La Sœur de Henri IV d’après une biographie nouvelle

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La Sœur de Henri IV d’après une biographie nouvelle
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 59 (p. 266-272).

LA SŒUR DE HENRI IV[1].


Les ressources innombrables que présente l’étude du XVIe siècle sont encore loin d’être épuisées, C’est une mine féconde qui ne saurait être trop exploitée, aussi bien par les arts que par l’esprit de critique, et d’investigation de la science moderne. Déjà quelques œuvres remarquables ont montré les trésors qu’on peut retirer de pareils travaux. M. Mérimée dans sa Chronique sous Charles IX, M. Vitet dans ses Scènes, de la Ligue, ont mis en pleine lumière le côté pittoresque de ce temps, qui aurait été digne d’inspirer un Shakspeare. Un grand musicien en a rendu par la puissance des sons les contrastes et la poésie. Les romanciers, moins heureux, ont exagéré la peinture de ces mœurs si curieuses. Au lieu d’imiter Walter Scott qui ne prend à l’histoire que le cadre et l’esprit du temps où se passe l’action, ils se sont emparés des personnages historiques eux-mêmes, et en surchargeant les couleurs, en grossissant les vices et les crimes d’un siècle déjà si vicieux et si criminel, ils ont dépassé le but et altéré non-seulement la vérité, mais même la vraisemblance.

A quoi bon d’ailleurs le roman, quand l’histoire est déjà si riche en incidens, en péripéties de tout genre, quand, pour donner aux récits l’intérêt le plus pathétique, il suffit de remonter aux sources, quand il reste tant de portraits à tracer, tant de vieilles chroniques à faire revivre ? Ne serait-il pas à désirer, par exemple, que M. Cousin eût des émules, et que la vie des femmes des guerres de religion fût aussi bien décrite que celle des femmes de la fronde ? Ce ne sont pas les matériaux qui manquent. Ce qu’il faut, c’est la patience de l’investigation, « Je me suis cent fois étonné et émerveillé, dit Brantôme, de tant de bons écrivains que nous avons vus de notre temps en France, qu’ils n’aient été curieux de faire quelque beau recueil de la vie et gestes de la reine-mère, Catherine de Médicis, puisqu’elle en a produit d’amples matières, et taillé bien de la besogne, si jamais reine en tailla. » Cette judicieuse réflexion de Brantôme n’a rien perdu aujourd’hui de son opportunité. Pour ne citer que quelques noms illustres, Jeanne d’Albret, Marguerite de Valois, la duchesse de Montpensier, ne mériteraient-elles pas, elles aussi, de longues biographies ? Les femmes du XVIe siècle ont un attrait exceptionnel. Elles jouent un rôle actif dans tous les événemens de cette époque à la fois élégante et brutale, où, selon la remarque de Montaigne, la nature humaine était secouée dans tous les sens. Elles sont mêlées, à toutes les intrigues politiques. Elles savent par cœur les vers de Baïf et de Ronsard. Elles écoutent avec intérêt les disputes des théologiens. Elles protègent les arts et les lettres. Chrétiennes par certains côtés de leur caractère, païennes par certains autres, elles mêlent l’Évangile à la mythologie et sortent de l’église pour aller consulter les devins et les astrologues. Aussi courageuses que savantes, elles montent à cheval, bravent la fatigue, supportent avec énergie les plus cruelles épreuves de la guerre civile ; mais la plupart d’entre elles joignent le vice à l’élégance. Cependant au milieu de cette cour voluptueuse, dont Jeanne d’Albret disait : « Ce ne sont pas les hommes ici qui prient les femmes, ce sont les femmes qui prient les hommes, » on rencontre des types exemplaires. La femme de Charles IX, Elisabeth d’Autriche, celle de Henri III, Louise de Vaudemont, épouses irréprochables, ornées de toutes les vertus de leur sexe, vécurent et moururent comme des saintes, et les écrits du temps, si prodigues en révélations scandaleuses, respectent tous la sœur de Henri IV, Catherine de Bourbon.

Cette figure intéressante et sympathique a trop longtemps été laissée dans l’ombre. La digne compagne des dangers et des épreuves de Henri IV mérite pourtant, comme femme et comme princesse, l’attention de la postérité : on ne peut en douter après avoir lu la récente publication dont elle a été le sujet. Elle avait les qualités de son frère, le courage, l’affabilité, la haute intelligence, avec des mœurs plus pures et une franchise de caractère plus véritable. Tourmentée d’abord dans son amour, et ensuite dans sa foi religieuse, elle résista aux obsessions dont elle était environnée, et la lutte qu’elle soutint pour ne pas renier le culte de son enfance indique bien tout ce qu’il y avait de fermeté dans son âme. Son esprit était cultivé. Élève de Théodore de Bèze, elle savait le latin, et prouvait une fois de plus que, pour montrer des talens politiques, il ne manque souvent aux femmes que l’occasion. Elle partagea toutes les vicissitudes de la carrière de Henri IV. Elle était avec lui au Louvre, dans cette nuit terrible où Charles IX criait : « Messe, mort ou Bastille ! » Elle administrait avec sagesse le petit royaume de Navarre pendant que le vainqueur d’Arques et d’Ivry devenait roi de France par droit de conquête. Au siège de Dreux, elle faillit périr à ses côtés pour être venue imprudemment visiter la tranchée, et les balles effleurèrent sa robe. Henri IV sentait bien tout ce qu’il devait d’estime et de reconnaissance à cette sœur vertueuse et fidèle. Cependant les exigences de la politique lui imposèrent la nécessité de la rendre souvent malheureuse. Quand elle mourut, il écrivit à M. de Beaumont, ambassadeur de France en Angleterre : « Je ne pouvais faire perte plus grande et plus sensible. Elle avait été compagne de toutes mes aventures bonnes et mauvaises, et avait plus constamment supporté celles-ci qu’elle n’a eu loisir de participer aux autres. » Mme la comtesse d’Armaillé a été fort bien inspirée de choisir une pareille héroïne ; elle en a parfaitement compris le caractère, et en recueillant des documens peu connus, en puisant aux archives de Paris, de Rouen, de Pau, de Nancy, de Florence, elle a retracé la vie de cette femme d’élite avec autant d’exactitude que de charme et de délicatesse.

Catherine de Bourbon naquit à Paris le 7 février 1559 d’Antoine, duc de Vendôme, et de cette vaillante Jeanne d’Albret, « reine n’ayant de femme que le sexe, comme dit d’Aubigné, l’âme entière aux choses viriles, l’esprit puissant, aux grandes affaires et le cœur invincible aux adversités. » En 1563, Jeanne d’Albret, déjà veuve, embrassa le calvinisme et fit élever ses deux enfans, dans la religion formée. Tout le monde connaît la rude et vigoureuse éducation qu’elle donna à son fils, « nourri en lieux âpres, tête nue et pieds nus. » Ce fut à lui qu’elle confia en mourant la défense de sa fille. « Je supplie mon fils, écrivit-elle dans son testament, de prendre sa sœur Catherine sous sa protection, d’être son tuteur et son défenseur, de lui servir après Dieu de père. » Catherine n’avait encore que treize ans, et l’exécrable trahison de la Saint-Barthélemy se préparait. La jeune princesse était au Louvre dans cette nuit funèbre et sanglante dont les mémoires de Marguerite de Valois tracent un tableau si saisissant. Henri de Navarre, fut obligé d’abjurer, pour lui et pour sa sœur, et tous deux restèrent à la cour dans une sorte de captivité, qui dura de 1572 à 1576. Tandis que son frère, pour tromper les soupçons, se faisait un masque de frivolité bruyante, d’inoffensive jovialité, et que les seigneurs catholiques traitaient cavalièrement « ce petit prisonnier de roitelet qu’on galopait à tous propos de paroles et de brocards, » la jeune Catherine, à qui la vue de scènes terribles avait fait perdre la confiance et l’enjouement de son âge, s’abstenait de figurer aux fêtes de la cour des Valois. Malgré son abjuration forcée, elle était restée calviniste dans le cœur ; lorsqu’en 1576 elle rejoignit son frère, qui, pendant une partie de chasse à Saint-Germain, avait trouvé moyen, de s’évader, et de gagner son gouvernement de Guyenne, la première chose qu’elle fit fut de se rendre au prêche et de chanter les psaumes des huguenots. A partir de ce jour, elle se dévoua de toute son âme aux intérêts de son frère. Gouvernante et lieutenante-générale du Béarn à l’âge de vingt ans, elle publiait des ordres militaires et veillait à la défense des places fortes.

Elle fut demandée en mariage par le roi d’Espagne, Philippe II, en 1580. Le puissant souverain promettait à Henri de Navarre des secours suffisans pour fonder une monarchie indépendante dans le sud de la France. La Gascogne, augmentée du Languedoc et réunie aux deux Navarres, au comté de Foix, au Béarn et au Bigorre, devait former ce royaume. En outre Philippe II se faisait fort d’obtenir du pape la rupture du mariage de Marguerite de Valois et de Henri, à qui était destinée la main de l’infante Clara-Eugenia, fille de la sœur de Charles IX, Elisabeth de France. Quoi de plus dangereux qu’un tel projet pour l’unité française, dont les débuts avaient été si laborieux et si sanglans, et qui devait encore traverser de si rudes épreuves ? L’avenir de la France se trouvait suspendu à la résolution d’une jeune fille ; son refus préserva sa patrie des plus grands malheurs, et l’Espagnol ne franchit pas les Pyrénées.

Cependant la jeunesse de Catherine se passait calme et pure. Elle présidait avec tact et sagesse la petite cour de son frère, à Nérac ou à Pau ; pendant ses nombreuses absences, Henri lui confiait le gouvernement de son petit royaume, et ce pays privilégié demeurait tranquille, tandis que toutes les provinces françaises étaient en proie aux dissensions et à la guerre. Calviniste rigide, Catherine observait avec une sévérité rigoureuse les pratiques de son culte ; mais elle se préservait de l’intolérance, qui avait été la tache principale du caractère de Jeanne d’Albret. Active et Intelligente, elle s’occupait à la fois de littérature et de gouvernement. C’est pour elle que l’austère Mornay avait composé ses méditations sur l’Evangile. Palma Cayet était son lecteur. Elle traduisait des psaumes en langue française et faisait quelques poésies religieuses. Tout le monde l’honorait en Béarn, car elle n’oubliait ni les châteaux ni les chaumières, et remplissait ses devoirs de régente avec autant de justice que de bonté. On admirait « sa bouche expressive, son teint délicat, son regard doux et vif, ses yeux du même bleu que celui de Henri, ses cheveux blonds encadrant un front ouvert et pur. » De nombreux prétendans aspiraient à sa main, et, il faut le dire, son frère n’était que trop disposé à la promettre successivement aux princes et même aux simples gentilshommes dont il réclamait les services. Le cœur de Catherine avait parlé cependant : elle ne voulait pas d’autre époux que le jeune comte de Soissons, de la maison de Condé. Ce fut par amour pour elle que le comte amena sous les drapeaux de Henri de Navarre une partie de la noblesse de Beauce et de Normandie, et décida le gain de la bataillé de Coutras. Sully, qui n’aimait pas le comte de Soissons, le traite mal dans ses mémoires. Il le représente comme un esprit naturellement froid, remarquable par sa dissimulation, par son flegme, par une conduite extérieure qui n’était que « cérémonial et formalité. » C’était l’opposé même du caractère de Catherine, vive et affable comme son frère ; mais l’amour se plaît aux contrastes, et la princesse était subjuguée par l’éclat de ce jeune et brillant seigneur, dont la comtesse d’Armaillé nous trace un remarquable portrait. Le comte de Soissons avait sept ans de moins que Catherine à l’époque de la bataille de Coutras, il n’avait que vingt ans, et déjà il était célèbre par ses succès et sa vaillance. « Aimant la gloire comme un Bourbon, l’intrigue comme un Valois, les arts comme un Médicis, » il exerçait dans ses châteaux de Nogent et de Blandy une hospitalité splendide. Il était aimé par le peuple, qui le disait en rapport avec les esprits invisibles, fêté et admiré par la cour, qui voyait en lui l’un des hommes les plus élégans de son siècle. Il avait la richesse et la bravoure, la jeunesse et la beauté. Ajoutez à cela une ambition ardente, un amour insatiable des grandeurs. Frère catholique d’un prince huguenot, courtisan de Henri III, ami du duc de Guise, compagnon d’armes et proche parent du roi de Navarre, il passait d’un parti à l’autre suivant son intérêt ou son caprice, et L’Estoile l’appelle le « Protée de son temps. » Henri de Navarre lui avait promis la main de Catherine, mais il n’avait pas tardé à se repentir de cette promesse. Il ne put s’habituer à l’humeur inquiète et arrogante du comte, à ses manières orgueilleuses et froides pour les gentilshommes pauvres de la petite cour béarnaise. Il prit donc le parti de se dégager de sa parole. Le comte en fut indigné, et Catherine, aussi constante que son frère était volage, resta fidèle au fiancé que son cœur avait choisi. C’est à lui que s’adressaient toutes ses pensées et tous ses vœux alors qu’elle contemplait avec mélancolie, sur la terrasse du château de Pau, les vallées de Gan et de Lestelle, les coteaux de Jurançon et de Gélos.

Un jour, le comte de Soissons arrive à Pau à l’improviste pendant que les troupes royales assiégeaient Rouen, il avait brusquement quitté l’armée. Avec douze cavaliers, il entre fièrement dans le vieux palais de Gaston de Foix ; mais Henri IV, qui est prévenu, a déjà écrit à M. de Ravignan : « J’ai reçu du déplaisir de la façon que le voyage de mon cousin le comte de Soissons s’est entrepris. Je ne vous en dirai autre chose, sinon qu’il ne se passe rien où vous consentiez ou assistiez contre ma volonté ; votre tête en répondra. » M. de Ravignan n’hésite point. Il fait cerner le château par les troupes. Les magistrats en robe rouge pénètrent auprès de Catherine, et le comte de Soissons est obligé de rendre son épée.

La princesse, profondément affligée de ces rigoureuses mesures, s’en plaignit amèrement à son frère. « Vous m’avez toujours aimée, lui écrivait-elle. Je n’ai assurance ni support que de vous ; pour Dieu ! mon roi, faites paraître à ce coup que vous m’êtes bon roi et bon frère. Quand je ne serais que la moindre demoiselle de votre royaume, vous ne me dénieriez pas la justice. Si, par l’importunité de cet outrage, je me vois abandonnée de vous, je ne veux plus vivre. Je vous en supplie très humblement, les mains jointes. Ce n’est pas sans pleurer, et plût à Dieu que ce fût en votre présence ! » Peu de temps après, Catherine quittait pour toujours la ville de Pau, où s’était écoulée sa jeunesse. « Je reviendrai pour vous, » disait-elle, en partant, aux vieilles paysannes béarnaises. Les paysannes répondaient : « Nous voyons bien votre départ, comme celui de votre mère, mais nous ne verrons pas votre retour. » Lorsque Henri IV fut sacré à Chartres en 1594, sa sœur, assise sous le même dais que lui, occupait la place que l’étiquette réservait à la reine de France. Cependant, malgré ses prières, malgré tous les services qu’elle lui avait rendus, elle ne put décider son frère à permettre le mariage qui était son plus ardent désir. Henri IV resta inflexible dans ses refus.

De nouvelles douleurs attendaient Catherine de Bourbon. Cette princesse dont tant de prétendans avaient recherché la main, et qui avait dû épouser le duc d’Alençon, Henri III, le vieux duc de Lorraine, Philippe II, le duc de Savoie, le roi d’Ecosse Jacques VI, le duc de Montpensier, cette princesse approchait de la quarantaine, sans conserver aucun espoir d’être unie au comte de Soissons. Henri IV, dont toute la politique consistait alors à effacer le souvenir des anciennes dissensions, prit la résolution de marier sa sœur au duc de Bar, héritier présomptif de Charles III, duc de Lorraine. C’était là une satisfaction donnée à la France catholique et aux anciens ligueurs. Catherine finit par consentir à cette union, mais elle ne voulut pas abjurer la foi protestante. « L’exemple du roi, disait-elle, est une loi pour moi, mais en ce qui ne touche pas la loi de Dieu. Je sais sur ce point où doit aller mon obéissance. » Elle partit pour la Lorraine avec son époux, mais l’on raconte qu’elle s’évanouit en disait adieu à son frère, « qui pleura fort aussi. »

C’était le moment où, arrivé après la plus aventureuse carrière au terme de ses espérances et monté, comme il le disait lui-même, « sur son char triomphant, » Henri IV, malgré ses succès, se sentait moins heureux qu’aux jours troublés de sa jeunesse. Ce grand souverain, si profondément national de cœur et de pensée, ne faisait que des mécontens et des ingrats. Entouré de courtisans ambitieux et brouillons, il ne se conciliait ni les ligueurs, péniblement ramenés aux devoirs de l’obéissance, ni les calvinistes, ses anciens compagnons d’armes. La petite phalange protestante, qui avait si vaillamment combattu sous le panache blanc, s’attristait de voir le Béarnais accorder sa faveur aux hommes de la journée des barricades, traiter avec considération la duchesse de Montpensier, recevoir le fougueux curé Lincestre, Lincestre l’apologiste de Jacques Clément, le prédicateur-tribun qui, du haut de la chaire, avait appelé Catherine de Bourbon « la Jézabel française, le démon sorti des montagnes. » Tourmenté dans sa vie privée et environné de trahisons, Henri IV était souvent atteint d’une tristesse silencieuse. Il perdait chaque jour cette verve de bonne humeur, ces saillies spirituelles qui lui avaient fait tant d’amis. La gaité béarnaise était remplacée par la gravité castillane. Le plus français de nos rois demandait à Antonio Perez des leçons d’espagnol et endossait le costume sombre de Philippe II. Parvenu au faîte des grandeurs, il regrettait les glorieuses misères de sa jeunesse, les jours où, « roi sans royaume, mari sans femme, capitaine sans argent, » il se plaignait de son pourpoint percé au coude et de ses souliers ressemelés. Souvent il s’entretenait de l’ingratitude humaine. « Je mourrai un de ces jours., disait-il, et quand vous m’aurez perdu, vous connaîtrez tout ce que je valais. »

Cependant, au milieu de ses inquiétudes et de ses soucis, l’affection de sa sœur lui restait. Elle lui adressait des lettres empreintes d’une respectueuse tendresse. « Mon Dieu ! mon brave roi, lui écrivait-elle, que j’ai envie de vous voir, et quand aurai-je cet honneur et ce contentement de pouvoir vous embrasser, les yeux aussi gais que je les avais pleins de larmes quand je pris congé de vous ? » Une sorte de fatalité obligeait Henri IV à troubler le repos de cette sœur si noble et si dévouée, sa plus digne, sa plus fidèle amie. Les foudres du Vatican n’étaient pas émoussées, et le roi, qui avait courbé la tête devant Rome, s’étonnait qu’une femme résistât. Il usait de tout son pouvoir pour essayer d’arracher à Catherine une abjuration, et la malheureuse princesse, tourmentée à la fois par le cri de sa conscience, par la crainte d’encourir la disgrâce de son frère et, de causer le malheur de son époux, était plongée dans le désespoir. Son mari, le duc de Bar, lui témoignait une affection sincère ; mais il était si profondément inquiet des censures de l’église qu’il parlait quelquefois d’échanger son titre de duc contre l’existence d’un disciple de saint François d’Assise. Aux premiers jours du XVIIe siècle, un jubilé s’ouvrait à Rome. Le prince s’y rendit comme un simple pèlerin, dans l’espoir de fléchir Clément VIII ; mais le pape refusa la dispense tant désirée. Lorsque Catherine vint à Fontainebleau pour la naissance du dauphin, il y eut encore des conférences de théologiens qui essayaient de la convertir. « Je sais bien que ma religion vous est préjudiciable, dit-elle alors à Henri IV ; laissez-moi donc retourner en Béarn, où du moins je n’importunerai personne et vivrai tranquille. » Un jour que les théologiens venaient de parler de Jeanne d’Albret ; « sire, s’écria-t-elle, ils veulent que je croie que notre mère est damnée. » Henri se détourna pour cacher ses larmes. « C’en est assez, mon frère, dit-il au duc de Bar, je renonce à la dompter. »

Peu de temps après, les dispositions du saint-siège parurent plus favorables ; mais le chagrin avait détruit la santé de Catherine de Bourbon. « Ah ! mon cher roi, écrivait-elle dans sa dernière lettre à son frère, je crois que la cruelle douleur que je ressentis en vous disant ce mot d’adieu est cause du mal que j’ai. » Le pape venait enfin d’accorder cette dispense si longtemps sollicitée ; mais au moment où le bref arriva en Lorraine, Catherine avait cessé de vivre. Elle n’était âgée que de quarante-cinq ans. L’historien, de Thou raconte que, le nonce exprimant à Henri IV les craintes du pape sur le salut de cette princesse, morte hors du sein de l’église, Henri IV répondit qu’il fallait croire, pour penser dignement de Dieu, que le moment même où l’on rend le dernier soupir suffit à la grâce divine pour que « le pécheur, quel qu’il soit, devienne en état d’entrer dans le ciel. — Je ne mets point, dit-il, le salut de ma sœur en doute. »

La tolérance était encore bien loin de l’esprit de l’époque. Ils étaient rares alors, les hommes qui disaient, comme le chancelier de L’Hôpital : « Otons ces mots diaboliques, noms départis et de séditions, luthériens, huguenots, papistes ; ne changeons le nom de chrétiens. » Henri IV devançait son temps aussi quand il écrivait : « Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, et moi je suis de celle de tous ceux-là qui sont braves et bons. » Sans doute, les passions religieuses ne furent pour la plupart des acteurs principaux de ces luttes violentes que le masque de l’ambition et de l’intérêt, et la réforme n’oublia que de se réformer elle-même. Cependant, parmi les catholiques comme parmi les protestans, il y avait de nombreux exemples de convictions profondes, par conséquent respectables, et bien des consciences eurent à subir les mêmes tortures morales que Catherine de Bourbon. Nous qui vivons dans un siècle où la liberté de conscience paraît être une conquête définitive de l’esprit humain, nous ne devons oublier ni les luttes secrètes ni les angoisses intimes qui firent à d’autres époques le tourment de certaines âmes.


IMBERT DE SAINT-AMAND.


V. DE MARS.

  1. Catherine de Bourbon, par Mme la comtesse d’Armaillé.