La Saison à Baia/1

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L. Borel (p. 1-32).


Martius Festus à Caius Cominius

La Saison à Baia

’Αγαθὸς άνὴρ λέγοιτ’ ἄν ὸ φέρων τάγαθά

I

RATS ET SOURIS D’IMPORTANCE

I

RATS ET SOURIS D’IMPORTANCE

Tu veux des nouvelles de Baia ; et je ne t’en donne point. Je ne puis te dire qu’un mot : Cythéris ne s’y trouve pas. Que t’importent alors les larges ou délicates poitrines qui viennent cette année se faire caresser par les vagues amoureuses, et étreindre dans le flot des passions trop ardentes ? Cythéris veut brûler encore, et elle ne tient pas à ce que tu connaisses son refuge.

Console-toi, très cher. Comme je te sais mauvais buveur et incapable de trahir pour d’autres enfants ton infidèle, j’essaie de te consoler moi-même en te racontant ce qui se passe dans notre villa. Pour être loin de Rome, on n’y dort point trop lourdement et les aventures du jour vous font d’aimables rêves.

Ce n’était pas sans terreur que j’accompagnais à Baia ce gros Flavius Scévinus, dont les yeux ne se lèvent pas de terre, qui ne dit pas trois mots par heure, et qu’on s’attend, à tout instant, à voir crever dans sa graisse. Que veux-tu ? notre père ne fut pas concussionnaire, et il faut vivre. Mais si Scévinus est un être insupportable, sa maison est charmante. Bien exposée, dominant le golfe, fraîche et en belle lumière, elle renferme des cuisines, une cave, des esclaves, comme je n’en avais pas encore rencontré. Enfin trois êtres, qui ne sont pourtant pas les Grâces, forment à cet illustre imbécile un cortège enchanteur. C’est Cadicia, une vieille juive qu’on appelle Pétronia, et ce Vatinius, tu sais, dont le père a gagné gros dans le commerce des gladiateurs, sans que ces richesses profitent beaucoup à son fils, qui en est réduit à présent à écornifler toute la ville. Aujourd’hui il ronge Scévinus, qui se laisse faire parce que, pour chasser l’ardélion, il faudrait avoir un moment d’énergie, et ce courage coûte à Scévinus, plus que l’or qu’il laisse fuir de ses coffres.

Tu ne connais pas Cadicia ? Je vais te la présenter : une petite affranchie dont les grands yeux étonnés et les dents riantes vous tiennent en bonne humeur. Elle est fraîche comme le matin. Dans ma vie j’ai soulevé des toges. Eh bien ! tu ne croiras pas mon vieux vice : je me sens près d’elle un adolescent. Elle est hargneuse comme un chien corse, joueuse comme une chatte, voluptueuse comme une chèvre ; à toutes ces qualités animales, elle joint l’avidité d’un usurier et la rapacité d’un marchand d’esclaves, et, malgré tout, c’est une candeur. J’ajouterai même qu’elle ne manque pas de dignité quand elle daigne y songer. Notre philosophe — car nous avons un philosophe parmi nous : le célèbre Démétrius — notre philosophe, avec toute son expérience du monde, l’a prise longtemps pour une matrone. Ce n’est que l’autre soir qu’il s’est avisé d’avoir des doutes sur sa vertu romaine. À table, sur le lit, la voici qui se penche vers mon sage, et à l’oreille : « Mon âme, j’ai une méchante puce qui me mange l’épaule, soulève un peu ma robe, et cherche-la dans mon dos. Je t’aimerai. » Il a obéi avec une conscience et une insensibilité dignes des meilleurs stoïciens, tandis que Cadicia étouffait de rire.

Pétronia est la servante, quelques-uns disent la nourrice de l’enfant. Elle l’habille, la coiffe elle-même, lui donne médecine lorsqu’elle est malade, ramasse et compte son argent, lave, détache et parfume ses robes, fabrique des enchantements, recherche pour elle, sur la plage, des pierres qui portent chance, l’instruit de la religion des siens, lui enseigne des recettes pour retenir ses amants et les moyens d’être immortelle. Cadicia l’aime, dit-elle, comme sa cuisse gauche ; Pétronia voit dans sa maîtresse sa fille, sa bienfaitrice et la banque dont elle tire sa subsistance.

Elles ne se séparent jamais.

Pétronia a le teint et l’aspect d’une tomate qui aurait longtemps mariné dans de la saumure. Ajoute à ces avantages, qu’elle porte des manteaux à fleurs et des socques de bois très épais de peur d’être piquée par les serpents. Quand elle marche, tout Baia en est averti.

La première fois qu’elles vinrent à la villa, Scévinus fut effaré. À la vue de la vieille Juive collée au dos de sa maîtresse, il dit à Cadicia :

« Par Pollux ! est-ce ta jumelle ?

— Oui, mon cœur, répondit l’enfant. Qui a l’une de nous a l’autre. Si tu ne veux pas de Pétronia, Cadicia te laissera le soin de fourbir toi-même ta dernière jeunesse. »

Scévinus arrêta sur elle ses yeux ternes, puis secoua la tête, haussa les épaules, jeta à terre une coupe de verre fin, cracha par trois fois, et eut un éternuement plus fort qu’un appel de trompettes.

« Par Pollux ! entrez toutes deux, puisque… puisque je ne sais plus ce que je voulais dire. »

Les yeux et les dents de cette petite chienne de Cadicia vous font douter si elle veut mordre ou sourire. Scévinus en a peur, sans quoi, il y a beau temps qu’elle ne serait plus ici. Le plaisir ne peut l’attacher à une maîtresse qu’il ne regarde jamais et dont il scande le babil — chaque fois qu’elle se met à ouvrir la bouche — par de formidables bâillements. Notre hôte, d’ailleurs, s’intéresse plus à sa santé qu’à ses voluptés ; ses repas lui sont de suffisants labeurs, il n’en sort pas toujours victorieux. Avant-hier, les esclaves ont dû l’emporter tandis qu’on servait un plat de calamares napolitains dont la gloutonne Cadicia s’est léché les doigts et a eu grand’peine à nous laisser une part.

Mange, mon enfant ; prends de la table et de l’or de Scévinus tout ce que tu pourras, car ta fortune n’est pas solide. Oui, très cher, il y a des émeutes au palais, et on ne sait qui demain sera le favori. Mais j’ai trop soupé ce soir. Attends que j’aie la tête plus libre pour t’écrire encore.

Vatinius est venu me trouver, ce matin, tandis que je dormais. Il s’est assis sur mon lit. À peine avais-je ouvert les yeux, que le maroufle s’est mis à sangloter. Quel réveil, et a-t-on idée d’un parasite aussi canulant ! Qu’il remercie les dieux d’avoir trouvé un Scévinus ; si j’étais à la place de notre hôte, il y a longtemps que le cher ami aurait fait un joli plongeon dans les eaux du golfe, comme par hasard.

« Elle ne m’aime plus ! s’est-il écrié. D’ordinaire elle jouait avec moi. Certes j’avais des bourrades plus que des caresses. N’importe ! je l’amusais. À présent elle ne peut me sentir.

— Et que veux-tu que cela me fasse, animal ?

— Ah ! tu en parles à ton aise, toi qui es installé dans la villa comme si elle t’appartenait. Que tu sois beau, bien vêtu, que tu exhales des parfums agréables, on ne te demande pas autre chose. Mais moi, songe à l’industrie, à la ruse, à l’intelligence dont je dois faire preuve à toute heure du jour pour me maintenir ici. Égayer un homme qui s’ennuie de tout, distraire une femme qui change de caprice à chaque bouffée d’air qu’elle respire ; encore faut-il divertir la Juive, avoir l’air de croire à ses superstitions, causer avec le philosophe de systèmes auxquels je n’entends goutte, flatter les esclaves qui peuvent me desservir… Je te le dis : il n’y a pas d’homme plus occupé sur la terre ! Et quand je me dépense ainsi, quand je sue à faire plaisir à tout le monde, voici la récompense que j’obtiens : des injures. Et puis, toi, pour me consoler, tu me dis : « Que veux-tu que cela me fasse, animal ? » C’est ainsi que tu compatis à mes misères !

— Est-ce que tu t’occupes des miennes ?

— Tu n’en as pas. Tu es toujours frais et souriant à l’existence. On dirait que le chagrin a horreur de toi. Moi, ça me dépasse, des existences comme la tienne !

— Tu voudrais me voir souffrir ?

— Un peu, oui. Je voudrais que tu eusses ta part, comme les camarades.

— Donne-moi donc la tienne. Nous allons essayer de partager.

— Ris, mais il se pourrait bien que tu eusses toi-même à souffrir de ce qui m’arrive.

— Qu’est-ce qui se passe donc ?

— La villa est en révolution. Il s’agit de savoir qui, de Cadicia ou de moi, va s’en aller. Je ne te cacherai pas que tu avais en moi un protecteur…

— Je t’en suis bien reconnaissant.

— Si je m’en vais, tu ignores les sentiments de mon successeur. Il te haïra peut-être.

— C’est très possible.

— Il te fera partir, c’est sûr ! Tu vois, tu as intérêt à être avec moi. Tu es trop fat pour plaire à Cadicia, et qui n’est pas avec une femme est contre elle. Vous viviez en bonne indifférence ; cela ne vous coûte pas de faire un pas de plus et d’être de francs ennemis.

— Comme tu y vas !

— Oui. Il me faut ton aide ; écoute :

« Ce matin, Scévinus dormait encore ; Cadicia me demande. Je vais la trouver ; elle était couchée ; je m’assois sur son lit. Elle dit : « C’est gentil, la mer, n’est-ce pas ? Seulement moi, je m’embête. Je ne sais pas si c’est le grand air, mais j’ai des envies… Enfin, trêve de bavardage, j’ai une envie folle de lui en faire porter, à cette espèce de Scévinus. Tiens, regarde mon ventre, il est joli, n’est-ce pas ? — Mon âme, lui ai-je répondu, s’il venait ?

— Non, non, il ne se lèvera pas. Viens vite ! » Le malheur, c’est que, pour un homme de mon âge, cette femme était trop pressée. J’ai eu beau lui rappeler ce que j’étais pour sa mère. « Laisse ma mère en repos, a-t-elle répliqué ; ma mère et moi, cela fait deux. D’ailleurs elle était bien moins jolie que moi, et si tu l’avais aimée comme tu le dis, tu m’aimerais encore davantage. Va-t’en ! Tu me dégoûtes. » Il n’y a pas eu moyen de l’apaiser. J’ai vu que j’étais perdu, car Cadicia enrage de n’avoir pas d’homme sous la main. Mais elle en trouvera, je n’en doute pas ; or, comme elle me déteste, son ami deviendra nécessairement mon ennemi. C’en est fait de ma faveur. Je ne serai plus le petit pâtissier qui donne aux lèvres de la maîtresse de délicates friandises d’amour ; je ne serai plus le gros bouffon qui met en liesse les faces les plus renfrognées ; on ne dansera plus, on ne rira plus avec moi. Si on ne me jette pas dehors tout de suite, ce sera pour m’oublier dans un coin, comme une poupée sans tête. »

Vatinius reprit, après un soupir :

« J’ai essayé de perdre Cadicia. Je suis allé trouver sa Juive. Avec toute mon éloquence, j’ai voulu lui montrer que le meilleur moyen de conserver sa faveur auprès de Scévinus, c’était d’accuser la jeune femme. Elle commençait, lui ai-je dit, à ne plus être dans ses bonnes grâces. Il fallait achever de la ruiner auprès du maître, lui laisser entendre qu’elle s’abandonnait à d’extrêmes débauches, qu’elle était peut-être malade. « Sois, ai-je conclu, avec l’astre qui se lève. Scévinus aura bientôt une amie nouvelle. » Mais je ne connaissais point la vieille. Je me suis perdu en me posant en ennemi de Cadicia. « Monstre, s’est écriée la Juive, jamais ma chère enfant ne sortira d’ici, entends-tu, ou je sortirai moi-même ! Tu mens comme un esclave qui craint le supplice ; mais tu as beau faire, tu ne le manqueras pas, car Cadicia va parler au maître, et il saura tout de tes renardises. Sache que jamais Scévinus n’a plus aimé ma petite : ce matin même, il se prépare à orner son cou d’un collier qui vaut une province. Et il a raison, car jamais fille n’a été plus belle, meilleure amoureuse, et n’a eu aussi, la chère mignonne, une âme plus religieuse. Déguerpis donc au plus vite, ou crains, gratteur de plats, la colère de ton hôte ! »

— Tu as été maladroit, mon bon Vatinius, lui dis-je : il ne fallait pas te fier à cette vieille entremetteuse, et je crois maintenant que tu n’as qu’à suivre son avis et à t’en aller.

— Jamais. Oublies-tu qu’elle m’a appelé gratteur de plats ? Il faut que je me venge.

— Laisse là ta vengeance : ce sera plus sage.

— Ma vengeance ! Je n’y tiendrais pas encore, mais mon bien-être, je ne me résigne pas à le perdre. Je me suis fait à Scévinus ; j’ai épousé ses habitudes, ses manies, jusqu’à ses vices. Enfin je me trouve bien dans sa maison, et je ne veux pas en sortir, quand l’orage devrait tomber sur ma tête !

— C’est-à-dire que tu aimerais mieux mourir chez Scévinus que de t’en aller vivre ailleurs.

— Tu as deviné juste. Seulement je ne passe point le Styx. Ce sera pour une autre fois.

— Mais que vas-tu faire ?

— Je vais chasser Cadicia, malgré la vieille. Un amant me supplanterait, mais une amante va servir mes projets. Cadicia a connu autrefois une petite femme vive, amoureuse, qui a des tendresses à revendre et à donner. Elle s’appelle Statilia, et j’ai su qu’elle était ici. Il faut que je refasse se becqueter mes colombes. Mais, pour cela, ton concours m’est nécessaire, et sans retard. Cadicia a une fantaisie tellement inconstante qu’elle ne songe peut-être plus à Statilia. Il faut que tu intéresses sa vanité, son cœur et ses sens à son amie ancienne, aujourd’hui oubliée. Moi, je ne puis plus lui rien dire ; elle m’enverrait promener ; toi, au contraire, tu seras entendu.

— À quoi tout cela servira-t-il ?

— Tu me le demandes ? Mais tu ne comprends donc rien ! Une fois les femmes raccordées, elles se moqueront si bien de Scévinus à son nez et à sa barbe ; leurs babils, leurs caresses, leurs baisers seront si scandaleux et si insolents, que notre hôte, tout indulgent qu’il est, finira par chasser de sa villa les jolis oiseaux. Voici mon plan. Aujourd’hui, j’accuse Cadicia et je sème mes premières calomnies. Aujourd’hui également, tu provoques la rencontre des deux amies, après les avoir prévenues l’une et l’autre ; moi, de mon côté, dès demain, je les fais surprendre. Dans trois jours au plus, elles auront quitté la villa.

— Tu es un politique remarquable. Mais par qui sera remplacée Cadicia ?

— Ah ! voilà ! Il faudra d’abord interroger le médecin de notre hôte.

— Le médecin de notre hôte ?

— Oui. Cela t’étonne, c’est pourtant bien simple. Scévinus a peut-être besoin de prendre sa retraite ; peut-être au contraire, ne lui faut-il que changer de plaisirs. S’il est seulement dégoûté de ses amours actuelles, convient-il de le traiter comme un bonhomme affaibli et n’ayant plus de sens ? Si, au contraire, tout espoir est perdu pour lui de retrouver ses forces amoureuses, il est nécessaire de le consoler. J’ai un remède pour les deux cas ; mais d’abord, je dois consulter son médecin grec Amérimnus.

— Ton audace est voisine de la folie. Que comptes-tu entreprendre sur un homme qui, selon toute apparence, n’a plus que des habitudes et qui demande sa maîtresse comme l’enfant crie vers son berceau ?

— Très cher, les Dieux nous protègent !

— Laisse les Dieux tranquilles. Ils ont assez de leurs affaires sans fourrer leur nez dans les nôtres. Elles ne fleurent pas pour eux assez bon.

— Je te certifie qu’ils ont parfois pour les hommes des attentions fort délicates. Ainsi, comme je sortais, ce matin, j’ai rencontré un étranger qui vient, dirait-on, tout exprès à notre secours. Tu connais le vieux Cornélius Flaccus ?

— Le questeur qui vola en Bithynie ?

— Ce n’est pas lui, mais son portrait. Comme Flaccus, une tête sévère, dure, un peu ravagée, où le barbier a oublié de passer le rasoir. Poilu comme une peau d’ours, il pue le bouc à cent pas. Une belle mine d’austérité.

— Tu me donnes envie de le connaître.

— Attends. Je ne t’ai pas dit ses qualités. Il parle grec aussi purement qu’une entremetteuse de Corinthe.

— Heureusement que je ne suis plus en âge d’être séduit !

— Attends donc ! Avec sa face orageuse, ses yeux à allumer des incendies, des bras à mettre en croix, c’est un homme d’excellente compagnie ; ses paroles, quand on ne veut pas trop faire attention à son accent, ne sont que baume et pommade. Il arrange tout le monde. Il est venu hier de Pouzzoles et il arrive de Grèce, d’Asie, de je ne sais plus où. Il va dans le quartier juif, chez les marchands, et leur dit : « Je suis votre frère. » Mais l’un d’eux, qui ne le comprenait pas, l’ayant menacé, il s’est écrié tout à coup : « Ne me touche pas, malheureux, je suis citoyen romain ! » Une escorte de soldats veille sur lui. Il vient, paraît-il, appeler devant César d’un jugement rendu contre sa personne. Il se nomme Paulus, Saulus : on ignore exactement. Mais l’important, c’est qu’il est thaumaturge. Il fait des prodiges.

— Tu en as été témoin ?

— Non, il me les a seulement racontés. Il affirme qu’étant aveugle il a, par sa puissance et la volonté des dieux, recouvré la vue. Il parle d’une façon obscure et merveilleuse. Il répète sans cesse qu’il ne faut pas aimer avec ses sens pour pouvoir aimer après la mort avec son esprit.

— Passons-lui cette fantaisie ; mais quel service attends-tu de cet insensé ?

— Ne vois-tu pas en lui un beau conseiller pour notre hôte ? Démétrius est un philosophe de la dernière espèce, une distraction de sophistes, tandis que ce Juif hirsute ne manque pas d’intérêt pour un amateur de curiosités, pour un voluptueux qui ne peut plus se divertir avec ses sens. Scévinus, épuisé de corps, va cultiver son intelligence et s’essayer à la philosophie. C’est une fin honorable lorsque l’on n’est plus homme. Et quelle sécurité pour sa maison ! On a tout à craindre des caprices d’une maîtresse, mais qui pourrait s’inquiéter de ce thaumaturge ? Il divertira un instant Scévinus, mais il ne songera pas à dévorer ses biens ; ce sera un jouet, voilà tout !

— Scévinus, dis-je, peut bien encore ne pas cracher sur les biens qu’il a chéris et recherchés tout le cours de sa vie. Alors que deviens-tu, embarrassé de ton prophète ?

— Par Jupiter ! Nous ne sommes pas liés l’un à l’autre, ni par une membrane, ni par de la colle. Et que Scévinus veuille rire encore, je lui donne ce qu’il désire secrètement, ce qu’il redoute et ce qu’il n’osera refuser, la fleur de toutes les jeunesses, Quirinalis ! De cet enfant, rien à craindre. Qu’il montre de la révolte ou de l’ingratitude, je le livre à son ancienne maîtresse, qui voulait le tuer pour ses vols et ses impudicités, et dont j’ai, à grand’peine, obtenu le pardon. À présent que je t’ai tout dit, te décides-tu ?

— Je veux réfléchir.

— Hâte-toi ; le temps presse. Si les deux femmes ne se sont pas rencontrées aujourd’hui, j’aurai perdu la partie. Je m’en irai dès ce soir. Mais tu t’en repentiras ; Vatinius n’est pas un homme dont on se joue.

— Allons ! Allons ! dis-je, ne te fâche pas. »

Ce singulier bouffon m’a persuadé. Sans grand effort, je l’avoue. J’aime les aventures, et je n’en trouvais pas assez depuis mon arrivée à Baia. Et puis, lorsque je ne suis pas amant, j’adore être entremetteur. C’est encore posséder une femme que de conduire ses amours.