La Sentence par corps obtenue par plusieurs femmes de Paris contre l’autheur des Caquets de l’Accouchée

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La Sentence par corps obtenue par plusieurs femmes de Paris contre l’autheur des Caquets de l’Accouchée



LA
SENTENCE PAR CORPS
Obtenue par plusieurs femmes de Paris contre l’autheur
des Caquets de l’Accouchée.
À Paris, chez le baron de l’Artichaux, demeurant
au royaume d’Ecosse, à l’enseigne
du Cailloux de bois
.
M.DC.XXII1.

À tous ceux qui ces presentes lettres verront, Gautier Garguille2, gentilhomme ordinaire de sa chambre et garde de la place de l’Isle du Palais, à Paris ;

Sur la requeste faitte en nostre audience de la place de l’Isle du Palais, par

Mondor, parlant pour discrette et honorable personne le sieur Tabarin, demandeur en reparation d’injures ou invectives, selon l’intervention par luy faitte avec Pierre du Puis3, parlant pour les femmes et bourgeoises de cette ville de Paris, complaignantes pour raison des faits mis en avant par les Caquets de l’Accouchée, imprimés et publiés en cette dite ville de Paris ; comme le sieur de Decombes, parlant pour Grattelart4, autheur des dits Caquets, defendeur et opposant, et en vertu du defaut donné contre le dit Pierre du Puis au dit nom ; après avoir ouy le dit Mondor au dit nom, qui nous a remontré que mal à propos, indiscrettement et contre la règle de toute societé humaine, le dit Grattelart avoit fait escrire en ses Caquets plusieurs paroles scandaleuses et injurieuses, et qu’il en requeroit reparation ; et ledit Pierre du Puis, pour les dites complaignantes, parties principales, a conclud pareillement à la dite reparation, et, adjoustant à icelle, a requis condamnation de tous depens, dommages et interests. Nous avons condemné et condemnons le dit Grattelart à declarer, en presence du crocheteur de la Samaritaine5 et du Jacquemart du clocher de l’eglise de Sainct-Paul6, que mal à propos, indiscrettement et sans raison, il a fait escrire et publier, aux Caquets de l’Accouchée, plusieurs paroles injurieuses et scandaleuses contre l’honneur des femmes, lesquelles par elles seront rayées et biffées, et qu’il en demande pardon aus dites femmes et bourgeoises de Paris, et à Tabarin au dit nom, les suppliant vouloir oublier les dites injures et scandales ; et outre condamnons le dit Grattelart ès despens, dommages et interests. En tesmoin de ce, nous avons fait mettre nostre sceau ordinaire de la dite place. Ce fut fait et donné en la dite audience par Jehan Farine7, tenant le siége, le mardy vingt et douziesme du present mois.

Signé Guillaume8.

Copie d’intervention.

Aujourd’huy, trois cens soixante et sixiesme jour de la presente année, est comparu, en chair et en os, Jehan de la Vigne9, fondé de procuration authentique à luy passée par le discret et sage en teste, le seignor Tabarino, lequel a declaré qu’en consequence de la dite procuration il desiroit estre receu partie intervenante au procès meu, indecis et pendant ou accroché entre et au milieu de Grattelart, autheur des Caquets de l’Accouchée, et les bourgeoises qui se formalisent et scandalisent, pour y proposer ses defenses comme d’abus ; et pour ce faire a constitué son procureur generalissime le dit la Vigne, auquel a donné tout pouvoir deçà et delà l’eau, dont le dit la Vigne a requis lettres, et a signé au registre.

Signé Gros-Guillaume.

Sentence sur l’intervention.

À tous ceux qui ces presentes lettres verront, Gautier Garguille, gentil-homme ordinaire de sa chambre et garde de la place de l’Isle du Palais, à Paris.

Sur la requeste faicte en nostre audience de la dite place de l’Isle du Palais, par Montdor, parlant pour discrette et sage personne le sieur Tabarin, demandeur en intervention avec les femmes et bourgeoises de Paris, contre Grattelart, autheur des Caquets de l’Accouchée, Decombes, parlant pour luy ; après que le dit Montdor, au dit nom, a remonstré avoir grand interest d’intervenir en la dite cause pour les causes qu’il est prest desduire, et que le dit Decombes, au dit nom, a soustenu au contraire, nous avons receu et recevons le dit Tabarin partie intervenante au procez d’entre l’autheur des Caquets de l’Accouchée et les femmes et bourgeoises de Paris, et ordonnons que dans le premier jour il baillera les causes d’intervention, pour estre ordonné sur icelles ce que de raison.

Causes d’intervention.

Causes d’intervention que met et baille par devers vous Me Garguille, garde de la place de l’Isle du Palais, à Paris,

Le sieur Tabarin, demandeur en intervention avec les femmes et bourgeoises de la ville de Paris,

Contre le sieur Grattelart, defendeur et opposant ;

À ce que, pour les raisons qui seront cy-après desduites, il soit dit par vous, Monsieur, que ledit Tabarin sera receu partye intervenante au procès, et obtiendra à ces fins, avec condamnation de tous despens, dommages et interests.

Il est à remarquer que le sieur Grattelart est homme fort sujet à mesdire des actions d’autruy, et sur tout il paroist ès Caquets de l’Accouchée qu’il a fait imprimer tout nouvellement, au scandale et dommage de la bonne renommée des femmes et bourgeoises de cette ville, lesquelles, estant adverties, se sont voulu formaliser, et particulièrement la femme du sieur Tabarin, lequel s’est bien voulu joindre en la cause et prendre le fait pour elle, attendu qu’il estoit interessé en l’affaire.

Et de fait, il semble qu’elle a juste cause de remonstrer que son mary n’est point charlatan et qu’il ne le fut jamais, et que l’on ne sçauroit faire escrire qu’elle soit femme de charlatan sans offenser l’un ou l’autre, dont elle pretend avoir reparation qui ne luy peut estre desniée, sauf correction : premièrement, ce que la bonne vie de l’un et l’autre est notoire à tout le monde, et est à naistre le premier qui les puisse redarguer du moindre crime ou malfaict ;

Secondement, pour autant que le dit Grattelart a malicieusement faict escrire qu’icelluy Tabarin est cocu et cornard, ce à quoy il n’a jamais songé, et qui ne se sçauroit passer sans son interest ou dommage ;

En troisiesme lieu, pour autant que le dit Tabarin ne fust jamais capable de cornes que de celles qui sont en son bonnet, encores luy sont-elles odieuses ; au moins dict-il qu’il ne les tient que comme gaige et pour celuy qui en aura affaire ;

En quatriesme lieu, il vous remonstre que les cornes ne luy sont deües que pour en faire part aux marchands, et, de vray, Grattelart en aura à sa discretion de telles qu’il luy plaira.

Partant, conclud le dit Tabarin comme dessus, ès despens, dommages et interests.

Coppie de la requeste presentée au sieur Garguille de la part des hommes et maris dont les femmes ont esté scandalisées par les dits Caquets.

Supplient humblement les marris des femmes scandalisées par les Caquets de l’Accouchée, disans qu’ils ont esté advertis qu’il y a procez meu, indecis et pendant par devant vous entre les dites femmes et le sieur Grattelart, autheur des dits Caquets, pour raison des injures, invectives et scandales qui y sont escrits, lesquels regardent les supplians, qui ont besoin de vostre provision. Ce considéré, Monsieur, il vous plaise ordonner que les dits supplians seront receus parties intervenantes au dit procez avec les dites femmes, icelluy Tabarin et le dit Grattelart, lequel sera à ceste fin aussi assigné pardevant vous-mesme, pour ordonner en outre ce que de raison, et vous ferez justice.

Au bas est escrit : Qu’on donne assignation, etc.




1. Cette pièce est, je crois, la plus rare de toutes celles qui se rapportent aux Caquets de l’Accouchée. Nous l’avons trouvée à la Bibliothèque impériale.

2. Ce n’est pas le lieu de donner ici une longue notice de ce fameux farceur, qui, pendant plus de quarante ans, amusa Paris, soit sur la place de l’Estrapade, où il eut long-temps ses tréteaux, soit surtout à la place Dauphine, où cette pièce-ci le met en scène, soit à l’hôtel de Bourgogne, qui le vit finir. Nous renverrons à l’article que Boucher d’Argis lui a consacré dans son Histoire abrégée des plus célèbres comédiens de l’antiquité et des comédiens françois les plus distingués (Variétés historiques, physiques et littéraires, etc., 1752, in-8, t. 1er, 2e partie, p. 506), et à Tallemant, édit. in-12, t. 10, Historiette de Mondory.

3. Ce fou, dont il est déjà parlé dans la pièce précédente, couroit les rues comme maître Guillaume et Mathurine. Dans un livret publié en 1614 avec ce titre : La remonstrance de Pierre Du Puits sur le resveil de Maistre Guillaume, et dans lequel il se donne comme ayant « l’esprit relevé jusques en l’antichambre du troisième degré de la Lune, etc. », on lui fait dire au commencement :

Avec ma jacquette grise
Plusieurs lourdauts je meprise.

Puis tout à la fin :

aux curieux :

Pierre du Puits n’est pas seul en folie,
Ny tous les fols ne sont Pierre du Puits,
Car tel est fol qui n’a pas l’industrie,
Ainsi qu’il a, de donner des advis.

4. Autre farceur du Pont-Neuf, donné très gratuitement ici comme auteur des Caquets de l’Accouchée. Les seules œuvres que l’on connoisse de lui, et dont il parut un très grand nombre d’éditions chez la veuve Oudot, sont : Extrait des rencontres, fantaisies et coq-à-l’asne facétieux du baron de Gratelard, tenant sa classe ordinaire au bas du Pont-Neuf. Dans ces derniers temps on réimprimoit encore à Montbéliard : Entretiens facétieux du sieur baron de Gratelard, disciple de Verboquet, propres à chasser la mélancolie et à désopiler la rate, in-18 de 12 pages. (Nisard, Hist. des livres popul., t. 1er, p. 388.)

5. On disoit crocheteur, mais c’est clocheteur qu’il falloit dire, car il s’agit de la petite figure qui frappoit les heures sur la cloche de la Samaritaine. Les libellistes du temps prirent plus d’une fois le petit crocheteur pour héros, et lui firent débiter leurs satires. L’un des pamphlets mis sur son compte fut cause qu’on l’enleva de la Samaritaine pendant quelque temps. (V. le Mercure françois de 1611.)

6. Autre petite figure de bronze qui, à la manière du clocheteur du Pont-Neuf et du Jaquemart de Notre-Dame de Dijon, sonnoit l’heure au clocher de l’église Saint-Paul, située dans la rue du même nom et démolie au commencement de ce siècle. Une mazarinade a pour titre : Le qui fut de Jacquemard sur les sujets de la guerre mazarine, Paris, 1652. V., pour l’étymologie du mot Jaquemart, P. Berigal (G. Peignot), Hist. de l’illustre Jaquemart de Dijon, 1832.

7. Encore un farceur, mais moins connu que les autres. Il est nommé, dans l’Espadon satyrique, Cologne, 1680, pag. 25, et dans l’épitaphe du fameux Jodelet, Julien Joffrin :

Ici gît qui de Jodelet
Joua cinquante ans le rolet,
Et qui fut de mesme farine
Que Gros Guillaume et Jehan Farine,
Hormis qu’il parloit mieux du nez
Que les dits deux enfarinez.

Un petit livre, réimprimé à Troyes, en 1682, sous ce titre : Les débats et fameuses rencontres de Gringalet et de Guillot Gorju, son maistre, est dédié au père de sobriété, le grotesque Jean Farine, superintendant de la maison comique hostel de Bourgogne, à Paris. — Un passage des Jeux de l’Inconnu, Rouen, 1635, in-8, p. 158, montre que ce bouffon, comme son nom l’indique, jouoit surtout, ainsi que La Fleur (Gros-Guillaume), les rôles enfarinés.

8. Par la même raison que nous n’avons rien dit de Gautier-Garguille, nous ne dirons rien du non moins fameux Robert Guérin, dit La Fleur et Gros-Guillaume. Nous renverrons aussi pour lui au travail curieux de Boucher d’Argis, loc. cit.

9. Bouffon moins connu sous ce nom que sous celui de Jean des Vignes, qui lui est donné dans la 18e serée de Guillaume Bouchet, où il est mis en compagnie de Tabarin et Franc-à-Tripe ; et dans le Moyen de cognoistre les filous d’une lieue loing sans lunette, édit. des Joyeusetés. Jehan des Vignes ou de la Vigne faisoit les rôles de niais. « Moi, pauvre sot, dit d’Assoucy, plus sot que Jean des Vignes. » Les Avantures d’Italie, etc., Paris, 1677, in-12, p. 336.