La Route fraternelle/8

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La Route fraternelleAlphonse Lemerre, éditeur (p. 33-35).


LES SEPT CORDES DE L’HARMONIE

À l’idéale Amie.


I


Ce fut au bord des flots que nous communiâmes,
Des flots céruléens comme un tapis d’autel ;
Pour la première fois, ce fut là que nos âmes
Partagèrent, devant l’Océan solennel,
Le pain de la Tendresse avec le vin du Rêve ;
Et je mis, n’osant pas vous parler de la voix,
— Tremblant aveu des mains que le regard achève —
Mes doigts au clavier de vos doigts.


II

Et les neiges plus tard, comme des pains azymes,
Nous attirant d’en haut par leur vierge blancheur,
Le rendez-vous des mers au rendez-vous des cimes
Faisait place…… et tous deux, montant vers la fraîcheur,
Nous grimpâmes joyeux sur l’Alpe souveraine ;
Et vers la source claire où trempaient vos pieds las,
Et dont le chant ami par les ravins s’égrène,
Mes pas escortèrent vos pas.


III

Une autre ascension et d’autres harmonies
Tentaient la voyageuse avec le voyageur
Qui gravissaient, épris des doux et fiers génies,
Le coteau du Poète et le mont du Penseur.
Nous lûmes recueillis au livre de sagesse
Où des plumes de cygne et d’aigle avaient écrit ;
Et vers leurs mots dorés, astres de ma jeunesse,
Mon esprit guida votre esprit.


IV

Mais nos larmes, parfois, en baignèrent les pages…
Et comme des anneaux d’invisibles colliers,
Une à une perlant sur nos pâles visages,
Ce sont elles surtout qui nous tiennent liés
De leurs brûlants replis et leurs tendres spirales.
— La chaîne indissoluble est la chaîne des pleurs ! —
Nous goutâmes au miel des pitiés sororales,
Ma douleur baisant vos douleurs.


V

Nous goutâmes au miel des pitiés secourables ;
Et pauvres tous les deux nous avons trouvé doux
De nous rejoindre au seuil des logis misérables,
Et de rendre visite aux plus pauvres que nous.
La Charité passait : nous n’avions qu’à la suivre ;
Et dans son escarcelle au tintement humain,
— Parmi les pièces d’or tombaient nos sous de cuivre —
Ma main rencontra votre main.


VI

Puis, aux plaines du ciel, durant les nuits d’attente,
Dans l’innombrable essaim des astres radieux,
Nos deux cœurs ont choisi pour leur unique tente,
Non le plus éclatant, mais le plus près des dieux
Peut-être… et chaque soir, vers l’Étoile polaire,
Guide immuable et sûr des marins anxieux,
— Elle n’est pas la froide, étant la tutélaire —
Mes yeux ont devancé vos yeux.


VII

Jusqu’à l’heure sacrée — ou lointaine ou prochaine —
Du rendez-vous sans fin, du départ sans retour,
Où libérés du corps, geôlier qui nous enchaîne,
Nous nous évaderons au stellaire séjour ;
Et, comme un chevalier s’empressant vers sa dame,
Au seuil d’une villa des célestes Sions,
Sous les orangers d’or des constellations,
Mon âme accueillera votre âme.