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La Science et l’amour/1

La bibliothèque libre.
Librairie Plon (p. 1-29).

I

25 octobre. — J’ai voulu revoir aujourd’hui le petit sanctuaire où toute une année, chaque jeudi, je venais auprès d’un maître aimé fortifier mon âme, tremper mon intelligence aux sources vives de la sagesse humaine.

10 heures. — J’arrive la première. Personne encore dans la petite salle à manger claire où l’on attend le dimanche matin, personne dans le cabinet de travail silencieux. Avec émotion, je pénètre dans la pièce : tout est à sa place, un ordre immuable règne dans la paix et l’harmonie. Sur les murs, à la tenture d’un rouge un peu fané, mais chaud, je revois les photographies, reproductions de tout un siècle de beauté. Au fond, dans son cadre sombre, le Juste-Lipse de Rubens m’apparaît avec cette énigmatique expression qui tant de fois me fit rêver ; ses yeux perçants semblent toujours chercher dans l’horizon lointain la vérité qui fuit. À gauche, au-dessus de la bibliothèque basse, de simple bois de chêne, qui abrite tous les sages anciens, l’admirable fresque de Raphaël : en un long défilé de moines, d’évêques et de saints, des siècles de foi interrogent la blanche hostie qui resplendit sur l’autel. Près de la porte, dans leur naïve beauté, les séraphiques évocations de l’ange du Pérugin. Puis, tout près de ce petit bureau Louis XVI, au cuir passé et taché, pour moi si plein de souvenirs, le Moïse de Michel-Ange, fort, fier, plein d’une assurance qu’il tient d’en haut, une main ferme appuyée sur le livre de la Loi dont il est le gardien et l’apôtre. Et chacun de ces chefs-d’œuvre caractérise pour moi une aspiration de celle qui les choisit. Beauté de la forme, beauté morale : antiquité, christianisme, c’est tout cela qu’elle aime et que résume son enseignement.

La porte s’ouvre. Mlle Claire s’avance, comme toujours, souriante, les mains tendues, mais je trouve moins de vraie gaieté dans son sourire, moins de flamme dans ses yeux, et comme mon regard inquiet semble le lui dire, elle m’apostrophe vivement, presque d’un ton de reproche : Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/13 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/14 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/15 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/16 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/17 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/18 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/19 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/20 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/21 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/22 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/23 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/24 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/25 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/26 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/27 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/28 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/29 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/30 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/31 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/32 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/33 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/34 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/35 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/36 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/37 Page:Zanta - La Science et l amour.djvu/38 de pensées, d’aspirations, de vouloirs qui dorment incompris, car ils ne s’échangent point dans ma vie quotidienne. J’en souffre et suis ainsi à la merci des réactions les plus pénibles et les plus inattendues. Voilà le grand danger pour nous, les femmes de la génération nouvelle, nous avons des mères qui n’ont point connu les tourments, ni les joies de la vie de la pensée, nous leur demeurons étrangères dans la plus intime et profonde partie de nous-mêmes. Nos pères, accablés par le poids des affaires et les responsabilités qu’elles entraînent en ces temps de guerre, n’ont plus le loisir de se pencher sur nous ; nos frères sont sur le front, alors nous sommes seules, si seules qu’il nous faut chercher hors du foyer, au hasard, chez nos compagnons d’études, l’amitié dont il est impossible à nos cœurs de se passer.