La Saison à Baia/3

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III

L’ATTAQUE DU VIEILLARD

III

L’ATTAQUE DU VIEILLARD

Scévinus mange, boit, écroule la lourde masse de son corps au lit du festin, au lit de la terrasse, au lit de l’atrium, nous regarde avec les yeux d’une vache qui rumine, et s’endort. Seule Cadicia ose le réveiller ; il grogne, gronde, appelle son intendant, puis s’assoupit de nouveau. Je me demande où il trouve le temps et le désir de conspirer. Mes amis m’auraient-ils trompé ? Certes, je ne serais pas à mon aise. Enfin ! attendons la décision de César et occupons le plus plaisamment nos journées.

Autour de cette chair massive, les intrigues se croisent et s’enchevêtrent. Vatinius joue son renvoi ou sa faveur aujourd’hui. Il a interrogé le médecin Amérimnus.

« Il est certain, a répondu l’homme d’Esculape, que notre hôte commence à prendre de l’âge et que les longs travaux de Vénus ne sont plus faits pour lui.

— Mais ne croyez-vous pas qu’un jeune homme, gracieux et habile dans l’art d’aimer, saurait réveiller cette lourde vieillesse ?

— Cela est fort possible, a fait Amérimnus.

— À moins qu’on lui dépêche quelque sage qui lui enseigne à finir noblement son existence ?

— On pourrait essayer ce moyen », a conclu Amérimnus.

De gré ou de force, il a fallu ramener le thaumaturge.

La veille, les bâillements répétés de Scévinus devant les visages trop connus de ses hôtes, nous avaient laissé deviner son désir d’une nouvelle figure. Et où en dénicher une plus étrange que celle de ce Paulus ? Aussi n’a-t-on même pas pris soin de laver le visage, de changer le manteau rapiécé de notre prophète, et on l’a introduit bien vite, tout poudreux et déguenillé, dans la villa.

Vatinius l’a présenté comme un médecin et un sage admirable, ce qui a fait froncer le sourcil, à la fois, à Amérimnus et au philosophe.

Notre hôte, qui était couché et somnolait, s’est levé sur son séant, a ouvert l’œil, puis l’a cligné vers l’étranger.

« Eh bien, guérisseur, a-t-il demandé, guéris-tu l’ennui ? »

Scévinus ne comprenait point le grec, et le thaumaturge ignorait notre langue. De cette façon ils ne pouvaient guère s’entendre.

Je m’offris comme interprète. J’avais appris le mauvais grec des mariniers que parlait cet homme. Autrefois, en effet, précepteur d’un jeune riche, je me suis amusé à courir les sales quartiers de Corinthe.

« Je viens vers toi, fit Paulus d’une voix dure, forte, mais monotone et sans résonance, je viens en annonciateur et en suppliant, persuadé que tu es bon, charitable et éclairé.

— Trêve aux compliments, répliqua Scévinus, en quoi peux-tu m’être utile ? »

Paulus lança quelques maximes entortillées, d’un sens douteux, que je ne prendrai pas la peine de t’expliquer, ne me les étant pas encore expliquées à moi-même ; je te les répète seulement parce qu’elles peignent l’extravagance de cet homme :

« Je t’apporte, commença-t-il, la Justice qui vient non de la Loi, mais de la Foi. Si tu la connais, tu possèdes réellement la vie ; si tu l’ignores, tu n’as qu’une vie apparente, misérable, difforme…

— Par Pollux ! s’écria Scévinus…

— Difforme ! reprit le thaumaturge. Tu es dans ton corps comme un rat dans une ratière : tu voudrais bien t’en échapper. Sois tranquille. Le Seigneur vient, par ma bouche, t’offrir la délivrance et t’inviter à prendre part à son héritage. Mais, ô homme, pense que, pour obtenir cette immense faveur, tu dois d’abord délivrer tes membres du Péché et faire de ton esprit le tabernacle de la Vérité. Ainsi, plus de gourmandises, plus de fornications, plus d’adultères !

— L’adultère est contraire aux mœurs, et, de plus, périlleux, observa Scévinus.

— Oh ! je ne t’impose pas des devoirs trop difficiles à observer ! Si tu brûles pour une femme, marie-toi : c’est bien ; mais si tu ne brûles pas et que tu ne te maries pas, c’est encore bien !

— Où veux-tu en venir ? » demanda Scévinus interloqué.

Paulus, se sentant mal compris, balbutia quelques phrases plus incohérentes et plus incompréhensibles que les premières.

Puis renonçant à nous entretenir plus longuement de sa doctrine, il s’adressa d’un ton pathétique à la générosité de notre hôte.

« Mes entrailles ne sont point resserrées pour toi, dit-il ; que les tiennes ne le soient point pour moi !… Je vais à Rome et j’implore ton appui auprès de César.

« Tu es riche, tu dois être puissant auprès de lui. »

Cette réflexion amena sur nos lèvres un sourire que remarqua Paulus et qui l’encouragea.

« Mes frères, poursuivit-il, m’ont battu, m’ont fait emprisonner sans raison, quand je ne cherchais qu’à les rendre meilleurs ; alors je suis venu demander justice contre eux. Je suis citoyen romain. »

Scévinus, auquel je traduisis la supplique du thaumaturge, ne me laissa pas achever et s’écria tout à coup, après un bâillement interminable :

« Demande-lui son nom ! »

Et quand je le lui eus répété pour la troisième ou quatrième fois :

« Eh bien, très cher Paulus, tu peux te vanter d’avoir de l’éloquence. Je dormais mal, et tes paroles m’ont rendu le sommeil. Je t’appellerai toutes les fois que je souffrirai de l’insomnie. »

Là-dessus, il retomba sur les coussins, se tourna de côté, et, étendant le bras, il ferma les yeux.

Je confiai le jugement de notre hôte au thaumaturge. Il en parut très flatté.

« Évidemment, dit-il en relevant la tête, Scévinus n’a point l’esprit corrompu par les faux sages, et ses yeux sont prêts à reconnaître la divine lumière. Je vois bien que mes discours ont produit sur son cœur une impression excellente. Je reviendrai. »

Et il se tourna vers le centurion chargé de sa garde et qui l’attendait dans la cour en s’essuyant le front.

« Allons ! » fit Paulus en le précédant de son pas large, fier, sonore, qui écrasait les cailloux d’un bruit sec, comme une meule.

Vatinius le regarda s’éloigner en hochant la tête :

« Ah ! me dit-il à demi-voix, celui-là ne nous servira guère. Allons voir plutôt le jeune homme ! »

Vers le soir, Vatinius et moi sommes descendus du côté du port, aux bains des Néréides, dans une longue galerie sombre où nous vint une odeur lourde de peaux parfumées. Aux dernières marches de l’escalier obscur, le bassin nous apparut immense et illuminé, scintillant ici de feux rouges, là de feux d’émeraudes, là de nappes d’or, avec des vagues roulant des têtes de jeunes hommes, lascives et souriantes, qui nageaient par rangs pressés. De chaque côté du bassin, qui s’enfonçait à perte de vue, des grottes ou des arcades laissaient voir dans une pénombre des statues de dieux, de héros, d’amoureuses, des groupes de marbre, représentant les jouissances humaines au milieu de groupes vivants agités et joyeux. Des baigneurs venaient de sortir de l’eau, ruisselants de lumières ; et les spectateurs se mêlaient aux jeux du bassin par leurs cris, leurs appels ou les gerbes de fruits, de fleurs, de feuillages qu’ils lançaient. Les bains des femmes sont à côté, séparés seulement des nôtres par une passerelle. Des courtisanes, conduisant à toutes rames une barque légère, se divertirent à faire irruption parmi nous ; puis, dans le glissement de la nacelle, à narguer de leurs reins tendus et des bruits indécents de leurs lèvres, les accouplements qui se préparaient pour la nuit. Mais on s’élança sur elles ; elles chavirèrent, et ce fut un combat dans l’écume d’où sortirent des épaules égratignées, des croupes rougies, et des cris exagérés à plaisir, et des rires éclatants, sonores ou perlés, s’égouttant avec douceur sous les chevelures dénouées, tandis que surgissaient de l’onde de fières épaules, ou que des bras allongés glissaient parmi les roses flottantes et sous des torses verdâtres, — divinités marines, étonnant tout à coup de leur sortie éblouissante, de leur peau nacrée, de la couleur séduisante de sang répandue sur leur chair ; laissant la clarté glauque des eaux comme un linceul, et revenant à la vie humaine, le corps épanoui, gonflé d’une sève glorieuse.

Cependant nous découvrîmes Quirinalis devant le bassin. Il s’amusait, sous l’eau étincelante, à suivre, de ses yeux paresseux et indécis, la lutte qu’avaient engagée en son honneur deux jeunes gens : Cnéius Furnius et Terentius Lentulus.

Dès qu’il nous aperçut, il vint à nous, d’une marche un peu lente. Sans être grand, il avait la taille élancée et des jambes assez hautes ; le dessin de la poitrine, les courbes délicates des reins, le feu tranquille du regard sous les cheveux noirs et bouclés, tout enchantait en lui. Une couronne rompue tenait à ses cheveux emmêlés.

« Que veux-tu ? demanda-t-il d’une voix traînante d’enfant gâté, qu’on devinait encore repu de caresses et chargé d’or.

— Te faire une offre, répondit Vatinius.

— Mais Terentius Lentulus me veut, et Cnéius Furnius m’a offert mille sesterces. Il n’est pas jusqu’à cette vieille louve d’Antonia qui ne me poursuive de ses brûlantes prières.

— Peu m’importe, dit Vatinius, j’ai le droit de t’avoir. Rappelle-toi !… »

Et, comme le jeune garçon, à des souvenirs importuns, tremblait sous le regard menaçant de l’entremetteur :

« J’ai le droit de t’avoir, reprit-il, et d’ailleurs je ne cherche que ta fortune ! »

Quirinalis se laissa entraîner presque docilement, sans force pour refuser.

Comme pour saluer son départ, une gerbe d’écume s’éleva du bassin sous la chute de Cnéius Furnius, que son adversaire, avec des cris de triomphe, venait de faire tomber dans l’eau, sans songer qu’à ce moment même lui échappait sa victoire.

En sortant, Quirinalis appela un africain qui se tenait accroupi devant le portique de l’entrée. L’esclave, se levant aussitôt, vint lui jeter sur les épaules un manteau de pourpre resplendissant de gemmes ; et l’adolescent s’avança entre nous, tout nu sous les plis amples qui battaient et caressaient sa marche.

Nous n’étions pas plutôt rentrés à la villa, que quelqu’un appela Vatinius.

« Maître, chuchota une voix d’enfant, elles sont ensemble ! »

Vatinius poussa un soupir, puis me regarda, montrant ses vieilles dents jaunes, jetées les unes contre les autres comme des danseuses ivres.

« Il est temps de l’avertir, dit-il, nous touchons au moment décisif. »

Puis, se tournant vers l’adolescent :

« Attends-nous ici ! »

Et il se dirigea vers la chambre de notre hôte.

Scévinus s’assoupissait le jour, mais dormait la nuit. Il avait une telle religion de son repos nocturne qu’une fois il fit déchirer, à coups de lanières, un esclave maladroit qui, laissant choir des plats bruyamment, avait commis le crime de le réveiller. Il fallait avoir l’audace de Vatinius pour ne pas craindre de l’enlever à ses rêves.

L’ardélion osa lui corner à l’oreille avec la trompe dont se servait l’intendant pour appeler au travail. Scévinus se tourna et se retourna, pareil à un taureau qui cherche à éviter une mouche blessante ; il se mit sur le ventre, sur le côté, sur le dos ; il s’offrit dans les attitudes les plus risibles ; mais il fallut bien qu’il ouvrît les yeux.

Il commença par lancer du côté de Vatinius tout ce que sa main rencontrait : une coupe, une buire pleine qui alla souiller les tentures, des brodequins dont l’un vint souffleter rudement Vatinius à la joue ; et, au milieu de cette fureur, il criait de toutes ses forces :

« Fouaillé, chair à claques, brute impure, vas-tu me laisser, veux-tu que je t’écorche ? »

Mais le parasite, avec sa tranquillité ordinaire :

« C’est ainsi que tu me parles, Scévinus, à moi, ton ami ! »

Le dormeur, réveillé enfin et surpris, dit d’une voix pâteuse, chagrine :

« Pourquoi troubles-tu mon sommeil ?

— Je veux te montrer un joli spectacle. Lève-toi et viens. »

Scévinus avait des besoins d’obéissance ; le ton impérieux de Vatinius le décida ; il se leva en s’appuyant sur l’épaule qu’on lui offrait, et les deux hommes, étouffant le bruit de leurs pas, s’approchèrent de l’appartement des femmes. Je les suivis de près avec Quirinalis.

La cour était blanche de lune et déserte ; un bruit de causerie s’élevait de la chambre de Cadicia, dont nous séparait seulement une tenture mal jointe, que la lampe de l’intérieur encadrait d’une clarté rouge.

Nous entendîmes des bouches se baiser, puis la voix de Cadicia, câline et susurrante, qui disait :

« N’est-ce pas, mon petit fruit rose, ton gosse ne te prendra pas tout ton cœur ?… Et puis, ton questeur, sais-tu ? tu devrais le lâcher tout à fait ! Il me gêne, cet imbécile, il me vole ma mignonne. Dis que tu l’abandonneras !

— Plus tard, oui, je tâcherai !

— Plus tard, plus tard, il ne s’agit pas de plus tard. C’est tout de suite que tu dois le congédier. Tu ne m’aimes donc pas ?

— Mais si. Seulement…

— Seulement quoi ?

— Il est généreux, tu sais, et je ne puis pas, comme cela, du jour au lendemain, l’abandonner. D’ailleurs, toi, est-ce que tu ne restes pas avec Scévinus ?

— Ah ! si tu es jalouse de celui-là, par exemple !… Mais c’est ma banque, ma chère, rien de plus. Tu ne voudrais pas me voir aimer ce vieillard répugnant qui ne sait pas même déguiser son âge sous des façons élégantes, attentionnées. Quand je le vois, c’est la vérité, tiens ! j’ai envie de vomir. »

À ces paroles, le parasite se tourna vers Scévinus.

« Tu entends comme elle te flatte ? »

Scévinus dit doucement, sans s’émouvoir :

« Ce sont de petites enfants qui s’amusent. »

Et, curieux de contempler leurs ébats, il souleva la tenture.

Nous vîmes une arcade de chair, belle comme du Paros au soleil couchant, s’écrouler tout à coup ; il y eut un remuement de jambes et d’épaules éblouissantes, des chevelures secouées qui s’étalèrent ; puis deux paires d’yeux inquiets, effarés, se tournèrent vers la tenture que Scévinus laissa presque aussitôt retomber.

« Allons nous coucher », fit-il, après nous avoir un instant regardés en souriant.

Vatinius haussa les épaules, cracha vers la terre, se mordit le poing.

« La foudre tomberait sur cet éléphant, dit-il, qu’il n’en serait pas touché. Une telle insouciance me pétrifie. Que faire ? J’ai l’esprit en marmelade.

— Eh bien ? eh bien ? demanda le jeune Quirinalis qui nous attendait, et que l’air de la mer faisait frissonner sous son manteau mal fermé.

— Eh bien, c’est pour demain !

— Pour demain ! Et Lentulus qui m’offrait neuf cents sesterces ! Et Furnius qui m’en offrait mille ! Voilà ma nuit perdue !

— Ne t’inquiète pas ! Tu la retrouveras.

— Ah ! fit Quirinalis en s’éloignant, voilà de la belle ouvrage, en vérité, de la belle ouvrage ! »

Et il s’en allait en se tapotant le derrière d’une main indolente, comme s’il n’eût su que faire de cette partie de sa personne.

Vatinius le suivit quelques instants du regard, puis se tourna vers moi en haussant les épaules.

« Quand on pense, répétait il, quand on pense que cet efflanqué, que cette femmelette descend d’un homme, d’un homme, paraît-il, qui a sauvé la République.

— Qui était-ce ?

— Je ne m’en souviens pas. Il y en a eu tant, tu sais. Enfin, c’est un fils de héros. Ah ! nos pères ! nos pères !… À propos, tu as vu quel regard bienveillant Scévinus a laissé tomber sur le couple d’amoureuses. Une idée me vient : il faut combattre la femme par la femme. Statilia me paraît être une âme tendre et douce à conduire. C’est tout à fait le sein dont a besoin notre hôte pour pleurer sa jeunesse. Elle remplacera, à merveille, ce monstre de Cadicia.

— Et que fais-tu de ton adolescent ?

— Je le laisse à ses infamies. Au surplus, ce garçon me dégoûtait et je ne suis pas fâché de pouvoir m’en passer… Ah ! je suis un homme habile, tu verras ! »

Pétronia, puis toute la villa connurent, dès le matin, que Scévinus avait surpris sa maîtresse aux bras d’une autre femme, et le bruit d’une disgrâce prochaine souleva la terreur ou l’hilarité des esclaves. La vieille Juive fut la plus troublée. Au premier moment, il lui sembla que la statue de la Fortune allait se renverser sur elle et l’écraser. Cependant le courage lui revint, et aussi l’espoir d’empêcher un pareil malheur. Elle entra dans la chambre des caresses. Les amies étaient enlacées ; elles s’étreignaient avec tout l’élan et la force d’un jeune amour. Tu vois d’ici le couple : les tremblements de plaisir, l’audace, l’activité luxurieuse des mains, les fesses qui se serrent, avares de jouissance, ou qui s’offrent plus larges, comme insolentes et repues. Devant ces jeux imprudents, si tristes pour l’âge mûr, Pétronia ne sut pas demeurer insensible : elle eut un geste de dégoût et sortit à la hâte. Mais elle revint au moment de la toilette, bien résolue à affronter le spectacle d’un œil calme et à séparer les insatiables de gré ou de force, et dût-elle jouer des paumes sur leurs tendres chairs. Cette fois, elle ne trouva plus que Cadicia qui dormait d’un sommeil lourd, brisée de sa nuit amoureuse.

« À bientôt, sale petite truie, dit la Juive, à bientôt ! »

Et, ravalant sa semonce toute prête, elle courut d’un trait chez Statilia où elle arriva, haletante de colère. Retrouvant la sagesse avec son logis, la courtisane s’occupait à une sérieuse lessive et purifiait ses mains en même temps que les langes de son enfant. Mais ce retour à la Vertu ne désarma point la Juive.

« Éhontée, s’écria-t-elle sur le seuil, tu n’es pas digne d’être mère. Heureusement que ton môme est trop jeune pour savoir, il rougirait de toi, il refuserait ton lait ! »

Et comme Statilia, au lieu de se fâcher, baissait la tête sous l’orage, la Juive se sentit plus de hardiesse et l’étourdit d’invectives :

« Cela ne te suffit donc point, coureuse, d’avoir dépouillé les hommes ! Il faut encore que tu pilles tes semblables, de pauvres femmes comme toi… Il faut que tu voles tes anciennes amies, jusqu’à cette malheureuse Cadicia…

— Mais c’est uniquement par tendresse pour elle…

— Par jalousie, tu veux dire ! Oui, tu enviais ses richesses, tu voulais la faire rompre avec son amant. Ah ! mauvaise bête, ça ne te portera pas bonheur, ni à toi, ni à ta progéniture ! »

De la porte j’assistais à la scène, prêt, au besoin, à secourir Statilia si la vieille, dans sa colère, avait voulu se jeter sur elle. Pétronia se contentait, pour l’instant, de lui cracher toutes les ordures qu’elle avait dans la mémoire. Elle eût longtemps continué sur le même ton, si Vatinius n’était venu, fort à propos, l’interrompre. Dès qu’il arriva, la vieille sortit en faisant une horrible grimace, affectant de ne pas le regarder, de le traiter comme un animal impur.

Vatinius trouva la pauvre Statilia en larmes et toute tourmentée des menaces de la Juive.

« Aimes-tu beaucoup Cadicia ? lui demanda notre maître intrigant.

— J’aurais voulu ne jamais la connaître, repartit la jeune femme au milieu de sanglots.

— Est-ce que cela te ferait plaisir, continua Vatinius, de remplacer Cadicia auprès de son amant ? »

Statilia eut un sourire, regarda l’enfant qui dormait dans son berceau, puis leva sur Vatinius un regard interrogateur. Elle craignait une plaisanterie.

« Je n’ai en vue que ta fortune, ajouta le parasite pour la décider.

— Oui, fit-elle ; mais la Juive, Cadicia se vengeront. Elles sont capables de me tuer mon enfant. »

Mais Vatinius la rassura.

« N’aie pas peur. Nous les éloignerons. Viens à la villa de Scévinus, ce soir, au souper. »