La Séparation des Églises et de l’État/Chapitre V

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V


ANALYSE DES PROPOSITIONS
ET PROJETS DE LOI


Telle est, dans les principales nations du monde, l’état de la législation appliquée aux diverses religions ; telle est en France, la situation des trois cultes ic connus au moment où vous êtes appelés à résoudre l’un des plus gros problèmes politiques qui aient jamais sollicité l’attention du législateur. Ce problème, votre Commission a pu l’étudier et s’efforcer à le résoudre en toute impartialité comme en toute sérénité d’esprit.

Le moment où elle a été constituée, les conditions dans lesquelles elle a entrepris et poursuivi son œuvie la mettaient à l’abri des coups de passion et lui permettaient d’envisager sa tâche avec le calme et le sang-froid désirables. Le 18 juin 1903, date à laquelle elle a été nommée, les événements n’avaient pas pris encore le caractère aigu et pressant que les conflits avec le Saint-Siège lui ont donné depuis. La question de la séparation n’était pas posée dans le domaine des faits ; elle restait sous la seule influence des considéitions théoriques et des raisons de principe. C’est ire que l’on pouvait croire encore lointaine la soluion qui s’impose aujourd’hui.

La majorité de la Commission, favorable en prinipe à la réforme, ne travaillait donc pas pour un îsultat immédiat ; la fièvre du succès prochain ne risquait pas de troubler ses délibérations. Si elle ne se désintéressa à aucun moment de la tâche que vous lui aviez confiée c’est que, d’abord, elle comprit toute la valeur de propagande que pourraient avoir dans le pays et au sein du Parlement même, ses efforts ; c’est qu’ensuite elle ne tarda pas à se laisser prendre tout entière par le vif intérêt de ses travaux. Les membres de la minorité eux-mêmes n’échappèrent pas à cette attraction et c’est leur honneur d’avoir pendant les 39 séances qui ont été consacrées par la Commission à l’accomplissement de son mandat, collaboré loyalement, avec un zèle persistant et une entière sincérité, avec leurs collègues de la majorité dans la recherche des solutions qui vous sont aujourd’hui proposées.

Nous pouvons dire que le projet finalement adopté est l’œuvre de la Commission tout entière. Beaucoup de ses dispositions portent l’empreinte de la minorité, dont le succès a souvent couronné les efforts, attestanf que l’esprit systématique et le parti-pris étaient exclus des délibérations communes. S’il en avait été autrement, les travaux de votre Commission eussent été frappés de stérilité. De par sa composition même, elle semblait, en effet, dès l’origine, vouée à une incurable impuissance, et l’on ne peut pas reprocher à son honorable président de s’être montré exagérément pessimiste quand, après avoir accepté une fonction qui ne devait pas être pour lui une sinécure, il prononça ces paroles peu rassurantes :

« Aucun de nous ne se dissimule les conditions très spéciales, pour ne rien dire de pis, dans lesquelles notre Commission aborde sa tâche.

Elle est venue au jour sous des auspices peu favorables, les augures sont unanimes à lui prédire la vie difficile. Ils ne s’entendent, d’ailleurs, que sur un point : Que peut faire d’utile une Commission partagée par moitiés égales à une unité près ? La discussion y sera, disent les uns, si passionnée, la lutte à chaque séance si acharnée, que le temps se passera en une longue querelle sans issue, et que la Commission se perdra dans le bruit. Au contraire, disent les autres, le sentiment même de l’inutilité de débats qui ne peuvent pas aboutir, paralysera vite, des deux parts, l’ardeur des combattants : la Commission se perdra dans le silence. »

Si cette sombre prédiction n’est pas réalisée, si votre Commission a pu conduire à bonne fin la tâche lourde et difficile que vous lui aviez confiée, c’est, je le répète, grâce à la bonne volonté réciproque dont n’ont cessé de faire montre les membres de la minorité et de la majorité.

Dans sa première réunion constitutive, la Commission avait élu pour président M. Ferdinand Buisson ; pour vice-présidents MM. Bepmale et Baudon ; pour secrétaires MM. Gabriel Deville et Sarraut ; pour rapporteur provisoire le signataire de ce rapport. Aussitôt après, elle adoptait, à la maporité de 17 voix contre 15, un ordre du jour proposé par MM. Allard et Yaillant, et ainsi conçu :


« La Commission décide qu’il y a lieu de séparer les Églises et l’État, et de commencer l’examen des systèmes divers proposés pour remplacer le régime du Concordat. »


C’était, dès le premier jour, les travaux de la Commission nettement orientés dans le sens de la séparation. Les séances qui suivirent furent consacrées à l’examen des diverses propositions de loi qui avaient été déposées au cours de la législature sur le bureau de la Chambre et renvoyées à la Commission.

Ces propositions, il convient de les rappeler ici, dans leur ordre chronologique, et de leur consacrer une rapide analyse.

Elles ont ouvert ou jalonné la voie que la Commission a suivie, et par leur influence directe ou indirecte, certainement concouru à ses conclusions finales.

Proposition Dejeante. — La première en date est celle de M. Dejeante, déposée à la séance du 27 juin 1902. Elle reproduit la proposition de notre collègue Zévaés sous la précédente législature et se caractérise par une économie des plus simples. Elle a pour objet la dénonciation du Concordat, la suppression immédiate de toutes les congrégations religieuses, la reprise par l’État des biens appartenant aux congrégations et aux établissements ecclésiastiques. Les capitaux et les lessources rendus disponibles par la suppression du budget des cultes seraient affectés à la constitution d’une Caisse des retraites ouvrières.

Proposition Ernest Roche. — Très succinctement aussi est libellée la proposition de M. Ernest Roche, du 20 octobre 1902. Elle prononce la dénonciation du Concordat, supprime le budget des cultes et l’ambassade auprès du Vatican. Les associations formées pour Texercice des cultes sont soumises au droit commun. Les immeubles dont les Églises ont aetuellement la disposition feraient l’objet de baux librement conclus avec l’État ou les communes. Les ressources devenues disponibles par ce nouveau régime seraient remises comme premier apport à une Caisse des retraites ouvrières constituée sans délai. Une loi spéciale déterminerait les mesures transitoires rendues nécessaires par l’application de ces dispositions.

Ces deux propositions, assez laconiques, avaient surtout dans la pensée de leurs auteurs le caractère de projets de résolution. Elles devaient permettre à la Chambre de se prononcer sur le principe même de la séparatation des Églises et de l’État. C’est dans la séance du 20 octobre que la Chambre, après avoir repoussé l’urgence sur les propositions de MM. Dejeante et Ernest Roche, adoptait la motion de M. Reveillaud qui instituait une Commission de 33 membres chargés d’examiner tous les projets relatifs à un nouveau régime des cultes.


Proposition de Pressensé. — Le premier qui fut déposé depuis fut celui de M. Francis de Pressensé le 7 avril 1903.

Il serait difficile de rendre un hommage exagéré à un travail aussi savant et aussi consciencieusement réfléchi.

M. de Pressensé s’est donné pour tâche, et a eu le très grand mérite de poser nettement toutes les principales difficultés soulevées en aussi grave matière, et d’envisager résolument le problème dans toute son étendue.

Les solutions qui ont. été adoptées dans la suite peuvent être différentes, souvent même divergentes de celles qu’il indiquait lui-même ; il n’en demeure pas moins que sa forte étude a contribué beaucoup à faciliter les travaux de la Commission.

La caractéristique du projet est de réaliser radicalement la séparation des Églises et de l’État en tranchant tous les biens qui les rattachent. Il garantit expressément la liberté de conscience et de croyances. Dénonciation du concordat, cessation de l’usage gratuit des immeubles affectés aux services religieux et au logement des ministres des cultes, suppression du budget des cultes et de toutes subventions par les départements ou les communes, telles sont les mesures générales par lesquelles serait assurée la laïcisation complète de l’État. Des dispositions spéciales à une période de transition uéterminent les pensions allouées aux ministres des cultes en exercice, sous certaines conditions très strictes d’âge et de fonction. Les immeubles, provenant des libéralités exclusives des fidèles, seraient attribués à des « sociétés civiles » formées pour l’exercice du culte ; tous les autres feraient retour à l’État ou aux communes, selon qu’ils pont actuellement diocésains ou paroissiaux. Les églises et presbytères pourraient être pris en location par les sociétés cultuelles.

Selon une disposition intéressante, dont certains n’ont peut-être pas bien compris le but éloigné de toute arrière-pensée de vexation, l’État ou les communes pourraient insérer dans les baux des stipulations leur réservant le droit, à certains jours, en dehors des heures de culte et de réunions religieuses, d’user des immeubles loués, pour des cérémonies civiques, nationales ou locales.

Les sociétés cultuelles se formeraient selon le droit commun. Elles ne pourraient cependant posséder plus de cathédrales, évêchés, églises, presbytères, que les établissements ecclésiastiques n’en ont aujourd’hui à leur disposition, proportionnellement au nombre des fidèles, ni plus de capitaux que ceux produisant un revenu égal aux sommes nécessaires pour la location des édifices religieux et le traitement des ministres du culte.

Les sociétés cultuelles doivent rendre pubilc le tarif des droits perçus ou des prix fixés pour les cérémonies du culte et pour la location des chaises. Ce tarif ne pourra, en aucun cas, s’élever au-dessus du tarif en cours à répo(iue de la promulgation de la loi.

La police des cultes est déterminée, dans ce projet, avec un soin précis, pour empêcher toute action ou manifestation étrangère au but religieux des sociétés cultuelles.

Par des dispositions minutieuses relatives aux privilèges, dispenses, incompatibilités dont les ministres du culte sont actuellement l’objet, aux aumôneries, au serment judiciaire, aux cimetières et pompes funèbres, toutes les particularités inscrites encore dans la législation pour des motifs religieux, toutes les manifestations ou signes extérieurs du culte sont supprimés.

Une analyse exacte et complète de ce texte étendu exigerait des développements que nous ne pouvons malheureusement lui consacrer. Son rédacteur a chercbé, tout en sauvegardant fermement les intérêts de la société laïque, à effectuer une séparation nette et décisive entre l’État et les Eglises.


Proposition Hubbard. — L’originale proposition de M. Hubbard présentée le 26 mai 1903 ne tendait pas uniquement à ce but. Elle assimile les associations religieuses aux associations ordinaires et s’efforce de les rapprocher en fait. Elle supprime tous les textes re-" latifs au régime des cultes et le budget des cultes actuel. Les prêtres, pasteurs et rabbins qui justifieraient de ressources personnelles insuffisantes recevraient pendant deux ans une indemnité. Celle-ci serait payée à titre viager aux vieillards et infirmes. Les biens des menses seraient repris par l’État, ceux des fabriques par les communes, sauf revendications des donateurs et des héritiers légitimes des testateurs pour les dons et legs recueillis depuis moins de 30 ans.

Mais l’idée toute nouvelle de la proposition est la création qu’elle prescrit dans chaque commune et chaque arrondissement urbain, d’un conseil communal d’éducation sociale. Ce conseil, composé en partie de femmes, administrerait les biens affectés gratuitement aux cultes et à leurs ministres et en réglerait l’usage. Il aurait de même des droits et obligations de gérance pour tous les immeubles servant aux cérémonies et au fonctionnement de toutes les associations d’enseignement ou de prédication morale, philosopliique ou religieuse. Toutes les manifestations extérieures du culte, toutes réunions seraient régies par le droit commun.

Nous ne pouvons entrer dans le détail de cette organisation. M. Hubbard a voulu rapprocher dans la pratique toutes les formes de la vie religieuse et de la vie intellectaelle ou morale, et leur donner comme des guides communs. Son projet est, dans le fond comme dans l’expression, particulièrement philosophique.


Proposition Flourens. — La proposition de M. Elourens, du 7 juin 1903, réalise l’indépendance absolue et légalise la création ou la résurrection des toutes les associations religieuses, quelconques. L’État, une période de transition écoulée, ne subventionnerait aucune de ces associations. Encore devrait-il, sur la simple demande de celles-ci, mettre à leur disposition les édifices actuellement affectés à l’usage religieux, sous la seule condition de ne pas les détourner de cette affectation. La partie caractéristique de cette proposition est sans nul doute celle qui est relative aux œuvres et fondations charitables des associations cultuelles et à la propagation et l’enseignement de leurs doctrines.

Toutes les formes de pareilles manifestations de la vie ecclésiastique sont réalisables ; les associations sont libres sans restriction et sans qu’il y ait lieu de rechercher si leurs adhérents ou ceux qui sont à leur service ont appartenu à des congrégations ou communautés autorisées ou non autorisées.

Il apparaît immédiatement que l’effet certain d’un tel projet serait la libération sans garantie de l’Église, sa mise à l’abri de toute règle légale d’intérêt public, et la reconstitution définitive et inébranlable de toutes les congrégations.


Proposition Reveillaud. — La proposition de M. Reveillaud, présentée le 25 juin 1903, est marquée par un caractère vraiment libéral, mais tient compte des nécessités et des droits de la société civile.

Suivant un plan très net, elle garantit la liberté religieuse et n’y marque d’autre limite que celles demandées par l’intérêt public.

Les associations sont régies par la loi de 1901.

Les édifices religieux ou affectés au logement des ministres des cultes, qui appartiennent actuellement à l’État ou aux communes, sont laissés à la disposition des associations cultuelles sous la condition de payer une redevance annuelle de 1 franc par an destinée à assurer la pérennité du droit de propriété des concédants. Les meubles et immeubles appartenant aux menses, fabriques et consistoires seraient dévolus, sans frais, aux associations nouvelles. Les ministres des cultes actuellement salariés par l’État toucheraient la totalité de leur traitement leur vie durant, s’ils ont plus de cinquante ans d’âge ; la moitié s’ils ont de trente-cinq à cinquante ans, et le quart s’ils ont moins de trente-cinq ans.

La police des cultes est strictement assurée et fixe, pour chaque infraction, des peines mesurées avec modération.

L’exercice du culte est réglementé suivant les dispositions puisées dans une proposition de M. Edmond de Pressensé, votée en première lecture par l’Assemblée nationale, et qui a fait au Sénat l’objet d’un rapport favorable d’Eugène Pelletan.

La proposition de M. Réveillaud contient un article dont le principe a été repris et adopté par la Commission.

Il fixe le maximum des valeurs mobilières placées en titres nominatifs au capital produisant un revenu ne pouvant dépasser la moyenne des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices.


Proposition Grosjean et Berthoulat. — Ce qui caractérise la proposition de MM. Grosjean et Berthoulat, du 29 juin 1903, est le souci de laisser aux Églises le maximum de libertés et d’avantages compatibles avec les garanties indispensables à l’ordre public.

Le droit commun d’association leur est applicable. Les édifices appartenant à l’État ou aux communes sont mis gratuitement à la disposition des communautés religieuses. Il résulte du silence de la proposition que les grosses réparations de ces édifices gratuitement concédés resteraient à la charge de l’État ou des communes propriétaires.

L’ouverture des édifices religieux et la tenue deréunions religieuses ne sont soumises qu’à une seule et simple déclaration faite à la municipalité.

Les ministres du culte ayant dix ans de fonction. jouiraient à vie du traitement qu’ils reçoivent actuellement. Les dispositions relatives à la police des cultes reproduisent les règles unanimement admises avec des peines très modérées pour les infractions prévues.

D’après cette proposition, un budget des cultes considérable resterait durant de longues années nécessaire pour le service des pensions au clergé.

En outre, les édifices religieux, loin de produire le moindre revenu, seraient pour leurs propriétaires nominaux, l’État ou les communes, la cause de dépenses élevées.


Proposition Sénac. — La proposition de M. Sénac, déposée le 31 janvier 1904, la dernière en date, s’inspire de tout autres préoccupations. En maintenant provisoirement l’état actuel des choses, elle vise à donner à toute heure au Gouvernement le droit de briser l’action individuelle ou collective des membres des associations cultuelles, qui pourrait être contraire aux intérêts de la République.

L’État, les départements et les communes auraient la propriété de tous les édifices religieux. Ceux-ci resteraient à la disposition des divers cultes qui en jouissent actuellement, mais les propriétaires pourraient leur en retirer à volonté l’usage.

Les ministres des cultes recevraient, à titre de subvention, leur traitement actuel, mais il devrait leur être annuellement accordé. Les ministres des cultes, non encore en fonctions, recevraient sous certaines conditions des secours ou indemnités. Ces traitements, subventions et secours pourraient à tout moment être supprimés et celui qui aurait été l’objet de pareille mesure ne pourrait plus exercer son ministère dans un édifice public affecté au culte.

Cette proposition, qui a pour objet évident la défense laïque, établit plutôt un régime de police des cultes qu’elle ne réalise la séparation des Églises et de l’État.


Tels sont les divers projets émanant de l’initiative parlementaire, qui, présentés à la Chambre au cours de cette législature, ont été renvoyés à la Commission. Celle-ci a entendu tous leurs auteurs, sauf M. Sénac, dont la proposition fut déposée au moment même où la Commission mettait la dernière main à ses travaux.

La première discussion ouverte sur ces propositions révéla qu’aucune d’elle ne répondait pleinement aux vœux de la Commission. Celle-ci manifesta alors la volonté d’établir elle-même un texte complet qui serait, en son nom, proposé à la Chambre. Mais, dans une matière aussi délicate, où tant de questions graves et complexes se posaient, il était indispensable (ju’un plan de discussion clair et méthodique, fiit arrêté d’abord, selon lequel la Commission pourrait discuter et faire connaître ses vues sur chacune des difficultés essentielles du problème à résoudre. Le rapporteur provisoire proposa aux délibérations de ses collègues le plan suivant qui fut adopté à l’unanimité :


1o Le projet devra-t-il se borner à établir un régime de séparation des Églises et de l’État à l’exclusion de toute disposition concernant les congrégations ?

2o Le projet s’inspirera-t-il exclusivement du droit commun ou bien édictera-t-il au moins à titre transitoire, des mesures de précaution dans l’intérêt, à la fois de l’État et de l’Église ?

3o Les associations constituées en vertu de la loi de 1901 pour assurer l’exercice des différents cultes auront-elles la faculté :

a) De se fédérer entre elles régionalement et nationalement ?

b) De recevoir des dons de l’État, des départements et des communes ?

4o À quel régime seront soumis les édifices publics affectés au culte ?

5o Le projet abrogera-t-il toutes les législations antérieures par une seule disposition générale ou devra-t-il, par des articles spéciaux et précis, régler chaque point particulier ?

Après avoir discuté longuement et unanimement sur chacune des questions posées, la Commission se détermina dans le sens de l’affirmative sur la première. Le projet à rédiger ne devait contenir aucune diposition relative aux congrégations.

Sur la deuxième, il fut décidé à l’unanimité que le régime de séparation devrait être établi selon « la liberté la plus large dans le droit commun ; qu’il convenait de s’en écarter que le moins possible et seulement dans l’intérêt de l’ordre public ».

Sur la troisième, la Commission conclut au droit pour les associaitions cultuelles de s’organisqr en fédérations régionales et nationales. Elle se prononça contre toute subvention de l’État au profit des cultes, mais elle ne put formuler une opinion sur le droit à accorder ou à refuser aux départements et aux communes de subventionner les églises. Treize de ses membres avaient voté pour l’affirmative et treize contre.

Il fut également impossible à la Commission d’émettre un avis formel sur les deux dernières questions posées.

Elle décida alors de s’en remettre à son lapporteur provisoire du soin de rédiger, en tenant compte es indications recueillies au cours des dernièies disussions, un avant-projet complet qui servirait de base aux délibérations ultérieures.

Ainsi fut-il fait. Et cet avant-projet, après des débats nombreux et approfondis au cours desquels plusieurs dispositions furent amendées sur les propositions de membres tant de la majorité que de la minorité, fut finalement adopté en première lecture par la Commission. En voici le texte :

Premier texte de la Commission

TITRE I
Principes.
Article premier

La République assure la liberté de conscience.

Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions ci-après, dans l’intérêt de l’ordre public.


Art. 2.

La République ne protège, ne salarie, ni ne subventionne, directement ou indirectement, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, aucun culte.

Elle ne reconnaît aucun ministre du culte.

Elle ne fournit, à titre gratuit, aucun local pour l’exercice d’un culte ou le logement de ses ministres.


TITRE II
Abrogation des lois et décrets sur les cultes. — Dénonciation du Concordat. — Liquidation.
Art. 3.

À dater de la promulgation de la présente loi, la loi du 18 germinal an X est abrogée ; la Convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le Gouvernement français et le Pape Pie VII est dénoncée.

Sont également abrogés : le décret-loi du 20 mars 1852 et les arrêtés du ] septembre 1852 et du 20 mai 1853 ; la loi du pr août 1879, les décrets des 12-14 mars 1880, 12-14 avril 1880 et 25-29 mars 1882 ; les décrets du 17 mars 1808 relatifs à l’exécution du règlement du 10 décembre 1800 ; la loi dû 8 février 1831 et l’ordonnance du 24 mai 1844.

Art. 4.

L’anil)assade auprès du Vatican et la direction des Cultes sont supprimées.

Art. 5.

À partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi seront et demeureront supprimés : toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte ; tous traitements, indemnités, subventions ou allocations accordés aux ministres des cultes, sur les fonds de l’État, des départements ou des communes.


Art. 5 bis.

Les sommes rendues disponibles par la suppression du budget des cultes seront employées à la détaxe de la contribution foncière des propriétés non bâties, à la culture desquelles participent effectivement les propriétaires eux-mêmes.

Seront appelées à bénéficier de la remise les cotes uniques ou totalisées qui ne sont pas supérieures à 40 francs, à la condition que la part revenant à l’État sur la contribution personnelle mobilière, à laquelle sont assujettis les contribuables dans leurs diverses résidences, ne dépasse pas 25 francs.


Art. 6.

À partir de la même date, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux : cathédrales, églises paroissiales, temples, synagogues, etc., ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation : archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’État, les départements ou les communes.


Art. 7.

Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses épiscopales ou curiales, aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux et autres établissements publics des différents cultes seront, dans un délai de six mois, à partir de la promulgation de la présente loi, repartis par les établissements précités, existant à cette date, entre les associations formées pour l’exercice et l’entretien du culte dans les diverses circonscriptions religieuses. Cette répartition ne donnera lieu à la perception d’aucun droit au profit du Trésor.

Les biens immobiliers qui proviennent de dotations de l’État feront retour à l’État.


Art. 7 bis.

Les biens appartenant aux fabriques, consistoires ou conseils presbytéraux, qui ont été spécialement affectées par l’auteur d’une libéralité à une œuvre de bienfaisance seront, dans le délai de six mois, attribués par les établissements précités, soit aux bureaux de bienfaisance, soit aux hospices, soit à tous autres établissements de bienfaisance publics ou reconnus d’utilité publique.

Le choix de l’établissement bénéficiaire de la dévolution devra être ratifié par le Conseil d’État, s’il est conforme à la volonté du donateur ou du testateur. Cette attribution ne donnera lieu à aucun droit au profit du Trésor.


Art. 8.

Aux ministres des cultes, actuellement en exercice, archevêques, évêques, curés, vicaires, desservants, aumôniers, pasteurs, rabbins, présidents de consistoires, inspecteurs ecclésiastiques, suffragants et vicaires des églises réformées et de la Confession d’Augsbourg ; directeurs et professeurs de séminaires, doyens et professeurs des Facultés de théologie, etc., qui auront au moins quarante-cinq ans d’âge et vingt ans de fonctions rémunérées par l’État, les départements ou les communes, il sera alloué une pension viagère. Réserve est faite des droits acquis en matière de pension par application de la législation antérieure.


Art. 9.

Cette pension, basée sur le traitement et proportionnelle au nombre des années de fonctions rétribuées par l’État, les départements et les communes, ne pourra être supérieure à 1.200 francs.

Elle ne pourra, en aucun cas, dépasser le montant du traitement actuel de l’ayant droit, ni se cumuler avec toute autre pension ou tout autre traitement à lui alloué à un titre quelconque par l’État, les départements ou les communes.


Art. 10.

Le payement des pensions ecclésiastiques aura lieu par trimestre. La jouissance courra au profit du pensionnaire du premier jour de l’exercice qui suivra la promulgation de la présente loi. Les arrérages des pensions inscrites se prescrivent par trois ans. La condamnation à une peine affiictive et infamante entraîne de plein droit la privation de la pension. Les pensions et leurs arrérages sont incessibles et insaisissables, si ce n’est jusqu’à concurrence d’un cinquième pour dettes envers le Trésor public et d’un tiers pour les causes exprimées aux articles 203, 205 et 214 du Code civil.


TITRE III
Propriété et location des édifices du culte.
Art. 11.

Les édifices antérieurs au Concordat qui ont été affectés à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises paroissiales, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, bâtiments des séminaires, ainsi que les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’État ou des communes.

Les édifices postérieurs au Concordat, construits sur des terrains qui appartenaient aux établissements publics des cultes ou avaient été achetés par eux avec des fonds provenant exclusivement de collectes, quêtes ou libéralités des particuliers, sont la propriété de ces établissements.


Art. 12.

Dans un délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, ils seront dévolus par lesdits établissements à l’association civile de la circonscription religieuse intéressée.


Art. 13.

Les édifices servant ou ayant servi aux cultes, qui appartiennent à l’État ou aux communes, sont inaliénables, sauf dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique. La location n’en peut être faite qu’à titre onéreux et pour une durée maximum de dix ans.


Art. 14.

Pendant une période d’une année à partir de la promulgation de la présente loi, l’État et les communes sont tenues de consentir pour une durée de dix ans la location de ces édifices aux associations formées pour assurer l’exercice et l’entretien du culte.

Le prix du loyer ne pourra être supérieur à 10 % du revenu annuel moyen de la circonscription religieuse intéressée, telle qu’elle se trouve actuellement constituée.

Le revenu sera calculé sur la moyenne des cinq dernières an nées.

Tous les frais de réparations locatives, d’entretien et de grosses réparations, sauf celles qui seraient causées par un sinistre ne pouvant être couvert par un contrat d’assurances sont à la charge des locataires.

Toutefois, pour plus de garanties et sans déroger à la responsabilité générale prévue dans le paragraphe ci-dessus, des locataires seront tenus de contracter une assurance contre les risques spéciaux de l’incendie et de la foudre.

La résiliation est de droit dans le cas où les lieux loués ne seraient pas entretenus en bon état.


Art. 15.

Les lois, décrets et règlements relatifs à la conservation et à fondation) pour les cérémonies ou services religieux, pour la lo être appliqués à tous les immeubles et, meubles servant au culte rentrant ou pouvant rentrer dans cette catégorie.


TITRE IV
Associations pour l’exercice du culte.
Art. 16.

Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien des cultes sont soumises aux prescriptions de la loi du 1er juillet 1901, sous la réserve des modifications ci-après.


Art. 17.

Elles pourront recevoir, en outre des cotisations prévues par l’article 6 de cette loi, le produit des quêtes et collectes pour les frais et l’entretien du culte, percevoir des taxes (même par inondation) pour les cérémonies ou services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration intérieure et extérieure de ces édifices.


Art. 18.

Lesdites associations ne pourront, sous quelque forme et pour quelque raison que ce soit, recevoir de subventions de l’État, des départements ou des communes.

La prestation de meubles et immeubles servant au culte, consentie dans les conditions des articles 13 et 14, ne constitue pas une subvention.


Art. 19.

Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 18 août 1901, constituer des unions avec administration ou direction centrale.


Art. 20.

Les valeurs mobilières disponibles des associations formées pour assurer l’exercice du culte seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte.

Toutefois, ce capital pourra être augmenté de sommes qui, placées en titres nominatifs déposés à la Caisse des dépôts et consignations, seront, après avis du Conseil d’État, exclusivement affectés, compris les intérêts, à l’achat, à la construction ou à la réparation d’immeubles ou meubles jugés indispensables pour les besoins de l’association.

Art. 20 bis.

Les biens meubles et immeubles appartenant aux associations seront soumis aux mêmes impôts que ceux des particuliers.

Ils ne seront pas assujettis à la taxe d’accroissement. Toutefois, les immeubles, propriétés de ces associations, seront passibles de la taxe de mainmorte.


TITRE V
Police des cultes.
Art. 21.

Les cérémonies pour la célébration d’un culte sont assimilées aux réunions publiques. Elles sont dispensées des formalités de l’article 8, mais restent à la surveillance des autorités dans l’intérêt de l’ordre public. La déclaration en sera faite dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Une seule déclaration suffira pour l’ensemble des cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification dans le choix du local devront être précédées’ d’une déclaration nouvelle.


Art. 22.

Il est interdit de se servir de l’édifice consacré au culte pour y tenir des réunions politiques. Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 1.000 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines en la personne des auteurs responsables.


Art. 23.

Seront punis d’une amende de 50 à 500 francs et d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois ou de l’une de ces deux peines, ceux qui, par injures, menaces, violences ou voies de fait, tenteront de contraindre une ou plusieurs personnes à contribuer aux frais d’un culte ou à célébrer certaines fêtes religieuses ou bien de les empêcher de participer à l’exercice d’un culte, d’observer tel ou tel jour de repos, ou de s’abstenir de les observer, soit en les forçant à ouvrir ou fermer leurs ateliers, boutiques, magasins, ou de quelque manière que ce soit.


Art. 24.

Ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou des désordres dans l’édifice servant au culte, ou qui auront, par paroles ou gestes, outragé les objets d’un culte dans le temple même affecté à l’exercice de ce culte, seront punis d’une amende de 16 à 300 francs et d’un emprisonnement de six jours à un mois ou de l’une de ces peines

Lesdites peines pourront être portées au double en cas de voies de fait contre les personnes.


Art. 25.

Les dispositions de l’article ci-dessus ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les autres dispositions du Code pénal.


Art. 26.

Tout ministre du culte qui, dans l’exercice de ses fonctions et en Assemblée publique, aura, soit en lisant un écrit contenant des instructions pastorales, soit en tenant lui-même un discours, outragé ou diffamé un membre du Gouvernement, des Chambres ou une autorité publique, sera puni d’une amende de 500 à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an ou de l’une de ces deux peines.


Art. 27.

Si un discours prononcé ou un écrit lu par un ministre du culte dans l’exercice de ses fonctions et en assemblée publique contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui l’aura prononcé sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an, si la provocation n’a été suivie d’aucun effet, et d’un emprisonnement de un an à trois ans si elle a donné lieu à une résistance autre, toutefois, que celle qui aurait dégénéré en révolte, sédition ou guerre civile.


Art. 28.

Lorsque la provocation aura été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile dont la nature donnera lieu, contre un ou plusieurs coupables, à des peines plus graves que celles portées à l’article précédent, cette peine, quelle qu’elle soit, sera appliquée au ministre du culte coupable de provocation.


Art. 29.

L’auteur de l’écrit qui aura été lu par le ministre du culte dans les conditions ci-dessus indiquées, sera, en cas de complicité établie, puni des peines portées aux articles précédents contre le ministre du culte coupable.

Art. 29 bis.

Dans le cas de poursuites exercées par application des articles 27 et 28, l’association constituée pour l’exercice du culte locataire de l’immeuble dans lequel le délit aura été commis, sera assignée en responsabilité civile.


Art. 30.

L’article 403 du Code pénal et la loi de sursis sont applicables à tous les cas dans lesquels la présente loi édicté des pénalités


Art. 31.

Dans tous les cas de culpabilité prévus et punis par la présente loi, le contrat de location de l’édifice, propriété de la commune ou de l’État, où le délit aura été commis par un ministre du culte, pourra être résilié.


TITRE VI
§ 1er. — Manifestations et signes extérieurs du culte.
Art. 32.

Les processions et autres cérémonies ou manifestations extérieures du culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune. Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.


Art. 33.

La formule du serment judiciaire est libre. Nul ne peut être tenu de prêter serment sur un emblème philosophique ou religieux, ou dans des termes susceptibles de porter atteinte à la liberté de sa conscience.


Art. 34.

Aucun signe ou emblème particulier d’un culte ne peut être élevé, érigé, fixé et attaché en quelque emplacement public que soit, à l’exception de l’enceinte destinée aux exercices du culte, des cimetières, sous les conditions ci-après, et des musées. Ceux qui existent contrairement à la présente disposition pourront être enlevés par les autorités publiques compétentes, sauf dans le cas où il s’y attacherait une valeur ou un intérêt artistique ou historique spécial,

Il est interdit d’en rétablir ou établir sous peine d’une amende de 100 à 2.000 francs.

§ 2. — Cimetières.


Art. 35.

Les cimetières appartiennent aux communes. L’autorité en a la garde, la police, l’entretien.


Art. 36.

Il est interdit de bénir, consacrer, ou de faire bénir et consacrer par une cérémonie religieuse, un cimetière tout entier ou une portion de ce cimetière contenant plusieurs tombes.

Il est interdit d’y ériger ou d’y faire ériger des emblèmes religieux ayant un caractère collectif, sauf sur la sépulture unique consacrée à une famille ou à une collectivité.

Toute infraction sera punie d’une amende de 100 à 500 francs et, en cas de récidive, de deux à cinq jours de prison.

La destruction de l’emblème illégalement érigé sera ordonnée. Elle aura lieu aux frais du coupable.


Art. 37.

Les ornements et inscriptions funéraires sur les tombes ou monuments particuliers demeurent soumis à l’autorité municipale. Toutefois, ils ne peuvent être interdits, supprimés ou modifiés qu’au cas où ils porteraient atteinte aux lois, aux bonnes mœurs et à la paix publique.


Art. 38.

Tout concessionnaire ou membre de la famille, enlevant, détruisant ou faisant enlever ou détruire un emblème philosophique ou religieux déposé en vertu de la volonté du défunt, même par un étranger, sera puni des peines portées contre la violation de sépulture à l’article 300 du code pénal.


Art. 39.

Il est interdit aux autorités publiques d’assigner des heures spéciales ou des modes particuliers pour la célébration des obsèques, sous quelque prétexte philosophique ou religieux que ce puisse être.

D’assigner des places spéciales aux suicidés ou aux personnes non baptisées ou de religion différente de celle de te, majorité des habitants de la commune.

Ou de faire quoi que ce soit de nature à déshonorer la mémoire d’une personne, de quelque façon qu’elle soit morte, ou qu’elle se fasse ensevelir, ou qu’elle ait vécu. Toute infraction à ces dispositions entraînera la révocation du magistrat municipal qui s’en sera rendu coupable.

Art. 40.

Un règlement d’administration publique déterminera les mesures propres à assurer l’exécution de la présente loi.


La Commission en était là de ses travaux ; elle procédait déjà à une deuxième et dernière délibération sur son texte quand, le 10 novembre 1904, lui fut renvoyé le projet de loi ci-dessous que M. Émile Combes, Président du Conseil, Ministre de l’Intérieur et des Cultes, venait de déposer, au nom du Gouvernement, sur le bureau de la Chambre.


Projet Combes
TITRE PREMIER
§ 1er. — Suppression des dépenses des cultes. — Répartition des biens. — Pensions.
Article Premier

À partir 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi sont et demeurent supprimés : toutes dépenses publiques pour l’exercice ou l’entretien d’un culte ; tous traitements, demnités, subventions ou allocations accordés aux ministres un culte sur les fonds de l’État, des départements, des communes ou des établissements publics hospitaliers.


Art. 2.

Pendant deux ans, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, la jouissance gratuite des édifices du culte sera laissée aux associations dont il sera parlé au titre II ci-après.

Après cette période de temps écoulé, cessera de plein droit l’usage gratuit des édifices religieux ; cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, ainsi que des bâtiments des séminaires et des locaux d’habitation : archevêchés, évêchés, presbytères, mis à la disposition des ministres des cultes par l’État, les départements et les communes.


Art. 3.

Les biens mobiliers et immobiliers appartenant aux menses, fabriques, consistoires, conseils presbytéraux et autres établissements publics préposés aux cultes antérieurement reconnus, seront concédés à titre gratuit aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.

Ces concessions, qui n’auront d’effet qu’à partir du 1er janvier qui suivra la pronmlgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’État ou par arrêté préfectoral, suivant que la valeur des biens s’élèvera ou non à 10.000 francs, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période. Elles pourront être renouvelées dans les mêmes conditions pour des périodes de même longueur ou d’une longueur moindre.

Ne pourront être compris dans ces concessions : 1o les immeubles provenant de dotations de l’État, qui lui feront retour ; 2o les biens ayant une destination charitable, qui seront attribuées par décret en Conseil d’État ou par arrêté préfectoral, suivant la distinction précitée, aux établissements publics d’assistance situés dans la commune ou dans l’arrondissement. Les biens non concédés dans un délai d’une année, à dater de la promulgation de la présente loi, ou dont la concession ne serait pas redemandée, seront attribués dans les mêmes fermes entre les établissements d’assistance ci-dessus visés.


Art. 4.

Les ministres du culte qui, par application de la présente loi, cesseront de remplir des fonctions rétribuées par l’État, rece-Tont les pensions et allocations suivantes :

1o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 60 ans et comptant 25 ans de service au moins, 900 francs ; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 350 francs ;

2o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 50 ans et comptant au moins 20 ans de service, 750 francs ; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 300 francs.

3o Les curés et desservants, vicaires généraux et chanoines, âgés de plus de 40 ans et comptant 15 ans de service au moins, 600 francs ; les vicaires remplissant les mêmes conditions, 250 francs,

4o Les curés et desservants, âgés de moins de 40 ans, recevront, pendant 4 ans, une allocation de 400 francs.

Les ministres des cultes protestant et israéhte, les directeurs et professeurs des séminaires de ces cultes auront les mêmes pensions et allocations que celles attribuées aux curés et desservants, suivant les distinctions précitées et à des taux calculés dans les mêmes proportions que ci-dessus par rapport aux traitements actuels.

Les archevêques et évêques, le grand rabbin du Consistoire central auront une pension de 1.200 francs.

Ces pensions et allocations cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante ou pour un des délits visés par les articles 17 et 19 de la présente loi.

Les conditions de payement de ces pensions et allocations, ainsi que toutes les mesures propres à assurer l’exécution du présent article, seront déterminées par un règlement d’administration publique.


Art. 5.

Les édifices et autres biens affectés aux cultes antérieurement reconnus, qui appartiennent à l’État, aux départements ou aux communes, seront concédés, à titre onéreux, aux associations qui se formeront pour l’exercice d’un culte, dans les anciennes circonscriptions ecclésiastiques où se trouvent ces biens.

Ces concessions, qui n’auront d’effet que deux ans à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront faites dans les limites des besoins de ces associations, par décret en Conseil d’État ou par arrêté préfectoral, suivant que les biens appartiendront soit à l’État, soit aux départements ou aux communes, pour une période de dix années et à charge d’en rendre compte à l’expiration de cette période et de supporter les frais d’entretien et de grosses réparations.

Elles pourront être renouvelées, sous les mêmes conditions, pour des périodes de même longueur ou des périodes moindres.

Le prix de la concession ne pourra dépasser le dixième des recettes annuelles de l’association constatées d’après les dispositions de l’article 9 de la présente loi.

Des subventions pour grosses réparations pourront être accordées aux départements et aux communes dans les limites du crédit inscrit annuellement au budget du Ministère de l’intérieur.

Les biens non reconnus utiles pour les besoins des associations d’un culte ou dont la concession n’aura pas été redemandée pourront, dans les mêmes formes, être concédés à un autre culte ou affectés à un service public.

Les Conseils municipaux et les Conseils généraux seront appelés à donner leur avis pour la concession des biens communaux ou départementaux.

TITRE II
§ 1er. — Associations pour l’exercice d’un culte.
Art. 6.

Les associations formées pour subvenir aux frais et à l’entretien d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901 ; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous la réserve des dispositions ci-après :

Elles devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’un culte.

Elles ne pourront employer aucun étranger dans les fonctions de ministre du culte.

Leurs administrateurs ou directeurs devront être Français, jouir de leurs droits civils, et avoir leur domicile dans le canton où se trouvent les immeubles consacrés à l’exercice du culte.


Art. 7.

Outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, elles pourront recevoir le produit des quêtes et collectes faites pour les frais et l’entretien d’un culte, dans les édifices consacrés à l’exercice public de ce culte, percevoir des taxes ou rétributions, même par fondations, pour les cérémonies et services religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.


Art. 8.

Ces associations pourront, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions. Ces unions ne pourront dépasser les limites d’un département.


Art. 9.

Les associations tiennent un état de leurs recettes et de leurs dépenses ; elles dressent chaque année le compte financier de l’année écoulée et l’état inventorié de leurs biens meubles et immeubles.

Elles peuvent constituer un fonds de réserve dont le montant ne devra pas être supérieur au tiers de l’ensemble de leurs recettes annuelles.

Ce fonds de réserve sera placé soit à la Caisse des dépôts et consignations, soit en titres nominatifs de rentes françaises ou de valeurs garanties par l’État.

À défaut par une association de remplir les charges de réparations qui lui sont imposées par l’article 5 pour les immeubles concédés, le fonds de réserve pourra être employé par arrêté préfectoral pris après mise en demeure restée sans efi’et, à réparer lesdits immeubles.

Outre ce fonds de réserve, elles pourront verser à la Caisse des dépôts et consignations d’autres sommes, mais seulement en vue de l’achat ou de la construction d’immeubles nécessaires à l’exercice du culte.

Elles seront tenues de représenter sans déplacement, sur toute réquisition du préfet, à lui-même ou à son délégué, les comptes et états ci-dessus prévus.


Art. 10.

Sont passibles d’une amende de seize à mille francs (16 à l.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs et administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux dispositionsdes articles 6, 7, 8 et 9.

TITRE III
Police des cultes et garantie de leur libre exercice.
Art. 11.

Les cérémonies d’un culte, les processions et autres manifestations religieuses ne peuvent avoir lieu sur la voie publique, ni dans aucun lieu public, à l’exception des cérémonies funèbres, ni dans aucun édifice public autre que ceux qui sont concédés à un culte dans les conditions déterminées par la présente loi.

Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices concédés pour l’exercice d’un culte, des terrains de sépulture privée dans les cimetières, ainsi que des musées ou expositions publics.


Art. 12.

Les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’après déclaration faite dans les conditions et les formes prescrites pour les réunions publiques, par l’article 2 de la loi du 30 juin 1881. Outre les noms, qualités et domiciles des déclarants, la déclaration indiquera ceux des ministres du culte appelés à exercer leur ministère.

Une seule déclaration suffit pour un ensemble de cérémonies ou assemblées cultuelles permanentes ou périodiques. Elle cesse de produire effet à l’expiration d’une année.

Toute réunion non comprise dans la déclaration, toute modification dans le choix du local ou des ministres du culte doivent être précédées d’une déclaration nouvelle.

Les représentants ou délégués de l’autorité publique ont toujours accès dans les lieux de réunion pour l’exercice d’un culte.


Art. 13.

Il est interdit de se servir de l’édifice consacré à un culte pour y tenir des réunions politiques.


Art. 14.

Les contraventions aux trois articles précédents sont punies d’une amende de cinquante à mille francs (50 à 1.000 fr.) et les infractions à l’article 13 peuvent être, en outre, punies d’un emprisonnement de quinze jours à trois mois.

Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 12 et 13, ceux qui ont organisé la réunion, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et ceux qui ont fourni le local.


Art. 15.

Sont punis d’une amende de cent. à mille francs (100 à 1.000 fr.) et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, ceux qui, soit par menaces ou abus d’autorité, soit en faisant craindre à autrui de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, auront tenté de contraindre ou d’empêcher une ou plusieurs personnes d’exercer un culte, de contribuer aux frais de ce culte, de célébrer certaines fêtes, d’observer tel ou tel jour de repos et, en conséquence, d’ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou quitter certains travaux.


Art. 16.

Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres dans un édifice consacré à ce culte conformément à la loi.


Art. 17.

Sera puni des mêmes peines tout ministre d’un culte qui, dans l’exercice de ce culte, se rendra coupable d’actes pouvant compromettre l’honneur des citoyens et dégénérer contre eux en oppression, en injure ou en scandale public, notamment par des inculpations dirigées contre les personnes.


Art. 18.

Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, soit outragé ou diffamé un membre du Gouvernement ou des Chambres, ou une autorité publique, soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer à s’abstenir de voter, sera puni d’une amende de cinq cents à trois mille francs (500 à 3.000 fr.) et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.


Art. 19.

Si un discours prononcé ou un écrit affiché, lu ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.


Art. 20.

Dans les cas de poursuites exercées par application des articles 12, 13, 17, 18 et 19, l’association propriétaire, concessionnaire ou locataire de l’immeuble dans lequel le délit a été commis, et ses directeurs et administrateurs sont civilement et solidairement responsables.

Si l’immeuble a été concédé en vertu de la présente loi, la concession en peut être retirée dans les formes où elle a été faite. La fermeture du local peut être immédiatement ordonnée par l’autorité judiciaire, qui prononce une condamnation pour infraction aux articles 13, 17, 18 et 19.

TITRE IV
Dispositions générales et transitoires.
Art. 21.

Un règlement d’administration publique déterminera îes mesures propres à assurer l’application de la présente loi. Il réglementera en outre les sonneries de cloches.


Art. 22.

L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicté des pénalités.


Art. 23.

Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois du 1er juillet 1901, du 4 décembre 1902 et du 7 juillet 1904.


Art. 24.

La direction des cultes continuera à fonctionner pour assurer l’exécution de la présente loi.

Art. 25.

Sont abrogées toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires à la présente loi et notamment :

1o La loi du 18 germinal an X, qui a déclaré que la convention du 20 messidor an IX, entre le gouvernement français et le Pape, ensemble les articles organiques de ladite convention, seraient promulgués et exécutés comme loi de la République ;

2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ;

3o Le décret du 17 mars 1808 et la loi du 8 février 1831 sur le culte israélite ;

4o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal ;

5o Les articles 100 et 101, les paragraphes 11 et 12 de l’article 136 de la loi du 5 avril 1884.


Il suffisait de lire ce projet pour constater que son économie générale était sensiblement différente du projet provisoirement adopté par la Commission. En ce qui concerne, par exemple, le régime de la propriété et de la location des édifices du culte, celui des associations cultuelles, le système des pensions, les solutions proposés par le Gouvernement étaient en désaccord flagrant avec celles de la Commision.

Pour l’attribution de la propriété des biens immobiliers des Églises, constitués à leur profit depuis le Concordat par dons et libéralités provenant en tout ou partie des fidèles, la Commission proposait une solution qui n’était peut-être pas très juridique, mais avait, du moins, le mérite de trancher la question une fois pour toutes, d’une façon nette et définitive. Elle avait fait deux parts des édifices : ceux qui ont été construits sur des terrains de l’État ou des communes ou achetés au moyen de leurs subventions ; ceux, au au contraire, qui ont été bâtis sur des terrains donnés par les fidèles ou achetés avec le produit de leurs dons et libéralités. Les premiers étaient déclarés propriété de l’État ou des communes ; les seconds propriété des Églises.

Le système proposé par le Gouvernement ne tranchait pas la question de propriété. Des biens ecclésiastiques, mobiliers ou immobiliers, qui sont postérieur au Concordat, il faisait un lot que l’État, après prélèvement des biens donnés par lui ou avant une destination charitable, répartirait par voie de concessions décennales renouvelables, entre les associations cultuelles dans la limite de leurs besoins. L’avantage de ce système serait de permettre la constitution, au profit des paroisses pauvres, d’un patrimoine pour assurer, l’exercice du culte. Grâce à cette manière de procéder, l’État étant juge et maître de la répartition aurait sur l’emploi de œs biens un droit de contrôle qui n’est certes pas négligeable. Mais ce système devait avoir pour conséquence de perpétuer l’immixtion de l’État dans l’administration des choses ecclésiastiques. D’où la nécessité, dans le projet du Gouvernement, de conserver la direction des cultes que la Commission se plaçant à un autre point de vue, avait cru pouvoir supprimer.

En tout cas, si, sur ce point, le projet du Gouvernement pouvait paraître acceptable, il n’en était pas de même quant au silence gardé par lui sur la question de propriété relative aux biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat. Il était imprudent et dangereux de ne pas aflimer avec force et netteté, comme l’avait fait la Commission, la propriété de l’État ou des communes.

M. Combes n’avait pas cru nécessaire d’affirmer le droit de propriété de l’État et des communes, parce qu’il lui avait suffisamment établi par une jurisprudence constante. Mais la jurisprudence, c’evst pure affaire d’interprétation, et celle-ci peut varier selon les cas, les temps et les jugés. Jusqu’à ce jour, il est bien vrai que les décisions de la justice ont été conforme au droit de l’État et des communes ; qui pourrait assurer que demain il n’en serait pas autrement ?

Puis, un jugement, un arrêt, valent seulement pour les cas qu’ils ont appréciés ; leur portée n’est pas générale ; leur force exécutoire est strictement limitée à l’espèce jugée. Il en résulte que le projet du Gouvernement, une fois transformé en loi, rencontrerait des difficultés d’application presque insurmontables. Partout, dans toutes les paroisses, l’Église revendiquerait la propriété des édifices antérieurs au Concordat. Avant que l’État pût en disposer, il faudrait que cette question préjudicielle fût tranchée. Ce seraient des procès innombrables et interminables.

Puisqu’une occasion s’offrait de consacrer l’œuvre de la dévolution en affirmant, une fois pour toutes, et sans contestation possible, le droit de l’État et des communes, pourquoi ne pas la saisir ?

Mais c’est aussi quant à la disposition des biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat, que les solutions de la Commission et du Gouvernement apparaissaient divergentes. Alors que la première rendait à l’État et aux communes, après une période de location de dix ans obligatoire, la libre disposition de leur propriété, celle du Gouvernement édictait, aux profits des associations cultuelles, un système de concessions décennales indéfiniment reno’uvelables, même pour les immeubles des départements ou des communes qui se seraient montrés hostiles au rejiouvellement. Il en résultait une grave atteinte au principe de la séparation. Cette obligation indéfinie, imposée aux communes et aux départements de laisser leurs biens entre les mains des représentants des Églises, prenait, en effet, le caractère d’une véritable subvention en faveur des cultes. C’était en outre là aussi, l’immixtion de l’État qui se perpétuait dans les affaires ecclésiastiques.

Sur le chapitre des pensions aux ministres des cultes la dissemblance était tout entière dans une question de mesure. Le projet de la Commission ne pensionnait que les ministres des cultes qui réalisaient certaines conditions d’âge et de durée des services concordataires. Celui du Gouvernement, beaucoup moins exigeant, tant pour l’âge que pour la durée des services, allait jusqu’à accorder, pendant une période de quatre années, à tous les curés et desservants concordataires sans exception, une subvention de quatre cents francs.

D’après une application de ce système de pensions, faite par les soins de la Direction des Cultes, il devait entraîner pour l’État une dépense annuelle de 22.444.500 francs, qui irait, naturellement, en décroissant chaque année.

Quant au régime des associations actuelles, la différence la plus importante entre les deux textes était relative aux unions. Alors que la Commission les avait autorisées, même nationales, le projet du Gouvernement, par son article 8, les enfermait dans les limites du département. C’était imposer aux Églises une formation arbitraire qui, en les contraignant à modifier leur organisation intérieure, pouvait entraîner pour elles les difficultés les plus graves. Les Eglises protestantes dont les fidèles, peu nombreux relativement sont disséminés sur tous les points de la France, n’auraient pas pu s’accommoder de ce régime. Il en eût été de même pour la religion Israélite.

Enfin, au chapitre de la police des cultes, pour ne noter que l’innovation la plus grave apportée par le projet Combes, nous signalerons l’article 17 dont les îrmes imprécis et vagues étaient de nature à inquiéir les consciences par l’interprétation arbitraire mquel ils pouvaient donner lieu.

Le premier examen du projet du Gouvernement provoqua, au sein de la Commission, les résistances les plus vives. Finalement les membres de la majorité consentirent à délibérer sur les articles, mais après de fortes réserves, et seulement parce que les circonstances commandaient d’éviter un conflit qui, eai ajournant à plusieurs mois la discussion devant la Chambre, eût irrémédiablement compromis, au moins dans cette législature, le succès de la réforme. Mais s’ils consentaient à adopter le projet soumis à leurs délibérations c’était à la condition expresse que des modifications importantes fussent consenties par le Gouvernement sur les points de divergences les plus graves.

Le rapporteur fut chargé de s’entremettre auprès du Président du Conseil à fin de transaction. Dès la première entrevue, il devint évident que M. Combes, animé du plus vif désir de conciliation, accepterait d’entrer dans les vues de la Commission pour Je règlement de la plupart des difficultés qui lui étaient signalées. Il consentit successivement : 1o à insérer en tête de son projet une déclaration de principes conforme à celle du texte de la Commission : 2o à affirmer le droit de propriété de l’État et des communes sur tous les biens mobiliers et immobiliers antérieurs au Concordat ; 3o à remettre à l’État et aux communes la libre disposition de ces biens dès l’expiration de la période de dix ans obligatoire pour la location aux associations cultuelles ; 4o à n’imposer aux unions d’autres limites que celles des circonscriptions ecclésiastiques existantes ; 5o à supprimer les délits spéciaux créés par l’article 17.

Il ne restait plus à régler que la question des pensions de quelques points de détails relatifs à l’ingérence de l’Administration préfectorale dans les affaires ecclésiastiques pour aboutir à l’accord complet et définitif. Le rapporteur ne désespérait pas d’y réussir, et déjà il se proposait de tenter une dernière démarche dans ce but, quand le ministère Combes prit la résolution de quitter le pouvoir.

L’un des premiers actes de son successeur fut de saisir la Chambre d’un nouveau projet sur la séparation des Églises et de l’État. Déposé le 9 février 1905, il fut renvoyé à l’étude de votre Commission. En voici le texte :


Projet du Gouvernement
TITRE PREMIER
Principes.
Art. premier

L’État ne reconnaît ni ne salarie aucun culte.

Les établissements publics des cultes actuellement reconnus sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l’article 3.

Seront également supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.


Art. 2

L’exercice des cultes est libre sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.

TITRE II
Dévolutions des biens appartenant aux établissements publics des cultes. — Pensions.
Art. 3

Les établissements dont la suppression est ordonnée par l’article premier continueront provisoirement de fonctionner, conformément aux dispositions qui les régissent actuellement, jusqu’à la dévolution de leurs biens aux associations prévues par le titré IV et au plus tard jusqu’à l’expiration du délai ci-après.


Art. 4

Dans un délai d’un an, à partir de la promulgation de la présente loi, les biens mobiliers et immobiliers appartenant au menses, fabriques, conseils presbytéraux, consistoires et autres établissements ecclésiastiques seront attribués par les représentants légaux de ces établissements aux associations qui se seront légalement formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements.

Toutefois, les biens mobiliers ou immobiliers provenant de dotations de l’État feront retour à l’État.

Les biens mobiliers ou immobiliers grevés d’une affectation charitable ou de toute autre affectation étrangère à l’exercice du culte seront attribués par les représentants légaux des établissements ecclésiastiques, dans les limites de leurs circonscriptions respectives, aux services ou établissements publics dont la destination est conforme à celle desdits biens. Cette attribution devra être approuvée par le Préfet du département où siège l’établissement ecclésiastique. En cas de non approbation, il sera statué par décret en Conseil d’État.


Art. 5.

Faute par un établissement ecclésiastique d’avoir, dans le délai fixé par l’article précédent, procédé aux attributions ci-dessus prescrites, il y est pourvu par le Préfet.


Art. 6.

En cas de dissolution d’une association, les biens qui lui ont été dévolus en exécution des articles 4 et 5 sont attribués par elle à une association analogue existant soit dans la même circonscription, soit dans les circonscriptions limitrophes.

À défaut d’accord, cette attribution est faite, à la requête de la partie la plus diligente, par le tribunal de l’arrondissement où l’association a son siège.


Art. 7.

Les attributions prévues par les articles précédente ne donnent lieu à aucune perception au profit du Trésor.


Art. 8.

Les ministres des cultes, actuellement salariés par l’État, recevront à partir de la cessation de leur traitement une pension viagère annuelle qui sera égale à la moitié ou aux deux tiers de leur traitement, suivant qu’ils compteront au moins vingt ou trente ans de services rétribués par l’État, sans toutefois que cette pension puisse être inférieure à 400 francs ni supérieure à 1.200 francs.

Les ministres des cultes, qui compteront moins de vingt années de services rétribués par l’État, recevront une allocation annuelle de 400 francs pendant un temps égal à la moitié de la durée de leurs services.

Ces pensions et allocations seront incessibles et insaisissables dans les mêmes conditions que les pensions civiles. Elles cesseront de plein droit en cas de condamnation à une peine afflictive ou infamante. Elles seront suspendues pendant un délai de deux ans en cas de condamnation pour un des délits prévus aux artide la présente loi.

TITRE III
Des édifices des cultes.
Art. 9

Les édifices antérieurs au Concordat, qui ont été affectés à l’exercice des cultes ou au logement de leurs ministres, cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires, ainsi que leurs dépendances immobilières et les objets mobiliers qui les garnissaient au moment où lesdits édifices ont été mis à la disposition des cultes, sont et demeurent propriétés de l’État ou des communes, qui devront en laisser la jouissance gratuite, pendant deux années à partir de la promulgation de la présente loi, aux établissements ecclésiastiques ou aux associations formées pour l’exercice du culte dans les anciennes circonscriptions des établissements ecclésiastiques supprimés.

L’État et les communes seront soumis à la même obligation en ce qui concerne les édifices postérieurs au Concordat, dont ils seraient propriétaires.

À l’expiration du délai ci-dessus fixé, l’État et les communes devront consentir aux associations, pour une durée n’excédant pas dix ans, la location de ces édifices.

Le loyer ne pourra être supérieur à dix pour cent du revenu annuel moyen des établissements supprimés, ledit revenu calculé d’après les résultats des cinq dernières années antérieures à la promulgation de la présente loi.

La location pourra être renouvelée au profit des associations par périodes successives de dix ans au maximun Chaque renouvellement ne pourra avoir lieu que dans les deux dernières années du bail en cours.

Les réparations locatives, et d’entretien seront à la charge des établissements ou des associations qui seront tenus, en outre, de contracter une assurance contre les risques de l’incendie et de la foudre.

En cas d’inexécution de ces prescriptions, la location sera résiliée de plein droit.

Les associations locataires ne pourront se prévaloir contre l’État et les communes des dispositions de l’article 1720 du Code civil.


Art. 10.

Les édifices du culte, dont les établissements ecclésiastiques seraient propriétaires, seront, avec les objets mobiliers les garnissant, attribués aux associations dans les conditions déterminées par le titre II.


Art. 11.

Les objets mobiliers mentionnés au paragraphe premier de l’article 9, qui n’auraient pas encore été inscrits sur la liste de classement dressée en vertu de la loi du 30 mars 1887, sont, par l’effet de la présente loi, ajoutés à ladite liste. Toutefois, il sera procédé par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, dans le délai de trois ans, au déclassement de ceux de ces objets, dont la conservation ne présenterait pas au point de vue de l’histoire ou de l’art un intérêt suffisant. En outre, les immeubles et les objets mobiliers, attribués en vertu de la présente loi aux associations, pourront être classés dans les mêmes conditions que s’ils appartenaient à des établissements publics.

Il n’est pas dérogé pour le surplus aux dispositions de la loi du 30 mars 1897.

TITRE IV
Des associations pour l’exercice des cultes.
Art. 12

Les associations formées pour l’exercice d’un culte devront être constituées conformément aux articles 5 et suivants de la loi du 1er juillet 1901 ; elles seront soumises aux autres prescriptions de cette loi sous réserve des dispositions ci-après.


Art. 13.

Elles devront avoir exclusivement pour objet l’exercice d’im culte.

Elles pourront recevoir, outre les cotisations prévues par l’article 6 de la loi du 1er juillet 1901, le produit des quêtes et collectes pour les frais du culte, percevoir des rétributions même par fondation pour les cérémonies du service religieux, pour la location des bancs et sièges, pour la fourniture des objets destinés au service des funérailles dans les édifices religieux et à la décoration de ces édifices.

Elles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements ou des communes. Ne seront pas considérées comme subvention les isommes que l’État, les départements ou les communes jugeront cosivenables d’employer aux grosses réparations des édifices du culte loués aux associa-Ppns.


Art. 14.

Ces associations peuvent, dans les formes déterminées par l’article 7 du décret du 16 août 1901, constituer des unions ayant une administration ou une direction centrale ; ces unions seront réglées par les articles 12 et 13 de la présente loi ; toutefois, les unions qui s’étendent sur plus de dix départements sont dépourvues de toute capacité juridique.


Art. 15.

Les valeurs mobilières disponibles des associations et unions seront placées en titres nominatifs. Leur revenu total ne pourra dépasser la moyenne annuelle des sommes dépensées pendant les cinq derniers exercices pour les frais et l’entretien du culte. Toutefois, ce capital pourra être augmenté de sommes qui, placées en titres nominatifs déposés à la Caisse des Dépôts et Consignations, seront exclusivement affectées, y compris les intérêts, à l’achat, à la construction ou à la réparation d’immeubles ou meubles destinés aux besoins de l’association ou de l’union.


Art. 16.

Seront passibles d’une amende de 16 à 100 francs et d’un emprisonnement de six jours à trois mois, ou de l’une de ces deux peines seulement, les directeurs ou administrateurs d’une association ou d’une union qui auront contrevenu aux articles 12, 13, 14 et 15.

Les tribunaux pourront, en outre, à la requête de tout intéressé ou du ministère pubîi-c, prononcer la dissolution de l’association ou de l’union.


Art. 17.

Les immeubles appartenant aux associations et unions seront soumis à la taxe de main-morte.

TITRE V
Police des cultes.
Art. 18

Les réunions pour la célébration d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’après une déclaration faite dans les formes de l’article 2 de la loi du 30 juin 1881 et indiquant le local dans lequel elles seront tenues.

Une seule déclaration suffit pour l’ensemble des réunions permanentes, périodiques ou accidentelles qui auront lien dans l’année.


Art. 19.

Il est interdit de tenir des réunions publiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte.


Art. 20.

Les processions et autres manifestations extérieures d’un culte ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une autorisation du maire de la commune.

Les sonneries de cloches sont réglées par arrêté municipal.


Art. 21.

Il est interdit à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture privée, ainsi que des musées ou expositions.


Art. 22.

Les contraventions aux articles précédents sont punies des peines de simple police.

Sont passibles de ces peines, dans le cas des articles 18, 19 et 20, ceux qui ont orgarnisé la réunion ou manifestation, ceux qui y ont participé en qualité de ministres du culte et, dans le cas des articles 18 et 19, ceux qui ont fourni le local.


Art. 23.

Sont punis d’une amende de 16 francs à 200 francs et d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte, à célébrer certaines fêtes, à observer certains jours de repos et, en conséquence, à ouvrir ou à fermer ses ateliers, boutiques ou magasins, et à faire ou quitter certains travaux.


Art. 24.

Seront punis des mêmes peines ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte par des troubles ou désordres causés dans le local servant à ces exercices.


Art. 25.

Les dispositions des deux articles précédents ne s’appliquent qu’aux troubles, outrages ou voies de fait, dont la nature ou les circonstances ne donneront pas lieu à de plus fortes peines d’après les dispositions du Code pénal.


Art. 26.

Tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura par des discours prononcés, des lectures faites, des écrits distribués ou des affiches apposées en public, soit outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, soit cherché à influencer le vote des électeurs ou à les déterminer de s’abstenir de voter, sera puni d’une amende de 500 à 3.000 francs et d’un emprisonnement de un mois à un an, ou de l’une de ces deux peines seulement.


Art. 27.

Si un discours prononcé ou un écrit affiché, ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il teiid à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile.


Art. 28.

Dans le cas de poursuites intentées devant les tribunaux de simple police ou de simple police correctionnelle par application des articles 18 et 19, 26 et 27, l’association constituée pour l’exercice du culte dans l’immeuble où l’infraction a été commise et ses directeurs et administrateurs sont civilement responsables. Si l’immeuble a été loué à l’association par l’État ou les communes en vertu de la présente loi, la résiliation du bail pourra e demandée.

TITRE VI
Dispositions générales.
Art. 29

L’article 463 du Code pénal est applicable à tous les cas dans lesquels la présente loi édicté des pénalités.


Art. 30.

Les congrégations religieuses demeurent soumises aux lois des 1er juillet 1901, 4 décembre 1902 et 7 juillet 1904.


Art. 31.

Un règlement d’administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la présente loi déterminera les mesures propres à assurer son application.


Art. 32.

Sont et demeurent abrogées toutes les dispositions relatives à l’organisation publique des cultes antérieurement reconnus par l’État ainsi que toutes dispositions contraires à la présente loi et notamment :

1o La loi du 18 germinal an X, portant que la convention passée le 26 messidor an IX, entre le pape et le Gouvernement français, ensemble les articles organiques de ladite convention et des cultes protestants, seront exécutés comme des lois de la République ;

2o Le décret du 26 mars 1852 et la loi du 1er août 1879 sur les cultes protestants ;

3o Le décret du 18 mars 1808, la loi du 8 février 1831 et l’ordonnance du 25 mai 1844 sur le culte Israélite ;

4o Les décrets des 22 décembre 1812 et 19 mars 1859 ;

5o Les articles 201 à 208, 260 à 264, 294 du Code pénal ;

6o Les articles 100 et 101, les §§ 11 et 17 de l’article 137 et l’article 166 de la loi du 5 avril 1884.



Il pouvait être procédé d’autant plus vite et plus facilement à l’examen de ce projet que la plupart de ses dispositions essentielles reproduisaient celles qu’avait elle-même adoptées la Commission antérieurement au dépôt du projet Combes. Quelques différences existaient bien entre les deux textes, notamment pour les pensions, pour la disposition des archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires ; mais ces différences, d’ordre secondaire, n’apparaissaient pas irréductibles. En effet, dès sa première entrevue avec la Commission, l’honorable M. Bienvenu Martin, Ministre de l’Instruction publique et des Cultes, avait fait connaître que le désir du Gouvernement était de collaborer étroitement avec elle à la rédaction d’un texte commun.

Dans ces conditions, l’entente devenait facile. Elle fut réalisée dans la séance du 4 mars dernier, au cours de laquelle fut adopté le projet de loi ci-dessous, que nous avons l’honneur de vous présenter au nom de la Commission. Toutefois nous devons faire remarquer, qu’au moment du vote, les membres de la minorité et plusieurs membres de la majorité réservèrent expressément leur droit de soutenir devant la Chambre par le moyen d’amendements ou de contre-projets, leur opinion personnelle sur la question.