La Route fraternelle/45

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 190-191).

DEUX SONNETS DE PÉTRARQUE


I

la nostalgie de l’absente



Fleuve aux rapides eaux, fils d’une alpestre veine,
Qui vas toujours roulant — d’où Rhône on t’a nommé
Tu descends avec moi par le sud réclamé,
Toi, mené par ta pente et moi que l’amour mène.

Puisque ta course échappe à la fatigue humaine,
Va devant ; rends aux mers ton flot de bleu gemmé ;
Mais un moment fais halte à ce rivage aimé
Où les prés sont plus verts, la brise plus sereine.

Là vit le doux soleil d’où me vient le rayon,
Là sur ta rive gauche, en pays d’Avignon,
Un long printemps fleurit, un printemps venu d’elle.

Ah ! de son pèlerin aurait-elle langueur ?
Dis-lui, baisant ses pieds de lys et d’asphodèle,
Que mes pas sont tardifs, mais hâtif est mon cœur.




II

la nostalgie du ciel



La Dame que j’aimais, là-haut s’en est allée…
Et si doux fut son cœur, si chaste sa raison
Qu’elle est montée, ô Dieu ! tout droit dans ta maison,
Et des cieux, je l’espère, habite la vallée.

Et toi, mon âme, et toi, suis ta sœur envolée
Dont le départ te rend les clefs de ta prison,
Et rejoins-la, fuyant le terrestre horizon,
Par le plus court chemin, et par Elle appelée…

Te voilà, désormais, du bagage charnel
Libérée, et du coup un peu plus près du ciel ;
La saison est venue où tu dois être sage.

Tu vois enfin que tout a pour terme la mort,
Qu’il faut aller très pure au périlleux passage,
Et sur ta nef pieuse entrer légère au port.