La Suite de l’Adolescence Clémentine/L’Eglogue sur le trepas de ma Dame Loyse de Savoye

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Les Œuvres de Clément Marot
Texte établi par Georges Guiffrey,  (p. 399-407).

De Madame Loyse de Sauoye, mère du Roy, en forme d’eglogue

(1531).

THENOT, COLIN
THENOT

En ce beau Val sont plaisirs excellens,
Un cler Ruisseau bruiant pres de l’ombrage :

L’herbe à soubhait, les Vents non violens,
Puis toy Colin, qui de chanter fait rage.
A Pan ne veulx rabaisser son hommage :
Mais quant aux Champs tu l’accompaignerois,
Plus tost proffit en auroit, que dommage :
Il t’apprendroit, et tu l’enseigneroys.
Quant à chansons, tu y besongneroys
De si grand art, s’on venoit à contendre,
Que quand sur Pan rien tu ne gaigneroys,
Pan dessus toy rien ne pourroit pretendre.
S’il gaigne en pris ung beau Frommage tendre,
Tu gaigneras ung pot de Laict caillé :
Ou si le Laict il ayme plus cher prendre,
A toy sera le Frommage baillé.

Colin

Berger Thenot je suis esmerveillé
De tes chansons : et plus fort je m’y baigne
Qu’à escouter le Lynot esveillé,
Ou l’Eaue qui bruyt tombant d’une Montaigne.
Si au matin Calliope te gaigne,
Contre elle au soir obtiendras le Butin :
Ou s’il advient, que ta noble compagne
Te gaigne au soir, tu vaincras au matin.
Or je te pry, tandis que mon Mastin
Fera bon guet, et que je feray paistre
Noz deux trouppeaulx, chante ung peu de Cathin,
En deschiffrant son bel habit champestre.

Thenot

Le Rossignol de chanter est le maistre,
Taire convient devant luy les Pivers :
Aussi estant là, où tu pourras estre,
Taire feray mes Chalumeaulx divers.

Mais si tu veulx chanter dix fois dix Vers,
En deplorant la Bergere Loyse,
Des Coings auras six jaulnes, et six verts,
Les mieulx sentans qu’on vit depuis Moyse.
Et si tes Vers sont d’aussi bonne mise,
Que les derniers que tu fis d’Ysabeau,
Tu n’auras pas la chose qu’ay promise,
Ains beaucoup plus, et meilleur, et plus beau.
De moy auras ung double Chalumeau
Faict de la main de Raffy Lyonnoys :
Lequel (à peine) ay eu pour ung Chevreau
Du bon Pasteur Michau, que tu congnois.
Jamais encor n’en sonnay que une fois,
Et si le garde aussi cher, que la vie :
Si l’auras tu de bon cueur toutesfois,
Faisant cela à quoy je te convie.

Colin

Tu me requiers de ce, dont j’ay envie.
Sus donc mes Vers, chantez chants doloreux,
Puis que la Mort a Loyse ravie,
Qui tant tenoit noz Courtilz vigoreux.
Or sommes nous maintenant malheureux,
Plus estonnez de sa mortelle absence,
Que les Aigneaulx à l’heure qu’entour eulx
Ne trouvent pas la Mere qui les pense.
Plorons Bergers, Nature nous dispense :
Plorons la Mere au grand Berger d’icy :
Plorons la Mere à Margot d’excellence,
Plorons la Mere à nous aultres aussi.
O grand Pasteur, que tu as de soucy :
Ne sçay lequel, de toy ou de ta Mere
Me rend le plus de tristesse noircy :
Chantez mes Vers, chantez douleur amere.
Lors que Loyse en sa Loge prospere
Son beau mesnage en bon sens conduysoit,
Chascun Pasteur, tant fust il riche Pere,
Lieu là dedans pour sa Fille eslisoit.
Aulcunesfois Loyse s’advisoit
Les faire seoir toutes soubz ung grand Orme,

Et elle estant au millieu, leur disoit,
Filles il fault, que d’ung poinct vous informe.
Ce n’est pas tout, qu’avoir plaisante forme,
Bordes, trouppeaux, riche Pere, et puissant :
Il fault preveoir que Vice ne difforme
Par long repos vostre aage florissant.
Oysiveté n’allez point nourrissant,
Car elle est pire entre jeunes Bergeres,
Qu’entre Brebis ce grand Loup ravissant,
Qui vient au soir tousjours en ses Fougeres.
A travailler soyez doncques legeres :
Que Dieu pardoint au bon homme Roger,
Tousjours disoit, que chez les Mesnageres
Oysiveté ne trouvoit à loger.
Ainsi disoit la Mere au grand Berger,
Et à son dict travailloient Pastourelles :
L’une plantoit herbes en ung Verger :
L’autre paissoit Coulombs, et Tourterelles :
L’autre à l’Aiguille ouvroit choses nouvelles :
L’autre (en apres) faisoit Chappeaux de fleurs :
Or maintenant ne font plus rien les belles,
Sinon ruisseaux de larmes, et de pleurs.
Convertis ont leurs danses en douleurs,
Le Bleu en Brun, le Vergay en Tanné :
Et leurs beaulx tainctz en maulvaises couleurs :
Chantez mes Vers, chantez dueil ordonné.
Des que la Mort ce grand coup eut donné,
Tous les plaisirs Champestres s’assoupirent :
Les petits Ventz alors n’ont hallené,
Mais les fors Vents encores en souspirent.
Fueilles, Fruictz des arbres abbatirent :
Le cler Soleil chaleur plus ne rendit :
Du manteau vert les Prez se devestirent,
Le Ciel obscur larmes en respendit.
Le grand Pasteur sa Musette fendit,
Ne voulant plus que de pleurs se mesler,
Dont son Trouppeau (qui plaindre l’entendit)
Laissa le paistre, et se print à besler.
Et quand Margot ouyt tout reveler,
Son gentil cueur ne fut assez habile
Pour garder l’œil de larmes distiller,

Ains de ses pleurs en feit bien plorer mille.
Terre en ce temps devint nue, et debile :
Plusieurs Ruisseaulx tous à sec demourerent :
La mer en fut troublée, et mal tranquille,
Et les Daulphins bien jeunes y plourerent.
Biches, et Cerfz estonnez s’arresterent :
Bestes de proye, et Bestes de pasture,
Tous Animaulx Loyse regretterent,
Exceptez Loups de maulvaise nature.
Tant (en effect) griefve fut la poincture,
Et de malheur l’adventure si pleine,
Que le beau Lys en print noire taincture,
Et les Trouppeaux en portent noire Laine.
Sus Arbre sec s’en complaint Philomene,
L’aronde en faict cryz piteux, et tranchans,
La Tourterelle en gemit, et en meine
Semblable dueil : et j’accorde à leurs chants.
O francs Bergers sur franche herbe marchans
Qu’en dictes vous ? quel dueil, quel ennuy est ce,
De veoir secher la fleur de tous nos Champs ?
Chantez mes Vers, chantez à Dieu liesse.
Nymphes, et dieux, de nuyt en grand destresse
La vindrent veoir, et luy dirent helas,
Dors tu icy, des Bergers la Maistresse,
Ou si c’est Mort qui t’a mise en ces las ?
Las ta couleur (telle comme tu l’as)
Nous juge bien, que morte tu reposes :
Ha mort fascheuse oncques ne te mesla
Que de ravir les excellentes choses.
Tant eut au chef de sagesses encloses :
Tant bien sçavoit le clos de France aymer :

Tant bien y sceut aux Lys joindre les Roses :
Tant bien y sceut bonnes herbes semer :
Tant bien sçavoit en seurté confermer
Tout le Bestail de toute la Contrée :
Tant bien sçavoit son Parc clore, et fermer,
Qu’on n’a point veu les Loups y faire entrée.
Tant a de fois sa prudence monstrée
Contre le temps obscur, et pluvieux,
Que France n’a (long temps a) rencontrée
Telle Bergere, au rapport des plus vieulx.
A Dieu Loyse, à Dieu en larmes d’ieux,
A Dieu le corps, qui la terre decore.
En ce disant, s’en vont Nymphes, et Dieux :
Chantez mes Vers, chantez douleur encore.
Rien n’est çà bas, qui ceste mort ignore :
Coignac s’en coigne en sa poictrine blesme :
Rommorantin la perte rememore
Anjou faict jou : Angolesme est de mesme.
Amboyse en boyt une amertume extrême :
Le Meine en maine ung lamentable bruyt :
La pauvre Trouve arrousant Angolesme
A son pavé de Truites tout destruict.
Et sur son eaue chantent de jour, et nuyct
Les cignes blancs, dont toute elle est couverte,
Pronostiquans en leur chant, qui leur nuyt,
Que Mort par mort leur tient sa porte ouverte.
Que faictes vous en ceste forest verte
Faunes, Silvains ? je croy que dormez là :
Veillez, veillez, pour plorer ceste perte :
Ou si dormez, en dormant songez la.
Songez la Mort, songez le tort, qu’elle a :
Ne dormez point sans songer la meschante :
Puis au resveil comptez moy tout cela
Qu’avez songé, affin que je le chante.
D’où vient cela qu’on veoit l’herbe sechante

Retourner vive, alors que l’Esté vient ?
Et la personne au Tombeau trebuchante,
Tant grande soit, jamais plus ne revient ?
Ha, quand j’ouy l’autrhyer (il me souvient)
Si fort crier la Corneille en ung Chesne,
C’est ung grand cas (dis je lors) s’il n’advient
Quelcque meschef bien tost en cestuy Regne.
Aultant m’en dist le Corbeau sur ung Fresne :
Aultant m’en dist l’Estoille à la grand queue :
Dont je laschay à mes souspirs la Resne,
Car tel douleur ne pense avoir onc eue.
Chantez mes vers fresche douleur conceue.
Non, taisez vous, c’est assez deploré.
Elle est aux champs Elisiens receue
Hors des travaulx de ce Monde esploré.
Là où elle est, n’y a rien defloré :
Jamais le jour, et ses plaisirs n’y meurent :
Jamais n’y meurt le Vert bien coloré,
Ne ceulx avec qui là dedans demeurent :
Car toute odeur Ambrosienne y fleurent,
Et n’ont jamais ne deux, ne troys saisons,
Mais ung Printemps : et jamais ilz ne pleurent
Perte d’Amyz, ainsi que nous faisons.
En ces beaulx Champs, et nayves maisons
Loyse vit sans peur, peine, ou mesaise :
Et nous çà bas pleins d’humaines raisons
Sommes marriz (ce semble) de son aise.
Là ne voyt rien, qui en rien luy desplaise :
Là mange fruict d’inestimable pris :
Là boyt liqueur, qui toute soif appaise :
Là congnoistra mille nobles espritz.
Tous Animaulx plaisans y sont compris,
Et mille Oyseaulx y font joye immortelle,
Entre lesquelz volle par le pourpris
Son Papegay, qui partit avant elle.
Là elle voit une lumiere telle,
Que pour la veoir mourir devrions vouloir.
Puis qu’elle a doncq tant de joye eternelle,
Cessez mes Vers, cessez de vous douloir.
Mettez voz Montz, et Pins en nonchailloir,
Venez en France, ô Nymphes de Savoye,
Pour faire honneur à celle, qui valoir
Feit par son los son Pays, et sa voye.
Savoysienne estoit, bien le sçavoye,
Si faictes vous : venez doncques, affin
Qu’avant mourir vostre Œil par deçà voye,
Là où fut mise apres heureuse fin.
Portez au bras chascune plein coffin
D’herbes, et fleurs du lieu de sa naissance,
Pour les semer dessus son Marbre fin
Le mieulx pourveu, dont ayons congnoissance.
Portez Rameaulx parvenus à croissance,
Laurier, Lierre, et Lys blancs honnorez,
Rommarin vert, Roses en abondance,
Jaulne Soulcie, et Bassinetz dorez,
Passeveloux de Pourpre colorez,
Lavande franche, Œillet de couleur vive,
Aubepins blancs, Aubepins azurez,
Et toutes fleurs de grand beaulte nayve.
Chascune soit d’en porter ententive :
Puis sur la tombe en jectez bien espays,
Et n’oubliez force branches d’Olive :
Car elle estoit la Bergere de Paix.
Laquelle sceut dresser accords parfaictz
Entre Bergiers, alors que par le Monde
Taschoient l’ung l’aultre à se rendre desfaictz
A coups de Goy, de Holette, et de Fonde.
Vien le dieu Pan, vien plustost que l’Aronde,
Pars de tes Parcs, d’Archadie desplace,
Cesse à chanter de Syringue la blonde,

Puis qu’elle a doncq tant de joye eternelle,
Cessez mes Vers, cessez de vous douloir.
Mettez voz Montz, et Pins en nonchailloir,
Venez en France, ô Nymphes de Savoye,
Pour faire honneur à celle, qui valoir
Feit par son los son Pays, et sa voye.
Savoysienne estoit, bien le sçavoye,
Si faictes vous : venez doncques, affin
Qu’avant mourir vostre Œil par deçà voye,
Là où fut mise apres heureuse fin.
Portez au bras chascune plein coffin
D’herbes, et fleurs du lieu de sa naissance,
Pour les semer dessus son Marbre fin
Le mieulx pourveu, dont ayons congnoissance.
Portez Rameaulx parvenus à croissance,
Laurier, Lierre, et Lys blancs honnorez,
Rommarin vert, Roses en abondance,
Jaulne Soulcie, et Bassinetz dorez,
Passeveloux de Pourpre colorez,
Lavande franche, Œillet de couleur vive,
Aubepins blancs, Aubepins azurez,
Et toutes fleurs de grand beaulte nayve.
Chascune soit d’en porter ententive :
Puis sur la tombe en jectez bien espays,
Et n’oubliez force branches d’Olive :
Car elle estoit la Bergere de Paix.
Laquelle sceut dresser accords parfaictz
Entre Bergiers, alors que par le Monde
Taschoient l’ung l’aultre à se rendre desfaictz
A coups de Goy, de Holette, et de Fonde.
Vien le dieu Pan, vien plustost que l’Aronde,
Pars de tes Parcs, d’Archadie desplace,
Cesse à chanter de Syringue la blonde,

Approche toy, et te mectz en ma place,
Pour exalter avec meilleure grâce
Celle, de qui je me suis entremys,
Non (pour certain) que d’en parler me lasse,
Mais tu as tort, que tu ne la gemys.
Et toy Thenot, qui à plorer t’es mys
En m’escoutant parler de la tresbonne,
Delivre moy le Chalumeau promis,
A celle fin qu’en concluant la sonne :
Et : que du son rende grâces, et donne
Louange aux Dieux des haultz Montz, et des Plains,
Si haultement, que ce Val en resonne :
Cessez mes vers, cessez icy vos plaindz.

Thenot

O franc Pasteur, combien tes Vers sont pleins
De grand doulceur, et de grand amertume :
Le chant me plaist, et mon cueur tu contraincts
A se douloir plus qu’il n’a de coustume.
Quand tout est dit, Melpomene allume
Ton stille doulx à tristement chanter :
Oultre, il n’est cueur (et fust ce un cueur d’Enclume)
Que ce propos ne feist bien lamenter.
Parquoy (Colin) sans flater, ny vanter,
Non seulement le bon flageol merites,
Ains devroit on Chappeau te presenter
De vert Laurier pour choses tant bien dictes.
Sus, grans Taureaux, et vous Brebis petites
Allez au Tect, assez avez brousté :
Puis le Soleil tombe en ces bas limites,
Et la Nuyct vient devers l’autre costé.