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La Rhétorique des putains/I/0-03

La bibliothèque libre.
Aux dépens du Saint-Père (p. vii-xii).
Tome I, Au Lecteur.

La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre
La Rhétorique des putains, Bandeau de début de chapitre


L’AUTEUR AU LECTEUR




La Rhétorique des putains, Lettrines hercher la perfection dans tout ce que l’on fait de bien, est un des préceptes que nous ont donnés tous les sages. En le suivant, lorsque même nous faisons le mal, j’ose le dire, nous nous rendons dignes de louanges, non pas parce que nous faisons le mal, mais parce que nous cherchons à faire une mauvaise action de la manière la plus excellente, la plus parfaite. Tout le monde sait que la vertu se trouve toujours dans le Milieu. Cela veut dire qu’il est vraiment vertueux celui qui, s’éloignant indifféremment des deux extrémités du bien et du mal, poursuit l’un ou l’autre d’une manière conforme à ses desseins. On ne doit point douter de la vérité de cette proposition, si l’on sait qu’il ne faut pas arrêter la vraie vertu dans son chemin.

Les Moralistes et les Théologiens soutiennent, d’accord, que c’est reculer que de ne pas avancer dans sa route ; tant il est vrai qu’il n’est point permis à l’homme d’arrêter ses pas dans sa course.

Lisons la Sainte Écriture, et nous verrons, en mille endroits, qu’on y blâme hautement la tiédeur de ceux qui ne sont ni bons ni méchants, et que Dieu lui-même préfère, à une dévotion tiède, une malice consommée. Écoutons particulièrement ce qu’on nous dit dans l’Apocalypse : « J’aimerais mieux que tu fusses tout à fait chaud, ou tout à fait froid ; mais parce que tu es tombé dans la tiédeur, je vais te vomir. »

Il paraît donc que c’est un homme de grand sens celui qui fait le mal, mais qui travaille à consommer sa mauvaise action d’une manière extraordinaire et parfaite. C’est la volonté humaine qu’il faut accuser, si son penchant naturel pour le mal l’entraîne et la trompe, lui faisant choisir ce que, suivant la raison, ou les préjugés établis, elle devrait rejeter.

Nous donnons bien des louanges à ces peintres qui réussissent parfaitement à tracer sur la toile des objets supérieurement lascifs ou difformes : la lubricité ou la laideur ne sont pas la faute du portrait, mais de l’original. C’est ainsi qu’une action parfaitement exécutée ne perd point de son prix, quoiqu’elle soit mauvaise en elle-même, et par conséquent blâmable. Quelle faute y a-t-il à suivre l’agréable et l’utile ? On peut donc trouver louable toute action qui nous apporte de l’utilité ou du plaisir.

Cela supposé, je cherche, mon cher lecteur, à faire cesser ton étonnement de me voir, par une extravagance inouïe, établir les dogmes d’une profession jugée infâme. C’est une œuvre de charité que d’enseigner les ignorants ; et comme l’ignorance, généralement parlant, est le partage du sexe, on doit trouver bon que je prenne soin d’instruire les femmes sur tout ce qu’elles doivent savoir pour bien exercer la profession qui leur est si commune. Heureux, si je puis obtenir qu’en suivant mes préceptes, elles ne méprisent point le métier de Putain.

Ce terme de Putain blesse peut-être tes oreilles délicates ; c’est cependant le mot propre, nécessaire même, dont on doit se servir dans un ouvrage instructif, afin que tout le monde puisse comprendre d’abord de quoi il s’agit : car les termes de Prostituée, de Concubine pourraient le rendre obscur. On parle ici à toutes sortes de femmes, à celles mêmes qui sont du plus petit entendement. On doit donc préférer à tout autre le mot de Putain, puisqu’il n’y a personne qui en ignore la force et la vraie signification.

Je désire surtout que les femmes ne dédaignent point professer un art qui a été heureusement inventé pour le soulagement de l’humanité ; un art qui plaît à ceux-ci, qui ne déplaît pas à ceux-là, un art qui est utile même aux gens les plus distingués.

Il est inutile d’en faire de longs éloges, fondés sur l’autorité des Anciens et sur les raisons pour lesquelles on en permet l’exercice dans les villes les plus policées et les plus catholiques. Si quelqu’un a envie de s’instruire du mérite de cette profession, et d’en pénétrer tous les mystères, il n’a qu’à lire La Place universelle.

C’est étonnant ! On établit des dogmes pour des exercices infiniment dangereux pour l’homme ! On donne publiquement des instructions sur la guerre, sur l’invention toujours fertile des instruments belliqueux, uniquement destinés à massacrer, à détruire l’espèce humaine ! On ne blâme pas celui qui écrit sur le point d’honneur et sur les duels, que les lois, dictées par l’humanité, ne cessent de défendre ! Et l’on osera censurer un auteur qui voudra bien indiquer aux femmes le vrai chemin par où se perfectionner dans le métier le plus utile, le plus nécessaire à la conservation de notre espèce !

On donne d’abord à ce livre le titre de Rhétorique, parce que tout est art chez les femmes, et particulièrement chez les Putains ; tout est artifice chez elles pour persuader et pour tromper les hommes ; et, par ce qu’il renferme, il désigne, il met au jour les finesses les plus cachées, les ruses les plus subtiles qu’imaginent et emploient les Courtisanes pour aller à leurs fins.

N’en sois point scandalisé, mon cher lecteur ; mon but, il est vrai, est d’instruire les femmes sur ce qu’elles doivent faire pour être de bonnes Putains ; mais, en même temps, si tu me lis, tu verras la nécessité où tu es de bien ouvrir les yeux pour ne pas donner dans le Putanisme. Mes leçons t’apprendront, en t’amusant, que ces femmes-là ne cherchent que ta perte ; tu apercevras les pièges qu’elles te tendront de tous côtés pour te rendre leur proie ; en reconnaissant leurs artifices trompeurs, tu sauras les éviter. Si tu n’es plus simple que les oiseaux, plus insensé que les poissons, tu ne te laisseras pas prendre aux filets dont ces traîtresses t’enlaceront pour t’y faire tomber.

Si tu étais tenté de donner à mes écrits une mauvaise interprétation, et de te persuader que je me suis proposé une fin malhonnête et répréhensible, tu me condamnerais à tort, ne connaissant pas la droiture de mon intention. On n’expose pas devant les yeux de ses semblables un objet hideux et méprisable pour le leur faire chérir. Lis donc, non pas pour louer, mais pour désapprouver ce qui ne mérite que des reproches ; et je suis sûr que tu détesteras une profession dont tu verras en plein jour la difformité.

Je t’assure enfin que plus tu avanceras dans la lecture de cet ouvrage, et plus tu te trouveras curieux, agréable, intéressant. Sur quelque matière que l’on écrive, l’on cherche toujours à faire éclater son esprit, et à se rendre utile à la société. Je ne me propose jamais de faire briller mon esprit dans mes ouvrages ; je n’ai jamais pensé qu’au bonheur de l’humanité ; et, j’ose m’en flatter, sous quelque forme que ce soit, j’ai atteint mon but.

Nous vivons dans un siècle corrompu… que dis je ? nom vivons dans un siècle bien vertueux, où l’on ne parle que du Milieu ; l’on ne cherche que le Milieu où se trouve la vertu. Nous devons donc écrire sur le Milieu, parler du Milieu, si nous voulons qu’on nom lise et qu’on nous écoute.

Mon cher lecteur, nom savons que la prudence est un grand manteau qui couvre bien des choses : fais donc comme tant d’autres, blâme-moi en public, je le mérite peut-être ; mais lis-moi, fais-moi lire en secret, je le mérite sans doute, et je serai satisfait.


La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre
La Rhétorique des putains, Vignette de fin de chapitre