La Scouine/V

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Édition Privée (p. 13-14).


V.



CHAQUE soir invariablement, en sortant de l’école les garçons arrêtaient à la boutique de forge. C’est là qu’ils avaient leur meilleure récréation de la journée. Quelques-uns regardaient le père Dupras ferrer un cheval, ou, le bras passé sur le manche de son soufflet, activer le feu tout en fumant la pipe et en racontant les nouvelles du rang aux fermiers du voisinage. D’autres grimpaient sur le toit d’une petite remise attenante à l’édifice et se poursuivaient. D’autres encore, jouaient à la clef ou couraient parmi les tombereaux neufs sentant la peinture fraîche, les herses aux dents aiguës et les charrues à réparer. Ces jeux finissaient toujours par un concours à qui pisserait le plus haut, et le côté ouest de la bâtisse subissait ainsi chaque jour un arrosage qui dessinait sur les planches une série d’ombres chinoises.

La Scouine dont le penchant à la délation s’accusait déjà, porta ces faits à la connaissance de l’institutrice. Comme résultat, les écoliers subirent une sévère remontrance et furent tous gardés en retenue une demi-heure durant après la classe. Les garçons se promirent bien de se venger de cette porte-paquets. Quelques jours s’écoulèrent cependant sans que la Scouine fut le moins du monde inquiétée. L’incident paraissait clos.

Un matin, François Potvin annonça qu’il avait capturé la veille, un écureuil et l’avait mis en cage. Cette nouvelle intéressa fort ce petit monde. Plusieurs des gamins manifestèrent le désir de voir l’animal.

— Sa boîte est sous la remise, vous n’avez qu’à arrêter en passant, déclara François qui était subitement devenu un personnage important.

À la sortie de l’école, une dizaine d’enfants le suivirent. Toujours curieuse, la Scouine se trouvait du nombre.

Aussitôt qu’ils eurent pénétré dans le bâtiment, François ferma brusquement la porte. Alors, aux hurlements enthousiastes du groupe, tous les garçons se tournant vers la Scouine, l’arrosèrent copieusement comme s’ils eussent été à leurs concours à la boutique de forge du père Dupras.

La Scouine suffoquait de honte et de colère. Toute trempée, ruisselante, comme si elle eût essuyé une averse, elle s’échappa en larmes, et s’éloigna poursuivie par les quolibets et les rires des garçons enfin vengés.