La Russie nouvelle et la liberté religieuse/02

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LA RUSSIE NOUVELLE
ET LA
LIBERTÉ RELIGIEUSE

II[1]
LES VIEUX-CROYANTS. — LE RÉTABLISSEMENT

DU PATRIARCAT. — LA CONVOCATION D’UN CONCILE


Si la liberté religieuse a tant de peine à triompher en Russie, c’est, avons-nous vu, que le gouvernement et les nationalistes russes, aujourd’hui plus puissans que jamais, redoutent qu’elle ne profite surtout aux Polonais, aux Israélites, aux Arméniens, aux Tatars, à toutes ces populations d’origine étrangère que les Russes réunissent sous le nom d’« allogènes » (inorodtsy), et que leur patriotisme soupçonne de tendances séparatistes ou fédéralistes. Il serait cependant erroné de croire que la liberté religieuse n’importe qu’aux catholiques, aux protestans, aux juifs, aux musulmans, c’est-à-dire aux 40 ou 50 millions de sujets du Tsar étrangers au sang russe et à la foi orthodoxe. Elle ne serait guère moins précieuse aux Russes et aux orthodoxes eux-mêmes ; et cela, non seulement aux dissidens en révolte contre le Saint-Synode et l’Eglise officielle, mais à cette Eglise elle-même, qui ne peut recouvrer son ascendant sur le peuple qu’à l’aide de réformes profondes, et qui ne saurait se réformer qu’à l’aide d’un peu de liberté. Le besoin en est d’autant plus impérieux que l’Église qui, depuis son assujettissement, avait déjà perdu tout crédit sur les classes élevées voit de plus en plus s’éloigner d’elle les masses populaires, les ouvriers des villes, et souvent, à leur suite, les paysans des villages[2].


I

Si les cinq millions de Juifs de la Russie n’ont encore pu retirer aucun bénéfice réel de l’édit de tolérance de Nicolas II, il n’en est pas de même des raskolniks, des « vieux-croyans » ou « vieux-ritualistes, » en révolte, depuis plus de deux siècles, contre l’Église officielle. Ces sectaires longtemps persécutés ont, aux yeux mêmes des plus ardens nationalistes grands-russiens, un précieux avantage sur tous les autres dissidens, sur les Juifs comme sur les musulmans, sur les catholiques comme sur les protestans ou les Arméniens ; ils sont tous de sang russe, presque tous même de souche grande-russienne. Détachés de l’orthodoxie officielle, sous le règne du tsar Alexis, père de Pierre le Grand, pour n’avoir pas voulu admettre la réforme liturgique du patriarche Nikone, ces vieux-croyans ou « starovères » représentent le vieil esprit moscovite, avec son conservatisme étroit et son traditionalisme intransigeant. Ils ont, sous les Romanof, incarné les résistances opiniâtres des Vieux-Russes à l’œuvre européenne de Pierre le Grand, à la transformation de l’orientale Moscovie en État moderne. De là, les colères soulevées contre eux, la longue et obstinée persécution dont ils ont été les victimes sous Pierre et ses successeurs. L’Église et l’État se trouvaient déjà tellement liés qu’une révolte contre l’Église devait être traitée comme une insurrection contre l’État. Aux rigueurs de la loi les vieux-croyans, bientôt divisés en nombreuses sectes rivales, répondirent, à leur tour, en jetant l’anathème à l’État comme à l’Église, en maudissant le gouvernement imitateur des « païens d’Occident, » en reniant l’autorité tsarienne elle-même. Pour les sectes extrêmes, l’Église russe devint « la synagogue de Satan ; » le Tsar, jadis vénéré comme « le petit père « et le lieutenant de Dieu, devint l’Antéchrist. A l’ombre du Raskol, surgirent, du fond du peuple, des sectes nouvelles qui prêchèrent la négation des lois, la communauté des biens, le refus de l’impôt et du service militaire.

Le moujik russe n’est pas le contemporain de nos prolétaires d’Occident ; le moujik en est souvent encore à notre moyen âge. Comment s’étonner si, chez lui, les aspirations populaires prennent encore une forme religieuse ? si chaque printemps fait jaillir de la terre russe de naïves et bizarres hérésies ? Parmi elles, il est juste de le reconnaître, il en est d’anciennes ou récentes dont le gouvernement le plus libéral ne saurait supporter la propagande. La liberté religieuse a beau être la plus sainte, la plus digne de respect, la plus nécessaire des libertés, elle ne saurait, elle non plus, être conçue comme illimitée. Aux prophètes populaires qui, dès longtemps avant Léon Tolstoï, — leur disciple autant que leur maître, — ont prêché la suppression des tribunaux, de la police, de l’armée, la destruction même de l’Etat, aucun Etat n’eût pu reconnaître le droit de répandre le nouvel Evangile anarchique.

La faute du gouvernement impérial a été de confondre trop longtemps, dans la même réprobation, les diverses sectes en révolte contre l’Eglise d’Etat, d’appliquer, à des doctrines in offensives au point de vue civil, les mêmes rigueurs qu’à des sectes antisociales ou immorales, telles que les Skoptsy ou mutilés, qu’aucun gouvernement n’eût pu tolérer. S’il se relâchait peu à peu de ses rigueurs vis-à-vis des sectes anciennes du Raskol, il poursuivait sans merci les sectes nouvelles, sans même les connaître, comme s’il s’était donné pour mission d’étouffer en leur germe toutes les manifestations spontanées de la pensée religieuse. C’est ainsi que sous Alexandre II, sous Alexandre III, jusque sous Nicolas II, l’administration et la police ont fait une guerre sans trêve aux communautés évangéliques à tendances protestantes, nées parmi les Petits-Russiens du Sud- Ouest et connues sous le nom de Stundistes. Le caractère radical, parfois révolutionnaire, prêté aux doctrines de ces Stundistes dont la propagande a gagné jusqu’au centre de l’Empire, tenait peut-être, pour une bonne part, aux persécutions mêmes du gouvernement, au secret dont ces réformés ou baptistes indigènes étaient contraints de s’entourer. Les sévérités du pouvoir allaient s’exercer jusque sur les salons aristocratiques où des apôtres de haute culture, tels que lord Radstok et le colonel Pachkof, à l’imitation des revivais anglo-américains, s’efforçaient de créer un mouvement évangélique, accessible à la fois aux gens du monde et aux gens du peuple[3].

Anciennes ou nouvelles, la lutte contre les sectes réputées particulièrement nuisibles s’est poursuivie, jusque sous Nicolas II, avec des alternatives de rigueurs violentes et de relative tolérance, selon les caprices de l’administration supérieure ou les vues des administrations locales. A la fin même du siècle dernier, en 1897, aux bords du Volga, dans le gouvernement de Samara, on a vu des missionnaires orthodoxes faire enlever par la police les enfans des molokanes, les faire enfermer dans des couvens pour les y élever conformément aux prescriptions de l’Eglise, sans que les autorités locales eussent le courage de s’y opposer ou de transmettre à Pétersbourg les plaintes des parens. Des faits analogues se sont répétés, à la même époque, en d’autres provinces, à l’égard de paysans de sectes diverses. De même, jusqu’à l’édit de tolérance de 1905, on a persisté à interner dans les couvens ou à détenir dans les prisons des monastères, et cela sans jugement, d’humbles moujiks dont tout le crime était de professer ou de répandre des doctrines condamnées par l’Église officielle[4].

Le gouvernement impérial n’avait cependant pas attendu l’oukaze d’avril 1905 pour se relâcher de ses rigueurs envers les principales ou les plus inoffensives des sectes du Raskol, spécialement envers les « popovtsy, » qui ne diffèrent guère des orthodoxes que par leur persévérance à repousser la réforme liturgique accomplie au XVIIe siècle par le patriarche Nikone. L’héroïsme séculaire de leurs martyrs, l’infrangible opiniâtreté des confesseurs de la « vieille foi » avaient fini par triompher de la toute-puissance des persécuteurs. Non contens d’avoir conquis, pour eux et pour tout le peuple, le droit de porter la barbe proscrite par Pierre le Grand, ces chrétiens fidèles aux vieilles mœurs comme aux vieux rites, avaient élevé, jusque dans les deux capitales, des maisons de prières, que la police s’était résignée à ne plus fermer.

Malgré cela, les vieux-croyans, demeurés les plus fidèles à l’esprit conservateur et routinier de leurs ancêtres, s’ils étaient tolérés par l’autorité suprême, restaient toujours exposés aux dénonciations du clergé, aux vexations de la police. Le plus grand nombre d’entre eux était toujours inscrit sur les registres des paroisses orthodoxes ; à ce titre, ils ne pouvaient exercer leur culte qu’à l’aide du grand agent d’émancipation sous le régime autocratique, à l’aide du rouble, du pot-de-vin, de la corruption des autorités civiles ou ecclésiastiques. La liberté que semblait leur assurer l’édit de tolérance du tsar Nicolas II risquait d’être illusoire ou précaire, si les anciennes lois interdisant aux orthodoxes, ou aux Russes considérés comme tels, de sortir de l’Eglise d’Etat demeuraient toujours en vigueur. Ces lois d’un autre âge, la troisième Douma, cette Douma conservatrice, si souvent traitée par ses adversaires de rétrograde, voire de Chambre introuvable, les a rejetées après une vive et tumultueuse discussion. Les « octobristes, » ces conservateurs constitutionnels qui forment le centre de la Douma, se sont joints aux « Cadets » et aux groupes de gauche, pour reconnaître aux Russes orthodoxes, malgré les instances des ministres, le droit de sortir librement du giron de l’Eglise officielle[5]. C’est là une grande nouveauté dans la Sainte Russie, une nouveauté si hardie qu’il reste douteux qu’elle soit sanctionnée par le Conseil de l’Empire, ou qu’elle triomphe des pieux scrupules de l’empereur Nicolas. Ce n’est cependant qu’à ce prix que la liberté religieuse sera vraiment établie et vraiment garantie dans l’Empire. Quelque opinion qu’on ait de la jeune Russie constitutionnelle et de la troisième Douma, il convient de féliciter la majorité de cette timide assemblée d’avoir osé prendre une initiative d’une telle portée. Cela seul prouverait l’erreur ou l’injustice des Russes et des étrangers qui se plaisent à répéter que, avec la troisième Douma, la « Révolution russe » n’a abouti qu’à un avortement.

Veut-on mesurer l’importance pratique d’un tel vote, il faut savoir que les statistiques officielles n’évaluent le nombre des raskolniks et des sectaires de toute sorte qu’à onze ou douze cent mille, tandis que, d’après les hommes les plus compétens, le chiffre en doit monter à quinze ou vingt millions d’âmes. L’émancipation, en grande partie effectuée, des « starovères » ou vieux-croyans, notamment des popovtsy, c’est-à-dire de ceux qui ont conservé des prêtres, aura du reste, pour la Russie et pour l’Église, des conséquences sur lesquelles il n’est pas inutile d’insister. Ces « popovtsy » forment, aujourd’hui, en Russie, cette chose autrefois inouïe, une Église libre, autonome, s’administrant elle-même, sans aucune intervention d’aucune autorité reconnue. Cette Église starovère a découpé l’Empire en diocèses dont chacun a son évêque et son clergé, entretenus largement par les libres offrandes des fidèles. C’est, en pleine Russie, le système « volontaire, » the voluntary System, tel qu’il fonctionne au pays classique de la séparation, aux États-Unis d’Amérique.

Pour constituer une Église libre, les popovtsy n’avaient pas attendu le règne de Nicolas II et l’éclosion des libertés publiques dans l’autocratique Russie. Grâce à la complaisance intéressée d’un évêque d’Orient, ils avaient su redonner à leur Église décapitée, veuve depuis deux siècles de tout épiscopat, une hiérarchie nouvelle dont ils avaient eu soin de placer la tête à l’étranger, à Fontana Alba, autrement dit à Belokrinitsa, en Bukovine, sur le territoire autrichien. Non seulement les starovères russes, aujourd’hui affranchis des vexations de la police, possèdent une Église libre, indépendante de l’État ; mais cette Église ayant son centre et son berceau à l’étranger, hors de la portée des serres de l’aigle noire impériale, échappe aux principaux périls qui menacent toute Église nationale. Elle jouit, vis-à-vis de l’autorité tsarienne, du privilège qui fait une des forces de l’Église catholique ; si nationale et si russe qu’elle soit, sa hiérarchie, chevauchant par-dessus les frontières, n’est point à la merci des changemens ou des caprices de l’autorité impériale.

Que l’on compare maintenant cette situation à celle qui est faite, par les lois de l’Empire, à l’Église orthodoxe officielle, à l’Église d’État, administrée, sous le contrôle du gouvernement et sous la jalouse surveillance du haut-procureur impérial, par le Très-Saint-Synode de Pétersbourg. D’un côté, liberté entière, indépendance absolue ; de l’autre, assujettissement, pour ne pas dire asservissement de l’Eglise, de l’épiscopat, du clergé au gouvernement et à l’administration. Ce n’est point, comme le répète à tort le vulgaire, que l’Eglise russe ait pour chef le Tsar ; les souverains russes, au rebours des rois d’Angleterre, n’ont jamais assumé un tel titre, ni une telle fonction. L’Eglise, d’après l’enseignement orthodoxe, n’a qu’un chef invisible, le Christ ; mais, étant liée à l’Etat, placée sous la protection de l’Etat, elle est naturellement tombée dans la dépendance de l’Etat. Et l’Etat russe étant, depuis des siècles, un Etat autocratique, on comprend combien étroite et lourde a dû être cette dépendance.

Aujourd’hui que la Russie entre à son tour au nombre des Etats constitutionnels, alors que l’autocratie, maintenue nominalement en droit, n’est plus entière en fait, une des questions qui surgissent, devant cette Russie en voie d’évolution, si lentes qu’en semblent les réformes, est celle même de l’Eglise d’Etat. Que va devenir, avec le régime nouveau, en face d’assemblées politiques électives, cette antique Eglise russe, cette vieille mère de la Sainte Russie ? Alors que tout s’éveille, que tout s’agite autour d’elle, va-t-elle seule demeurer immobile et muette ? Quand, de la Russie de Pierre le Grand, il ne survit, presque partout ailleurs, qu’un souvenir, doit-elle rester enfermée à jamais dans le cadre rigide aux formes surannées où l’a emprisonnée, contrairement aux canons ecclésiastiques, la rude main du réformateur laïque ? Quand, de toutes parts, dans le vaste Empire, on s’efforce, — en vain, il est vrai, le plus souvent, — de secouer le joug de l’omnipotence bureaucratique, l’Eglise, éternellement rivée à l’Etat, va-t-elle se résigner à être toujours administrée par les bureaux de Pétersbourg, comme une branche des services publics ?


II

Certes, les liens séculaires qui enchaînent l’Eglise à l’Etat sont trop forts, sont trop conformes aux mœurs nationales, aussi bien qu’aux traditions gouvernementales ou ecclésiastiques, pour être entièrement et brusquement rompus ; mais, sans les briser ou même les dénouer, ne pourraient-ils être un peu relâchés, dans l’intérêt commun des deux parties ?

L’étroite solidarité, si longtemps maintenue entre le temporel et le spirituel, entre le pouvoir autocratique et la hiérarchie ecclésiastique, entre la nationalité russe elle-même et la profession de la foi orthodoxe, a pu être, autrefois, un des plus solides fondemens de l’Etat russe, une des forces même de la nation ; aujourd’hui, elle a quelque chose d’archaïque. Si l’on prétend la maintenir intacte, au lieu d’être une garantie pour l’Etat comme pour l’Eglise, elle risque d’être, pour tous deux, une gêne et une faiblesse. Les privilèges mêmes, officiellement assurés à la vieille Eglise, n’ont plus leur antique efficacité, et ils ont comme rançon, au dehors, l’assujettissement bureaucratique, au dedans, l’engourdissement spirituel. Le monopole conféré par la loi à l’Eglise dominante, monopole de propagande, est inconciliable avec la libre concurrence qui est la conséquence logique, la suite, à la longue inévitable, de la liberté religieuse. Plus les cultes dissidens, peu à peu affranchis, apprendront à faire usage de leurs nouvelles libertés, plus l’Église officielle, chargée de liens de toute sorte, paralysée par ses privilèges mêmes, se sentira entravée et embarrassée pour soutenir la lutte contre des adversaires plus dispos pour le combat et mieux adaptés aux conditions et aux batailles de la vie moderne. Les esprits habitués en toutes choses à respirer un air plus libre, les âmes les plus chrétiennes, vaguement tourmentées d’aspirations nouvelles, se sentiront mal à l’aise et comme oppressées, dans l’épaisse et lourde atmosphère de cette Église bureaucratique, en quelque sorte domestiquée par les siècles.

Pour lui garder la foi et l’amour de ses ouailles, pour qu’elle soit autre chose que le cadre extérieur d’une institution d’État, il faut donner à l’Église plus de vie, et on ne peut lui donner plus de vie qu’en lui rendant plus de liberté. Il n’est pas nécessaire pour cela de proclamer la séparation de l’Église et de l’État. S’il est au monde un pays encore éloigné de la séparation, c’est la Russie. Elle sera sans doute, de tous les pays chrétiens, le dernier à s’y résoudre. Mais entre l’union intime, étroite, qui fait de l’administration de l’Église une branche de l’administration impériale, et la séparation, il y a bien des étapes. Sans briser l’union, sans renoncer même à tous ses droits sur l’Église et sur la hiérarchie, l’État peut les tenir dans une dépendance moins stricte et une tutelle moins jalouse. S’il prétend, comme il en fait profession, servir les intérêts de l’orthodoxie, à ses yeux liés aux intérêts mêmes de la nation, c’est l’unique façon de les servir.

Nombre d’orthodoxes, ecclésiastiques ou laïques, membres du clergé blanc ou membres de clergé noir[6], en ont déjà le sentiment. Il n’échappe pas aux plus clairvoyans qu’une des choses qui ont fait la faiblesse de l’Eglise et le discrédit de sa hiérarchie, vis-à-vis du peuple et des sectaires du peuple, comme vis-à-vis des classes cultivées et de « l’intelligence, » c’est son défaut d’indépendance, sa servitude séculaire, ses complaisances volontaires ou contraintes envers le pouvoir et les agens du pouvoir. S’il est un pays où, selon un mot célèbre, le prêtre a trop souvent fait figure de « gendarme en soutane, » c’est manifestement la Russie. Et cela n’est bon ni pour le prêtre, ni pour l’Eglise, ni pour l’Etat. Est-on étonné qu’une Eglise, pourvue d’aussi grandes prérogatives, garde aussi peu d’ascendant sur le peuple, aussi peu d’influence, soit sur les masses incultes, soit sur les classes supérieures, c’est là, certainement, c’est dans la dépendance dont elle paye ses privilèges qu’il en faut chercher la raison. De nos jours surtout, à notre époque de critique sceptique et d’universelle suspicion, une Eglise ne saurait conserver d’ascendant qu’autant qu’elle est et qu’elle parait libre. Loin d’être rehaussée par ses prérogatives légales, son autorité morale est en raison inverse de l’autorité matérielle que prétend lui conférer le pouvoir civil. Quand le prêtre semble agir en vertu de la force publique, quand, pour parler au peuple, il s’adosse au trône et au code, en vain prétend-il se faire entendre, ou se faire obéir, au nom de Dieu. L’ingérence du temporel dans le spirituel finit toujours par les compromettre l’un et l’autre ; mais comme, entre eux, l’échange de services est forcément inégal, c’est le spirituel qui en pâtit le plus. Ainsi s’explique la situation morale faite à l’Eglise russe et à son clergé.

Si, malgré l’ignorance de leurs pasteurs, malgré l’illogisme de leurs conceptions théologiques, les sectes issues du Raskol ont triomphé de toutes les persécutions de l’Etat et de toutes les missions de l’Eglise officielle ; si, aujourd’hui encore, elles gardent une prise sur une grande partie du peuple, c’est que « la vieille foi, » issue d’un formalisme grossier, a représenté, en face des chapes d’or de l’Église d’Etat, la foi vivante et la liberté spirituelle. Aujourd’hui que, avec la liberté du culte, elles ont conquis la liberté matérielle, alors qu’elles achèvent de s’affranchir des dernières entraves que leur imposait la loi, les sectes du Raskol et, avec elles, les Eglises dissidentes ont, dans le conflit des rites et des doctrines, un avantage manifeste sur l’Église privilégiée. En dépit des retours offensifs de la police, elles sont libres de se mouvoir et de combattre à leur gré ; à l’inverse de ce que se propose la législation impériale, les sectes du Raskol, autrefois désarmées vis-à-vis de l’Eglise en armes, ont contre leur adversaire la plus forte des armes modernes, la seule qui rende invincible : la liberté. Et cette liberté qu’on leur dispute encore en vain, les vieux-croyans, qui semblaient captifs d’un rituel corrompu et de superstitions surannées, en usent déjà largement, avec ardeur et avec habileté. Ils prient, ils prêchent, ils enseignent, au gré de leur conscience ; ils s’unissent, ils s’associent, ils discutent leurs affaires spirituelles et matérielles. Déjà, popovtsy et bezpopovtsy, — sectes qui gardent un clergé, sectes qui, faute de prêtres, ont laïcisé leur culte, — tiennent publiquement leur congrès ou leurs conciles. Le bruit en vient jusqu’aux oreilles des orthodoxes, et les plus ardens ou les plus pieux comparent l’engourdissement de leur clergé et la vie somnolente de leur Eglise avec la vie libre, spontanée, intense des chapelles starovères. Et, comme de jeunes pousses au brusque printemps du Nord, de nouvelles idées, de nouvelles prétentions percent, chez le clergé et le peuple orthodoxes, à travers la glace rigide des froides dévotions officielles. Prêtres ou laïques se demandent quand la sainte Eglise orthodoxe, héritière de la grande Eglise d’Orient, aura, elle aussi, ses assemblées et ses conciles, quand il lui sera permis, à elle aussi, de donner ou de rendre, en son clergé et en ses dignités ecclésiastiques, une part à l’élection et à la voix du peuple chrétien. Car en Orient, tout comme en Occident, telle réforme qui semble une innovation téméraire ne serait souvent qu’un retour au passé, aux vénérables usages de siècles plus chrétiens.

C’est ainsi que cette antique Eglise, qui, de loin, nous paraissait à jamais endormie à l’ombre de ses coupoles d’or ou d’azur, a commencé à ouvrir les yeux à un jour nouveau, à secouer ses membres assoupis, sentant naître en son sein des besoins jadis méconnus ou des aspirations longtemps comprimées. Elle s’est prise, en son élite, à songer, elle aussi, de rajeunissement, de renouvellement et, pour cela, de liberté et d’affranchissement.

A vrai dire, pareilles aspirations, si audacieuses qu’elle semblent, sous ces lourdes coupoles bulbeuses ou en ces couvens aux épaisses murailles de forteresse, ne datent pas entièrement d’hier. Il faut reconnaître, à l’honneur de la Russie et de son Eglise, qu’il y a toujours eu, sur le sol russe, quelques âmes assez hardies ou assez mystiques pour rêver de renouvellement et d’émancipation. Mais, naguère, pareils songes étaient rares, isolés et le plus souvent muets. Alors même qu’ils n’étaient pas étouffés sous le double poids des autorités civiles et des autorités ecclésiastiques qui pesaient, de concert, sur le clergé et sur les fidèles, ils demeuraient forcément impuissans. Ainsi des rêves de rénovation de feu mon ami, Vladimir Solovief, qui, pour libérer et rajeunir son Eglise, avait osé entreprendre de la réunir à Rome. Depuis l’aube du siècle nouveau, depuis l’ébranlement communiqué à la Russie et à toutes les choses russes par les armes japonaises et par ce que Moscou et Pétersbourg nommaient déjà prématurément leur révolution, de pareilles aspirations ont pu impunément se faire jour et s’affirmer.

L’Eglise, comme l’Etat, a passé, durant les quatre ou cinq dernières années, par une crise où, à certaines heures, tous les changemens, toutes les transformations ont paru possibles et faciles. Vladimir Solovief avait prédit, en une strophe devenue célèbre, après la défaite, le triomphe des « Jaunes, » annonçant, à ses compatriotes incrédules, que les armes des soldats du Tsar Blanc serviraient de jouets aux enfans des Asiates. Solovief, mort de longs mois avant la guerre, était un voyant, aussi bien qu’un poète et un philosophe ; je ne sais si, dans ses rêves les plus hardis, il eût osé prévoir que les victoires lointaines de ces païens asiatiques auraient leur contre-coup sur son antique Eglise, pourraient devenir, pour elle aussi, le point de départ d’une ère de renouvellement. C’est cependant ce qui, durant des mois et des années, a paru vraisemblable, ce qui, malgré tout, n’est pas encore impossible.

L’Eglise, qui non moins que l’autocratie a fait la Russie, tient une trop grande place dans son histoire, dans ses institutions, dans toute sa vie nationale, pour que, aux heures solennelles où tous les cœurs russes s’échauffaient pour la rénovation de l’Etat et de la patrie, la vieille mère Eglise fût oubliée. Aussi, durant la guerre russo-japonaise et les années qui suivirent, grande fut l’agitation en son sein et autour d’elle. Ecclésiastiques et laïques, hiérarques mitres et ministres du Tsar, croyans et incroyans, s’interrogeaient, presque également, sur son avenir, se demandant quelles réformes urgentes pouvaient être apportées à ses institutions, sur quelles traditions anciennes, ou sur quels principes nouveaux, devait être reconstruit le vénérable édifice qui avait abrité la naissance et la croissance du vaste Empire. Les idées les plus diverses, les thèses les plus contraires surgissaient et s’entre-choquaient dans le clergé, parmi les prêtres et parmi les moines, entre les protopopes et les archimandrites, comme chez les fidèles et parmi les politiques.

Deux courans opposés se partageaient les âmes religieuses et les entraînaient en sens contraire, menaçant de déchirer l’unité de l’Eglise, d’introduire en son sein l’esprit de dispute et de division, sinon l’esprit d’indiscipline et de révolte qui sévissait partout autour d’elle. On vit alors combien de diversités morales et de tendances divergentes recouvrait, en les dissimulant, l’uniformité apparente maintenue, du haut en bas de la hiérarchie, par la lourde pression mécanique de l’administration officielle. Les uns, effrayés du mouvement profond qui semblait soulever toutes les classes de la nation à la fois, au risque de bouleverser l’Etat et de renverser le trône, voulaient relever le clergé et fortifier l’Eglise, afin qu’Eglise et clergé reprissent sur le peuple leur influence ancienne et pussent redevenir, pour l’Etat et pour le Tsar russe, d’utiles et efficaces auxiliaires, dans la lutte contre « l’intelligence » sceptique et contre la révolution destructive. Les autres, ouverts aux idées nouvelles, en contact plus étroit avec les masses, avec le moujik des campagnes ou avec l’ouvrier des villes, rêvaient de rajeunir l’Eglise en en démocratisant à la fois l’esprit et les institutions, en la ramenant aux pures maximes évangéliques, en enlevant à Tolstoï et aux sectes populaires le monopole et le bénéfice des interprétations égalitaires ou socialistes, voulant, eux aussi, fortifier l’Eglise et relever le clergé, mais afin de les mettre au service des idées nouvelles de rénovation politique ou de transformation sociale.

Si contraires que fussent ces deux tendances, toutes deux du reste, tantôt ardentes et téméraires, tantôt prudentes et modérées, il y avait un point où elles convergeaient, sur lequel toutes les aspirations de réformes semblaient d’accord, la nécessité de rendre la vie à l’Église, de lui rendre la spontanéité avec la liberté, ce qui n’était possible qu’à condition de briser ou au moins d’élargir les cadres rigides dans lesquels la tenaient enfermée, depuis Pierre le Grand, la machine administrative et l’automatisme bureaucratique.


III

Il semblait de loin que le gouvernement impérial dût, par intérêt comme par tradition, se montrer hostile à toute tentative d’affranchir l’Église, à toute velléité de relâcher les liens qui la tenaient dans l’étroite dépendance de l’Etat. A toute autre époque qu’au lendemain de la guerre de Mandchourie, avec tout autre souverain que l’empereur Nicolas II, peut-être le pouvoir suprême eût-il repoussé, d’un geste de brusque défiance, tout projet ‘de réforme ecclésiastique et d’émancipation spirituelle. Mais l’ébranlement apporté par les victoires japonaises s’étendait à toutes les institutions russes ; le besoin d’une profonde rénovation nationale se faisait sentir dans tous les domaines à la fois. L’Empereur lui-même, déçu et abattu par la défaite, n’échappait pas à ce sentiment des plus éclairés et des meilleurs de ses sujets ; souverain consciencieux, esprit plutôt timide et timoré, chrétien convaincu, pieusement soumis à la volonté divine, il était résigné, pour le salut de l’Empire et de la dynastie, à toutes les réformes que ne lui faisait pas juger trop périlleuses son éducation d’autocrate. Fils dévoué et docile de l’Eglise orthodoxe, il était de ceux qui, aux heures d’incertitude et de désarroi universel, devaient être portés à chercher leur appui dans le soutien de l’Église, en même temps que dans le secours de Dieu. Plus la Russie, en proie à la propagande révolutionnaire, semblait menacée de bouleversemens, et plus le pieux souverain devait être enclin à ranimer dans le peuple orthodoxe la foi religieuse, pour le mettre à l’abri de la séduction des nouveautés ; plus il devait prendre à cœur de fortifier l’Église nationale, afin qu’elle eût assez de force pour en prêter à la couronne et à l’autorité.

Or, parmi les chefs hiérarchiques du clergé, comme parmi les laïques les plus dévoués à l’Église nationale, s’était répandue l’idée que, pour restaurer, sur le peuple et sur le pays, l’ascendant moral de l’Église, il fallait, à la fois, relever son prestige au dehors et ranimer en elle les énergies chrétiennes. Les vagues plans de réformes, agités dans le clergé et, plus encore peut-être, chez l’élite des fidèles, aboutissaient à deux mesures d’ordre différent, mais presque également inattendues d’un empereur autocrate et d’un héritier de Pierre le Grand : le rétablissement du patriarcat et la convocation d’un concile national. De cette double mesure, il semblait que l’Eglise pût attendre une rénovation, ou au moins une réforme profonde. On était à la veille de la convocation de la première Douma ; c’était un de ces rares momens, dans la vie des peuples, où les grandes résolutions et les grandes initiatives paraissent aisées. L’empereur Nicolas II semble s’être décidé au l’établissement du patriarcat comme à la réunion d’un Concile. Le comte Witte était président du Conseil (fonction qui venait d’être créée pour lui) ; le prince Obolensky, ami de Vladimir Solovief, était haut-procureur du Saint-Synode. Le double projet ne rencontra pas d’opposition de leur part, si bien que, durant de longs mois, on parut en préparer l’exécution.

Relever, après deux siècles, en face du trône de l’autocrate, le trône patriarcal, qu’en eût dit l’ombre de Pierre le Grand ? Pierre avait décapité l’Eglise, pour que la Russie n’eût plus qu’une tête, l’Empereur autocrate. Il l’avait formellement déclaré dans son « Règlement Spirituel » (Doukhovny Reglament) : un patriarche pouvait sembler au simple peuple un autre souverain, un souverain ecclésiastique, égal et peut-être supérieur à l’autre. Pierre se souvenait des prétentions opposées un jour à son père Alexis par le patriarche Nikone ; il n’entendait point que des successeurs de Nikone pussent jamais être de nouveau tentés d’introduire dans la Russie orthodoxe les théories du clergé d’Occident sur les deux pouvoirs et les « deux luminaires. » Mais pareilles appréhensions, déjà excessives dans la Moscovie du XVIIe siècle, seraient manifestement surannées dans la Russie du XXe. Si, en face de l’autorité impériale, menace de se dresser un autre pouvoir, ce n’est pas de l’Eglise qu’il peut surgir ; c’est du fond même de la nation, du sein des assemblées électives, et contre ce nouveau rival, un patriarche serait pour le Tsar un allié, non un adversaire.

Absolu ou constitutionnel, l’Etat, en Russie, comme presque partout ailleurs, comme dans tous les pays orthodoxes notamment, l’Etat est assez fort pour n’avoir rien à redouter des entreprises de l’autorité religieuse. L’empereur Nicolas II pouvait donc sans scrupule revenir sur l’œuvre ecclésiastique du plus grand et du plus absolu de ses prédécesseurs. Il pouvait sans ébranler l’autorité du trône, avec l’espoir même de la raffermir, relever l’ascendant de l’Eglise en relevant le siège patriarcal. De cette restauration, il semblait même en droit d’espérer un double avantage. Comme souverain, en fortifiant l’Eglise, il renforçait les influences conservatrices ; comme prince orthodoxe, en lui rendant un pasteur suprême, il faisait rentrer l’Eglise russe dans le cadre traditionnel des institutions canoniques de l’Eglise d’Orient. De cette façon, il rehaussait le prestige de l’Eglise nationale, au dehors comme au dedans. Et pour cela, il n’eût même pas été besoin d’altérer profondément la constitution collégiale imposée par Pierre le Grand à son Église. Le Très-Saint-Synode eût continué à siéger à côté du patriarche et, au besoin, à gouverner avec lui. Par la force même des habitudes bureaucratiques, la restauration du patriarcat eût peut-être été en fait plus nominale que réelle ; le titre, non l’autorité effective, eût été restauré. Le patriarche ne devait du reste plus siéger en son antique métropole, au Kremlin de Moscou, « la troisième Rome » héritière des deux autres, comme la saluaient, après la chute de Constantinople, les hiérarques d’Orient qui avaient consenti et applaudi à l’érection de ce cinquième patriarcat. Le futur patriarche devait résider à l’ombre du souverain et des ministres, dans la nouvelle capitale, au couvent de Saint-Alexandre Nevsky, tout comme aujourd’hui le métropolite de Saint-Pétersbourg, président de droit du Saint-Synode. C’était du reste au métropolite actuel de Pétersbourg, Mgr Antoine, que devait revenir, du consentement général, la nouvelle dignité. Les sceptiques disaient déjà que ce ne serait pour lui qu’une sorte de promotion honorifique. Pour qui a vu le premier prélat de l’Eglise officier, solennellement, en la salle Saint-Georges du Palais d’hiver, lors de l’inauguration de la première Douma, pour qui l’a entendu, au Palais de Tauride, adresser ses vœux de bonheur et de prospérité aux premiers représentans de la nation, il semble que la tiare patriarcale n’eût pas été déplacée sur un tel front.

Pourquoi, après y avoir paru décidé, le gouvernement impérial n’a-t-il pas encore rétabli la dignité patriarcale ? C’est sans doute que, depuis l’ouverture de la troisième Douma et l’accalmie, au moins relative, qui a suivi les orageuses années précédentes, le gouvernement, raffermi et rassuré, ne se sent plus porté aux grandes initiatives et aux grandes innovations. Le relèvement de la chaire patriarcale serait, il est vrai, moins une innovation qu’une restauration ; mais s’il répugne aux nouveautés, le gouvernement, en rétablissant une institution du passé, craindrait peut-être de se faire accuser de tendances réactionnaires et de visées archaïques. Pour qu’une telle mesure fût bien accueillie de l’Église et de l’opinion, pour qu’elle parût au clergé ou aux laïques un principe de renouvellement de l’Eglise nationale, il fallait qu’elle fût liée à la convocation d’un Concile. C’est du Concile, présidé par le nouveau patriarche, que les croyans et les patriotes attendaient le rajeunissement de l’antique Eglise. Or, après l’avoir laissé annoncer, après avoir nommé une Commission pour en préparer la réunion, le gouvernement, pris de doute, semble, ici encore, hésiter et reculer.

Un Concile, c’est une assemblée délibérante et légiférante, une assemblée souveraine, en une Eglise surtout où les conciles généraux demeurent l’autorité suprême. Un Concile national, c’est une sorte de parlement ecclésiastique, où toutes les affaires religieuses et politico-religieuses seraient naturellement agitées, discutées, publiquement, à la face du pays et du monde. A l’heure où, se rendant aux vœux de la nation, l’Empereur autocrate se décidait à concéder à ses peuples une façon de Parlement, il paraissait naturel qu’il fit quelque chose d’analogue pour l’Eglise et pour le clergé. Le Tsar orthodoxe ne pouvait-il les appeler, eux aussi, à faire connaître leurs vœux et leurs doléances ? les inviter également à étudier, à voter des lois nouvelles pour la réforme de l’administration ecclésiastique ? Rien donc d’étonnant que l’Empereur et ses conseillers s’y fussent décidés. On m’a même assuré, dans les cercles les mieux informés, qu’au début, sous le ministère Witte, l’empereur Nicolas II en avait si bien accepté le projet que, à certain moment, il eût préféré que la réunion du Concile précédât celle de la première Douma. Il espérait sans doute que, en attirant à elles l’attention et le respect du peuple orthodoxe, les solennelles assises de l’Eglise exerceraient, sur l’assemblée politique et sur le pays, une action calmante, en tempéreraient les impatiences, en modéreraient les prétentions.

Aujourd’hui, quand la Russie en est déjà à sa troisième Douma, tout autre est la situation du pays, tout autres sont les dispositions du pouvoir. Le gouvernement est porté à trouver qu’il lui suffit d’une Douma et d’un Conseil de l’Empire, sans qu’il aille se donner encore l’embarras de réunir un parlement ecclésiastique qui voudrait, peut-être, lui aussi, jouera la Constituante, et d’où l’on ne sait trop ce qui pourrait sortir. L’Eglise, à l’heure présente, est sous la main du pouvoir ; il a su s’en servir aux dernières élections, si bien qu’il ne sent plus le même besoin d’en accroître la force, en en accroissant la liberté. Les politiques apprécient peu la valeur des forces spirituelles ; ils peuvent se dire que, pour l’Etat, le plus sûr est de ne voir en l’Eglise qu’un instrument, et que l’instrument le meilleur est le plus inerte.

Aussi, le projet de convoquer un Concile national serait-il déjà peut-être abandonné, s’il n’avait été presque officiellement admis. Une commission, nous l’avons dit, avait été nommée pour préparer la réunion du Concile ; cette commission, après un long examen, a rédigé un projet que la presse a commenté, et que la presse, après l’avoir discuté, ne laissera pas oublier.

Un Concile national, c’était là, pour la Russie de Nicolas II, une chose nouvelle, à force d’être ancienne et désuète. Pour trouver des précédens ou des modèles, il fallait remonter, au delà de Pierre le Grand, jusqu’à la vieille Moscovie des premiers Romanof. Quelle autorité devait convoquer le Concile ? De quelle manière surtout devait-il être composé ? Les évêques y devaient-ils siéger seuls ? ou bien, à côté des évêques, y devait-on admettre des représentans du bas clergé, voire des représentans des laïques, aussi bien que des délégués du gouvernement ? Chez nous, dans l’Occident catholique, un Concile est uniquement une assemblée d’évêques ; bien que, avant 1870 et le Concile du Vatican, les gouvernemens y fussent d’ordinaire représentés. En Orient, s’en rapporte-t-on à l’iconographie byzantine, un Concile est une assemblée d’évêques, réunis autour du trône d’un empereur. Prêtres ou laïques, ce n’était pas ainsi que l’entendaient, en Russie, la plupart des orthodoxes qui réclamaient un Concile national. N’y admettre que les mitres épiscopales, c’eût été, à leurs yeux, faire œuvre archaïque et œuvre vaine. De l’épiscopat russe, sorti du clergé monastique et recruté par les mains réactionnaires de M. Pobédonostsef, naguère encore le tout-puissant procureur du Saint-Synode, comment attendre aucune réforme profonde, aucune initiative libérale ?

En Russie, les deux clergés, le « noir » et le « blanc, » le régulier et le séculier, le premier voué au célibat, le second marié, sont tellement séparés par le genre de vie, par les habitudes, souvent par les idées et les tendances que, si un Concile national doit représenter les vœux et les besoins du clergé, il importe que les simples prêtres, que « le clergé blanc » y ait accès à côté des évêques, d’ordinaire issus du « clergé noir. » Bien plus, le clergé lui-même en tant que corps, on pourrait presque dire en tant que caste, vit socialement et moralement isolé de la nation, de telle façon qu’il ne saurait prétendre à représenter le peuple orthodoxe. Veut-on que la voix de ce dernier puisse se faire entendre du futur Concile, qu’il puisse, lui aussi, y exposer ses vœux, ses besoins, ses aspirations, il faut qu’il puisse y déléguer ses représentans. Les promoteurs de la convocation du Concile y réclamaient ainsi une place pour les délégués des laïques, aussi bien que pour ceux du bas clergé. Désirait-on que le Concile fût efficace et ouvrît à l’Eglise une ère nouvelle, il fallait, à les entendre, que le corps même des fidèles y fût représenté, à côté des évêques et des deux clergés.

Ces prétentions ont beau nous sembler peu conformes à la tradition et aux canons orthodoxes, elles étaient d’accord avec les tendances de la majorité des Russes, avec la conception même que, sous les influences protestantes ou rationalistes, la plupart des orthodoxes se font aujourd’hui de l’Eglise. Elles étaient faites pour embarrasser les membres de la commission chargée de préparer la réunion du Concile. La commission ne pouvait méconnaître les vœux de l’opinion. Elle admit que le futur Concile devait être ouvert aux représentans du bas clergé et des laïques sans oser, par respect des canons et de la tradition, les mettre sur le même rang que les évêques, dépositaires des pouvoirs apostoliques. S’ils ne pouvaient obtenir les mêmes droits que les évêques, les délégués du bas clergé et des laïques pourraient prendre part à l’étude, même à la discussion des questions posées à la sainte assemblée. Sans avoir voix délibérative[7], ils pourraient parler, plaider leur cause, défendre leurs idées et leurs droits ; et comme les séances devaient être publiques ou les discours être publiés, on pouvait être certain que les vœux des simples prêtres ou des orateurs laïques ne seraient pas étouffés dans les chants d’église ou dans le silence des monastères où se réunirait le futur Concile ; que leur parole passerait par-dessus les mitres d’or des évêques pour arriver à la presse, au peuple, au parlement, aux partis. Les timides ou les prudens se demandaient si l’écho des discussions du Concile ne risquait pas de troubler la paix des consciences, de fournir un nouvel aliment aux luttes de partis, de soulever dans les masses ignorantes de nouveaux schismes, de nouvelles hérésies. Devant de pareilles perspectives, le gouvernement semble rester hésitant, et la réunion du Concile est devenue incertaine.

Pour parer à de tels dangers et pour rassurer à la fois les autorités civiles et la hiérarchie ecclésiastique, presque également inquiètes de la convocation d’une sorte de parlement religieux, ou a proposé, récemment, de réunir un Concile où ne seraient admis que les seuls chefs traditionnels du clergé, les évêques, investis par les canons de l’Eglise, comme par les lois de l’Etat, de l’autorité ecclésiastique. La Russie aurait ainsi son Concile national, sans que le gouvernement ou la hiérarchie en pussent prendre ombrage. D’une pareille assemblée de prélats, il n’y aurait, semble-t-il, rien à craindre ; mais, peut-être aussi, presque rien à espérer. Ce ne serait pas là, en tout cas, le Concile promis ou attendu. L’opinion serait déçue ; c’est du coup que les Russes, aujourd’hui déjà enclins au pessimisme, se croiraient en droit de parler d’avortement. La presse conservatrice elle-même montre peu de goût pour un concile épiscopal. Le Novoïé Vrémia s’y est franchement déclaré hostile. Un simple concile d’évêques, c’est, pour lui, un concile « à la romaine, » ce n’est pas une représentation de l’Église et du peuple chrétien, telle qu’il sied à la Russie orthodoxe. Une pareille assemblée, pour nous, la plus conforme à la tradition, ne serait, pour la plupart des Russes, qu’une apparence, pour ne pas dire une parodie de concile. Aux yeux de presque tous, ce ne serait qu’un anachronisme suranné. La vérité est qu’en un pays tel que la Russie, semblable concile risquerait fort de n’avoir ni vertu, ni efficacité pratique. Il tromperait, presque également, les espérances mises sur sa convocation par les novateurs et les partisans des réformes, comme par les conservateurs et les adversaires de la révolution. Sans prestige vis-à-vis du pays, sans autorité vis-à-vis du gouvernement, il serait aussi incapable de relever, aux yeux du peuple, l’ascendant de l’Eglise que d’effectuer en son sein les réformes nécessaires[8].


IV

Les schismatiques, les « vieux-croyans » popovtsy ont pu tenir, récemment, à Moscou, en leur célèbre cimetière de Rogogski, un concile solennel. Il est douteux que l’Eglise nationale, embarrassée dans ses privilèges, obtienne l’autorisation de réunir le sien. Plus que jamais, il est manifeste que pour l’Eglise russe, comme pour toute autre Eglise, les privilèges se paient, et que la rançon du privilège est la liberté. Nombreux sont parmi les Russes orthodoxes ceux qui le comprennent et ceux qui le regrettent ; mais ni parmi les laïques, ni surtout parmi le clergé, ils ne sont aujourd’hui la majorité. L’heure des hautes espérances et des vastes revendications semble déjà passée, A l’élan des aspirations audacieuses qui a suivi la guerre ont succédé la déception et la dépression. Dans tous les domaines aujourd’hui, dans l’Eglise comme dans l’Etat, la bureaucratie, dont naguère encore les Russes semblaient unanimes à vouloir briser le joug, est en train de rétablir son omnipotence ancienne. Elle survit à la charte du 17 octobre ; elle survit au régime constitutionnel dont l’inauguration en paraissait devoir marquer la chute.

Dans le clergé, non moins que dans les administrations civiles, les influences rétrogrades menacent de reprendre leur vieil ascendant. Le clergé orthodoxe compte plus de trente représentans à la troisième Douma. Les plus en vue, les plus écoutés, tels que l’évêque Eulogius, sont des nationalistes passionnés, toujours enclins à faire appel contre les dissidens au bras séculier et à la puissance autocratique. Quelques prêtres isolés, s’intitulant « progressistes, » ont essayé de former, dans cette troisième Douma, un petit groupe qui prétend s’inspirer de l’idéal chrétien. Au nom même de l’Evangile, ils ont osé réclamer l’extension et la garantie des libertés individuelles ; mais leur voix n’a trouvé guère d’échos que sur les bancs de l’opposition. Hors de la Douma, les prêtres soupçonnés de tendances libérales ou de sentimens démocratiques sont tenus en suspicion ; les plus remuans sont enfermés dans les prisons des monastères. Pendant ce temps, les popes absolutistes parlent haut et fort, faisant entendre leurs menaces dans des réunions politiques, traitant les libéraux d’ennemis de Dieu et de la patrie, cherchant à soulever le peuple contre les Polonais, les Juifs et les amis des Juifs. Au congrès des missionnaires orthodoxes de Kief, en 1909, les mesures les plus violentes ont été proposées et adoptées ; contre les sectaires et les dissidens, contre la concurrence des catholiques ou des protestans, contre la diffusion de l’esprit d’incrédulité, ces apôtres du Christ semblaient mettre toutes leurs espérances dans l’administration et dans la police, dans la prison, l’internement, la déportation.

Naguère, à l’imitation de Rome et des grandes Eglises d’Occident, l’Eglise russe, lisant, elle aussi, l’Évangile à la clarté des idées nouvelles, semblait prête à se pencher vers le peuple, vers les masses souffrantes, prête à seconder, à son tour, leurs aspirations sociales, en travaillant à leur relèvement moral et matériel. Déjà, plusieurs prêtres s’étaient signalés au peuple par un zèle qui, là aussi, n’était peut-être pas toujours demeuré prudent, et dont les audaces avaient ému les autorités ecclésiastiques et civiles. En dépit de ces témérités inhérentes aux débuts de tout mouvement social, il y avait là, pour l’Église, pour ses fils et ses filles, un champ d’action immense que, prêtres ou laïques, les disciples du Christ n’avaient qu’à défricher et à ensemencer. Selon la formule chère aux révolutionnaires russes, il lui fallait, à son tour, « aller au peuple, » entrer en étroit contact avec lui, lui apporter, avec le réconfort de la parole sacrée, l’aide active de la fraternité chrétienne.

Pourquoi l’Eglise russe, pourquoi ses évêques, ses prêtres. ses enfans des deux sexes ne tenteraient-ils pas, au profit du moujik et du peuple russe, demeuré en son âme et en son fond si chrétien, ce qu’ont essayé, en des pays moins croyans, les catholiques, les protestans, les anglicans ; ce qu’ont plus d’une fois ébauché déjà, en Russie même, les vieux-croyans et les populaires adhérens des sectes dissidentes ; ce qu’ont essayé même, sur quelques points isolés, malgré le peu d’encouragemens de l’Église et des autorités de tout ordre, de trop rares fils de l’Église orthodoxe[9] ? Pourquoi l’Église et le clergé semblent-ils ainsi reculer devant ces œuvres sociales qui, dans les deux mondes, attirent partout, aujourd’hui, l’élite des chrétiens de toutes les confessions ? Est-ce qu’ils ne sentent point qu’il y a là, pour l’Église et pour la charité chrétienne, une tâche nouvelle et rénovatrice qu’il est dangereux et coupable d’abandonner aux fauteurs de l’incrédulité et aux apôtres de la révolution ? Est-ce que, engourdis par le formalisme séculaire ou avilis par la sujétion bureaucratique, l’Église, le clergé, leurs fidèles sont devenus si étrangers à l’esprit évangélique que, n’ayant aucun désir de réaliser le royaume de Dieu, ils ne sentent pas que des chrétiens ne sauraient demeurer indifférens aux plus nobles aspirations contemporaines ?

Non ; chez plus d’un Russe orthodoxe, l’esprit de charité et de fraternité évangélique demeure encore vivant, sous le lourd formalisme bureaucratique, mais, chez eux, tout rêve, tout projet d’action sociale, d’action collective surtout, est étouffé par la rigueur des lois ou par la défiance des autorités. Pour aller au peuple, pour le disputer à la propagande antichrétienne ou révolutionnaire, pour fonder des œuvres sociales, il faut deux choses interdites encore à l’Église comme à ses enfans, deux choses que la liberté pourrait seule leur donner : l’esprit d’initiative et des garanties légales. Aussi ne saurions-nous être surpris de l’affaissement moral qui a si vite succédé aux courtes heures d’exaltation des récentes années. Prêtres ou laïques, les fils les plus dévoués de l’Eglise semblent revenus des hautes espérances de naguère ; déçus ou découragés, ils sentent que le plus sûr pour des Russes est de se défier des idées nouvelles, de renoncer aux initiatives non autorisées. Au sein du clergé surtout, les hommes qui s’étaient brusquement éveillés, au bruit lointain du canon de Mandchourie et aux troublans appels de la révolution, sont pour la plupart retournés à la somnolence traditionnelle ; ils dorment ou font semblant de dormir, remettant à des jours plus propices la reprise de leurs rêves d’hier. Le moment est en toutes choses peu favorable aux initiatives hardies et aux entreprises nouvelles. Le pouvoir n’a guère qu’un souci, le l’établissement du calme et de l’autorité ; le pays, pris de lassitude après un effort impuissant, est redevenu avide de repos. C’est ainsi que, après avoir été agitée et comme soulevée durant deux ou trois ans par les vents du siècle, l’Église sur laquelle avait passé un souffle nouveau semble en train de retomber dans sa stagnation ancienne.

Il en est, hélas ! de l’Eglise comme de l’État, et de la liberté religieuse comme des libertés publiques. La grande œuvre de rénovation et d’émancipation que, aux heures fiévreuses du lendemain de la guerre, tant de Russes se flattaient d’accomplir d’un seul coup et comme d’un seul élan, exigera sans doute les efforts persévérans de plus d’une génération. La Russie nouvelle ne se construira que petit à petit, par le labeur incessant des hommes de bonne volonté de toute classe et de toute origine. C’est pour l’avoir méconnu que trop de Russes, — et à leur suite trop d’étrangers. — en sont déjà venus à proclamer l’avortement de leur révolution. Le manifeste du 17 octobre et l’édit de tolérance d’avril 1905 n’en marquent pas moins, pour le vieil Empire autocratique, l’inauguration d’une ère nouvelle. L’œuvre essentielle d’aujourd’hui, celle qui importe le plus à l’avenir, c’est, en dépit de toutes les réactions et de tous les découragemens, l’acclimatation du régime constitutionnel. Avec lui et grâce à lui, la liberté religieuse et la liberté politique sauront bien peu à peu faire reconnaître leurs droits. Aussi, comme nous l’écrivions récemment ailleurs[10], les déboires des libéraux russes, ne doivent pas nous rendre trop pessimistes sur l’avenir prochain et sur le développement intérieur du grand Empire. En cette époque même de déceptions où, en Russie comme en Occident, la foi dans les assemblées et dans le parlementarisme paraît ébranlée, ce n’est pas, pour la Russie, une mince conquête que d’avoir enfin obtenu, après un siècle de rêves vains et d’impuissans efforts, un Parlement. En ce Parlement, si humble qu’en semble encore le rôle, ou si défectueux le mode d’élection, si jalousement mesurés qu’en soient les droits, si étroits ou si mesquins que nous en paraissent quelquefois l’esprit et les votes, la Russie possède, malgré tout, l’instrument nécessaire de toute réforme, comme le germe vivant de toute évolution politique.

Puisse, pour le bonheur de ses peuples, comme pour le bien de l’Europe, cette évolution s’accomplir pacifiquement et régulièrement, au profit de ses cent cinquante millions d’habitans, sans distinction de race ou de religion ! C’est à quoi ne veulent pas consentir les adversaires obstinés de la liberté religieuse et de l’égalité civile, les fanatiques champions du passé qui, par leurs violences à froid et par leur turbulente obstruction, s’efforcent, au Palais de Tauride, de discréditer le régime nouveau et d’amener la dissolution de la troisième Douma, sans comprendre qu’en rendant impossible tout travail législatif, ils servent la révolution et les révolutionnaires. Comme l’affirmait, hautement, dans sa lettre publique à M. Khomiakof, son digne prédécesseur, M. Goutchkof, le nouveau président de la Douma, en dehors du régime constitutionnel, il n’y a plus d’issue pour le peuple russe. Il nous est heureusement permis d’espérer que l’empereur Nicolas II en a lui-même le sentiment, et qu’il saura écarter les ambitieuses intrigues qui, pour lui faire renier la charte du 17 octobre, s’appliquent à rendre stérile tout le travail des représentans du pays.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.

  1. Voyez la Revue du 1er avril.
  2. L’incrédulité et le matérialisme commencent à pénétrer dans le peuple ; voyez une étude du prince Eug. Troubetskoï : Moskovski Ejeniedelnik, 9 janvier 1910.
  3. Voyez l’Empire des Tsars et les Russes, tome III, liv. III, chap. X. — Aux rigueurs du gouvernement impérial contre les sectes et les doctrines nouvelles, je ne vois guère qu’une exception toute récente ; c’est, en Pologne, à l’égard des « Mariavites. » Mais cette secte bizarre, à tendances mystiques, qui compte déjà plus de 100 000 adhérens, ne sort pas de l’Église orthodoxe officielle, mais de l’Église catholique romaine. La facilité avec laquelle le gouvernement l’a reconnue a paru, de sa part, moins une preuve de tolérance qu’une marque de son désir de diviser les Polonais et d’affaiblir les influences catholiques.
  4. Voyez les très intéressantes études de M. A. Prougavine sur le Raskol et la Bureaucratie : Vestnik Evropy, octobre et novembre 1909.
  5. Il est bon de savoir que le chef des Octobristes et par suite de la majorité, M. Al. Goutchkof, élu dernièrement président de la troisième Douma, est sorti lui-même d’une famille de vieux-croyans.
  6. On sait que le clergé blanc est le clergé séculier, d’ordinaire marié, que le clergé noir est le clergé monastique d’où sortent les évêques.
  7. On eût ainsi imité les Starovères qui, dans leur récent concile de Rogogski ont admis les représentans des laïques et du bas clergé avec voix consultative.
  8. Les récens débats de la Douma sur le budget du culte orthodoxe ont montré le peu de crédit des évêques, alors même que, avec Mgr Mitrophane et Mgr Eulogius, ils se plaignent de l’assujettissement de l’Église et réclament des réformes au moyen d’un Concile. Leurs trop fréquentes complaisances pour les « Hommes Russes » et les partis d’extrême Droite enlèvent à leurs revendications presque toute autorité. En revanche, le discours véhément du député Karaoulof contre le haut clergé et les abus de l’administration ecclésiastique a fait une vive impression sur la Douma et a eu, au dehors, un grand retentissement dans le clergé comme parmi les fidèles.
  9. La plus remarquable de ces œuvres sociales orthodoxes est sans doute la « Confrérie ouvrière de l’Exaltation de la Sainte-Croix, » créée dans le gouvernement de Tchernigof par Nicolas Néplouief, œuvre à laquelle cet homme de bien a consacré toute sa fortune et qui lui survit encore aujourd’hui. Voyez N. Néplouief, la Confrérie ouvrière et ses écoles, Paris, Alcan, 1906.
  10. Préface de l’ouvrage de M. Pierre Chasles, le Parlement russe, Arthur Rousseau, éditeur, 1910.