La Statuette (Verhaeren)
LA STATUETTE
Dont la quille du milieu,
Peinte en rouge, peinte en bleu,
Était une statuette faite
Aucun des vieux ne se rappelle
En quels temples ou en quels bouges,
L’avaient prise des marins rouges
Pour la revendre
Qui sous l’ancien curé,
Ornait le baldaquin de la chapelle.
Elle étalait un manteau d’or moiré
Comme la Vierge :
Ma mère a fait flamber maint cierge
Par son père, qui le tenait
D’un maréchal du Saint-Empire,
Que l’image venait
De Rome ou peut-être d’Espagne.
On l’avait mise au carrefour, sous le tilleul
Qui recouvrait, énorme et seul,
Jadis, dans toute la contrée.
Des malades furent guéris
Grâce à son aide et son esprit
Et des paralytiques
Qui combattait, sur mer et terre,
Tous les païens prestiges,
Son nom éclaterait encor, pieux et saint,
En des recueils diocésains
La nuit, en plein courant, dans la rivière,
Mais un courant contraire
Obstinément la rapporta,
Aux pieds de la digue tranquille
Où ceux de Flandre et de Brabant luttaient aux quilles.
Elle était faite en bois plus dur
Que les moellons du mur ;
Et néanmoins elle était fine comme un vase
Dans le milieu du jeu, un jour de Pentecôte,
Brillaient et que les filles de l’auberge,
Sur des plateaux de cuivre et de lumière,
En bonnets frais et blancs, gaiement, servaient les bières.
Et tous applaudirent celui
Qui le premier, devant la foule,
D’un seul et large coup de boule,
Ceux qui vinrent, après lui,
Et la couchèrent,
L’avait atteinte,
Pâlit : Son clos des champs qui tintent
Brûlait là-bas ; et les fumiers
Réverbéraient les crins rouges de l’incendie,
Huit jours plus tard, l’un des plus francs buveurs
Rentrant, chez lui, la nuit,
Trouva sa fille morte
Mais il s’abstint
De s’en aller, chaque Dimanche,
Un jour que le jeune échevin
Rafla, d’un coup géant, le jeu entier,
L’aile gauche de son grenier
Dégringola dans le verger
Et la terreur souffla et la terreur grandit
Quand on apprit.
Que l’hôtesse de la Croix-Blanche, allant
Quérir, le soir, sous l’appentis,
Les yeux en feu
De la statuette immortelle.
Le village trembla. Et le curé
Eut beau exorciser
Chaque quille, suivant les rites,
La paroisse ne le tint quitte,
Qu’au jour où l’étrange morceau de bois
Eut son royal manteau de belle étoffe
Et fut logé, comme autrefois,
Et turbulent vicaire ;
Les pratiques des anciens jours
Revécurent et reprirent leur cours ;
Et Cybèle, Vénus ou bien Diane
Mêla, comme jadis, sa puissance profane
Aux prodiges que Saint-Corneille
Faisait surgir de son orteil
Usé, depuis quels temps lointains,
Par les lèvres et par les mains