La Suède sous Bernadotte
Au mois de juin 1837, visitant Stockholm pour la première fois, j’assistais dans le Diurgarden à une revue de troupes suédoises. Toute cette vaste et magnifique promenade du Diurgarden, bordée d’un côté par la mer, de l’autre par une rivière, traversée par de riantes collines, coupée par des lacs, parsemée de villas, de jardins, de bouquets de fleurs et de pins sauvages, était inondée d’une foule innombrable, riches patriciens circulant le long des allées en équipages splendides, femmes du monde étalant dans leurs landaus, dans leurs calèches découvertes, les frais chapeaux, les élégantes robes arrivées tout récemment de Paris ; jeunes gens à cheval caracolant aux portières ; graves et honnêtes professeurs poursuivant au bord des sentiers quelque savante théorie ; bons bourgeois portant sur leur figure cet air de béatitude placide et de candide curiosité qui caractérise, dans une fête populaire, les bourgeois de tous les pays. Au dedans, au dehors du parc, sur les galeries des maisons, dans l’enclos des jardins, tout était en mouvement. Des groupes d’artisans assis à la porte des cabarets, entonnaient à haute voix, le verre à la main, les chansons de Bellmann, ce joyeux poète du temps de Gustave III, qui passa sa vie à boire et à chanter. Des artistes ambulans jouaient sur des tréteaux leurs farces grivoises, tandis que des barques légères, conduites par des batelières de la Dalécarlie, amenaient sans cesse du quai de la ville au bord du Diurgarden de nouveaux flots de promeneurs. Si j’avais pu moi-même choisir un jour pour me donner dès mon arrivée à Stockholm une soudaine et saisissante idée de la physionomie, du caractère des habitans de cette ville, je n’aurais pu mieux réussir. C’était l’une des plus anciennes, l’une des plus belles solennités du Nord. À pareille époque, il y a mille ans, les descendans d’Odin célébraient par des chants et des libations le solstice d’été, et ce jour-là les sujets de Charles-Jean célébraient à la fois la fête d’un saint et la fête de leur roi. L’observation naïve des révolutions des astres, le culte de la nature, avaient consacré le 25 juin dans l’esprit des sectateurs d’Odin, et à voir, à tant de siècles de distance, leurs descendans regarder avec tant de bonheur l’azur du ciel, la verdure naissante des collines et le feuillage des arbres, on eût dit qu’ils éprouvaient encore les joies païennes de leurs ancêtres. Le printemps arrive tard en Suède, les nuits d’hiver enveloppent pendant de longs mois l’horizon tout entier ; mais au 25 juin, une lumière continuelle récrée les regards fatigués par une incessante obscurité. C’est ce jour-là que les curieux s’en vont voir le soleil de minuit sur la montagne d’Arasaxa, et si à cet aspect d’un admirable phénomène, à ce tableau d’une nature tout à coup épanouie et éblouissante de fraîcheur et de beauté, un souverain ajoute l’éclat de sa pompe royale, je laisse à penser quel mouvement ces deux spectacles doivent donner à la population d’une grande ville.
Voitures et piétons, tout le monde se dirigeait vers le château de Rosendal, où le roi à cheval, accompagné de son fils et de ses principaux officiers, faisait en ce moment défiler devant lui ses régimens d’Indelta et ses splendides escadrons des gardes. Quand la revue fut terminée aux cris mille fois répétés de vive le roi ! vive le prince Oscar ! Charles-Jean s’en vint au petit trot au milieu de la double haie d’équipages rangés le long de la grande allée. Vêtu d’un simple frac bleu, l’ordre de l’Épée sur la poitrine, le cordon de la Légion-d’Honneur en sautoir, il ne se distinguait de son cortége chamarré d’or et de broderies que par la nudité de son uniforme ; mais de loin, en le voyant venir, toutes les femmes se levaient dans leurs calèches, tous les hommes se découvraient la tête, et les gens du peuple, lançant leurs chapeaux en l’air, le saluaient par de tumultueux hurrahs. Il s’arrêta près de la voiture où j’étais assis à côté de notre chargé d’affaires, et, après avoir complimenté M. de Billecoq sur son heureux retour en Suède, il me dit en me tendant la main : « Je savais déjà que j’avais ici un compatriote de plus. Soyez le bien-venu parmi nous, et si vous voulez me voir, venez au château demain. »
Voyageur sans titre, écrivain sans renom, je n’aurais jamais osé attendre cet aimable accueil du roi de Suède. Je le devais à une lettre de recommandation que M. le comte Molé avait eu la bonté de me donner pour notre légation, et à la bienveillance cordiale que Charles-Jean a toujours conservée pour ses compatriotes.
Le lendemain, à huit heures du soir, je m’en allais avec un vif sentiment d’intérêt, mais non sans un certain trouble, voir cet homme dont le nom a été pendant vingt ans inscrit dans nos fastes militaires, et pendant un quart de siècle associé aux plus célèbres noms de la Suède. J’arrivai dans la cour du palais sans savoir de quel côté me diriger. Un valet qui se promenait là, me voyant errer de côté et d’autre, me demanda où je désirais me rendre. — Chez le roi. — Chez le roi ? suivez ce corridor, puis montez l’escalier au fond, une porte à deux battans au second, et vous y êtes ; puis il continua sa promenade.
À l’entrée de l’appartement royal, je ne trouvai que deux factionnaires accoudés indolemment sur le canon de leur fusil, et dans l’antichambre un chambellan qui, après m’avoir demandé mon nom, m’introduisit sans autre formalité dans un salon tendu de soie bleue et décoré de quelques tableaux représentant des paysages du Nord. Voilà comme on arrivait chez le roi de Suède.
Un instant après, le roi entra, le corps droit, la tête haute, l’œil vif, le front ombragé encore par d’épais cheveux noirs. À juger de son âge par l’aspect de cette taille si ferme, de cette physionomie si virile et si énergique, on l’eût pris pour un homme de cinquante ans, il en avait soixante-treize.
Charles-Jean me fit asseoir à côté de lui sur un canapé, et après s’être informé avec la plus gracieuse sollicitude du but de mon voyage, après avoir énuméré les moyens qu’il pourrait employer pour m’aider à le rendre aussi fructueux et facile que possible, il engagea de lui-même un entretien que je n’aurais point osé provoquer. Quand je dis entretien, je me sers d’une expression impropre ; je devrais plutôt dire un long et pompeux monologue qu’il interrompait de temps à autre, pour me demander en me regardant fixement : M’entendez-vous ? Je n’avais garde d’entraver par mes remarques le cours de son éloquence ; j’étais tout entier sous le charme de cette belle physionomie où brillait un regard d’aigle, de cette parole élevée, puissante, qui se lançait avec une étonnante vigueur dans les plus hautes questions, et à laquelle un accent méridional assez prononcé donnait encore une plus vive vibration. Au bout de deux heures, le roi se leva, et je rentrai chez moi le cœur tellement rempli de tout ce que je venais d’entendre, que j’écrivis mot pour mot la plupart des choses qu’il m’avait dites.
Dès le début, et comme s’il avait pressenti que j’arrivais à lui avec la pensée qui nous saisit tous, nous autres Français, chaque fois que nous entendons prononcer le nom de Bernadotte, c’est-à-dire avec le souvenir de 1813, il se mit à me parler de la position qu’il avait prise en Suède et de son amour pour la France :
« J’aime la France, me disait-il, c’est elle qui m’a élevé, c’est elle qui m’a illustré. C’est un si beau pays, un pays qui a tout : richesse, esprit, savoir. Je puis me rendre justice, c’est que je l’ai servie dans des momens de crise, en 1789, et que, lorsque je l’ai quittée, elle était grande, forte, respectée.
« J’ai toujours désiré que ma politique fût celle de la France. Je suis venu dans ce pays et j’ai dû remplir ma mission. J’ai fait tout ce que ma conscience me prescrivait de faire ; mais j’aurais mille royaumes à donner à la France que je ne m’acquitterais pas envers elle de la reconnaissance que je lui dois. Souvent on tente des moyens, et le succès les justifie. Le succès m’a justifié, mais je puis dire que je n’ai jamais travaillé en vue du succès.
« J’ai été attaqué, voilà le fait. Ne parlons pas de cette époque ; mes entrailles en sont encore émues. J’ai été attaqué. J’ai demandé qu’on suspendît l’invasion de la Poméranie ; on ne m’a pas répondu. Si Napoléon avait voulu être sage, s’il n’avait pas tenu au système continental, ni à la guerre de Russie, il était César, il serait devenu Auguste. »
Puis de cette époque, dont la mémoire l’attristait visiblement, revenant tout à coup à l’époque actuelle : « La France, ajoutait-il, ne doit pas désirer la guerre. Les hommes qui ont fait la guerre ont employé ou le fanatisme religieux, ou le fanatisme de la liberté. Le fanatisme religieux est passé ; le fanatisme de la liberté emportera ceux qui s’y soumettront. Si la France fait la guerre et remporte la victoire, elle donnera par-là un étonnant élan à ses opinions ; mais cet élan, où s’arrêtera-t-il ?…
« Personne ne songe à attaquer la France, je puis l’affirmer ; mais si on attaque la France, elle peut remuer le monde…
« La France tranquille, l’Europe ne sera jamais agitée… »
Un instant après, il revenait encore aux divers incidens de son élection, à la fatale alternative où son titre de prince royal de Suède l’avait jeté en 1813. Il semblait qu’une pensée impérieuse, une pensée rebelle, à laquelle il tentait en vain d’échapper, le ramenât sans cesse malgré lui à cette phase décisive de sa vie. « L’amour-propre, me dit-il, est souvent le mobile de nos actions. À l’époque où je fus élu, on disait : Il est proposé, mais il n’osera pas accepter. Ce mot vint de haut. Alors j’aurais voulu abdiquer mes emplois, rentrer dans la vie privée ; mais ce mot : il n’osera pas ! m’entraîna, et j’osai. »
Après avoir rappelé à diverses reprises la déplorable époque de 1813, il se tut tout à coup, et resta quelques instans immobile, la tête penchée. Sa figure, jusque-là si vive, si animée, se revêtit soudain d’une indéfinissable expression de tristesse ; puis, se levant brusquement et m’entraînant vers la fenêtre : « Ah ! je crois, s’écria-t-il, et il faut croire ! » En ce moment, l’obscurité commençait à se répandre dans la chambre où nous étions ; mais, au pied du palais, nous voyions les vagues de la mer, les flots du lac Mélar dorés par les rayons du soleil couchant. Les banderoles des navires, les pavillons de l’amirauté et des casernes flottaient au souffle de la brise, et tandis que la façade du théâtre, les larges maisons du Blasieholm, projetaient sur le pavé de grandes ombres, les vertes collines du parc, les bouleaux aux branches pendantes, les pins à la tête arrondie, se détachaient en lignes distinctes sur un ciel d’azur. Çà et là une barque s’éloignait encore du quai et glissait légèrement sur l’eau limpide. À côté d’un bâtiment qui venait de jeter l’ancre dans le port, un autre navire larguait ses voiles, virait de bord, et un coup de canon annonçait l’arrivée d’un bateau à vapeur ; dans l’intérieur de la ville, tout était déjà calme, silencieux. Le roi contemplait d’un regard profondément ému ce doux et imposant spectacle, et nulle parole de religion ne m’a plus frappé dans le monde que ces mots : « Il faut croire ! » prononcés en face d’une telle scène, par un vieux soldat de 1789, dans son palais de roi.
Chaque fois que j’ai revu Charles-Jean, un an, deux ans plus tard, il m’a exprimé le même sentiment religieux, il m’a parlé de la France avec le même amour. Certes, ce fut un jour affreux, un jour qu’il faudrait pouvoir effacer de notre histoire moderne, que celui où l’on vit cet enfant de la France, anobli, illustré, comme il le disait lui-même, par la France, s’allier aux ennemis de notre pays, tracer lui-même le plan de bataille qui devait ensevelir nos soldats dans les plaines de Leipzig, ouvrir, selon l’expression de Napoléon, aux hordes du Nord le chemin du sol sacré. « Pour prendre femme, disait encore Napoléon dans son style énergique, on ne doit point renoncer à sa mère. » Et Charles-Jean a renoncé à sa mère, à la terre vénérable pour laquelle il avait si long-temps combattu, dont il avait vaillamment partagé les périls, et qui lui avait mis au front un rayon de gloire. Mais qu’on ne croie pas, comme l’ont prétendu quelques écrivains trop faciles et trop mal informés, qu’en s’éloignant de la France pour poser le pied sur la première marche du trône de Suède, Bernadotte eût déjà des projets de rupture arrêtés. Non, j’en ai l’intime conviction, et en tenant compte même de son état de rivalité à l’égard de Napoléon, tranchons le mot, de l’hostilité qui éclata assez ouvertement au 18 brumaire, qui ne fut que palliée ensuite, et qui dut se réveiller par le peu d’empressement et de bonne grace que l’empereur mit à sanctionner l’élection de la diète d’Orebro ; non, Bernadotte, en prenant congé de Napoléon et en disant adieu à la France, ne songeait point à rompre avec Napoléon et avec la France. Et si, par malheur, il eût eu cette coupable intention, tout ce qu’il remarqua dès son arrivée en Suède aurait suffi pour l’en détourner. La Suède était depuis plusieurs siècles l’alliée de la France ; la Suède sentait bien que, dans la déplorable situation où l’avait jetée Gustave IV, elle devait chercher de notre côté son appui ; que la Russie était un plus puissant, un plus redoutable adversaire, et que, pour se défendre contre les projets d’invasion d’un tel colosse, elle n’avait pas de secours plus sincère, plus désintéressé à attendre que celui de la France. Le roi Charles XIII, appelé par une subite révolution à porter la couronne à demi brisée de son neveu, partageait à cet égard toutes les idées de la nation. Jeune, il avait valeureusement conduit les vaisseaux de son frère Gustave III contre les flottes de Catherine II. Il s’était signalé dans mainte entreprise hardie. Toute sa gloire lui venait de ses combats contre la Russie. Tous ses plus beaux, ses plus brillans souvenirs se rattachaient à cette époque de lutte ardente. Plus tard, appelé à la régence de Suède, pendant la minorité de son neveu, il s’était opposé au mariage du jeune roi avec une princesse de Russie. Dans sa vieillesse, il conservait les mêmes principes de sympathie et d’abandon du côté de la France, de défiance et d’éloignement envers la Russie, et certainement il ne les dissimula pas à l’illustre maréchal français qui arrivait en Suède pour lui succéder. Malheureusement le ton impérieux de Napoléon, les notes acerbes et violentes de son ambassadeur à Stockholm, ébranlèrent peu à peu les dispositions amicales du roi de Suède et de ses conseillers. Deux années pénibles se passèrent, véritables années d’épreuves pour la Suède. Dans le cours de ces deux années, la France prescrivait sans cesse de nouvelles conditions ; la Suède se plaignait doucement, puis se résignait, non sans comprendre toutefois l’importance des sacrifices qu’on imposait à son commerce, à son industrie, et sans se sentir humiliée de les faire. Avant de quitter la France, Charles-Jean avait eu avec l’empereur un long entretien sur la Suède. Napoléon voulait que ce royaume se soumît à toutes les conditions du système continental, système plus pénible, plus dangereux pour ce pays que pour tout autre. Bernadotte demanda quelques mois pour étudier l’état de la Suède, les dispositions, les ressources du peuple qu’il était appelé à gouverner. Cet ajournement lui fut accordé, et les Suédois, attribuant à son influence personnelle une concession à laquelle ils attachaient un grand prix, en éprouvèrent pour lui un nouveau sentiment de respect et de considération. Mais, dès le mois de novembre 1810, Napoléon adressa rudement à la cour de Suède son ultimatum : « Choisissez, dit-il ; des coups de canon aux Anglais qui s’approchent de vos côtes et la confiscation de leurs marchandises, ou la guerre avec la France. » Et l’on donnait cinq jours pour répondre. Cette demande impérieuse, qui ne permettait plus aucune observation, répandit la terreur dans la capitale. Le conseil du roi fut appelé aussitôt à délibérer sur la douloureuse alternative où la Suède se trouvait tout à coup placée. Fermer aux Anglais les ports de la Suède, c’était ravir à ce pays ses plus sûres, ses dernières ressources. Entrer en guerre avec la France ! la nation entière ne pouvait encore s’y résoudre. Charles-Jean assistait au conseil qui allait discuter une si grave question. Dans la pénible anxiété qu’il éprouvait, dans l’obligation qui lui était imposée si inopinément par le sort de sacrifier les intérêts réels, nécessaires de la Suède, ou de prononcer un vote contre la France, il se retrancha dans la neutralité. « Agissez, dit-il aux conseillers du roi, comme si je n’étais pas là. Je suis prêt à mettre à exécution les mesures que vous jugerez devoir prendre dans une telle crise. » Le résultat de la délibération fut tel que l’empereur pouvait le désirer. Charles-Jean lui écrivit alors la lettre suivante :
« Par ma lettre du 11 novembre, j’ai eu l’honneur d’instruire votre majesté que le roi était prêt à faire tout ce que les lois constitutionnelles lui permettaient pour arrêter l’introduction des marchandises anglaises. Le ministère s’occupait d’un règlement très sévère à ce sujet, lorsqu’une dépêche de M. Legerbielke est venue porter la douleur dans l’ame du roi, et déranger sa santé d’une manière bien sensible. Cette dépêche nous prouvait à quel point votre majesté était prévenue contre nous, puisqu’en nous donnant cinq jours pour répondre, elle nous traitait avec la même rigueur qu’une nation ennemie ; et la note officielle remise par M. le baron Alquier n’a laissé à la Suède que l’affligeante alternative, ou de voir rompre les liens qui l’unissent à la France, ou de se livrer à la merci d’un ennemi formidable, en lui déclarant la guerre, sans posséder aucun moyen pour le combattre.
« En me décidant à accepter la succession au trône de Suède, j’avais toujours espéré, sire, concilier les intérêts du pays que j’ai servi fidèlement et défendu pendant trente années, avec ceux de la patrie qui venait de m’adopter. À peine arrivé, j’ai vu cet espoir compromis, et le roi a pu remarquer combien mon cœur était douloureusement combattu entre son attachement à votre majesté et le sentiment de ses nouveaux devoirs.
« Dans une situation si pénible, je n’ai pu que m’abandonner à la décision du roi, et m’abstenir de prendre part aux délibérations du conseil d’état.
« Le conseil d’état ne s’est pas dissimulé :
« 1o Qu’un état de guerre ouverte, provoqué par nous, causera infailliblement la capture de tous les bâtimens qui sont allés porter des fers en Amérique ;
« 2o Qu’à la suite d’une guerre malheureuse, nos magasins sont vides, nos arsenaux sans activité et dépourvus de tout, et que les fonds manquent pour parer à tous les besoins ;
« 3o Qu’il faut des sommes considérables pour mettre à couvert la flotte de Carlscrona et réparer les fortifications de cette place, sans qu’il y ait aucuns fonds pour cet objet ;
« 4o Que la réunion de l’armée exige une dépense extraordinaire d’au moins 7 à 8 millions, et que la constitution ne permet pas au roi d’établir aucune taxe sans le consentement des états-généraux ;
« 5o Enfin, que le sel est un objet de première et absolue nécessité en Suède, et que c’est l’Angleterre seule qui l’a fourni jusqu’ici.
« Mais toutes ces considérations, sire, ont disparu devant le désir de satisfaire votre majesté. Le roi et son conseil ont fermé l’oreille au cri de la misère publique, et l’état de guerre avec l’Angleterre a été résolu, uniquement par déférence pour votre majesté, et pour convaincre nos calomniateurs que la Suède, rendue à un gouvernement sage et modéré, n’aspire qu’après la paix maritime. Heureuse, sire, cette Suède si mal connue jusqu’à présent, si elle peut obtenir, en retour de son dévouement, quelques témoignages de bienveillance de la part de votre majesté[1]. »
Cette première difficulté ainsi résolue, il s’en présenta presque immédiatement une autre qui dépassait le pouvoir du roi de Suède et du prince royal. Charles-Jean avait représenté à l’empereur les embarras financiers de la Suède, et Napoléon, pour obvier à cet état de choses, lui proposa d’enrôler des officiers, des matelots pour la flotte de Brest, et de prendre un régiment suédois à la solde de la France. Charles-Jean répondit que la constitution du pays interdisait toute transaction de cette nature. Nouveau grief du côté de l’empereur ; nouveau sujet d’alarmes en Suède.
Tandis que les relations de ce royaume avec la France prenaient un caractère de plus en plus inquiétant, l’Angleterre, avec son adresse habituelle, ne tenait aucun compte de la déclaration de guerre qui lui avait été adressée, et conservait à l’égard de la Suède une attitude plus bienveillante qu’hostile. Elle semblait reconnaître que la Suède, en s’associant au système continental, n’avait fait que céder à la force, et, contente d’écouler quelques-uns de ses produits vers la Baltique, trop habile pour irriter inutilement un peuple dont elle avait besoin, elle attendit patiemment l’occasion de reprendre avec lui des rapports plus faciles et plus sûrs.
Cette conduite de l’Angleterre accrut encore les défiances de l’empereur. En même temps la Suède, comme pour être en état de soutenir sa déclaration de guerre, faisait des armemens considérables. Ses préparatifs excitèrent dans l’esprit du ministre de France un soupçon qu’il exprima dans les termes les plus acerbes. Napoléon, comprenant lui-même que son envoyé apportait trop d’ardeur et d’âpreté dans l’exercice de ses fonctions, le rappela de Stockholm et le nomma ministre en Danemark ; mais tout en accordant au cabinet de Stockholm cette satisfaction diplomatique, on traitait d’un autre côté la Suède rigoureusement. Des corsaires français et danois parcouraient la Baltique, poursuivant, attaquant, capturant les navires suédois. Bien plus, l’embargo fut mis sur des navires de Suède qui attendaient leur chargement dans différens ports d’Allemagne. Les matelots qui montaient ces bâtimens furent incorporés de force dans la marine de France et envoyés à Brest, à Toulon, à Anvers. Le gouvernement suédois adressa de vives réclamations à Paris et ne fut point écouté. Les riches négocians du pays se plaignirent hautement des rudes entraves imposées à leur commerce, le pays entier éprouvait une gêne extrême ; la nation, animée jusque-là d’un si vif sentiment d’admiration et de sympathie pour la France, commençait à regarder si elle ne pourrait point chercher son point d’appui d’un autre côté. Cependant le roi et le prince royal espéraient encore remédier par des moyens de temporisation à ce fatal état de choses ; ils se maintenaient l’un et l’autre dans des idées de conciliation autant par un sentiment de vieille amitié que par une réflexion de prudente politique. La France était si chère à ce vieux roi qui avait adopté toutes les prédilections de Gustave III, si chère à ce prince royal qui venait de la quitter, et Napoléon semblait si fort ! Un évènement inattendu, décisif, les jeta tout à coup hors des bornes où ils espéraient pouvoir s’assurer une position paisible. Le 10 février 1812, on apprit à Stockholm que, dans la nuit du 26 au 27 janvier, une troupe de vingt mille hommes, commandée par le général Friand, avait envahi le territoire de la Poméranie suédoise et l’île de Rugen. À cette nouvelle, qui produisit une violente rumeur en Suède, le roi envoya aussitôt le général Engelbrecht à Stralsund pour demander des explications sur un fait si inopiné. Le comte Friand déclara qu’il ne pouvait répondre à la lettre qui lui fut remise. En même temps le prince d’Eckmuhl, qui commandait la division, faisait conduire dans les prisons de Hambourg les fonctionnaires suédois de la province dont des troupes venaient de s’emparer, et les remplaçait par des fonctionnaires français. Charles-Jean voulut encore une fois s’adresser directement à l’empereur, et il lui écrivit cette lettre :
« Sire, les rapports qui viennent d’arriver portent qu’une division de l’armée aux ordres du prince d’Eckmuhl a envahi le territoire de la Poméranie suédoise dans la nuit du 26 au 27 janvier. Cette division a poursuivi sa marche, est entrée dans la capitale du duché, et s’est emparée de l’île de Rugen.
« Le roi attend que votre majesté fasse connaître les causes qui ont pu la porter à agir d’une manière aussi diamétralement opposée aux traités existans. Mes anciens rapports avec votre majesté m’autorisent à la supplier de ne pas tarder à faire connaître ses motifs, pour que je puisse donner au roi mon opinion sur l’adoption de la politique que la Suède doit embrasser désormais.
« L’outrage fait gratuitement à la Suède est vivement senti par le peuple et doublement par moi, sire, qui suis chargé de l’honneur de le défendre. Si j’ai contribué à rendre la France triomphante, si j’ai constamment souhaité de la voir heureuse et respectée, il n’a jamais pu entrer dans ma pensée de sacrifier les intérêts, l’honneur et l’indépendance du pays qui m’a adopté. Votre majesté, si bon juge dans le cas qui vient d’avoir lieu, a déjà pénétré ma résolution. Peu jaloux de la gloire et de la puissance qui vous environnent, sire, je le suis beaucoup de ne pas être regardé comme vassal.
« Votre majesté commande à la majeure partie de l’Europe, mais sa domination ne s’étend pas jusqu’au pays où j’ai été appelé. Mon ambition se borne à le défendre, et je le regarde comme le lot que la Providence m’a départi. L’effet que l’invasion dont je me plains a produit sur ce peuple peut avoir des conséquences incalculables, et quoique je ne sois point Coriolan, et quoique je ne commande pas à des Volsques, j’ai assez bonne opinion des Suédois, sire, pour vous assurer qu’ils sont capables de tout oser et de tout entreprendre pour venger les affronts qu’ils n’ont point provoqués et pour conserver des droits auxquels ils tiennent peut-être autant qu’ils tiennent à leur existence[2]. »
Il est évident que, d’après cette lettre, Charles-Jean avait déjà songé précédemment à la nécessité où il pourrait se trouver quelque jour de rompre avec la France. On ne lance point un tel cartel sans savoir d’avance avec quelles armes on le soutiendra. Cependant cette réclamation si ferme, si fière, laissait encore à l’empereur un facile moyen de conciliation. Il ne voulut pas l’accepter. Le chargé d’affaires de Suède à Paris adressa au duc de Bassano, alors ministre des affaires étrangères, une note relative à l’évènement qui agitait alors toute la nation suédoise, et ne reçut qu’une réponse évasive. Charles-Jean prit alors la plus triste des résolutions. On dit qu’à cette époque les anxiétés qu’il avait éprouvées, l’affreuse incertitude dans laquelle il se voyait sans cesse rejeté, lui occasionnèrent une grave maladie. Son ame avait à soutenir un rude et périlleux combat. Les affections les plus profondes, les souvenirs de la patrie, luttaient en elle contre les obligations que lui imposait son titre de prince suédois : d’un côté, la France, sa terre natale ; de l’autre, la Suède, sa seconde patrie. Dans ce pénible conflit de tant de sentimens de reconnaissance, de regrets du passé, d’espoir de l’avenir, le passé succomba, et, lorsque Charles-Jean sortit de cette douloureuse épreuve, il abdiquait son titre de soldat du Béarn, il n’était plus que le prince royal de Suède.
Il y a deux ans que, par une fraîche matinée de printemps, j’arrivai à Abo, ancienne capitale de la Finlande, et nul des bons et honnêtes Finlandais qui m’accueillaient là avec l’affectueux empressement qu’ils aiment à témoigner aux étrangers n’aurait pu comprendre l’amère pensée qui m’obsédait en entrant dans cette ville. C’est là, c’est dans une de ces rues solitaires, silencieuses, au bord du golfe de Finlande, au milieu des sombres forêts de sapins, des collines rocailleuses de cette terre sauvage, que se sont décidées, on peut le dire, les destinées de l’empire français. C’est là que Charles-Jean eut un entretien de plusieurs jours avec Alexandre, et conclut avec lui un traité d’alliance. L’Angleterre, cette implacable ennemie de Napoléon, connaissant le caractère irrésolu de l’empereur de Russie, le caractère ferme et décidé, les vues politiques de Bernadotte, avait elle-même préparé, demandé cette conférence, et elle en obtint tout le résultat qu’elle pouvait en attendre. Charles-Jean étonna le czar par les idées de résistance qu’il lui exposa, par les plans de stratégie offensive qu’il lui fit concevoir. Déjà il l’avait amené à signer rapidement un traité de paix avec l’Angleterre et la Turquie, et cette mesure doublait les forces de la Russie. Dès ce moment, la campagne d’Allemagne fut résolue, et Bernadotte en calculait tous les succès.
Nous ne voulons point exagérer l’importance de Charles-Jean ; cependant, l’histoire de 1812 et 1813 à la main, il nous paraît bien démontré que sans lui ces années de désastres auraient pu avoir une toute autre issue. La Suède ne prit, il est vrai, aucune part active à la guerre de 1812 ; mais si elle avait été encore notre alliée à cette époque de calamité ; si, pendant que nos troupes pénétraient au cœur de la Russie, les Suédois avaient envahi la Finlande ; si, lorsque nous entrions aux lueurs de l’incendie dans la seconde capitale du czar, les Suédois avaient, de leur côté, menacé Pétersbourg, que serait-il arrivé de cet empire attaqué ainsi à droite et à gauche, placé entre deux armées puissantes ? En second lieu, si dans ce moment de crise Charles-Jean n’envoyait point de troupes au secours d’Alexandre, il l’éclairait sans cesse par ses conseils, il lui adressait lettre sur lettre pour lui tracer des plans de défense, pour relever son courage et affermir sa résolution. Lui seul, à la suite de notre pompeuse entrée en campagne, de notre marche rapide, de nos premières victoires, jugeait le péril de notre situation et le peignait énergiquement au czar, qui parfois avait quelque peine à le comprendre. Charles-Jean lui-même m’a raconté que le jour où l’on apprit à Stockholm le résultat de la bataille de la Moskowa, il vit arriver dans son palais Mme de Staël, tout effarée de cette victoire, et songeant déjà, dans l’incroyable préoccupation de son importance, à quitter Stockholm, comme si l’armée française allait la poursuivre jusque sur le sol de la Suède. « Rassurez-vous, madame, lui dit Charles-Jean ; Napoléon vient de conquérir un nouveau champ de bataille, et il peut tirer de ce succès un parti décisif. Si maintenant il offre la paix à l’empereur de Russie, en proclamant la constitution, l’indépendance du royaume de Pologne, il est sauvé ; mais il n’aura point cette habileté, et il est perdu. »
Malheureusement il disait vrai.
Quelques jours après, on reçut à Stockholm la nouvelle de l’entrée des Français à Moscou. Nul fait aussi grave et en apparence aussi décisif n’avait encore signalé la campagne de 1812. Tous les esprits étaient dans l’attente. Les partisans de l’alliance russe se demandaient avec inquiétude quel parti la Suède allait prendre. Les partisans de l’alliance française (il y en avait encore un assez grand nombre dans le pays) espéraient voir un revirement subit de politique. Les ministres étrangers se présentèrent le soir au palais du roi dans une grande perplexité. Charles-Jean comprit que c’était un de ces momens solennels qui exigent une prompte décision. Il s’approcha de l’envoyé de Russie et lui dit : « Je déplore le sort de Moscou, mais je félicite l’empereur Alexandre ; Napoléon est perdu. Un courrier, parti il y a deux heures, porte au ministre de Suède, le comte de Löwenhielm, les ordres du roi pour resserrer encore les liens qui nous unissent à l’empereur. Oui, monsieur, ajouta-t-il en se tournant vers le ministre d’Autriche, Napoléon est dans la seconde capitale de l’empire russe, et il est perdu. Vous pourrez annoncer à votre cour que tel est mon avis sur cet évènement. »
La retraite de Moscou, la déroute effroyable de l’armée française, réalisèrent les conjectures du prince royal de Suède, et donnèrent à l’Angleterre, à la Russie, à la Prusse, un élan tout nouveau. Dans l’espace de quelques mois, les conditions de la guerre étaient bien changées. Les longues plaines d’Allemagne, naguère asservies au pouvoir de Napoléon, devenaient de nouveaux champs de bataille, et les armées confédérées reprenaient l’offensive. Au mois de mai 1813, Charles-Jean débarqua à Stralsund, investi du titre de généralissime de la division du Nord et entraînant à sa suite l’armée la plus nombreuse que la Suède eût jamais envoyée au-delà des mers. Ce fut lui qui traça tout le plan de la campagne. Le général Moreau, arrivé inopinément des États-Unis pour s’associer à cette croisade contre Napoléon, critiquait plusieurs des points essentiels de cette stratégie ; Charles-Jean, après l’avoir patiemment écouté, persista dans sa résolution. À la conférence de Trachenberg (10 juillet), il sut triompher de l’hésitation de l’empereur Alexandre et du roi de Prusse, et les rallia au projet qu’il avait conçu. En les quittant, il leur disait : « Au revoir, à bientôt ; notre rendez-vous est à Leipzig. » Nous ne savons que trop quel fut ce rendez-vous.
Il a été dans les destinées de ce petit pays de Suède d’exercer trois fois, par son audace, une vive action sur la France, et de rompre à deux reprises différentes l’équilibre de l’Europe. Au IXe siècle, les pirates suédois, unis à ceux de Danemark et de Norvége, les hordes farouches de Vikings descendant des côtes de la Baltique, arrivaient avec leurs barques légères jusque sur les rives de la Seine, pillant, brûlant, saccageant tout ce qu’ils rencontraient sur leur passage. Les moines, à leur approche, ajoutaient un nouveau verset aux litanies du cloître[3], et Charlemagne, dit-on, pleurait en les voyant venir. Au XVIIe siècle, les Suédois, sous la conduite de leur valeureux Gustave-Adolphe, traversaient en conquérans le Brandebourg, la Silésie, les électorats de Trêves, de Mayence, les bords du Rhin, et brisaient la puissance de l’Autriche. Au XIXe siècle, à quelques lieues de ce champ de bataille de Lutzen, où le roi de Suède remportait en mourant ses plus beaux trophées, un successeur de ce grand roi renversait, dispersait la plus fière, la plus glorieuse des armées.
À la première époque que nous venons de rappeler, on apaisait l’ardeur sauvage des corsaires du Nord par des tributs volontaires, par des présens. À la seconde, Richelieu, malgré son titre de ministre d’un roi catholique, sa dignité de prince de l’église romaine, ne craignait pas de s’allier au chef de l’armée protestante, pour faire fléchir la tête de l’Autriche et assurer les intérêts politiques de la France. À la troisième, tout devait nous garantir l’alliance, le secours, le dévouement de la Suède. Napoléon ne l’a point voulu ; ce fut une de ses grandes fautes, une faute qu’il a rudement expiée. Ce fut pour Bernadotte un profond malheur d’avoir à défendre sa couronne en prenant les armes contre la France. Toute sa vie, si honorable d’ailleurs, est voilée là d’un nuage sombre ; ce nuage, nous ne voulons, ni ne pouvons l’effacer. Il nous a paru juste seulement de démontrer que Charles-Jean n’avait point conspiré de gaîté de cœur contre sa patrie, qu’il avait été peu à peu conduit, par des circonstances impérieuses, à la plus triste des résolutions, et qu’enfin, se voyant dans l’impossibilité de satisfaire à la fois à ses devoirs envers la France et à ses devoirs envers la Suède, il s’était cru forcé de sacrifier les premiers pour accomplir les seconds. Ajoutons à ce fait que Charles-Jean protesta sans cesse contre toute idée d’invasion en France. Dès la conférence de Trachenberg, lorsque les deux souverains coalisés avec lesquels il contractait un pacte solennel poursuivaient dans leur entretien toutes les chances possibles de la campagne qu’on allait commencer, il établit, en cas de succès, un programme bien différent de celui qui a été mis à exécution en 1814. Il déclarait qu’il fallait se contenter de renfermer Napoléon dans les limites de la France, telles qu’elles étaient à l’époque du consulat, assurer, avec des conditions d’indépendance, à Louis le trône de Hollande, à Eugène celui d’Italie, à Murat celui de Naples. Si, après les victoires successives des armées coalisées, il prit un langage plus hautain ; si, dans ses bulletins, ses proclamations de 1813, de 1814, il injurie maintes fois la personne de Napoléon, nous pouvons le dire, ces mêmes bulletins, dont nous possédons la collection entière et que nous avons lus l’un après l’autre avec soin, exprimaient toujours un profond sentiment de respect pour l’honneur et la dignité de la France. Plus tard, lorsque Alexandre, s’arrêtant sur les bords du Rhin, étonné lui-même de se voir si près de la France, le consultait sur ce qu’il devait faire, Charles-Jean lui répétait avec une mâle énergie ce qu’il avait déjà énoncé dans une lointaine prévision à Trachenberg. « Sire, lui disait-il, j’ai dès long-temps acquis une parfaite connaissance des sentimens de la nation française, de son élan et du patriotisme qu’elle est capable de développer dans les crises violentes. À l’époque de mon entrée au ministère, elle méprisait le directoire et désirait son expulsion ; le territoire français était menacé : eh bien ! sire, je n’eus besoin que de parler pour réveiller tous les courages assoupis. La France était épuisée d’argent ; elle désirait la paix, la demandait à grands cris, et j’obtins plus que je n’avais demandé. Toute l’Europe alors aussi était conjurée contre elle, et cependant elle maintint sa ligne défensive entre les Alpes et les Apennins. Bientôt elle fut victorieuse sur tous les autres points. »
Une autre fois, il lui disait : « Franchir les frontières de la France, c’est imiter Napoléon lui-même, et justifier sa conduite envers nous ; c’est encourir nous-mêmes les justes reproches que nous lui avons adressés ; c’est méconnaître et fausser les principes d’éternelle justice que nous invoquions contre lui, les seuls qui nous autorisaient à repousser la force par la force. »
Ajoutons encore que de tous les princes réunis à Leipzig après le désastre du 18 octobre, il fut le seul qui osa (oser est le mot) témoigner un vif intérêt, une touchante sympathie au pauvre roi de Saxe, à notre fidèle allié, repoussé dédaigneusement par Alexandre, par le roi de Prusse, condamné à voir passer seul, dans sa douleur, cette armée victorieuse qui devait lui enlever la moitié de ses états. Rappelons-nous aussi que pendant tout le cours de cette guerre à jamais déplorable, Charles-Jean se montra constamment plein de sollicitude pour nos soldats, qu’il voyait succomber devant lui. — On m’a raconté en Pologne que le grand-duc Constantin, qui aux habitudes les plus-barbares alliait un vif sentiment de l’honneur militaire, laissait percer, devant les généraux même de la Russie, une irrésistible pensée de joie et d’orgueil, quand on venait lui rapporter qu’un des régimens polonais qu’il avait formés s’était bien battu. Charles-Jean éprouvait le même sentiment d’orgueil, en voyant la bravoure de ces troupes dont il avait si long-temps partagé les fatigues et stimulé l’ardeur. De plus, il tressaillait à leurs souffrances, il s’apitoyait sur leur sort. Prince royal de Suède, généralissime de l’armée du Nord, il poursuivait avec courage la rude tâche qu’il avait cru devoir embrasser ; enfant de la France, il sentait en même temps ses entrailles s’émouvoir à l’aspect de toutes ces douleurs dont il était lui-même un des premiers instrumens. M. le comte G. de Löwenhielm, qui s’est fait en France un nom justement aimé et respecté par les fonctions diplomatiques qu’il y remplit depuis plus de vingt ans, m’a raconté qu’un jour, dans un de ses campemens, Charles-Jean, voyant passer à quelque distance de sa tente un convoi de blessés français, entra dans une violente colère contre ses officiers, et leur demanda comment ils pouvaient permettre qu’on exposât à sa vue ces malheureux, dont il ne pouvait alléger le destin ni guérir les blessures.
Que ces divers incidens ne justifient point à nos yeux l’enfant du Béarn, le prince de Ponte-Corvo, d’avoir porté les armes contre la France ; non, je le sens moi-même, et je le dis à regret, car la douce bienveillance dont m’a honoré ce prince m’a inspiré pour lui une profonde gratitude, et je voudrais pouvoir oublier le seul évènement qui jette une ombre sur cette carrière d’ailleurs si bien remplie. Mais tout ce que je viens de dire, tout ce que j’ai essayé de démontrer, prouve du moins que jusque dans sa rupture avec la France, jusque dans ses combats contre nous, il conserva toujours un profond sentiment d’affection pour sa terre natale et pour ses anciens compatriotes.
Cette première partie de son existence de prince était pénible pour nous à retracer. Il nous sera plus doux maintenant de suivre Charles-Jean dans les actes de son administration qui se rattachent au régime intérieur de la Suède.
À l’époque où Bernadotte y arriva, la Suède était dans le plus grand état de crise, de souffrance, d’affaiblissement, qu’elle eût éprouvé depuis les longues guerres qui suivirent la rupture du traité de Calmar. Dans l’espace de douze ans, trois fois une secousse violente l’avait ébranlée, trois fois le trône des Wasa avait été remis en question. En 1792, Gustave III tombait, au milieu d’un bal masqué, sous le poignard d’un assassin. En 1809, par une froide journée de décembre, une frégate emportait sur la terre étrangère, sur la terre d’exil, Gustave IV et son fils, les derniers héritiers de cette noble lignée de souverains où brillent les noms à jamais célèbres de Gustave Wasa, Gustave-Adolphe, Charles X, Charles XI et Charles XII. Le duc de Sudermanie, qui, pendant la minorité de Gustave IV, avait été proclamé régent du royaume, fut, après la soudaine révolution de 1809, appelé d’une voix unanime à porter la couronne. Dans sa jeunesse, ce prince avait fait preuve d’un esprit éclairé et d’une mâle valeur, mais l’âge avait affaibli ses qualités énergiques, et il n’avait point d’enfans. La diète choisit, pour le seconder dans son administration et pour lui succéder au trône, le prince Christian d’Augustembourg, et six mois après ce prince tombait frappé d’un coup d’apoplexie devant un régiment qu’il passait en revue. Le peuple, qui n’avait fait qu’entrevoir encore son futur roi, et qui l’aimait comme les peuples aiment les princes dont ils n’ont point encore essayé le pouvoir, entra en fureur à la nouvelle de cette mort subite, et crut à un empoisonnement. Quand le convoi mortuaire entra dans les rues de Stockholm, une populace effrénée se précipita au-devant des chevaux, arrêta la voiture du comte de Fersen, auquel on attribuait la mort du jeune prince, le saisit dans sa fuite et le massacra. C’était ce même Fersen qui pendant long-temps s’était fait remarquer à la cour de Versailles par la noblesse de sa physionomie et l’élégance de ses manières, celui qu’on n’appelait que le beau Fersen, et qui servait de cocher à Marie-Antoinette dans la fuite à Varennes. Le dernier serviteur d’une famille royale étrangère, échappé comme par miracle aux fureurs du jacobinisme, devait, vingt années plus tard, expirer sous les coups de ses concitoyens, en remplissant les pacifiques fonctions de courtisan. Quand on rencontre au milieu des tempêtes populaires de tels épisodes et de tels drames, il est impossible de ne pas s’y arrêter avec une indicible pensée de fatalité.
Le meurtre du malheureux Fersen ne fit que redoubler la rage de ceux qui venaient de verser son sang sur le pavé. Ils assaillirent la demeure de la comtesse Piper et du comte Ugglas, qu’ils regardaient comme ses complices, et la garnison de la ville ne parvint qu’après de longs efforts à réprimer un désordre produit par un affreux soupçon.
Ce fut sous l’impression de cette effervescence du peuple, de ces actes de violence honteuse, que la Suède dut procéder au choix d’un nouveau prince royal. Chacun sentait que, dans la situation où le royaume avait été jeté, il lui fallait une main ferme, un courage éprouvé, pour le relever dans son affaiblissement, et le soutenir au milieu des périls qui le menaçaient de toutes parts. De son côté, la diplomatie ourdissait autour de la prochaine élection la trame habituelle de ses froides et égoïstes combinaisons. La Suède eut le bonheur de ne point se laisser enlacer dans ce tissu de négociations trompeuses. Elle voulait un homme fort, intelligent, dévoué, et Bernadotte fut cet homme.
Le 19 octobre 1810, le maréchal de France, devenu prince royal d’un état Scandinave, recevait, sur les frontières du Danemark, au bord du Sund, la députation envoyée au-devant de lui : l’archevêque d’Upsal et l’archevêque de Lund, chargés de recevoir sa profession de foi, les comtes Charles et Gustave de Löwenhielm, désignés pour l’accompagner dans son voyage. Le lendemain, il posait le pied sur le sol de la Suède, au milieu d’une population immense qui se pressait avec une avide curiosité sur sa route et le saluait avec enthousiasme. Si les acclamations qu’il entendit alors, si le respect qu’on lui témoignait, étaient pour lui d’un bon augure et lui donnaient un doux espoir, tout ce tribut d’éloges et tous ces témoignages de confiance lui imposaient en même temps de graves devoirs. En s’avançant de Helsingborg vers Stockholm, il pouvait voir, à travers les arcs de triomphe élevés sur son passage, bien des terres incultes et bien des hameaux appauvris, dépeuplés par les dernières guerres. En interrogeant les deux comtes de Löwenhielm, il pouvait recueillir de douloureux détails sur le règne de Gustave-Adolphe et sur ses funestes résultats.
C’était ce roi extravagant qui, du fond de son faible royaume de Suède, déclarait à la fois la guerre à la Russie, à la France et au Danemark. L’armée française lui enlevait Stralsund, la Poméranie, l’île de Rugen ; l’armée russe lui arrachait l’un après l’autre dans une sanglante campagne tous les districts de la Finlande ; le Danemark le tenait en échec du côté du Sund. Il n’avait d’autre soutien que l’Angleterre : il s’aliéna encore ce dernier allié, et resta seul, dans son aberration d’esprit, livré au ressentiment des deux plus grandes puissances de l’Europe. Les souffrances de ses troupes décimées dans l’affreuse expédition de Finlande, le généreux dévouement de ses officiers et de ses soldats ne pouvaient toucher son cœur, et les désastres d’une guerre insensée, la famine, qui éclata en 1809, l’aspect d’une population que les rigueurs de l’hiver, les privations de tout genre réduisaient à la dernière extrémité, rien ne pouvait le faire sortir de son aveuglement. Au milieu des douleurs qui éclataient de tous côtés, dans le deuil de sa capitale où, au commencement de 1809, on enterrait chaque jour les morts par centaines, un beau matin, Gustave-Adolphe signe avec la plus parfaite tranquillité d’ame un décret qui ordonne une levée de cent mille hommes et un impôt de trente millions, c’est-à-dire près des deux tiers de tout ce qu’il y avait de monnaie nationale en circulation dans le royaume.
La révolution qui mit fin à tant de folies s’accomplit en quelques heures sans effusion de sang et sans commotion. Il n’y a pour les dynasties les plus brillantes qu’une certaine durée de force et de pouvoir. Un temps arrive où les descendans des fondateurs de monarchie dégénèrent et s’affaissent comme des plantes privées du suc vital. Vains fantômes décorés du titre de roi, ils se pavanent encore sous leur manteau de pourpre et leur couronne héréditaire ; mais une légère secousse suffit pour leur montrer le néant de leur orgueil et l’impuissant effort de leur volonté. La monarchie de Napoléon, la plus grande, la plus éclatante de toutes, a été de toutes la plus éphémère, comme si, dans l’espace de quelques années, elle avait épuisé la sève de plusieurs siècles. Les autres… on peut voir ce qu’elles sont devenues ! Celle des Wasa devait suivre la loi commune, et Gustave-Adolphe, surpris dans son palais par quelques officiers las de son absurde tyrannie, subit comme un enfant la volonté de ceux qu’il prétendait, quelques jours auparavant, gouverner avec un sceptre de fer.
Mais la cause du mal ayant disparu du sol de la Suède, le mal n’en restait pas moins profond et difficile à réparer ; les cadres de l’armée incomplets, les arsenaux vides, les côtes et les forteresses sans défense, des provinces entières où les paysans déclaraient n’avoir ni blé pour la semence, ni chevaux pour la charrue ; le trésor de l’état épuisé, le royaume réduit, par la perte de la Finlande, aux deux tiers de son ancienne étendue, et une dette de 150 millions dans un pays dont le budget annuel ne s’élève pas à plus de 24 millions : voilà l’héritage que Gustave-Adolphe, en partant pour l’Allemagne, léguait à ceux qui devaient occuper son trône.
Charles-Jean n’eut le titre de roi qu’en 1818 ; mais son règne commença, on peut le dire, du jour où il entra à Stockholm comme prince royal. Charles XIII n’avait plus la force de porter le fardeau des affaires, et il l’abandonna avec joie et confiance, à cet élu du peuple, dont il sut promptement reconnaître la fermeté et l’intelligence. Investi du commandement des troupes de terre et de mer, appelé à présider les délibérations du conseil d’état et à diriger les diverses branches de l’administration, Charles-Jean étudia patiemment toutes les questions qui intéressaient le bien-être, la prospérité de la Suède, et travailla avec ardeur à réparer les plaies faites à ce noble pays par l’aveugle témérité et la déplorable obstination du dernier gouvernement. Il sut s’entourer des hommes les plus experts en chaque matière, écouter d’une oreille attentive les conseils qui lui étaient donnés. Il avait tout à apprendre dans une contrée si différente de celle où il avait passé la moitié de sa vie, et il eut cette qualité si désirable pour un roi, de bien voir et de bien apprendre.
En peu de temps, la Suède, abattue et découragée, se releva sous son nouveau sceptre comme un fier coursier dont un éperon exercé aiguillonne les flancs, et dont une main habile agite les rênes. L’ordre fut rétabli dans l’armée, la confiance rentra dans l’administration, et la Suède reprit une nouvelle attitude. Le blocus continental auquel ce pays s’associa à regret, par déférence seulement pour la volonté de Napoléon, par le désir de conserver la paix avec la France, la guerre qui éclata ensuite, paralysèrent pendant plusieurs années le commerce du pays et compliquèrent gravement les embarras financiers. Les revenus de l’état étaient au-dessous des dépenses ; les produits de la douane, qui, en 1810, avant la déclaration de guerre à l’Angleterre, s’élevaient à 3,000,000, ne furent, en 1811, que de 1,800,000 fr. Le papier monnaie tombait de jour en jour dans un plus grand discrédit ; on ne l’escomptait qu’avec une perte effrayante. Les obligations du royaume valaient encore, à la fin de 1810, 40 à 50 pour 100 ; en 1812 et 1813, on n’en offrait que 16 ou 20. Ce malaise financier était la plaie la plus affligeante du royaume ; ce fut celle que, dans la diète de 1815, les députés de l’opposition s’attachèrent surtout à faire ressortir en la peignant sous les couleurs les plus sombres et les plus sinistres, et en reprochant au gouvernement de n’avoir pas su y apporter remède. Mais Charles-Jean connaissait à fond les ressources du pays, et il comptait sur les années de paix dont il allait sagement employer les bénéfices ; il avait d’ailleurs une fortune considérable, et il voulait consacrer cette fortune au service du pays qu’il était appelé à gouverner. En 1814, l’Angleterre lui alloua, à lui personnellement, à titre d’indemnité pour les dotations qu’il avait perdues en France, un million de livres sterling. Charles-Jean établit avec cette somme un fonds d’amortissement pour l’extinction de la dette étrangère. Les états-généraux, en le remerciant d’une telle générosité, lui constituèrent une rente annuelle de 400,000 fr., réversible sur ses descendans. Grace à l’abandon de ces 24 millions et à d’autres sacrifices pécuniaires que le roi s’imposa sans hésiter chaque fois qu’il en fut besoin, grace aux sages mesures qu’il mit en œuvre, la Suède, tout en conservant ses contributions à un taux modéré[4], s’est, en moins de trente ans, délivrée du lourd fardeau qui pesait sur elle : ses dettes ont été amorties, son papier a recouvré sa valeur légale, sa banque peut être citée au nombre des banques les plus florissantes de l’Europe. Cependant d’utiles travaux ont été exécutés à grands frais sur tous les points du royaume : ici, de vastes défrichemens de terre ou des desséchemens de marais ; là, des canaux ouverts dans le roc et dans le flanc des montagnes. Celui de Gotha, qui réunit la mer Baltique à la mer du Nord, a coûté plus de 20 millions ; celui de Hielmar, 2 millions. Six forteresses ont été reconstruites ou réparées et agrandies, plusieurs grandes routes ouvertes ou rétablies ; dans les districts éloignés de la capitale, des rivières et des fleuves déblayés ; sur une longue étendue, de nouveaux ports ouverts au commerce. L’industrie a pris un large développement. Des manufactures de draps, de toiles, des raffineries de sucre, des papeteries, ont été établies dans plusieurs provinces ; des métiers de tissage enrichissent les habitans d’un des districts les plus arides du royaume, et les humbles cabanes en bois de l’Angermannie et des autres provinces septentrionales de la Suède livrent chaque année au commerce des toiles d’une finesse et d’une blancheur qui rivalisent avec celles de Hollande. En 1810, la valeur des produits industriels ne s’élevait pas à plus de 10 millions de francs ; elle dépasse à présent 30 millions. Dans l’espace de vingt ans, le mouvement du commerce a toujours augmenté. En 1821, la somme des exportations de la Suède était de 24 millions, celle des importations de 22 ; en 1840, la première s’est élevée à 40 millions, la seconde à 36. Les recettes de la douane étaient, en 1821, de 3 millions ; les droits ont été diminués sur un assez grand nombre de marchandises, et, malgré cette diminution, les recettes, en 1840, se sont élevées à 7 millions de francs. Les recettes de la poste se sont accrues dans les mêmes proportions : 670,000 fr. en 1821, 1,260,000 en 1840. Une grande partie du service des postes est fait par des bateaux à vapeur. On compte à présent en Suède cinquante-six bateaux à vapeur ; il n’y en avait qu’un seul en 1820. Si minimes que soient ces chiffres, lorsqu’on les compare à ceux qui sont inscrits chaque année dans les budgets de quelques autres contrées européennes, ils n’en accusent pas moins un rapide et mémorable progrès dans un pays où la population est disséminée sur un immense espace, où toutes les communications sont lentes et les débouchés difficiles. Il reste beaucoup à faire pour amener la Suède au degré de prospérité commerciale auquel elle a le droit de prétendre par une exploitation plus large et plus fructueuse de ses bois et de ses mines ; mais jamais elle n’oubliera que Charles-Jean a fait, pour la guider et la maintenir dans cette voie, plus qu’aucun de ses devanciers.
En même temps qu’il travaillait avec une intelligence si droite, une si louable persévérance, à assurer les progrès du commerce et de l’industrie manufacturière et agricole, il encourageait de tout son pouvoir l’enseignement public, les arts et les sciences. Par ses soins, les universités de Lund et d’Upsal ont été enrichies, le sort de leurs professeurs a été amélioré. Il a fait frapper des médailles pour récompenser les paysans qui se distingueraient dans leurs travaux agronomiques ; il a soutenu par son patronage toutes les académies et les sociétés utiles. Des gymnases ont été fondés par lui dans différentes villes, et de 1,009 écoles paroissiales, de 380 écoles ambulantes qui existent à présent dans le royaume, les trois quarts ont été établis depuis l’arrivée de Charles-Jean en Suède. À voir le mouvement poétique qui a illustré son règne, les savans qui se sont élevés autour de lui, on eût dit que l’enfant du Béarn avait apporté avec lui sur les froides plages de la Scandinavie l’harmonie du gai savoir et l’ardeur scientifique de la France.
Tous les hommes qui se sont signalés par des études sérieuses, par des œuvres utiles, Charles-Jean a su les reconnaître à temps et les récompenser. Les poètes aimés du peuple, Tegner, Franzen, le botaniste Agardh, ont été nommés évêques ; Wallin, à qui l’on doit un beau recueil de vers et d’excellens sermons, est mort archevêque d’Upsal. Geiier l’historien a été honoré de la bienveillance particulière du roi ; Strinnholm a reçu de lui une pension pour continuer plus librement ses recherches historiques ; Fryxell, qui a publié le plus charmant récit des annales de Suède, a été envoyé dans toutes les villes d’Europe où il pouvait trouver quelques documens relatifs à l’œuvre populaire qu’il a entreprise et qu’il continue avec tant de succès. D’autres écrivains moins connus, des jeunes gens qui en étaient à leur premier essai, des étudians qui n’annonçaient que d’heureuses dispositions, ont obtenu de la libéralité du roi les moyens nécessaires pour s’en aller en pays étranger acquérir une nouvelle instruction, et Berzélius a été créé baron et décoré du grand cordon de l’ordre de Wasa.
Ce que Charles-Jean a fait pour la Suède, il l’a tenté avec le même dévouement pour la Norvége. Forcé de conquérir par les armes ce pays dont la soumission lui avait été assurée par un traité de paix, il adoucit par tous les ménagemens possibles les mesures de rigueur auxquelles il dut avoir recours, et il entra à Christiania, non point avec la fière attitude d’un soldat victorieux, mais avec le sourire bienveillant d’un ami. Une rivalité hostile entretenue par l’union intime de la Norvége et du Danemark, par des guerres fréquentes, par les conflits accidentels résultant d’un voisinage immédiat, séparait depuis des siècles les Norvégiens des Suédois. L’influence de Charles-Jean a peu à peu amorti, effacé de part et d’autre ces dispositions dangereuses, et maintenant, on peut le dire, la Norvége est attachée de cœur au pacte d’alliance qu’elle repoussait violemment en 1814. Rien ne pouvait mieux d’ailleurs faire ressortir l’intelligence pratique et l’habileté de Charles-Jean que le gouvernement simultané de ces deux royaumes de Norvége et de Suède, si différens l’un de l’autre : là, le principe démocratique poussé jusqu’à ses dernières conséquences, une constitution aussi libérale que celle des États-Unis, un peuple qui ne souffre ni titres de noblesse, ni priviléges de naissance ; ici, une constitution essentiellement monarchique, une noblesse nombreuse et puissante, une nation soumise pendant des siècles au régime oligarchique, et qui, au milieu du mouvement démagogique de notre époque, a conservé pour l’aristocratie et pour ses attributions une sorte de respect héréditaire. Ce n’était pas une faible tâche que d’avoir à tenir la balance entre deux élémens si opposés, sans porter atteinte ni à l’un ni à l’autre. C’est pourtant ce que Charles-Jean a su faire par ses efforts et sa constante sollicitude. Il avait pris comme roi cette noble devise : Folkskârlek âr min Belœnning ; l’amour du peuple est ma récompense. Les regrets unanimes que sa mort a excités en Norvége et en Suède prouvent qu’il avait su mériter cette récompense.
Charles-Jean était un de ces hommes fortement trempés de la génération providentielle qui nous a précédés. Il est mort à l’âge de quatre-vingts ans, et jusqu’à sa dernière maladie, il avait conservé sans altération ses facultés physiques et son activité d’esprit. Il vivait pourtant d’un genre de vie singulier et peu hygiénique. Couché jusqu’à quatre heures de l’après-midi, mais s’occupant d’affaires dans son lit, vers le soir il revêtait sa redingote bleue et donnait ses audiences. Dans le cours de la journée, il buvait deux ou trois tasses de bouillon. À minuit, on lui servait son unique repas, repas splendide, auquel il prenait une large part. Le souper fini, il regagnait immédiatement son lit et s’endormait aussitôt d’un profond sommeil. À partir de la fin de l’automne jusqu’au mois de mai, il ne quittait pas ses appartemens. Si pourtant quelque malheur, quelque incendie éclatait dans la ville, de nuit ou de jour, par le froid le plus rigoureux, par la neige, à l’instant même il montait à cheval et courait au lieu du désastre. L’été venu, il reprenait soudain d’autres habitudes. On le voyait alors presque chaque jour traverser les rues de la ville, soit pour visiter quelques travaux publics, soit pour se rendre dans le parc, à son élégante maison de Rosendal. C’était là surtout qu’il aimait à réunir à sa table un cercle d’hommes choisis, à recevoir les étrangers et à s’entretenir pendant la soirée avec eux des questions qui devaient le plus les intéresser.
Ses réceptions particulières avaient un grand charme. Charles-Jean y apportait une touchante affabilité, et une sorte d’abandon, très réfléchi peut-être, mais en apparence du moins plein de cordialité. Il se plaisait à causer, et il causait avec une vivacité toute méridionale. Le recueil de ses bulletins, de ses lettres, de ses proclamations, prouve qu’il possédait à un haut degré l’art de rendre habilement sa pensée. Il y a là une éloquence de soldat et d’homme d’état moins concise, moins entraînante que celle de Napoléon, mais souvent très vigoureuse et souvent grandiose. Cette même éloquence se reproduisait dans ses entretiens, et éclatait parfois en images pompeuses. De temps à autre, il s’arrêtait dans son discours, et, fixant sur son auditeur un regard pénétrant, il lui disait avec son accent gascon : M’entendez-vous ? Puis, satisfait du silence qu’il avait imposé, il commençait une nouvelle harangue qui avait tout le caractère d’une ardente improvisation, et poursuivait ainsi le développement de sa pensée. C’était avec les Français surtout qu’il usait de toutes ses coquetteries de manières et de langage. C’était devant eux qu’il aimait à dérouler la longue chaîne de ses souvenirs, à raconter les magnifiques guerres de la république et les glorieuses années du consulat. Plus prudent que tous ces souverains de l’empire qui entraînaient dans le royaume dont ils allaient prendre possession des officiers, des courtisans auxquels ils faisaient, au détriment de leurs nouveaux sujets, une trop grande part d’honneurs et d’emplois, Charles-Jean n’avait voulu conserver à sa cour aucun Français, mais il recevait avec empressement tous ceux de nos compatriotes qui demandaient à lui être présentés, et de tous ceux qui, dans l’espace de trente années, ont été admis près de lui, il n’en est pas un assurément qui n’ait eu à se louer de sa bienveillance, et beaucoup d’entre eux ont reçu de précieuses marques de sa générosité.
Ses grandes réceptions offraient un coup d’œil pittoresque et intéressant. Charles-Jean en avait considérablement modifié la vieille étiquette. On ne pouvait encore se présenter à ses bals, à ses soirées, qu’en uniforme ; mais une épée d’emprunt au côté, un léger galon appliqué sur la couture du pantalon, suffisaient pour satisfaire le regard des chambellans gardiens du cérémonial. Des femmes d’une douce et mélancolique beauté, d’une élégance toute parisienne, ornaient ces réunions. Parmi les hommes, on retrouvait cette politesse exquise, cette urbanité de formes et ces habitudes de prévenances aimables qui distinguent les Suédois entre tous les peuples de race germanique. Vers minuit, le roi et sa famille, avec les principaux fonctionnaires, s’asseyaient à une même table. Les convives prenaient place à des tables voisines, et un souper de façon culinaire demi-française et demi-suédoise terminait la soirée.
Dans toutes ces occasions, le roi se signalait par une grande bonté. Cette bonté lui avait acquis dans le cours de son règne des affections touchantes. De tous les fonctionnaires qui par la nature de leurs services entraient en communication journalière avec lui, il n’en était pas un qui ne lui fût profondément attaché, et parmi eux on aime à citer le comte Magnus de Brahé, héritier de l’un des plus beaux noms de la Suède, major-général de l’armée. Le roi honorait ce noble gentilhomme de sa confiance la plus intime, et le comte de Brahé répondait à la sympathie de son roi par un dévouement sans bornes. Du moment où Charles-Jean tomba malade jusqu’à celui où il rendit le dernier soupir, on a vu M. de Brahé nuit et jour fixé au chevet du lit de son maître, comme un fils auprès de son père, dissimulant sa tristesse, étouffant son angoisse, et oubliant toute fatigue, tout besoin personnel, pour ne songer qu’aux besoins du roi mourant. Les habitans de Stockholm ont été émus d’un si tendre dévouement, et ceux qui naguère enviaient la faveur dont jouissait le comte de Brahé, et ceux même qui avaient blâmé l’exercice de son pouvoir, lui ont donné plus tard une éclatante réparation. Le jour où il parut à la tête de son régiment pour prêter serment au nouveau roi, les gens du peuple, en le voyant affaibli par tant de veilles, s’écartaient silencieusement devant lui, et ses anciens adversaires le saluaient avec respect. Il nous est d’autant plus doux de citer ce fait, que parmi les hauts fonctionnaires de la cour de Suède nul ne s’est montré plus constamment que le comte de Brahé ami de la France et bienveillant envers les Français.
À cette bonté de cœur que Charles-Jean apportait dans toutes ses relations, il joignait les traits de caractère les plus disparates et les plus difficiles à concilier. De vieilles idées républicaines s’associaient en lui à des penchans d’autocratie ; il n’aimait pas la noblesse, et il ne s’entourait que de nobles. Plein de courage et de résolution dans certaines circonstances, il se montrait dans les occasions vulgaires d’une extrême pusillanimité. Ce même homme qui avait bravé la colère de Napoléon s’effrayait du mauvais vouloir d’un publiciste. Il ne savait pas le suédois ; mais chaque jour on lui donnait des extraits traduits des différens journaux, et un article hostile à son gouvernement suffisait pour troubler toute sa sérénité. Un soir, je le trouvai assis sur son canapé, le regard étincelant de colère. « Regardez, me dit-il en me montrant une méchante feuille de Stockholm, sans talent et sans portée, qu’on appelle le Dagligt allehanda, voilà ce que je dois souffrir ! » Puis, relevant la tête avec une vive expression de douleur : « Quand j’étais en France, j’étais l’un des premiers parmi les seconds de la terre, et quand j’attendais dans les antichambres de l’empereur, je restais là avec des rois, des princes, et maintenant !… »
C’est à cette crainte de l’opposition, à cette timidité inconcevable dans un homme d’ailleurs si énergique, qu’il faut sans doute attribuer en grande partie la résistance que Charles-Jean a toujours apportée à tout projet de réforme décisif. L’administration du royaume de Suède est encore établie sur d’anciennes bases qui nécessitent de nombreux changemens. La diète nationale est encore composée, ainsi qu’autrefois, des quatre ordres de la noblesse, du clergé, des bourgeois et des paysans[5], et le vice radical et les inconvéniens continuels de ce mode de représentation ont été souvent signalés par la presse et par plusieurs des membres les plus éclairés de la diète. Au commencement de son règne, Charles-Jean dit que, comme étranger, il n’osait toucher aux anciennes institutions de la Suède ; plus tard, il répondait à ceux qui le pressaient d’entreprendre cette œuvre de réforme qu’il n’avait plus assez de temps devant lui, et qu’il laissait cette tâche à son fils. Heureusement pour le pays il la lui a laissée en effet, et le prince Oscar est parfaitement capable de la remplir. Arrivé en Suède à dix ans, et confié aux soins des maîtres les plus habiles, à l’âge où les impressions sont les plus vives et les plus profondes, le nouveau roi a appris à connaître, à aimer la Suède. C’est le pays auquel il doit tout, c’est sa véritable patrie. S’il nous appartient encore par la naissance, par quelques liens de famille, il appartient tout entier à la Suède par son éducation, par ses goûts, par la haute mission qu’il est appelé à remplir, et les espérances qui s’attachent à lui. Sa situation sous ce rapport est plus heureuse que celle de son père. Nul engagement ne l’enchaîne à un autre pays, nulle affection ne peut troubler dans son cœur celle qu’il doit à la Suède. Tout son passé est un sûr garant de ce qu’on peut attendre de lui dans l’avenir. Chancelier des universités de Lund et d’Upsal, il a toujours témoigné un zèle ardent pour le progrès des lettres et des sciences, et il a montré par les résultats de ses études sérieuses, par ses écrits et ses connaissances variées, qu’il était digne de protéger les écrivains et les savans. Prince royal, il a fait preuve, dans les hautes fonctions que son père lui confiait, d’une rare intelligence et d’un noble caractère. Père de famille, il a donné à toute la cour de Suède l’exemple des vertus domestiques. Son avénement au trône a été salué par d’unanimes acclamations ; les étrangers qui ont eu occasion de le voir et de l’apprécier le comptent au nombre des plus éclairés et des plus honnêtes souverains de l’Europe, et les peuples suédois et norvégien ont mis en lui leur confiance. Soutenu par cette confiance, investi du pouvoir suprême à l’âge de la force et de la maturité, que d’heureux efforts ne peut-il pas tenter en faveur des deux royaumes soumis à son pouvoir ! Mais outre les réformes qu’il doit essayer d’opérer dans les différentes branches de l’administration, il lui reste un grand et solennel devoir à remplir, celui de donner à la péninsule scandinave une digne et ferme attitude en face de la Russie.
On sait quel malheur ce fut pour la Suède de perdre la Finlande. Des cris de douleur et d’indignation s’élevèrent dans tout le pays, quand cette perte fatale fut résolue, et maintenant encore les Suédois ne parlent qu’avec un amer regret de leur ancienne alliée, de leur sœur, comme ils l’appellent. Un grand nombre d’entre eux, en voyant Bernadotte arriver sur les marches du trône, pensaient que l’épée du maréchal de France leur rendrait la contrée conquise par Alexandre ; mais c’était chose impossible, et Charles-Jean ne put pas même y songer. Depuis des siècles, la Russie convoitait cette province ; mainte fois elle y était entrée les armes à la main ; ne pouvant l’asservir, elle l’avait ravagée. Maintenant elle la tenait sous sa domination pour la conserver, elle y eût jeté toutes ses légions de Cosaques et tous ses canons. Charles-Jean demanda la Norvége, et Alexandre souscrivit à ce vœu avec empressement. En livrant ce pays au prince royal de Suède, il s’acquittait de la reconnaissance qu’il lui devait pour la campagne de 1813 ; il dépouillait d’une grande partie de ses états le roi de Danemark, coupable d’être resté si long-temps fidèle à la France, et il enlevait à la Suède, par cette compensation, le droit de réclamer la Finlande.
Sous le rapport géographique, la réunion de la Suède et de la Norvége est certes très rationnelle et présente de notables avantages. Les deux royaumes ne forment qu’un même sol où les fleuves, les canaux, les lacs et les grandes routes offrent au commerce et aux voyageurs de nombreux et faciles moyens de communication. Quand la Suède possédait la Finlande, elle était défendue par un large boulevard contre son voisin le plus redoutable et son ennemi le plus puissant. Elle avait des forteresses jusque sur les confins de la Russie, elle occupait le golfe qui touche à la Neva. Sans sortir de son territoire, elle touchait aux portes de Pétersbourg et épouvantait Catherine dans les voluptueuses mollesses de son boudoir. Quel changement aujourd’hui ! C’est la Russie qui a repris tout ce terrain dangereux, tout ce champ de bataille disputé tant de fois et tant de fois inondé du sang de ses soldats. La Russie possède à présent toute la ligne septentrionale qui longe la péninsule Scandinave, depuis le golfe de Finlande jusqu’au sein de la mer Glaciale. Au nord, elle n’est séparée de la terre suédoise que par un ruisseau que ses troupes franchiraient en été à pied sec ; au sud, elle occupe et fortifie l’archipel d’Aland, situé à quelques lieues de Stockholm. Pour entrer à pleines voiles dans la rade de la capitale de la Suède et faire flotter son pavillon au pied du palais des successeurs de Gustave-le-Grand, elle ne serait arrêtée que par les canons qui gardent la passe étroite de Waxholm ; mais la trahison qui lui livra en 1808 la forteresse de Sveaborg, que les ingénieurs déclaraient imprenable, ne lui livrerait-elle pas encore au moment opportun le dernier rempart qui protége Stockholm ? La Russie s’entend à faire des conquêtes, et là où ses armes se brisent, elle a recours à l’or et à la diplomatie. La voilà qui des rives de la Suède étend son réseau sur le Danemark. Elle donne pour épouse au jeune duc de Hesse la princesse Alexandra. Le prince royal de Danemark n’a point d’enfans ; la couronne, après lui, revient de droit à ce jeune duc, gendre de Nicolas. Il arrivera donc, selon toute probabilité, un jour, et ce jour n’est peut-être pas éloigné, où la Russie, qui domine déjà la Suède, dominera par son ascendant sur le Danemark toute la mer Baltique et la mer du Nord. Les peuples Scandinaves, fiers de leur ancienne liberté, jaloux de leur indépendance, comprennent bien le péril qui les menace, et se révoltent à l’idée de ne pouvoir s’y soustraire. La mariage du prince de Hesse a excité en Danemark une violente agitation. La presse, bravant les rigueurs de la censure, s’est montrée dans cette circonstance le fidèle interprète de l’opinion publique. Les journalistes ont été traduits devant les tribunaux, et le public a pris hautement parti pour eux. Les idées d’union scandinave, qui depuis plusieurs années se sont propagées en Suède, en Norvége, en Danemark, dans le cœur d’un grand nombre d’hommes honorables et dans le cœur des jeunes gens, se manifestent à présent avec plus de force que jamais. Les étudians de Lund et d’Upsal traversent le Sund pour tendre une main fraternelle aux étudians de Copenhague. Devant le danger d’une autorité étrangère, toutes les dissensions locales, toutes les vieilles rivalités disparaissent. On oublie les funestes conséquences du traité d’union de Calmar ; on aspire à resserrer dans les liens d’une même pensée, à diriger vers un même but, ces trois peuples Scandinaves qui proviennent de la même souche, et qui doivent avoir le même intérêt de nationalité. Mais il faudrait un appui moral à ces tentatives d’union, à ces projets de défense. Les peuples du Nord, frappés comme ceux de l’Orient de l’ancienne grandeur et de l’active initiative de la France dans le mouvement des idées libérales, tournent leurs regards vers nous, et la France est muette, et son gouvernement est impassible.
Du temps de Richelieu, la France catholique s’alliait à la Suède protestante pour combattre l’ambition de l’Autriche ; du temps de Louis XIV et de Louis XV, le cabinet de Versailles considérait la Suède comme un des postes diplomatiques les plus importans. Nous avions là un ambassadeur chargé de distribuer des pensions, de payer des subsides, pour contrebalancer à Stockholm l’influence déjà redoutable de la Russie. Maintenant que le colosse dont nous essayions alors d’entraver les audacieux projets a grandi dans des proportions effrayantes, nous fermons les yeux sur ses progrès. Nous laissons s’affaiblir peu à peu le rempart qui nous séparait de lui. Un jour, pour venir à nous, il n’aura plus à traverser les grandes plaines de Pologne et d’Allemagne. Les côtes de France seront ouvertes d’un côté aux flottes de Cronstadt, de l’autre à celles d’Angleterre. Voilà ce que nous aurons gagné dans nos années de paix par tant de concessions à des puissances qui ne nous pardonnent ni notre gloire passée, ni le trouble qu’elles ont ressenti de nos révolutions. Puisse la crainte que j’exprime n’être qu’un vain fantôme ; mais pour quiconque a observé dans ces derniers temps l’état des royaumes scandinaves et l’ascendant que la Russie acquiert chaque jour dans ces contrées, il est certain qu’il se prépare là un nouveau problème politique, dont on ne peut sans une vive anxiété envisager la solution.
- ↑ Recueil des Lettres de Charles-Jean, t. I, p. 24.
- ↑ Recueil des Lettres de Charles-Jean, t. i, p. 55.
- ↑ A furore Normannorum libera nos, Domine.
- ↑ Ces contributions, y compris les charges communales, ne vont pas au-delà de 9 francs par tête : c’est huit fois moins qu’en Angleterre, et près de quatre fois moins qu’en France.
- ↑ On compte en Suède environ deux mille quatre cents familles nobles. Le chef de chacune de ces familles est de droit membre de la diète. Le clergé est représenté par les douze prélats du royaume et par quarante-huit députés ; la bourgeoisie, par les mandataires des quatre-vingt-cinq villes de Suède ; l’ordre des paysans, par cent quarante à cent cinquante députés. Les membres de la diète appartenant au clergé, à la bourgeoisie et à la classe des paysans reçoivent, pendant la durée de la session, une indemnité pécuniaire.