La Source divine

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La Source divine
À. S. E. R.
Mgr le Duc de Monpensier,
Le jour de sa Première Communion,
22 Mai 1837
(p. 3-7).



Prince, il est sur la terre une source divine,
Dont on connaît d’abord la céleste origine ;
Qui, du cœur rafraîchi, se répand dans les sens,
Et fait venir aux yeux des pleurs reconnaissans.

Il est des jours, des lieux, où de subites flammes
D’une sainte auréole illuminent nos âmes ;
Souvenir incomplet, frémissement divin,
Des premiers jours du monde écho vague et lointain.


Cette grâce de Dieu, ce sentiment céleste,
J’ai bien souvent rêvé sur ce qui nous l’atteste :
Tantôt, c’est le soupir qui du cœur satisfait
S’exhale, à voir le bien de l’aumône qu’on fait.
C’est la vierge au front blanc, sur sa harpe penchée,
À ses accords divins tenant l’âme attachée ;
Pure, belle, paisible, et recevant des cieux
Le charme de sa voix, le regard de ses yeux.
C’est, le matin, le soir, la longue rêverie
Sur Dieu, sur nos enfans, nos fleurs, notre patrie.
Du voyageur lassé, c’est le penser soudain
Qui le saisit au pied de la Croix du chemin.
C’est, aux saints jours, le chant des antiques louanges ;
Le sommeil d’un enfant que regardent les Anges ;
L’orgue, de sons plaintifs emplissant le saint lieu ;
Le front du laboureur incliné devant Dieu.
Mais, surtout, c’est, à l’âge où le péché s’avance
Pour saisir et souiller la robe de l’enfance,

Le Christ le repoussant de sa divine main,
Et sauvant nos enfans par un céleste hymen.
C’est à le voir chercher ses brebis écartées,
Et parfois près du gouffre, en naissant, emportées ;
C’est lorsque sa voix dit : « Satan ! retire-toi,
» Que viens-tu faire ici ? ces enfans sont à moi ; »
C’est quand le Fils divin les mène au divin Père,
Leur murmurant tout bas sa sublime prière ;
C’est alors, les voyant sur le marbre à genoux,
Qu’en flots plus abondans l’eau sainte coule en nous.


Ô festin solennel ! union chaste et pure !
Hymen du Créateur avec la créature !
Table où j’ai vu s’asseoir, nourris du même Pain,
Le fils du Roi, l’enfant du pauvre et l’orphelin,
Qui nous écarte donc de vos Cènes, ouvertes
À nos cœurs altérés, à nos âmes désertes ?
Ne savons-nous plus rien de ces temps bienheureux
Où l’on nous apprenait à regarder les cieux ?


Prince ! que la leçon de vertu fraternelle
Que vous donne aujourd’hui la Sagesse éternelle,
Laisse au fond de votre âme et dans votre avenir

De ses enseignemens un plus long souvenir !
Heureux encor nos temps, où les grands de la terre
Savent courber leurs fronts devant le sanctuaire,
Et mènent leurs enfans du palais à l’autel,
Afin qu’ils sachent bien ce qu’ils doivent au Ciel !
Gardez comme un trésor la divine semence
Qui tombe en votre sein, ô Royale innocence !
Les fruits en seront doux, sains et rafraîchissans,
Pour chacun de vos jours, pour chacun de vos ans :
Rien ne vous manquera, jeune ou blanchi par l’âge,
La science et l’amour, la douceur, le courage.
Lisez, apprenez tout dans le livre de Dieu ;
Il est tout et pour tous, à toute heure, en tout lieu.
Que ce rayon d’en haut, conservé dans votre âme,
Éclaire votre marche et soit comme la flamme
Qui conduisait Moïse au royaume annoncé :
Au premier pas du ciel ce jour vous a placé.
Oh ! rappelez-vous bien ces touchantes prières
Qu’exhalaient avec vous tous ces enfans, vos frères ;
Et comme aime Jésus, ô mon Prince, aimez-les !
Méditez leur bonheur au fond de vos palais.
Vous les retrouverez un jour, ou loin, ou près du trône,
Magistrats ou guerriers, soutiens de la couronne,
Si les leçons de Dieu leur ont bien profité,

Et rendant à César le tribut mérité.
Ils se rappelleront et le jour, et le temple
Où de l’humilité vous leur donniez l’exemple :
Qu’ils disent, vous voyant près du trône, affermi :
« Il est doux et puissant, notre royal ami ;
» Et voila bien encor l’auréole sacrée,
» Couronne de Jésus, et de tous adorée,
» Dont il couvre les fronts des enfans à genoux. »
Ô Prince ! aimez toujours ceux qui prient avec vous.


Et nous, tristes pécheurs, errans sur les abîmes,
Renouvelons nos cœurs à ces scènes sublimes ;
Tâchons de ressembler à ces petits enfans,
Dans les cieux entr’ouverts aujourd’hui si puissans !
Et pressons-nous de boire à ces pures fontaines,
D’y rafraîchir l’aigreur des discordes humaines ;
Rapprochons-nous aussi des beaux jardins du ciel,
Écoutons-en les voix, recueillons-en le miel ;
Allons au temple, aux champs, aux pauvres, au Calvaire ;
Regardons les enfans, écoutons la prière ;
Trop long-temps loin de là se sont perdus nos pas :
Revenons ramasser les miettes du repas.


Saint-Germain-en-Laye, 22 mai 1837. ulric guttinguer.