La Spéculation et la Banque

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Revue des Deux Mondes3e période, tome 118 (p. 591-620).
LA
SPÉCULATION ET LA BANQUE

Nous nous sommes proposé d’atteindre un double but : étudier la spéculation dans ses effets légitimes et dans ses abus, rendre hommage à ce que les premiers peuvent avoir d’utile au développement du bien-être de l’humanité, tout en critiquant les seconds ; puis montrer au public ce qu’est la banque, cette partie si mal connue de l’activité humaine, en définir l’objet et la fonction, prouver enfin qu’elle peut, et, dans certains cas, doit se tenir écartée de toute spéculation.


I.

La spéculation est, comme la plupart des actes de l’homme, bonne ou mauvaise, selon l’usage qui en est fait, selon le caractère de ceux qui s’y livrent, selon la mesure dans laquelle elle est employée. Rien n’est plus malaisé que d’en discourir, car peu de matières sont aussi obscures, aussi incomprises, non pas seulement du public, mais de ceux-là mêmes qui, par profession, peuvent se croire appelés à connaître la question. La spéculation, dans son véritable sens, n’est que l’exercice légitime d’une des facultés de l’activité humaine ; l’injustice est profonde d’englober dans une réprobation a priori une série d’actes foncièrement honnêtes, utiles à la société tout entière, alors que les risques n’en atteignent le plus souvent que l’individu qui s’y livre. Les excès, ici comme partout, sont blâmables ; nous les condamnons avec autant de sévérité que qui que ce soit. Mais là où l’opinion se trompe, c’est lorsqu’elle s’imagine que ces excès sont la règle. Ils ne constituent au contraire qu’une proportion infinitésimale de ce grand mouvement d’échanges, qui sont et deviennent de plus en plus l’objet de l’activité humaine ; que tous les efforts des gouvernemens libéraux ou conservateurs tendent également à encourager ; que les créations incessantes, et auxquelles la papauté ne s’oppose pas plus que les socialistes, de chemins de fer, de télégraphes, de téléphones, de lignes de bateaux, développent et développeront chaque jour davantage.

S’arrêter à des cas particuliers pour étudier un vaste problème, aussi digne de s’imposer aux méditations des philosophes qu’aux préoccupations des hommes d’État, serait se mettre dans le cas d’un astronome que le passage d’un bolide devant l’objectif de son télescope empêcherait de voir les millions d’étoiles qui constellent le firmament. Il faut commencer par écarter de notre pensée les exemples retentissans de désastres anciens ou récens causés par les excès de la spéculation, et qui, nous le répétons, ne représentent qu’une fraction infime des phénomènes dus à cette dernière ; il faut chercher à la définir exactement, à reconnaître sa présence ou son influence dans la plupart des actes économiques de l’humanité : alors seulement nous serons en droit d’essayer de la juger.

Spéculer, c’est, d’après l’étymologie, regarder, et, par voie de conséquence, réfléchir, déduire, faire œuvre de raisonnement. L’origine même du mot nous fournit un argument, dont ceux-là seuls qui ne se sont jamais rendu compte de l’invincible force des idées latentes du langage contesteront la valeur, pour combattre le préjugé vulgaire qui ne voit dans toute spéculation qu’un jeu de hasard. Rien n’est plus contraire au sens littéral, rien n’est plus éloigné de l’acception vraie. Ce n’est pas en vertu d’une coïncidence fortuite que nous nous servons du même mot pour désigner l’œuvre des philosophes et l’entreprise de ceux qui, à la suite de longues réflexions, de calculs savamment déduits, croient pouvoir prévoir les fluctuations des prix des objets nécessaires à l’humanité et diriger leurs actes en conséquence.

Que le lecteur ne craigne pas que nous poussions trop loin notre démonstration. Il serait assurément ridicule de vouloir assimiler les spéculations d’un Platon ou d’un Descartes, s’élevant aux plus hautes abstractions de la philosophie, à de simples opérations commerciales. On nous accuserait, à juste titre, de jouer sur les mots. Nous nous bornons à dire que la spéculation procède d’un raisonnement et à ce titre diffère essentiellement du jeu, qui attend tout du hasard.

Il ne faut d’ailleurs pas entendre par spéculation les seules opérations sur les fonds publics, actions et obligations, ni croire qu’elle se borne aux opérations à terme. Les marchandises, quelles qu’elles soient, les immeubles même lui servent d’aliment. D’autre part, elle s’exerce également sur ce qu’on appelle le comptant, c’est-à-dire sur cette forme de l’échange qui consiste dans la livraison immédiate de l’objet vendu contre versement concomitant du prix par l’acheteur. Spéculer, dans le sens commercial du mot, c’est acquérir un objet quelconque avec l’espoir de le revendre à un prix supérieur au prix d’achat ; ou inversement le vendre dans la pensée de le racheter plus tard à un prix inférieur.

Il résulte de cette définition que bien peu d’actes humains sont exempts de spéculation. Le marchand au détail qui va s’approvisionner de clous chez le fabricant ne les achète que parce qu’il a l’espoir de les revendre plus cher aux passans qui entreront dans sa boutique : il les paiera 10 francs le quintal à l’industriel qui les forge parce qu’il compte bien les revendre à raison de 12 francs le quintal à sa clientèle. Mais tant qu’il n’a pas revendu la totalité des clous dont il s’est fourni chez le cloutier, il spécule sur ce stock de marchandises ; il est, pour employer une expression technique dont le sens apparaîtra clairement ici, à la hausse sur les clous. S’il n’avait pas foi dans le prix de 12 francs auquel il estime qu’il revendra sa ferraille, c’est-à-dire dans cette majoration de 2 francs par quintal sur la somme déboursée par lui-même, il n’aurait aucune raison d’acheter à l’avance une certaine quantité du produit qu’il espère écouler.

Le raisonnement qu’il fait ne diffère pas, dans son essence, de celui en vertu duquel un audacieux capitaliste avait, il y a un quart de siècle, acheté trente ou quarante mille actions du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée. Cet achat n’était fait qu’en prévision d’une hausse ultérieure, c’est-à-dire de demandes nombreuses amenées par le besoin que d’autres capitalistes auraient des mêmes titres, au fur et à mesure que les raisons de la plus-value, pressenties par le premier acheteur, apparaîtraient clairement à un plus grand nombre d’individus.

La pensée humaine elle-même donne matière à des spéculations. Le libraire qui achète le manuscrit d’un auteur ne lui paie une certaine somme que parce qu’il espère vendre un nombre d’exemplaires tel du livre imprimé qu’il recouvre le prix de son achat, les frais qu’il a dû faire pour l’édition, et réalise en outre un bénéfice. Le libraire a spéculé à la hausse sur les idées, sur le style, sur le renom d’un écrivain ; il court un risque aussi longtemps qu’il n’a pas vendu assez d’exemplaires pour être au moins indemnisé de ses Irais. Il ne réalisera un bénéfice que le jour où le nombre sera dépassé ; il sera en perte si le nombre n’est pas atteint.

Il serait aisé de multiplier les exemples. Ne nous y attardons point. Aussi bien pensons-nous que ceux que nous venons de donner suffiront pour qu’on nous accorde que, si certaines spéculations sont blâmables, l’idée même de la spéculation ne saurait l’être, sous peine de vouloir arrêter la marche de l’humanité.

On nous objectera que nous étendons trop le sens du mot et que nous lui taisons embrasser l’ensemble des opérations commerciales. À vrai dire, nous ne nous effrayons pas outre mesure de ce reproche. Nous sommes bien aises de montrer à combien de nos actes cette idée préside, pour mieux prouver d’une part la difficulté de découvrir la limite à lui assigner scientifiquement et, d’autre part, les obstacles infranchissables qui s’opposent à une répression législative.

Nous ne chercherons pas d’ailleurs à rendre notre tâche plus facile en prolongeant la discussion sur ce terrain où les avantages de notre position sont trop évidens.

Nous bornerons notre analyse à celles des opérations de la spéculation qu’il est d’usage d’envisager sous ce nom. Signalons toutefois là une première erreur qui consiste à prendre la partie pour le tout. Mais peu importe, c’est aux spéculations de Bourse que les critiques s’adressent ; ce sont les marchés à terme dont la validité a été niée jusqu’à nos jours, puisque la loi qui les reconnaît ne date que d’il y a sept ans. Examinons donc les opérations de Bourse ; étudions les marchés à terme ; nous étendrons notre travail, cela va de soi, aux bourses de marchandises ; car les marchés qui ont pour objet les cafés, les farines, les sucres, entrent dans cette catégorie, comme ceux qui s’appliquent aux valeurs dites spécialement mobilières : les denrées d’alimentation et autres sont des valeurs mobilières aussi bien que les titres de rentes, d’actions ou d’obligations, auxquels l’usage a réservé ce nom.

Les spéculations sont susceptibles d’être classées de deux façons différentes, suivant qu’on en considère la forme ou le fond. Au point de vue de la forme, elles se divisent en spéculations au comptant et en spéculations à terme. Les premières se résolvent par l’acquisition de valeurs, titres ou marchandises, livrables ou payables au moment même où le contrat se conclut. L’engagement et l’exécution de l’engagement sont simultanés.

L’opération à terme ne diffère pas de la précédente dans son essence. L’obligation du vendeur et celle de l’acheteur contractées au moment de la conclusion de l’échange sont tout aussi définitives, tout aussi irrévocables que dans l’affaire dite au comptant. La seule différence est que l’opération à terme, de par la volonté des parties, ne se réglera que postérieurement à la conclusion du contrat, à une date certaine, fixée à la minute même où les deux parties se sont mises d’accord sur le prix et les autres conditions. Acheter 3,000 francs de rente française au comptant à 96 pour 100, c’est apporter 96,000 francs contre lesquels on reçoit un titre donnant le droit de toucher tous les trois mois 750 francs aux guichets du trésor, soit 3,000 francs de rente annuelle ; acheter le 5 juin 3,000 francs de rente française à terme à 96 pour 100, c’est s’engager à verser le 30 juin 96,000 francs contre lesquels on recevra le même titre de 3,000 francs de rente. Les deux opérations sont identiques et ne diffèrent qu’au point de vue de l’époque de l’exécution.

Si nous voulons maintenant classer les spéculations non plus au point de vue de la forme, mais au point de vue du fond, nous les diviserons en spéculations à la hausse et en spéculations à la baisse. Nous avons expliqué la spéculation à la hausse : c’est le fait de celui qui promet de remettre une certaine somme d’argent en échange d’un titre ou d’une denrée qu’on s’engage à lui livrer. Si nous reportons pour un instant notre attention sur la situation de l’autre contractant, c’est-à-dire de celui qui promet de livrer, à une époque postérieure à la conclusion du contrat, un titre ou une denrée, nous comprendrons ce que c’est que la spéculation à la baisse. Elle n’est autre chose que le fait de s’engager à livrer ultérieurement le titre ou la denrée contre le prix stipulé.

Deux hypothèses peuvent se présenter dans l’opération à terme. L’acheteur qui s’est engagé à payer le 30 juin 96,000 francs les possède dès à présent : c’est pour un motif de convenance personnelle, parce qu’il préfère par exemple ne déplacer ses fonds qu’à cette date, qu’il a opéré à terme. De même le vendeur peut, dès le 5 juin, posséder les 3,000 francs de rente qu’il vend à terme, c’est-à-dire livrables fin juin, et n’avoir opéré à terme que parce qu’il n’avait besoin de fonds qu’à cette date plus éloignée, ou pour tout autre motif. Dans ce cas, ni l’acheteur ni le vendeur n’ont fait en réalité une opération différente de celle qu’ils eussent faite au comptant. Mais là où la situation devient autre, c’est lorsque nous envisageons les opérations à terme faites à découvert, c’est-à-dire le cas où l’acheteur de la rente qui s’engage le 5 juin à payer 96,000 francs le 30 juin n’a pas les 96,000 francs en caisse, et où le vendeur qui s’engage le 5 juin à livrer le 30 juin un titre de 3,000 francs de rente ne possède pas ladite rente.

Nous sommes ici en présence d’opérations auxquelles le langage vulgaire a plus spécialement réservé le nom de spéculations.

Il y a dans cet engagement réciproque de l’acheteur et du vendeur des 3,000 francs de rente française un aléa qui le fait parfois designer brutalement du nom de pari à la hausse ou la baisse sur les fonds publics, quoique ce soi-disant pari implique bien souvent tout autre chose que le jeu de hasard auquel on voudrait l’assimiler.

Mais il n’en est pas moins vrai que souvent l’acheteur qui n’a pas les 96,000 francs le 5 juin n’achète que dans l’espoir de revendre plus cher avant le 30 juin, date fixée pour son paiement, et que souvent aussi le vendeur qui n’a pas la rente le 5 juin ne vend que dans l’espoir de la racheter meilleur marché avant le 30 juin, date fixée pour sa livraison.

Cette catégorie d’opérateurs, nous en ferons volontiers l’aveu, n’offre guère d’intérêt au point de vue général. Leur action dans l’ensemble du mouvement économique de la nation n’a rien de nécessaire, et, si les affaires à terme n’avaient d’autre raison d’être que de permettre ou de favoriser de semblables échanges, nous ne serions pas de ceux qui s’opposeraient à leur suppression, en admettant que cette suppression fût possible, ce qui reste à démontrer.

Et pourtant, même ici, l’économiste ne peut s’empêcher de constater que ces spéculateurs remplissent sans en avoir conscience un rôle qui a son utilité. Grâce à la multiplicité, à la fréquence de leurs achats et de leurs ventes, ils élargissent singulièrement ce qu’en termes techniques on appelle le marché d’une valeur. Pour ce qui est en particulier de la rente française, notre ministre des finances serait sans doute le dernier à vouloir la mort de ce groupe nombreux et bruyant de « parieurs » sur nos fonds publics qui ne songent, il est vrai, qu’à réaliser journellement de petits bénéfices grâce aux écarts pratiqués sur les cours, mais qui, par la masse incessante de leurs opérations, donnent au marché de nos rentes une ampleur, une étendue et une force de résistance incomparables. La multitude des ordres transmis en sens contraire agit comme une synthèse de courans qui maintiendrait la surface des eaux à peu près immobile ; les forces opposées, quelle que soit leur grandeur, s’annulent. C’est grâce à cet état de choses que les échanges de nos rentes peuvent se faire sur la place de Paris avec une facilité sans égale au monde. Les consolidés anglais eux-mêmes sont loin de présenter une élasticité semblable. Des millions de rentes françaises s’achètent et se vendent sans que les cours varient d’une fraction appréciable. Le lecteur sent de quelle importance sont pour le Trésor la constitution et le maintien d’un marché pareil qui apporte un concours précieux, presque indispensable, à l’émission de chaque nouvel emprunt national.

Mais ce n’est pas le lieu d’insister sur ces considérations techniques et spéciales. Aussi bien avons-nous déclaré que nous ne nous ferions point l’avocat de ces spéculations sans autre but que la réalisation d’un bénéfice par la hausse ou la baisse de l’objet acheté ou vendu à découvert. Mais elles ne forment qu’une bien faible part de l’ensemble des transactions à terme, lesquelles sont au contraire indispensables, dans bien des cas, à la conduite régulière des affaires d’un financier, d’un commerçant, d’un industriel et même d’un simple particulier.

Nous n’avons pas à revenir sur le cas si simple et si fréquent de l’acheteur qui, sans être encore nanti d’une somme qu’il attend à date fixe, désire profiter du cours actuel pour s’assurer la possession d’un titre ou d’une marchandise. Je sais par exemple qu’une somme de cent mille francs dont j’ai hérité, ou qui m’est due en vertu d’une assurance ou pour tout autre motif, me sera comptée à la fin du mois ; la rente française est aujourd’hui cotée 96 pour 100 et j’ai lieu de supposer que ce prix ira en augmentant ; j’ai tout intérêt à conclure mon achat dès maintenant.

Un fondeur sait qu’il recouvrera une certaine somme par les paiemens de ses cliens auxquels il a vendu des lingots de fer ou de cuivre. Il constate, d’autre part, que le cours du minerai de cuivre ou de fer est à un taux bas, et désire en profiter pour s’approvisionner : n’est-il pas heureux de se trouver en face d’un marché à terme, sur lequel il peut dès à présent s’assurer le cours de sa matière première, avant même d’avoir les deniers en main ?

Le marché à terme est souvent indispensable au producteur et à l’acheteur de marchandises pour l’empêcher de spéculer. Voici, par exemple, l’agriculteur russe, propriétaire en Podolie, qui désire vendre dès le 15 mai sa future récolte de blé à un négociant de Marseille, parce qu’il trouve satisfaisant le prix que lui offre celui-ci. Supposons que le prix soit de 20 francs le quintal métrique. Le vendeur russe devra transformer les francs en roubles, c’est-à-dire calculer combien ces 20 francs, au cours du 15 mai, représentent de roubles : supposons que la cote du papier sur Paris en Russie soit 40, c’est-à-dire que pour 100 francs on obtienne 40 roubles. Notre propriétaire sait qu’il recevra 8 roubles par quintal. Mais puisque son blé ne sera récolté qu’en août et n’arrivera à Odessa, port d’embarquement, qu’en septembre, et à Marseille qu’en octobre, il ne sera payé qu’à cette dernière époque ; il ne peut donc vendre ses francs que livrables en octobre ; s’il n’existait pas un marché à terme sur les changes, il ne pourrait vendre son blé qu’en risquant de subir une perte notable par suite de fluctuations possibles du cours du change, de mai à octobre. En effet, qu’à cette dernière époque la cote de Paris en Russie soit tombée à 30, c’est-à-dire 30 roubles pour 100 francs, et l’agriculteur ne recevra plus que 6 roubles par quintal, c’est-à dire les trois quarts seulement du prix qu’il réalisait en mai.

Ce que nous disons là est tellement la vérité que les négocians allemands déclarent en ce moment même éprouver les plus grandes difficultés à continuer leurs affaires d’exportation en Russie, parce que les dernières mesures du ministre des finances, à Saint-Pétersbourg, tendent à entraver le libre fonctionnement du marché à terme qui existait à Berlin sur les roubles. Les maisons les plus sérieuses, les plus étrangères à la spéculation, se voient placées dans l’alternative de renoncer à cette branche de leur négoce ou de courir tous les risques des fluctuations du change pendant la période qui s’étendra de la conclusion du contrat à son entier accomplissement. Or, ces risques sont tels qu’ils peuvent non-seulement absorber tout le bénéfice attendu de l’opération, mais encore constituer les exportateurs en perte.

Il nous semble inutile de prolonger la démonstration de la légitimité de l’opération à terme, à découvert, même au sens strict du mot, pour les cas innombrables qui rentrent dans cette catégorie. Il faut aller plus loin et prouver que l’opération à découvert constitue bien souvent un acte de sage administration, de précaution nécessaire, alors même que l’acheteur sait qu’il n’aura point les deniers et que le vendeur n’est point certain d’être nanti du titre ou de la marchandise dont il promet la livraison.

On appelle arbitrage en matière de Bourse l’opération qui a pour but d’échanger un titre contre un autre. Elle procède de l’idée que, toutes choses égales d’ailleurs, le premier est trop cher relativement au second ; que, par exemple, la rente 3 pour 100 d’un État soit cotée 85 pour 100, et la rentes pour 100 du même État 98 pour 100, il sera tentant d’arbitrer la première contre la seconde, c’est-à-dire de vendre ce 3 pour 100 qui ne rapporte que 3.52 pour 100 en achetant le 4 qui rapporte 4.08 pour 100. La spéculation qui consistera à vendre à découvert le 3 pour 100 afin d’acheter à découvert le 4 pour 100 ne mérite point d’être assimilée à un jeu. Il s’agit, en effet, de deux dettes du même État, qui, par conséquent, présentent le même degré de sécurité ; toutes les circonstances extérieures qui affecteront l’une nuiront également à l’autre. Une guerre, par exemple, qui ferait baisser le 3 pour 100 ne pourrait laisser le 4 pour 100 immobile. Opérer dans le sens indiqué, c’est donc agir en vertu d’un raisonnement par lequel l’arbitragiste a perçu, plus tôt peut-être que la masse du public, cette vérité que tôt ou tard deux engagemens émanés du même débiteur doivent se coter à un prix sensiblement égal. Ce même raisonnement lui indique que, tout en achetant le 4 pour 100 et en vendant le 3 pour 100 à découvert, il ne court qu’un risque limité ; il fait une opération commerciale, puisqu’il n’attend que le moment où, le 3 ayant baissé et le k remonté, il rachètera l’un et revendra l’autre.

Cet arbitrage est tout différent de la simple attente d’une hausse ou d’une baisse due à des événemens fortuits ; il repose sur une déduction en quelque sorte mathématique.

D’autres exemples montreront d’une façon plus éclatante quels services sérieux peut rendre le marché à découvert et comment il permet de diminuer les risques des opérations financières, commerciales et industrielles.

Voici un banquier qui négocie avec une compagnie de chemin de fer pour acheter d’elle une certaine quantité de ses obligations, que nous supposerons, comme c’est presque toujours le cas en France, garanties par l’État. Le banquier remplit ici le rôle d’intermédiaire entre ceux qui ont besoin de capitaux, dans l’espèce la compagnie de chemin de fer, et ceux qui cherchent au contraire à placer leurs capitaux, c’est-à-dire le public qui va acquérir ces obligations. Depuis le moment où le banquier aura signé avec la compagnie le traité d’achat jusqu’à celui où il aura revendu les titres à ses cliens, il s’écoulera un temps plus ou moins long, durant lequel le banquier courra tout le risque d’une baisse possible. Qu’une guerre éclate, et cette baisse pourra atteindre des proportions qui affecteront d’une façon fâcheuse la situation de sa maison. Or il est un moyen de s’assurer contre ce danger. La rente française est une créance sur le débiteur qui a garanti les obligations de la compagnie de chemin de fer, l’État français. Vendre de la rente, c’est donc, sous une autre forme, diminuer l’engagement contracté par l’achat des obligations. Une baisse violente ne pourra atteindre ces dernières que si le crédit de leur garant vient à diminuer. La même cause ne pourrait manquer de faire baisser la rente française. Le banquier réaliserait alors du chef de cette baisse un profit qui viendrait compenser ou atténuer la perte résultant pour lui de la baisse des obligations. En étant ainsi vendeur de rente, il aura éteint le risque qu’il courait à être acheteur d’obligations. Or il ne peut le faire que grâce au marché à terme, à découvert, qui lui permet de conserver cette position jusqu’au jour où son opération sera entièrement liquidée, c’est-à-dire où il aura réalisé toutes les obligations de la compagnie de chemin de fer. Au fur et à mesure de ses ventes, il rachètera une quantité proportionnelle de rente. Si ces rachats s’opèrent à des prix supérieurs au prix de la vente à découvert, il en résultera une perte pour le banquier ; mais cette perte ne sera qu’une diminution de bénéfice, puisque évidemment la hausse de la rente française aura amené celle des titres garantis par le gouvernement français et que, par conséquent, les obligations auront monté et auront été vendues d’autant plus cher par le banquier. C’est une véritable assurance qu’il aura organisée lui-même et dont il paiera volontiers la prime pour se garantir contre toute éventualité.

Passons du domaine des valeurs à celui des marchandises. Voici un meunier qui, jugeant la récolte indigène insuffisante, s’approvisionne en blés étrangers. Il achète dès le mois de juin un chargement de froment américain qui part de San-Francisco et n’arrivera en France que vers le mois de novembre. Le prix en est naturellement fixé dès maintenant ; le meunier n’a consenti à le payer que parce que le cours de la farine, aujourd’hui coté, lui laisse une marge, c’est-à-dire lui permet de payer ledit prix, de couvrir ses frais de fabrication et autres, et de réaliser encore un bénéfice.

Mais peut-il attendre pour vendre sa farine que le voilier californien ait accosté dans le port auquel il est destiné ? Peut-il attendre que les trente, quarante ou soixante mille sacs de blé qu’il porte dans ses flancs aient été débarqués, comptés, pesés, réexpédiés au moulin ? Peut-il attendre que les cylindres aient broyé tout ce grain et que les sacs de farine aient été apportés au marché ? N’est-il pas possible qu’à ce moment-là, c’est-à-dire en novembre ou décembre prochain, les cours de la farine soient intérieurs à ceux d’aujourd’hui, et qu’en vendant à la cote d’alors, le meunier, au lieu de réaliser un bénéfice légitime, subisse une perte notable ? Or le marché à terme, qui lui permet de vendre dès le mois de juin, mais livrables seulement en novembre et décembre prochain, les quinze, vingt ou trente mille sacs de farine qu’il fabriquera au moyen de son blé américain, lui donne le moyen de supprimer ce risque intolérable, contraire à tous les principes d’une sage gestion. Non-seulement cette opération à découvert ne constitue pas une spéculation dans le sens défavorable du mot ; mais elle en est le contraire ; non-seulement elle n’est pas un jeu, mais elle supprime la part du hasard. Elle permet à l’industriel de rester dans son rôle, qui est de trouver un bénéfice légitime, assuré d’avance, dans l’écart entre le prix de la matière première et de l’objet fabriqué.

Le maître de forges qui achète des minerais de fer dont les livraisons sont espacées sur une période de plusieurs années ; les compagnies de chemins de fer, de gaz, de bateaux à vapeur, qui font des marchés à terme pour des charbons à cinq et dix ans d’échéance, achètent des marchandises dont elles n’ont pas la contre-valeur en caisse.

Inversement, les propriétaires de mines ou de houillères qui s’engagent à livrer des millions de tonnes de pyrite ou de combustible non encore extraites des entrailles de la terre, qu’ils supposent devoir y être enfermées, mais dont ils ne sont pas mathématiquement certains de pouvoir disposer aux époques fixées pour la livraison, opèrent certainement à découvert.

Songe-t-on à leur en faire un grief ? Tout le monde ne reconnaît-il pas au contraire que ce sont là des actes de sage administration, que c’est, après s’être assuré pour une longue période des revenus constans, que les compagnies pourront établir leurs budgets, connaître les sommes qu’elles devront consacrer à des travaux d’amélioration, fixer équitablement les salaires de leurs ouvriers, en un mot procéder à une exploitation rationnelle de leur industrie.

Voilà l’ensemble des phénomènes que doit considérer celui qui veut comprendre ce que c’est que la spéculation. Thalès de Milet, le célèbre philosophe grec, acheta un jour toute la récolte d’olives de son district. Des intempéries survinrent qu’il avait prévues grâce à ses connaissances météorologiques ; elles augmentèrent considérablement la valeur de ces fruits. C’est la seule réponse que Thalès fit à des amis « pratiques » qui lui avaient un jour objecté l’inutilité de la science. « Si les savans ne s’enrichissent pas, leur dit-il en riant, c’est qu’ils le dédaignent ; mais les spéculations leur sont plus faciles qu’aux autres, car ils savent mieux raisonner. » Thalès achetait sans doute à terme des olives qui n’avaient pas encore mûri. Il n’avait pas en caisse tous les talens d’argent nécessaires pour solder son achat ; c’était le marché à découvert dans toute son horreur. Nous sommes loin de l’anti-option bill, récemment proposé aux chambres américaines, mais rejeté par elles, et qui eût supprimé le marché à terme des blés de New-York et de Chicago. Certains agriculteurs de l’Ouest s’étaient imaginé que ce marché à terme les mettait à la merci des spéculateurs : c’est le contraire de la vérité.

Le marché à terme est un grand régulateur, précisément parce qu’il permet l’intervention de la spéculation. Que se passe-t-il en effet là où le détenteur de la marchandise, obligé de vendre, ne se trouve en présence que de celui qui a l’argent comptant ? Il est contraint d’accepter le cours que ce dernier lui offre, si bas qu’il soit. Ceux qui assistent désarmés, c’est-à-dire sans détenir de numéraire, à ce contrat léonin, ne pourraient intervenir pour en améliorer les conditions, s’ils n’avaient pas la ressource d’acheter à terme, de spéculer à la hausse. Nous n’avons pas besoin de traverser l’Atlantique pour le constater. Dans beaucoup de nos départemens, aussitôt après la récolte, le paysan vend son blé au marchand qui lui apporte des espèces sonnantes à des prix souvent dépréciés ; mais ces prix seraient encore bien autrement bas si le paysan ne pouvait et ne savait opposer aux prétentions de son acheteur le cours des halles.

Or ces cours, qui s’appliquent à des époques à venir comme aux livraisons immédiates, sont constamment réglés par la spéculation, qui opère d’après les cotes indigènes et étrangères, d’après les perspectives de la récolte dans les divers pays du monde, qui, en un mot, fait entrer en ligne de compte tous les élémens de nature à exercer une influence légitime sur la denrée.

C’est là un des cas nombreux où la spéculation empêche l’avilissement des prix, dans l’intérêt du producteur, et, en particulier, du plus intéressant de tous, du cultivateur. On lui reproche d’aller parfois trop loin dans cette voie et d’arriver à un résultat contraire, c’est-à-dire de nuire aux intérêts du consommateur. Elle exagère, dit-on, les cours dans l’espoir de revendre plus cher au public le stock de denrées accumulées par elle ; — et voilà formulée cette terrible accusation d’accaparement qui fît jadis éclater si souvent les colères populaires.

À vrai dire, dans le monde moderne, dans une Europe et une Amérique sillonnées de chemins de fer et de canaux, nous ne croyons guère à la possibilité sérieuse d’un accaparement, quel qu’il soit, en dehors, bien entendu, de circonstances spéciales telles qu’une guerre, un siège. Aussitôt qu’un cas semblable se présente, tout le monde est d’accord pour accepter la nécessité de mesures spéciales qui mettent bon ordre à toute tentative de ce genre, si elle vient à se produire. Pendant le siège de Paris, en 1870-71, personne n’a songé à critiquer l’institution de boucheries municipales, qui rationnaient la viande vendue à chaque habitant et en réglementaient le prix. Mais, dans la vie ordinaire des peuples contemporains, qui peut avoir la prétention de dicter le prix d’une denrée de première nécessité ? Quel serait l’homme à la fois assez riche et assez insensé pour acheter la récolte en blé de la France, qui représente une valeur moyenne annuelle de 2 milliards de francs ? et quand il aurait réussi à exécuter ce projet chimérique, quand il essaierait de faire monter le prix au-delà du cours vrai, devant résulter des mille influences légitimes esquissées tout à l’heure, le monde entier, l’Inde, l’Australie, la Russie, l’Amérique du Nord, la Plata, le Chili, ne seraient-ils pas là pour diriger en toute hâte sur nos ports des flottes de voiliers et de vapeurs qui apporteraient des montagnes de blé, attirées par les prix en hausse cotés sur les marchés français ? L’afflux de ces marchandises arrêterait vite toute tentative de hausse ; bien plus, elles amèneraient une baisse qui permettrait au consommateur, à l’ouvrier français_, de manger son pain à meilleur marché qu’il ne l’eût fait s’il eût été réduit aux seules ressources de la récolte indigène.

Tel est l’effet à peu près inévitable des accaparemens, ou plutôt des tentatives d’accaparement, à la fin du XIXe siècle. Cela s’est vérifié pour les blés il n’y a pas plus de deux ans. En 1891, la récolte française avait été une des plus mauvaises du siècle : il faudrait presque remonter à 1847, alors que la France dut vendre des rentes à la Russie, afin de lui solder une partie de ses importations de blé, pour en trouver une semblable.

Nous dûmes faire venir du dehors près de quarante millions d’hectolitres de froment, et cela au moment où la Russie, cet ancien grenier d’abondance de l’Occident, souffrait de la disette et interdisait la sortie des céréales de ses frontières. Tout semblait conspirer pour amener le prix du blé à des hauteurs depuis longtemps inconnues. Or que s’est-il passé ? Le quintal métrique ne s’est jamais élevé à plus de 31 francs et, dès le mois de novembre, il était retombé à 28 francs pour redescendre graduellement encore l’année suivante. Il est indiscutable que ce fait si favorable, nous le répétons, à l’ensemble de la population française, a été dû aux importations énormes de blé. Les importateurs ont été mus évidemment par l’espoir de réaliser un gain. Quelques-uns d’entre eux ont-ils rêvé plus que des bénéfices légitimes ? Nous ne le croyons pas. En tout cas, ils ont dû être cruellement déçus, car tous ceux qui n’ont pas eu la sagesse de vendre à l’intérieur en même temps qu’ils achetaient au dehors, et cela grâce au marché à terme, ont vu dans bien des cas les cours, au moment de la vente, tomber au-dessous des prix d’achat. À qui donc ces soi-disant accapareurs ont-ils fait du tort, si ce n’est à eux-mêmes ?

Qui ne se souvient du fameux syndicat des cuivres, qui, en 1889, voulut réglementer la production de ce métal dans le monde entier ? Cet accaparement paraissait plus aisé que celui du blé, puisque le nombre des mines qui fournissent ce minerai est limité et qu’une entente semblait possible entre tous les producteurs pour ne pas vendre au-dessous d’un certain prix. Dès le mois de mars 1890, le marché des cuivres s’effondrait sous le poids du stock accumulé, et le consommateur achetait à 900 francs la tonne le métal qu’il payait 1,200 et 1,300 francs avant la grande opération et que celle-ci avait tenté de porter au-delà de 2,000 francs.

Quand les Américains essayèrent, il y a quelques années, de faire ce qu’ils appellent un corner, c’est-à-dire une hausse brutale sur le blé, le résultat en fut que les banques de Nevada qui avaient fourni les fonds tombèrent en faillite et qu’on vendit à Londres des cargaisons à 10 pour 100 au-dessous de leur valeur. Lorsqu’un spéculateur téméraire poussa les huiles de colza sur le marché de Paris à des prix déraisonnables, les chemins de ter de l’Est y amenèrent en quelques semaines de Hongrie et d’Allemagne de telles quantités d’huile que le prix retomba plus bas qu’il n’avait jamais été.

On voit à quel dénoûment aboutissent les excès des acheteurs à découvert : à permettre au public de s’approvisionner finalement à meilleur marché qu’il ne l’eût fait sans cette intervention de la spéculation. — Ceci nous donne le droit de conclure que la spéculation à la hausse n’est jamais, en fin décompte, désastreuse pour la communauté ; ses excès eux-mêmes, qu’il convient de flétrir, ne nuisent qu’aux individus qui s’en rendent coupables, mais non pas à l’ensemble de la nation.

Il en est exactement de même de la spéculation à la baisse, dont les excès peuvent être plus dangereux encore pour ceux qui s’y livrent. Il y a en effet dans cet ordre d’engagemens quelque chose d’illimité, au moins en théorie. Celui qui achète une valeur ou une marchandise moyennant un certain prix sait qu’il ne pourra jamais perdre plus que le prix même de cette valeur ou de cette marchandise[1]. Encore, lorsqu’il s’agit d’une marchandise, cette hypothèse peut-elle être taxée d’absurde, puisque le blé, le sucre, le cuivre, vaudront toujours quelque chose. Mais celui qui vend à découvert le titre ou la marchandise qu’il n’a point ne sait pas à quel prix il pourra être forcé de les racheter pour en opérer la livraison promise par lui.

Il convient d’examiner séparément le cas du vendeur de marchandises et du vendeur de valeurs dites mobilières. Le premier, à moins qu’il ne s’agisse d’une denrée très rare, produite en un seul point du globe, est pour ainsi dire certain de trouver toujours le moyen de remplir son engagement. Quand le cuivre avait été poussé à 2,000 francs la tonne, on rencontrait sur les grands chemins de l’Inde des indigènes qui apportaient leurs ustensiles de cuivre aux fondeurs des villes, pour les transformer en lingots et les vendre aux prix inespérés dont les échos étaient venus jusqu’aux bords du Gange et de l’Indus. Ils fournissaient ainsi, sans le savoir, aux spéculateurs à découvert qui avaient jugé la hausse extravagante, le moyen de régler leurs engagemens. Le vendeur d’un titre, au contraire, s’expose à rencontrer en face de lui un acheteur qui, ayant acquis par exemple toutes les actions d’une société, en exige la livraison. Le vendeur pourra alors être obligé d’offrir aux détenteurs de ces actions des prix fantastiques pour les décider à s’en dessaisir en sa faveur. On a vu des opérations de ce genre réussir et faire conclure à l’immoralité des marchés à terme. Mais qui force un vendeur à promettre ce qu’il n’a pas ? Et encore, même ici c’est à lui seul qu’il nuit : car au point de vue de l’intérêt général, on peut dire avec raison qu’il s’est opposé ou a essayé de s’opposer à une poussée exagérée des cours.

Souvent le vendeur à découvert rend un véritable service en prévoyant une baisse ultérieure dont les causes restent encore cachées aux yeux du plus grand nombre. Certains symptômes, qui passent inaperçus d’observateurs moins attentifs, pourront faire prévoir à un spéculateur un recul dans les cours d’un fonds d’État, soit que l’étude approfondie du budget l’amène à conclure à la nécessité d’une nouvelle émission de rentes, soit que l’observation des marchés étrangers lui fasse pressentir l’éclosion d’une crise qui aura son contre-coup sur les cotes de tous les marchés. Quel est alors le double effet de ses ventes à découvert ? D’une part l’offre de titres qui se produit à la Bourse arrête la hausse et fait que les acheteurs paient moins cher la rente qu’ils veulent acquérir. Si le titre est destiné à baisser ultérieurement, leur perte sera atténuée de toute la somme qu’ils eussent dû. débourser en plus dans le cas où, le vendeur à découvert n’ayant pu opérer, la demande n’eût été servie qu’à un prix plus élevé. D’autre part, celui qui a vendu à découvert devra racheter un jour ou l’autre. — Qu’une panique se produise, ou simplement qu’un recul violent soit provoqué par l’un des événemens prévus par le spéculateur, celui-ci interviendra sur le marché pour acheter à l’heure où tout le monde veut vendre. La demande qui arrive ainsi au moment psychologique remplit le rôle d’une troupe fraîche sur un champ de bataille où l’armée battait en retraite : grâce à ce renfort, l’offensive est reprise et la confiance rétablie.

D’une façon générale, le spéculateur agit comme un régulateur : c’est le volant de la machine qui entretient la constance du mouvement et s’oppose à son ralentissement aussi bien qu’à un excès de vitesse.

Le spéculateur à la hausse intervient quand les prix lui paraissent dépréciés outre mesure ; quand, par exemple, l’action d’une société dont le capital est intact tombe au-dessous du pair. Le spéculateur à la baisse cherche à rétablir l’équilibre quand l’entraînement du public pousse les cours à des hauteurs déraisonnables, paie des primes excessives et tend à porter les titres à des prix qui ne sont plus en rapport avec le revenu qu’ils donnent.

D’ailleurs il ne faut pas raisonner de ces matières in abstracto et comme si toutes ces spéculations étaient la chose du monde à la fois la plus aisée et la plus ordinaire. Elles ne se font ni par les premiers venus ni pour les premiers venus. Elles se produisent sur des marchés organisés où des intermédiaires souvent fort importans n’acceptent d’ordres que de particuliers ou de sociétés en mesure de supporter les risques encourus. Des erreurs de jugement se commettent là comme ailleurs : mais ce serait se tromper fort que de croire qu’il est loisible à chacun d’engager des opérations téméraires.

Quoi qu’il en soit, la spéculation n’est que l’application d’un raisonnement juste ou taux à des entreprises commerciales, financières et industrielles. À ce titre seul, elle mérite déjà d’être considérée autrement qu’une œuvre de hasard et de jeu. Elle n’est nullement spéciale au commerce de la banque, qui est au contraire un de ceux, comme nous allons essayer de le démontrer, qui peuvent le mieux s’en passer. Elle ne se borne pas aux affaires de Bourse, même si l’on prend ce dernier terme dans son acception la plus générale, c’est-à-dire l’ensemble des marchés où se traitent les marchandises aussi bien que les valeurs. Elle est le ferment qui détermine le mouvement des échanges : sans elle, tous nos besoins, aujourd’hui si vite et si aisément remplis, risqueraient souvent de dégénérer en souffrances, faute des objets nécessaires à leur satisfaction, que la spéculation va constamment chercher là où ils sont en excès pour les transporter là où elle espère qu’ils seront plus demandés. Elle assure l’approvisionnement des villes, des nations, en fournissant sans relâche les matières premières nécessaires ; elle permet à leur outillage industriel, maritime, militaire, d’être toujours entretenu et renouvelé.

Les excès en sont condamnables ; mais ils sont bien peu de chose par rapport à l’immense activité du commerce et de l’industrie légitimes dont la spéculation est le moteur initial. Le public est frappé par les explosions retentissantes de grands désastres ou irrité par l’échafaudage rapide de certaines fortunes soudainement écloses. Il oublie de considérer les milliards de transactions quotidiennes, qui n’amènent à leur suite ni ruines ni enrichissemens excessifs. Ces derniers sont une exception telle que le philosophe peut et doit en faire abstraction ; il est même rare que ceux qui ont progressé aussi vite sachent conserver ce qu’ils ont amassé et ne reperdent point par la même voie les sommes qu’ils ont gagnées hâtivement. L’expérience nous prouve que les fortunes acquises par le travail sont les seules qui se conservent : une justice immanente des choses récompense finalement chacun selon ses œuvres. Certaines exceptions n’infirment d’ailleurs en rien la démonstration de ce que nous croyons être la vérité, à savoir que la spéculation est légitime en principe. Ses écarts ne peuvent malheureusement pas être définis à l’avance par des textes législatifs, car ils résultent de la personnalité de ceux qui opèrent beaucoup plus que de la nature des opérations. Tel achat fait par un capitaliste puissant ne constituera pour lui qu’un emploi légitime de ses disponibilités, qui serait de la part d’un homme sans ressources un véritable jeu. Il est du reste probable que ce dernier, dans la plupart des cas, ne trouverait pas d’intermédiaires pour exécuter ses ordres, si bien qu’un remède préventif l’empêchera de donner suite à son intention. Mais réussît-il à le faire, que la société est impuissante à y mettre obstacle. Comment rendre le suicide impossible ? Quand le législateur a essayé de frapper la spéculation, il a édicté l’article du code qui assimilait les marchés à terme à des paris, et refusait en conséquence toute action pour en exiger le règlement. Ce texte de loi a-t-il empêché les immenses spéculations à la Bourse qui ont marqué la seconde moitié du siècle, et qui se sont poursuivies grâce à l’honnêteté des intermédiaires et à la confiance qu’ils avaient dans leurs commettans ? À quoi a-t-il servi ? À permettre parfois à des gens de mauvaise foi de refuser de payer à leurs agens de change les différences dont ils étaient devenus débiteurs, après avoir souvent encaissé leurs bénéfices chez les mêmes intermédiaires.

Aussi le parlement a-t-il sagement agi en reconnaissant par la loi de 1885 la validité des marchés à terme qui se pratiquaient couramment avant cette date, mais dont il importait de sanctionner à tous les yeux la parfaite légitimité.


II.

Parmi toutes les spéculations auxquelles donnent lieu les échanges des produits de l’activité humaine, il n’en est point qui aient attiré davantage l’attention du public et l’intervention des pouvoirs législatifs que celles qui ont pour objet les créances ou les parts d’intérêts, qui s’appellent rentes, actions, obligations et qu’on désigne communément sous le nom de valeurs mobilières.

La création et la négociation de ces valeurs étant un des attributs de la Banque, bien qu’elles soient loin, comme on semble parfois le croire, d’en constituer l’unique objet, une étude de cette dernière nous paraît être la suite indispensable de nos recherches sur la spéculation.

La Banque est cette branche de l’activité économique qui a pour objet le commerce des capitaux indispensables aux autres négoces. Elle constitue dans son ensemble le réservoir où viennent puiser toutes les entreprises ; sa mission consiste d’une part à recueillir les sommes disponibles qui cherchent un emploi fructueux, d’autre part à mettre ces sommes en valeur en les faisant servir au commerce, à la finance, à l’industrie, dans leurs formes et leurs applications les plus diverses. C’est une pompe à la fois aspirante et foulante : elle sollicite l’épargne, en recueillant les moindres capitaux, fruit du travail et de l’économie, puis elle lance dans la circulation les ressources ainsi concentrées par elle, qui permettent la création constante de nouvelles entreprises, l’utilisation de nouvelles forces, la production de nouvelles richesses. Son rôle est indispensable : elle est l’intermédiaire nécessaire entre la fraction de la nation arrivée par son travail ou celui des générations précédentes à posséder du numéraire, et cette autre partie de la communauté qui n’en possède point ou n’en possède pas assez pour mettre en pleine exploitation son capital de force matérielle et intellectuelle.

Les premiers sont les détenteurs des capitaux qu’ils ont produits ou dont ils ont hérité ; ils sont les consommateurs de ce que produisent les seconds. Gardons-nous d’ailleurs de vouloir assigner une portée mathématique à cette division. La plupart des hommes sont à la fois producteurs et consommateurs. Les ranger exclusivement dans l’une ou l’autre catégorie, c’est commettre une inexactitude évidente. Ce classement n’a d’autre but que de faire ressortir la fonction prédominante chez l’individu, et encore cette prédominance change-t-elle bien souvent avec l’âge : celui qui a été producteur durant sa jeunesse et son âge mûr redevient, sur le tard, ce qu’il était, comme enfant, — un consommateur.

Quoi qu’il en soit, et sans vouloir insister sur les déductions philosophiques qui découlent de cette constitution de la société humaine, notamment au point de vue de la légitimité de l’héritage, elle nous paraît expliquer d’une façon à la fois claire et définitive le rôle et la fonction du banquier. Ce rôle et cette fonction sont méconnus pour deux raisons : la première, c’est que ce nom est quotidiennement usurpé par des gens dont les occupations n’ont qu’un rapport lointain ou même aucun rapport avec ce qui est l’objet propre et le but de cette carrière ; la seconde, c’est que l’infinie variété des objets auxquels elle s’applique en rend la parfaite compréhension très difficile : alors que le médecin, l’avocat, l’ingénieur n’ont besoin que d’une somme de connaissances définie, le banquier peut être amené à étudier les entreprises les plus variées, les questions les plus dissemblables. S’il est sollicité par un gouvernement de prendre les titres d’un emprunt, il devra se faire homme d’État et juger à la fois les ressources du pays, les élémens de ses revenus, sa politique même, puisque la valeur du gage augmentera ou diminuera selon la sagesse ou l’imprudence des souverains, des ministres ou des parlemens responsables de la conduite de la nation. Qu’il s’agisse de fournir à un chemin de fer les capitaux nécessaires à la construction, le banquier devra se faire à la fois entrepreneur et ingénieur pour évaluer le coût de la ligne, économiste pour supputer le trafic probable des contrées traversées. Si c’est une usine qui doit se créer, toutes les questions de premier établissement, de main-d’œuvre, de prix de revient, de débouchés devront être examinées et résolues, — qu’une compagnie d’assurances se fonde, rien de ce qui concerne la fixation des tarifs, des tables de mortalité, ne devra être laissé de côté. Cette énumération pourrait être développée pendant des pages. On nous objectera que pour chacun de ces cas le banquier peut et doit se faire assister par des gens du métier, dont la compétence technique facilitera sa tâche et lui permettra de prendre ses résolutions en pleine connaissance de cause, mais le choix des hommes est aussi malaisé que l’étude des choses, — Et encore faut-il n’être pas soi-même étranger aux objets sur lesquels on recueille les avis d’autrui. Cette multiplicité d’aptitudes est telle que l’homme vraiment capable d’être un parfait banquier est, nous ne craignons pas de le dire, un de ceux qui méritent d’occuper les échelons les plus élevés de la hiérarchie intellectuelle.

Comme il y a une modestie pour les nations aussi bien que pour les individus, nous ne chercherons pas en France des exemples qu’il nous serait aisé de citer. Nous nous bornerons à demander à nos lecteurs si l’œuvre d’hommes comme Ricardo, qui fut un des plus grands économistes du siècle, comme sir George Goschen, chancelier de l’échiquier dans le dernier cabinet conservateur-unioniste, sir John Lubbock, dont les écrits philosophiques révèlent une si profonde connaissance du cœur humain, ne démontre pas d’une façon péremptoire à quelle hauteur de conception, à quelle largeur de jugement la profession de banquier, bien comprise et dignement exercée, peut conduire ceux qui la suivent[2].

Malheureusement la difficulté d’atteindre non pas même à la perfection, mais à une possession suffisante de la science nécessaire, est telle que bien peu y arrivent. Le manque autrefois général, aujourd’hui moindre, d’un enseignement à la fois précis et supérieur, ajoute singulièrement aux dangers et aux incertitudes de la carrière. Comme elle est mal délimitée, les confins en sont envahis par des hommes étrangers à ses devoirs : le titre de banquier n’étant protégé par aucune loi, consacré par aucun diplôme, le premier venu peut s’en emparer et s’en empare en effet. C’est là une des raisons principales de la mésestime où une portion notable du public tient cette branche de l’activité humaine qui mérite cependant une tout autre considération.

Avant d’aller plus loin, il faut avertir le lecteur que le mot banquier, dans notre langue, a reçu une extension qui a beaucoup contribué à la confusion des idées en cette matière. La confusion ne s’est malheureusement pas arrêtée aux mots : elle s’est étendue aux choses, — et bien des erreurs, bien des déceptions, bien des ruines, sont peut-être dues à cette simple logomachie, qui a trompé tant d’hommes au début et au courant de leur carrière, en les empêchant d’en percevoir distinctement le but et les bornes.

En Angleterre, le banker est celui qui fait spécialement le commerce des capitaux, c’est-à-dire dont la fonction essentielle consiste, d’une part, à recevoir les dépôts du public et, d’autre part, à les faire fructifier. Au contraire, celui qui se lance dans les diverses entreprises financières dont nous avons plus haut énuméré les exemples se nomme merchant. En France, le banquier remplit indistinctement les deux rôles ; beaucoup les cumulent ; un certain nombre de sociétés et de maisons particulières semblent toutefois avoir nettement compris la nécessité de séparer les deux fonctions, et se sont adonnées exclusivement aux opérations de banque pure. L’étude que nous allons en faire nous servira à mettre en relief ce que ces opérations ont de scientifique et de raisonné. L’autre partie du domaine de la banque, plus vaste, moins bien délimitée, est beaucoup plus malaisée à explorer avec certitude : c’est pour s’y lancer que toutes les qualités énumérées tout à l’heure sont requises. Encore, conviendrait-il d’ajouter aux connaissances nécessaires le caractère, plus rare encore que la science, la prudence et la décision, si bien qu’on a pu justement comparer le financier occupé à diriger de grandes entreprises à un chef d’armée et trouver des analogies frappantes entre les mérites qui assurent le succès de l’un et conduisent l’autre à la victoire. Mais nous ne le suivrons pas dans les nombreuses entreprises auxquelles son activité peut successivement s’appliquer, et dans lesquelles la spéculation est appelée à jouer son rôle. La première partie de notre travail a montré l’étendue de l’horizon qui lui est ouvert. Analyser les variétés innombrables des affaires financières serait composer une encyclopédie. Celui qui aurait la curiosité de s’en faire une idée pourrait feuilleter l’annuaire de la chambre syndicale des agens de change de Paris : dans les centaines d’actions et d’obligations qui y sont inscrites et qui forment l’aliment quotidien des échanges à la Bourse, il trouverait une partie des créations dues à l’activité des banques et des banquiers. Mais lorsque ceux-ci fondent des sociétés, achètent et vendent des titres, souscrivent des emprunts d’État, ils font œuvre de finance et non point de banque pure. Nous voudrions réagir contre l’usage funeste qui a prévalu de confondre dans une même dénomination des occupations aussi différentes. Nous appellerons financiers et associations financières les individus et les collectivités qui n’imposent à l’emploi de leurs capitaux aucune règle spéciale, qui sont prêts à étudier et à exécuter toutes sortes d’entreprises, quelles que soient la nature et la durée du risque. Nous aimerions réserver le nom de banquiers et de banques aux individus et aux sociétés qui ont pour fonction essentielle ou principale de recevoir en dépôt l’argent du public, de lui bonifier un certain intérêt et de chercher, par voie de conséquence, à faire fructifier cet argent, sous certaines réserves et en observant certaines règles qui découlent de la nature même de leurs opérations.

Cette distinction essentielle d’attributions correspond tout d’abord à l’origine des capitaux avec lesquels travaillent les uns et les autres. En principe, le financier emploie ses capitaux ; et par là il convient d’entendre non pas seulement ceux qui sont sa propriété directe et personnelle, mais ceux des commanditaires dans une société en commandite, ceux des actionnaires dans une société anonyme. Ce sont des sommes d’argent qui restent engagées dans une maison aussi longtemps qu’elle existe, et qui lui permettent donc d’aborder les entreprises les plus diverses, sans avoir à se préoccuper d’aucun retrait de fonds : ni les commanditaires, ni les actionnaires ne peuvent reprendre leur mise avant l’expiration du terme assigné à la société. Une société qui ne doit d’argent qu’à des commanditaires ou à des actionnaires n’a de passif de ce chef qu’envers elle-même, façon de parler comptable, un peu barbare, mais qui a l’avantage de mettre en évidence une situation particulière. Au contraire, la maison de banque ou la société de crédit qui reçoit les dépôts du public doit toujours être prête à restituer à ce public les sommes qu’il lui a confiées. Cet argent ainsi exigible ne peut évidemment recevoir des emplois analogues à ceux d’une commandite ou d’un capital-actions.

Telle est la première différence radicale, de laquelle découlent les autres ; elle éclaire la question et permet de dégager les règles qui s’imposent.

Dans la pratique, la division théorique que nous venons d’établir ne se rencontre pour ainsi dire pas à l’état parfait. Une société en commandite ou par actions, dont la fonction principale n’est pas de solliciter les dépôts du public, est presque toujours amenée par le courant de ses affaires à en recevoir. Inversement, une banque de dépôts possède un capital propre, souvent minime par rapport à l’importance des sommes à elle confiées par les tiers, mais qui n’en constitue pas moins, dans l’ensemble des ressources avec lesquelles elle opère, une fraction distincte.

Nous ne ferons d’ailleurs cette observation que pour ne pas nous exposer au reproche d’omettre aucune circonstance de la cause. La règle de conduite d’une banque résulte de sa fonction prédominante, et l’emploi d’un capital propre de quinze millions de francs, par exemple, sera d’une importance secondaire pour une société qui aura reçu cent millions de dépôts du public.

En résumé la banque pure doit être l’apanage de ceux qui travaillent avec l’argent des dépôts, tandis qu’il est loisible aux financiers, tels que nous les avons définis ci-dessus, de se lancer dans les entreprises qui leur conviendront et leur paraîtront offrir des chances de bénéfices supérieures.

À ceux qui s’imaginent que la banque est un jeu, nous répondrons en les invitant à essayer de se rendre compte de l’organisation et du fonctionnement d’un de ces grands établissemens de crédit qui disposent par eux-mêmes d’un capital considérable et de sommes bien plus considérables encore que la confiance du public met à leur disposition. Quelle doit être la pensée, quelle est en effet la pensée dominante de ceux qui le dirigent ? C’est l’emploi des capitaux qui y sont réunis : or cet emploi ne peut se faire d’une façon rationnelle qu’en excluant toute idée de jeu. L’établissement doit être toujours prêt à rembourser à ses déposans les sommes qu’ils lui ont remises ; il doit donc en principe ne les employer qu’à acquérir des créances que nous appellerons à capital invariable, c’est-à-dire par exemple à escompter des effets de commerce et à taire des avances gagées par des titres ou d’autres garanties.

L’effet de commerce porte, dès le jour de sa création, l’indication certaine de la somme au paiement de laquelle il donnera droit le jour de l’échéance. L’avance, de son côté, consiste en une somme fixe dont le montant est également déterminé d’une façon définitive et invariable à l’instant même où l’opération est conclue. Le seul élément de bénéfice dans ces deux cas est l’intérêt plus ou moins élevé, prélevé proportionnellement au temps qui s’écoule entre le moment où le banquier avance l’argent et celui où il rentre dans ses fonds, par l’encaissement de l’effet à l’échéance ou le remboursement de l’avance à son expiration. L’idée de l’intérêt est l’idée maîtresse de ce commerce, nous dirions volontiers de cette industrie, qui s’appelle la banque. Et ceux-là seuls qui, comme certains théologiens du moyen âge, nient la légitimité de l’intérêt, sont en droit de critiquer la profession qui a pour but principal d’en appliquer les lois. La différence entre le taux bonifié aux déposans et celui qu’il est possible d’obtenir grâce aux divers emplois dont nous avons nommé les deux principaux, constitue la source essentielle des bénéfices du banquier : il n’en est pas de plus raisonnable, de plus conforme aux idées philosophiques. C’est la récompense directe et proportionnelle du travail, de la prudence, de la sagacité professionnelle. Celui qui dépose une certaine somme d’argent entre les mains d’autrui et ne s’en inquiète plus que pour toucher tous les ans ou tous les semestres les intérêts stipulés en sa faveur mérite évidemment un revenu moindre que celui qui s’efforce par une activité quotidienne, par une recherche constante des individus, des compagnies, et des gouvernemens en quête de capitaux, de faire fructifier la même somme d’argent.

D’autre part, l’obligation qu’il a contractée de restituer les sommes à lui confiées, soit à première réquisition, soit à terme fixe, soit après un délai plus ou moins bref, courant du jour de l’avis de retrait, lui impose la règle absolue, énoncée plus haut, de n’employer ces sommes qu’en créances non-seulement certaines quant à la date de leur exigibilité, mais certaines également quant à leur montant.

Or qu’est-ce que la spéculation, sinon l’opération fondée sur l’espoir d’une augmentation de capital ? C’est l’œuvre de celui qui, trouvant le prix d’une action, d’une rente, d’une obligation, ou de toute autre marchandise, trop bas par rapport à sa valeur intrinsèque, achète cette action, cette rente, cette obligation, cette marchandise dans l’espoir de la revendre avec un bénéfice, c’est-à-dire avec une augmentation de capital. Cette possibilité d’accroissement a pour corollaire inévitable un risque de perte. Il n’existe de chance de plus-value que là où des événemens contraires aux prévisions peuvent amener une dépréciation.

On voit dans quelle fâcheuse situation serait le banquier qui aurait employé l’argent de ses déposans à acquérir, par exemple, des titres de rente qui auraient baissé au jour où les déposans voudraient être remboursés. Le banquier, ne retrouvant pas dans le prix de la réalisation de ces rentes la totalité des sommes absorbées par l’achat, serait en présence d’un déficit.

Ce genre d’emploi lui est donc interdit en principe. Il court déjà, en bornant ses opérations au champ d’activité qui lui est légitimement ouvert, des risques d’une autre nature, risques professionnels, pour ainsi dire, inhérens à toute entreprise humaine et que la prudence et la sévérité la plus grande réussissent à diminuer, mais non pas à supprimer. Un effet de commerce peut être impayé à l’échéance, une avance contre titres ne pas être remboursée. C’est dans le choix des débiteurs, des signatures dont l’effet est revêtu, des garanties affectées aux avances, que le banquier fera valoir son expérience, sa connaissance des hommes et des choses, toutes les qualités en un mot qui le rendent digne d’exercer cette redoutable gestion des deniers d’autrui.

Nous ne craignons pas d’affirmer que l’histoire confirme de tous points l’exactitude de la théorie que nous émettons. Nous pourrions examiner les banques les plus diverses dans le temps et dans l’espace, depuis la banque royale de Law sous la régence jusqu’aux banques australiennes qui viennent de traverser en avril et mai 1893 une crise si violente : nous trouverions partout les mêmes phénomènes procédant des mêmes lois. Dès que l’argent du public reçoit une destination différente de celle qu’exigent les principes, le danger est proche. La sévérité de la règle est telle qu’il ne suffit pas que les dépôts soient employés en créances d’un montant certain, exclusives de toute idée de spéculation, il faut encore que ces créances soient aisément recouvrables. Le banquier ne doit pas se contenter d’examiner la qualité commerciale, la solvabilité actuelle de ceux à qui il fait crédit ; il est nécessaire qu’il recherche à l’occasion de quelles entreprises le papier qu’il escompte a été créé. C’est ainsi que la crise financière qui vient d’amener la suspension des paiemens de douze banques australiennes ayant ensemble un capital de 300 millions de francs a été due en grande partie à la mauvaise qualité du papier escompté, provenant d’opérations immobilières d’une réalisation longue et difficile, et à la nature des garanties affectées aux avances, qui n’étaient pas non plus de celles dont la liquidation peut être en quelque sorte instantanée.

Non-seulement le banquier ne doit pas spéculer lui-même, mais il doit écarter le papier de ceux qui spéculent. Nous sommes loin de l’opinion commune qui ne sait trop quelle différence faire entre ce marchand de capitaux, dont nous venons d’essayer de définir la profession, et le joueur à la Bourse.

Le banquier, en arrivant chaque matin à son bureau, doit avoir pour tâche première d’additionner d’une part ses exigibilités, c’est-à-dire les sommes qui peuvent lui être réclamées, et, d’autre part, ses disponibilités, c’est-à-dire les ressources immédiatement réalisables au moyen desquelles il fera face aux remboursemens qui lui seront demandés. Le relevé du passif est aisé à faire et les seules divisions à y introduire résultent des différences d’époque auxquelles ce passif est exigible. Celui de l’actif est autrement délicat ; c’est dans la composition de cet actif que se révèle toute la science professionnelle. Il se compose d’espèces et de créances. La première question à résoudre est celle de savoir quelle doit être la proportion des espèces, en d’autres termes, de l’encaisse, billets de banque ou métal. Elle ne peut guère être fixée en théorie, mais dépend d’une série de faits particuliers à chaque pays, à chaque ville, à chaque établissement. L’effort du banquier doit tendre à restreindre le plus possible cet emploi de son actif, qui ne lui rapporte rien, les pièces d’or et d’argent, ni les billets n’étant productifs d’intérêt. Le reste de l’actif comprend le portefeuille commercial, les avances sur titres ou marchandises, les crédits en blanc, c’est-à-dire consentis sur la simple signature du correspondant.

Le portefeuille commercial ne constitue théoriquement de disponibilités qu’au jour de l’échéance des effets, puisque c’est ce jour-là seulement que le banquier porteur de la traite peut aller en réclamer le remboursement au tiré. En fait, il est permis chez nous de le considérer comme représentant une disponibilité immédiate, grâce à l’organisation de la Banque de France, toujours prête à réescompter le papier commercial sérieux, muni de trois signatures et à une échéance maxima de trois mois. Tout banquier peut chaque jour transformer en espèces, ou, ce qui revient au même, en billets de banque, le papier de son portefeuille qui remplit les conditions ci-dessus. C’est donc ajuste titre que ce portefeuille est assimilé à l’encaisse. Une prudence excessive rappellera toutefois au chef de maison que, si la Banque de France ne refuse pour ainsi dire jamais son concours dans les limites que nous avons indiquées, elle n’en est pas moins libre de le refuser. Il ne devra donc pas exclure entièrement de ses hypothèses celle du cas où il se trouverait dans l’impossibilité, partielle ou temporaire, de réescompter son portefeuille.

L’encaisse et le portefeuille forment ainsi l’emploi primordial, essentiel, des dépôts à vue.

Les avances sur titres sont, en général, à échéance fixe. Elles constituent des disponibilités certaines aux dates convenues, à condition d’être faites à des débiteurs solvables et surtout contre des garanties indiscutables, aisément réalisables au cas où le débiteur ne les retire pas contre remboursement de la somme à lui prêtée. Il paraît logique d’établir une relation entre le chiffre de ces avances et celui des dépôts à terme fixe, en observant de faire autant que possible concorder les échéances des unes avec l’époque d’exigibilité des autres.

Les crédits à découvert sont une des matières les plus délicates et les plus dangereuses de la banque. Ils ne doivent être consentis qu’à des correspondans de tout premier ordre, pour les besoins légitimes de leurs affaires régulières. Ils exigent de la part de celui qui les consent une surveillance constante de ceux à qui ils sont accordés, surveillance rendue en général difficile par l’éloignement, puisque c’est surtout pour les affaires de place à place, de pays à pays, que ces crédits sont en usage. Ils ne doivent figurer que pour une proportion réduite dans l’ensemble des affaires d’une banque ; ils rentrent dans la catégorie des emplois qu’il est sage de proscrire pour l’argent des dépôts et auxquels on ne devra destiner que les ressources propres de l’établissement, c’est à-dire son capital et ses réserves.

Nous touchons ici encore à un point intéressant de la question qui est précisément de savoir dans quelle mesure les règles posées pour l’emploi des dépôts s’appliquent à celui des ressources pro près du banquier. Il est évident a priori que la sévérité des principes pourra et devra se relâcher. Toutefois, il faudrait se garder de croire que le banquier ou la banque de dépôts doive jouir, à cet égard, d’une liberté égale à celle du financier. Le capital propre joue ici un rôle essentiel, qui est celui de garant vis-à-vis des tiers pour les engagemens contractés à leur égard. Quelle que soit, en effet, la sagesse de ceux qui administrent les sommes parfois énormes que les dépôts accumulent dans certains établissemens. ils peuvent commettre des erreurs ; d’autre part, des circonstances extérieures, indépendantes de leur volonté, peuvent amener des crises telles que le meilleur papier ne sera pas payé à échéance, que la Banque de France cessera ou diminuera le réescompte, que le cours des titres garantissant les avances tombera au-dessous de celui auquel l’avance a été consentie : il convient donc, en prévision de ces circonstances exceptionnelles, que le capital propre, lui non plus, ne soit pas immobilisé dans des entreprises à longue échéance, et nous sommes ainsi amenés à poser pour son emploi des règles presque aussi sévères que pour celui des dépôts. Il ne pourra servir utilement en temps de crise que s’il est sous la main du banquier, à sa portée immédiate. À ce point de vue, l’idéal de l’organisation d’une banque est celle d’une société par actions nominatives, dont la fraction minima, c’est-à-dire le quart d’après la loi française, est versée. Comme les actionnaires sont responsables du versement des trois autres quarts et tenus de l’effectuer à première réquisition, la société a toujours de ce chef une ressource parfaitement liquide, qui constitue pour ses créanciers une garantie des plus précieuses. La garantie est meilleure que si l’argent était versé ; car il aurait pu être mal employé ou immobilisé dans des emplois difficilement réalisables, tandis que cette obligation des actionnaires, toujours exigible, constitue une réserve liquide dans la plus forte acception du mot.

Cette organisation a un avantage qui compense pour les actionnaires l’inconvénient d’être exposés à un appel de fonds : c’est que le crédit dont jouit la société se mesure alors non pas d’après le capital versé, mais d’après le capital nominal. Les dépôts affluent en proportion de ce dernier et permettent à la société de réaliser des bénéfices qui, répartis sur un quart du capital nominal, rémunèrent grassement les sommes versées. C’est ainsi que les actionnaires d’une des plus anciennes banques de dépôts de Paris reçoivent depuis de longues années un dividende de 10 à 20 pour 100 sur leurs actions de 500 francs dont un quart seulement est versé, soit de 12 à 24 francs pour 125. Dans cette industrie de la banque pure, telle que nous l’avons définie, les bénéfices sont, en effet, directement proportionnels à la quantité de capitaux mis en mouvement. Une différence d’intérêt de 2 pour 100 réalisée sur 100 millions donnera deux fois plus de bénéfices que sur 50, puisque les frais d’exploitation sont loin de varier en proportion des capitaux employés : le point essentiel est donc d’obtenir le plus de dépôts possible. D’autres facteurs entrent en ligne de compte ; la banque de dépôts ne s’interdit naturellement pas de cherchera rendre au public tous les autres services qu’il est en droit de réclamer, pourvu qu’ils soient exclusifs de toute idée de spéculation pour elle. La banque fera à commission pour ses cliens toutes les opérations dont ils la chargeront, gardera leurs titres, encaissera leurs coupons échus et les obligations amorties, leur fournira des lettres de crédit sur l’étranger, etc., mais ce sont là des opérations accessoires.

C’est en s’inspirant de ces principes que les grands établissemens anglais sont arrivés à un degré de prospérité considérable. D’après une statistique récente, les quatorze principales banques de Londres avaient reçu des dépôts pour plus de 5 milliards de francs : 13 pour 100 de ces exigibilités, c’est-à-dire 650 millions, étaient en caisse dans ces banques ou disponibles à leur crédit à la Banque d’Angleterre. La moyenne des dividendes distribués aux actionnaires atteint jusqu’à 20 pour 100 pour certaines d’entre elles.

En France, nos principales sociétés de crédit semblent comprendre de plus en plus la nécessité de séparer nettement leur domaine de celui de la spéculation financière. Nous pourrions citer l’histoire de l’une des plus importantes, la première après la Banque de France, dont elle dépasse d’ailleurs et le capital et le chiffre de dépôts[3], comme la démonstration vivante du progrès qui s’est fait à cet égard dans les idées. Cette société, après avoir au début de son existence cherché sa voie, après s’être lancée, avec succès d’ailleurs, dans les opérations financières proprement dites, a dégagé peu à peu l’idée maîtresse qui doit la guider : elle a concentré tous ses efforts sur l’organisation de son outillage, d’après les principes immuables qui seuls assurent le succès d’une industrie : perfection du commandement et de l’état-major ; installation dans l’endroit le plus favorable ; trésorerie abondante, c’est-à-dire maintien constant de la somme de disponibilités nécessaire. Aujourd’hui cette société n’attend pour ainsi dire plus rien des chances variables des émissions, emprunts d’État ou souscriptions à des entreprises particulières, ni des spéculations qui peuvent en être l’accompagnement obligatoire : elle possède un réseau d’agences et de succursales en France et à l’étranger, grâce auquel elle se trouve, dans plus de cent vingt-cinq endroits, à la portée de sa clientèle, en mesure de lui rendre les services variés et multiples que cette dernière réclame.

Elle n’est pas seule d’ailleurs à s’être pénétrée de l’impérieuse nécessité qui s’impose aux banques de dépôts : c’est ainsi, en définitive, qu’il convient de désigner les établissemens dont la fonction primordiale est de recevoir et de gérer les capitaux du public. Ces banques doivent éliminer de leur programme les spéculations financières ; elles ne se désintéresseront certes pas du marché des valeurs mobilières ; elles prêteront, au contraire, leur concours aux émissions qui leur sembleront saines, mais en général elles se borneront à ouvrir leurs guichets, pour recueillir les souscriptions du public, sans courir elles-mêmes le risque, c’est-à-dire sans s’engager vis-à-vis de l’État ou de la compagnie émetteurs à garder les titres non souscrits. Cette règle, en aucun cas, ne souffrira d’exceptions que pour l’emploi éventuel d’une partie du capital propre à l’établissement : et encore rappellerons-nous à ce sujet tout ce que nous avons dit plus haut de la nécessité de maintenir aussi liquide que possible même cette fraction du patrimoine social.

La plupart de nos grandes banques de dépôt, instruites les unes par l’exemple d’autrui, les autres par leur expérience personnelle, s’engagent de plus en plus dans la voie que nous venons de tracer. L’une des premières, reconstituée aujourd’hui sur des bases nouvelles, doit se souvenir de la crise violente amenée en 1889 par des engagemens téméraires pris dans la célèbre affaire des cuivres. Une autre qui partage, avec celle dont nous résumions tout à l’heure l’histoire, la spécialité des agences répandues sur toute la France, a connu des jours difficiles à cause d’entreprises lointaines où elle avait immobilisé des sommes considérables ; une partie des bénéfices que, grâce à une excellente organisation, elle réalise depuis de longues années, servent à amortir des engagemens pris dans l’Amérique du Sud. À Lyon, nous citerons volontiers une banque de dépôts modèle qui ne clôture jamais son inventaire au 31 décembre, sans avoir réduit ses engagemens à moins d’un million de francs, bien que son capital soit de 30 millions dont un quart versé, ses réserves de 3, et ses dépôts de 60 millions.

En face de ces banques, existent les associations financières qui, opérant essentiellement avec leurs capitaux propres, sous forme de sociétés par actions ou en nom collectif, ont pour domaine spécial toute la partie des affaires que les banques de dépôts s’interdisent[4]. Ce sont elles qui négocieront avec les gouvernemens, les compagnies industrielles, les emprunts nécessaires à l’équilibre des budgets, aux constructions nouvelles ou à tous autres développemens. Ce sont elles qui permettront les créations d’entreprises, qui offriront chaque jour d’autres emplois aux capitaux disponibles. Ce sont elles qui étudieront les conditions des affaires nouvelles et ne les recommanderont au public qu’après s’être entourées de tous les renseignemens exigés par la prudence la plus sévère.

Gardons-nous de croire qu’il y ait une opposition d’intérêt quelconque entre les associations financières et les banques de dépôts : ces deux forces ont réciproquement besoin l’une de l’autre, et se prêtent un mutuel appui. Les capitaux déposés chez les secondes ne sont pas destinés à y rester indéfiniment, en se contentant des taux d’intérêt, en général minimes, qui leur sont servis. Ils y sont au contraire dans l’attente d’occasions favorables de placement. D’autre part, en s’employant à l’achat de valeurs, les capitaux ne quittent pas définitivement les banques où ils étaient déposés. Ils y reviennent sous forme de titres, lesquels paient des droits de garde, des commissions d’encaissement de coupons et d’obligations amorties, donnent lieu à des ordres d’achats et de ventes. Ici comme ailleurs le mouvement engendre le mouvement, les forces diverses, à condition d’être bien organisées, agissent dans le même sens et contribuent à l’harmonie de l’ensemble. Chacune des espèces de banque que nous avons définies trouve l’occasion de réaliser des bénéfices légitimes et de rendre des services à la communauté ; mais la condition première est que chacune ait la perception nette de son rôle, se trace une ligne de conduite et la suive inflexiblement. Il est nécessaire que la part du hasard soit réduite au minimum. N’est-ce pas là le critérium de toute entreprise sérieuse ? Or, la banque pure diminue, dans une proportion rarement atteinte, cet aléa inséparable des choses humaines ; elle peut et doit se tenir à l’écart de toute spéculation de Bourse, même de cette spéculation légitime dont nous avons essayé de prouver, au début de ce travail, la nécessité dans la vie quotidienne des nations et des individus ; elle est, en dernière analyse, comparable à une véritable industrie, elle en emploie les procédés, et en obtient les résultats réguliers, à condition d’en suivre les règles. Les capitaux sont sa matière première, qui se façonne et s’adapte aux divers emplois dont elle est susceptible dans ces vastes usines qu’on appelle des maisons de banque ou des établissemens de crédit.


RAPHAEL-GEORGE LEVY.

  1. Sauf le cas d’une action non libérée nominative, dont l’acheteur peut non-seulement perdre son premier versement, mais être tenu d’en faire d’autres jusqu’à concurrence du montant nominal du titre. Nous ne citons que pour mémoire le cas des actionnaires des banques anglaises qui sous l’ancienne législation étaient responsables in infinitum sur la totalité de leurs biens, exactement comme l’associé d’une maison en nom collectif. Ces établissemens ont été remplacés aujourd’hui par des compagnies anonymes, où la responsabilité des actionnaires est limitée au montant du titre.
  2. Ricardo fut simple courtier de change ; Goschen, chef de la grande maison Frûhling et Goschen, et Lubbock de la non moins importante banque Robbart-Lubbock et Cie.
  3. Il est vrai que la Banque de France ne bonifie aucun intérêt à ses déposans.
  4. La caractéristique de ces sociétés, c’est que leur patrimoine propre est presque toujours supérieur au chiffre de leurs dépôts. Ainsi celle d’entre elles qui, en France, peut être considérée comme le type de cette catégorie, possède environ 80 millions de francs en capital et réserves, tandis que les sommes qu’elle doit aux tiers ne s’élevaient, au 31 décembre 1892, qu’à 30 millions ; au contraire, notre principale banque de dépôts avait, comme capital versé et réserves, 140 millions, contre 687 millions de dépôts.