinquante ans de lutte pacifique.

La guerre de conquêtes entrave leur essor vers l’Égalité ; la guerre sociale ou civile leur ouvre les portes de l’Avenir.

Toute la science des gouvernants consiste à déchaîner celle-là pour éviter celle-ci.

Arrière donc les rêveurs de combats, les chauvins à la Déroulède, les patriotes enragés et bêtes ! Assez de batailles fratricides entre peuples ! Guerre à la guerre ! Une muselière aux revanchards !

L’ennemi n’est pas au delà des frontières, il est ici même : c’est le riche, c’est l’oisif, celui qui n’a que la peine de naître et de se vautrer dans les jouissances, tandis que le pauvre, le producteur, condamné à un labeur sans trêve, voit s’éteindre sa triste existence dans le dénuement et le désespoir.

Sous le fallacieux prétexte de défendre « la patrie, » le sol, dont la plupart des plébéiens ne possèdent pas une parcelle, on ne nous arme en réalité que pour défendre les prérogatives d’une minorité infime.

Si, las de nous voir broyer sous la meule possédante, nous réclamons un adoucissement à nos douleurs, on lâche sur nous les troupes de police et l’armée prétorienne.

Et si par hasard un député, plus honnête ou moins canaille que ses pareils, élève la voix en notre faveur, des démocrates de la Chambre les uns bâillent, les autres se tordent, et l’on passe à l’ordre du jour.

Farce lugubre !

— Mais les Allemands, disent les sycophantes qui nous gouvernent, ne pensent qu’à nous enlever la Champagne et la Bourgogne, après nous avoir ravi l’Alsace et la Lorraine.

Fadaises !

Nos expulseurs de réfugiés ne s’entendent-ils pas avec le roi de Prusse comme larrons en foire ?

Les enfants perdus de notre cause se moquent du suffrage universel comme une poule d’une fourchette, et les travailleurs ne seront pas de si tôt libres s’ils ne recourent à des moyens plus énergiques ; mais les chacals puants de l’agio, et autres punaises de sacristie qui se repaissent de notre sang, ne donneront pas longtemps le change sur le mouvement socialiste en Allemagne.

Malgré le semi-état de siège, deux millions de votards viennent d’envoyer vingt-cinq députés socialistes, nommés sur un programme de classe, au Reichstag allemand : en compte-t-on un seul au Parlement français[1] ?

Et puis aux jours de honte de 1870-71, est-ce que les députés communistes Bebel, Liebknecht et Jacobi n’eurent pas le courage de protester en plein Reichstag contre le démembrement de la France et l’égorgement de la Commune ?

Qui ne sait que pour cet acte de solidarité humaine, les hobereaux tudesques, qui ne le cèdent en rien aux pépitards français, étouffèrent la voix de ces vaillants dans le silence d’une forteresse ?

Si la République existe en France — République patronale, mais préambule de la République ouvrière lorsque nous serons vainqueurs — on le doit au martyre des 35, 000 soldats de la Commune : qu’on nous cite un seul député de l’Assemblée de malheur ayant eu la conscience de protester contre cette infamie sans exemple dans l’histoire des nations !

Le patriotisme et le parlementarisme ne sont que des leurres, car sauf quelques mandataires fidèles qui abandonnèrent la tourbe de royalistes siégeant à Bordeaux, ceux qui furent proscrits pour la cause communaliste ne trouvèrent de défenseurs que dans les Assemblées étrangères.

Conclusion : un étranger qui fait son devoir vaut-il un Français qui ne fait pas le sien ? La réponse n’est pas douteuse.

Donc, il faut serrer la main à un communiste allemand et mépriser un bourgeois français.

Il faut couronner le tout par le rétablissement de l’Internationale et la grève des conscrits pour effacer les frontière.

Nations, mot pompeux pour dire barbarie.
L’amour s’arrête-t-il où s’arrête vos pas ?
Déchirez vos drapeaux ! Une autre voix vous crie :
L’égoïsme et la haine ont seuls une patrie,
La Fraternité n’en a pas[2] !

  1. Un petit nombre de porte-paroles du Parti ouvrier ont réussi à forcer les portes d’assemblées électives de moindre importance. La sentinelle de la Révolution, Paris, n’en compte encore que deux, siégeant à l’Hôtel-de-Ville : les citoyens Chabert et Vaillant.
  2. Lamartine, — Marseillaise de la paix. — Mais pourquoi diable l’auteur de ce beau chant, hissé un moment sur le pavois populaire, ne fit-il en 48 déchirer que le drapeau rouge, le seul, avec le drapeau noir, tant que le règne de la Justice ne sera pas instauré, qui puisse avoir sa raison d’être ? Pourquoi n’en fit-il pas de même du drapeau tricolore, qu’il glorifia, au contraire, dans une apostrophe emphatique ? Ah ! c’est que comme son confrère Hugo, il était au fond bourgeois, et que l’on n’oublie pas facilement ses intérêts de classe ! Ce dernier même, sur le nez de qui certains panégyristes cassent l’encensoir, distança Lamartine : aux journées de Juin, il conduisit un bataillon de l’ordre contre les malheureux insurgés ! Dans cette voie, l’on pourrait aller loin : n’avons-nous pas vu l’ami de ce poète surfait, Le transfuge Louis Blanc, voter en 1871 des remerciements aux assassins de ses électeurs ?…