La Télégraphie électrique en France

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La Télégraphie électrique en France
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 31 (p. 892-914).

LA
TÉLÉGRAPHIE ÉLECTRIQUE
EN FRANCE

DE LA RÉFORME DU SERVICE TÉLÉGRAPHIQUE.

I. Annales télégraphiques, 1858-1859-1860. — II. Cours théorique et pratique de Télégraphie électrique, par M. E. Blavier, inspecteur des lignes télégraphiques. III. De l’Abaissement des Taxes télégraphiques en France, par M. Gustave Marqfoy.

La direction des postes en Angleterre est aujourd’hui confiée à un homme qui s’est acquis une grande popularité par une longue et victorieuse, propagande en faveur de l’abaissement et de l’uniformité des taxes postales : je veux parler de sir Rowland Hill, l’inventeur du penny post, aujourd’hui adopté dans toute l’Europe et aux États-Unis. Le service qu’il a rendu à son pays et à son temps n’est pas médiocre, et personne aujourd’hui ne regrette l’ancien système, où les taxes, calculées d’après les distances, étaient l’objet de perpétuels débats, et, par les variations autant que par l’élévation des chiffres, opposaient une véritable entrave à la facilité des communications épistolaires.

On se préoccupe depuis quelque temps en France d’appliquer à la télégraphie électrique les idées de sir Rowland Hill en matière de réforme postale ; l’on a commencé contre les taxes télégraphiques une croisade, ou, comme disent nos voisins, une agitation à laquelle prennent part tous ceux qui voudraient voir le public français tout entier jouir plus facilement des bénéfices de cette admirable invention, préparée par les travaux de nos savans.

Il y a une différence essentielle, je me hâte de le dire, entre la réforme du service postal et celle du service télégraphique. La première ne touchait qu’à des questions d’ordre économique ; elle pouvait se résoudre entièrement par voie administrative, et la limite de l’abaissement des tarifs n’était fixée que par des considérations budgétaires et statistiques, La réforme télégraphique soulève des difficultés plus nombreuses. La télégraphie n’est pas seulement une branche de l’administration publique, c’est aussi une science, et jusqu’à présent ceux qui ont songé à la réformer ont surtout porté leur attention vers les perfectionnemens qui touchent à la physique, à la chimie, à la mécanique. C’est dans la découverte d’appareils plus ingénieux qu’ils ont cherché la solution du problème des tarifs réduits ; mais pour être convenablement résolue, cette question doit être étudiée au point de vue administratif aussi bien qu’au point de vue technique. Cette tâche a été récemment entreprise par un ancien inspecteur des télégraphes, sorti de l’École polytechnique, M. Gustave Marqfoy. Dans des pages lumineuses et pleines d’intérêt, il propose, outre l’adoption d’un nouvel appareil de son invention, toute une série de mesures destinées à simplifier le service, à le généraliser, à faciliter les rapports du public avec l’administration. On sent pourtant qu’en sa qualité d’inventeur, M. Marqfoy a une prédilection particulière pour le côté technique de son sujet ; il ne considère une réforme administrative comme possible qu’autant qu’elle serait fondée sur l’emploi de ses appareils.

Lorsqu’on examine la question des tarifs télégraphiques sans préoccupation de ce genre, on est tout étonné de voir que l’on a peut-être en réalité moins à attendre des progrès de l’ordre scientifique que des mesures qui auraient pour effet de diminuer les frais généraux du service. Parmi celles qui pourraient atteindre ce but, il en est une, la plus efficace à notre avis, qu’il faut s’étonner de n’avoir pas encore vu recommander dans notre pays, parce qu’elle a déjà reçu ailleurs, notamment en Belgique et dans quelques parties de l’Allemagne, la sanction de l’expérience : c’est la fusion des deux administrations des postes et des télégraphes. Reliée aujourd’hui par les liens les moins naturels au ministère dont elle fait partie, l’administration télégraphique acquerrait la force qui lui manque si elle entrait dans les cadres de son aînée, l’administration postale, si puissante, si expérimentée, si admirablement organisée. Qu’on imagine dans la moindre petite ville de province le bureau des postes devenu en même temps bureau télégraphique : quel avenir ouvert au nouveau mode de communications ! Cette fusion deviendra d’autant plus, facile que les appareils électriques seront plus commodes à manœuvrer. Ainsi la question scientifique revient d’elle-même se mêler aux considérations administratives. À cause de cette connexité profonde, le sujet comprend nécessairement deux parties : la première embrassera l’histoire de la législation des tarifs, la statistique des dépêches et la comparaison des taxes françaises avec celles des autres pays ; dans la seconde y plus spécialement technique, on fera connaître l’état actuel du matériel télégraphique et les divers appareils, plus ou moins bien imaginés, à l’aide desquels on prétend renouveler l’art de la correspondance électrique. En réduisant à leur juste valeur les prétentions des inventeurs, nous serons amené à conclure que, si l’on ne doit pas négliger les perfectionnemens qui peuvent donner aux communications plus de promptitude et de facilité, il faut cependant chercher la solution des tarifs à bon marché dans une bonne organisation du service. à ce dernier point de vue, la fusion des télégraphes et des postes permettrait d’obtenir les meilleurs résultats. Cette mesure contribuerait puissamment à faciliter une réforme désirée par le public, à populariser un moyen de communications devenu un auxiliaire puissant du commerce, et destiné bientôt à servir d’une manière plus efficace cette multitude innombrable d’intérêts privés dont la mobilité nous condamne à des agitations perpétuelles.

Les débuts de la télégraphie électrique en France ne sont pas anciens ; l’ordonnance du 29 novembre 1844 ouvrit le premier crédit qui permit de construire la ligne de Paris à Rouen. Comme les chemins de fer, les premiers fils électriques eurent dans la capitale leur centre de rayonnement. En 1846 fut opérée la jonction de Paris avec Lille et la frontière de Belgique ; en 1850, Paris put correspondre télégraphiquement avec Angers, Tonnerre, Châlons-sur-Marne. C’est alors seulement que le réseau prit un développement rapide ; il atteignit en peu de temps les quatre-vingt-six chefs-lieux de nos départemens. Ce nouveau service demeura centralisé entre les mains de l’état au lieu d’être concédé à une compagnie unique, comme en Angleterre, ou livré à la concurrence de compagnies libres, comme aux États-Unis. Les règlemens auxquels est soumise en France la correspondance télégraphique ont été modifiés jusqu’à cinq fois depuis l’inauguration du réseau.

Au début, l’on adopta en principe la proportionnalité des tarifs aux distances parcourues par les dépêches : la loi du 29 novembre 1850 statuait que pour une dépêche de un à vingt mots, ou dépêche simple, il devait être perçu un droit fixe de 3 francs, plus 10 centimes par myriamètre. Au-dessus de vingt mots, la taxe précédente était augmentée d’un quart pour abaque dizaine de mots ou fraction de dizaine excédante. Le droit fixe de 3 francs était exorbitant : on sentit bientôt la nécessité de le diminuer ; mais on conserva le droit supplémentaire, proportionné à la distance. La loi du 28 mai 1853 abaissa le droit fixe à 2 francs et ne changea rien au chiffre de 10 centimes par myriamètre. Peu de temps après, le 22 juin 1854, ce chiffre fut relevé à 12 centimes. Il fut de nouveau ramené au taux de 10 centimes le 21 juillet 1856, et depuis il n’a pas été changé. Toutefois le principe de l’unité de tarif n’a cessé d’être opposé au principe des distances, et ceux qui en sont partisans ont remporté un demi-succès en obtenant qu’on l’appliquât à certaines catégories de dépêches. Cette transaction a été consacrée par la loi du 18 mai 1858, base du régime actuel des correspondances télégraphiques. C’est ce régime qu’il faut essayer maintenant de décrire en peu de mots.

En vertu de la loi du 18 mai 1856, les dépêches sont taxées différemment, suivant qu’elles circulent entre les bureaux du même département, de deux départemens limitrophes, ou qu’elles traversent plus de deux départemens. Dans la première classe, les dépêches simples (de un à quinze mots, plus cinq mots d’adresse) sont soumises à une taxe fixe de 1 franc, dans la deuxième à une taxe fixe de 1 franc 60 centimes ; dans la troisième, la taxe se calcule d’après la distance : elle se compose d’un droit fixe de 2 francs, augmenté de 10 centimes par myriamètre. Au-dessus de quinze mots, la taxe est, pour toutes les classes de dépêches, élevée d’un dixième par chaque série de cinq mots ou par fraction de série excédante.

Sous l’empire de ces tarifs, quelles sont les limites de prix d’une dépêche simple sur le territoire de la France ? La limite inférieure, on l’a vu, est de 1 franc dans l’intérieur d’un département ; de Brest à Toulon, la dépêche simple, qui a traversé diagonalement toute l’étendue de la France (101 myriamètres à vol d’oiseau), coûte 12 francs 10 centimes. De Dunkerque à Perpignan (93 myriam. à vol d’oiseau), le prix s’élèverait à 11 fr. 30 cent, ; de Bayonne à Wissembourg (96 myriam. à vol d’oiseau), à 11 fr. 60 cent. On peut donc considérer que le prix des dépêches simples est, pour la France, renfermé entre les limites de 1 à 12 francs environ. On a le droit de trouver ce dernier chiffre exorbitant ; mais dans la réalité il est assez rare qu’il soit appliqué, Paris peut être considéré comme le centre du mouvement télégraphique français ; les dépêches rayonnent de la circonférence au centre et du centre à la circonférence, et ne traversent qu’assez rarement l’étendue entière du territoire. La statistique permet d’apprécier, au point de vue des distances parcourues, quelles sont les dépêches les plus fréquentes et les plus productives. M. Pélicier, sous-chef de bureau au ministère de l’intérieur, a publié, dans les Annales télégraphiques la statistique de la télégraphie privée en France depuis l’origine jusqu’à la fin de 1858 ; pour l’année 1859, ce travail vient d’être achevé par M. de Thury. Il résulte de leurs recherches que le prix moyen des dépêches intérieures en France a été en 1858 de 5 fr. 12 cent, et, d’après les tableaux de M. de Thury, de 4 fr. 56 cent, en 1859[1]. Ces chiffres révèlent une tendance qu’il importe de signaler. Tout en servant surtout aux grandes distances, puisque le chiffre de 4 fr. 56 cent, est le prix moyen d’une dépêche simple envoyée à 256 kilomètres, les communications télégraphiques s’établissent cependant en moyenne à des distances plus rapprochées que pendant les premières années qui suivirent la création du réseau. En d’autres termes, l’usage des dépêches tend à se moins localiser dans les grands bureaux extrêmes[2]. Malgré le pas fait par la loi du 18 mai 1858 vers l’unité de taxe, l’administration a repoussé les comparaisons qu’on essayait d’établir, à ce point de vue, entre les lettres et les télégrammes. Qu’une voiture de poste parte dedans pour Marseille, le poids, le nombre et la destination des lettres qu’elle transporte n’ont aucune influence véritable sur les dépenses de l’administration. Le service postal est organisé de telle façon qu’il s’accomplit chaque jour de la même façon. À une certaine heure, les boîtes sont levées, quel que soit le nombre de lettres qui s’y trouvent ; les facteurs se mettent en route, qu’ils aient dix ou vingt lettres à porter. Les voitures de dépêches ne modifient jamais leur itinéraire. Les frais de l’administration sont donc, dans une grande mesure, indépendans de l’état quotidien et variable de la correspondance du pays. On conçoit, dans de pareilles conditions, que l’unité de taxe pût être acceptée par l’administration postale ; mais dans le service télégraphique, l’envoi des dépêches est d’autant plus onéreux qu’elles sont expédiées plus loin. Toutes les communications intermédiaires sont souvent interrompues entre les bureaux qui correspondent. Dans le service des postes, le nombre des lettres n’a en quelque sorte pas de limite ; le fil télégraphique ne peut transmettre qu’un signal à la fois. Au point de vue de l’équité, on a donc repoussé toute assimilation, et l’on a rejeté en conséquence le système de la taxe unique. S’il ne s’agissait que de justice, que de la rigoureuse appréciation d’une charge proportionnée à un service rendu, l’administration aurait mille fois raison ; mais à qui fera-t-elle adopter cette manière de voir ? Qui se soucie, dans l’expédition des affaires, d’autre chose que de la célérité et de la commodité des transactions ? L’opinion publique est toujours favorable aux simplifications. On l’a si bien compris, qu’à l’exemple des petits pays, tels que la Saxe, la Suisse, le Wurtemberg, le Hanovre, le duché de Mecklembourg, le duché de Bade, la Hollande, on a abandonné le principe des distances pour chaque département français, ainsi que pour la zone formée par un département entouré de tous ses limitrophes.

Ce tarif exceptionnel a malheureusement servi très peu d’intérêts. Les tableaux statistiques de M. Pélicier montrent que, sur 100 dépêches expédiées en 1858, 70 ont été taxées d’après la distance, 12 seulement échangées entre les bureaux d’un même département, jouissant par conséquent du tarif de 1 franc, et 18 échangées entre stations de départemens voisins, jouissant du tarif de 1 franc 50 centimes. En 1859, le progrès de la télégraphie inter-départementale a été presque insensible : sur 100 dépêches, on en a compté 15 d’un département pour le même département, 20 de département à département limitrophe, et 65 pour le reste de la France. « En considérant, dit avec beaucoup de raison M. Pélicier, que la ville de Paris, à elle seule, expédie plus d’un tiers des dépêches totales, et renferme par conséquent plus d’un tiers des expéditeurs, on comprend que ces derniers soient fondés à se plaindre de dispositions moins favorables que s’ils résidaient dans un autre département : 1° parce que, de tous les départemens, celui de la Seine a le territoire, le plus restreint ; 2° parce que, totalement enclavé dans Seine-et-Oise, lui seul entre tous n’a qu’un département limitrophe. » Il faut avouer qu’on n’est guère tenté de correspondre télégraphiquement avec Versailles et Saint-Cloud, quand pour de pareilles distances il faut payer 1 fr. 50 cent. Les bureaux établis dans l’intérieur même de Paris transmettent les dépêches d’un point de la ville à un autre ; mais ce genre de correspondance ne leur amène aucune clientèle. On a le droit de s’étonner pourtant que les tarifs spéciaux de 1 fr. et de 1 fr. 50 cent, n’aient pas produit un plus grand mouvement télégraphique dans les provinces. On condamne toujours volontiers l’administration en France, mais on ne blâme point assez notre esprit de routine et d’inertie, qui oppose tant de difficultés au progrès.

Il faut pourtant bien que le public le sache : il n’y a qu’un moyen d’obtenir la diminution des taxes télégraphiques, c’est précisément de se servir autant que possible du télégraphe. La question des tarifs n’est en effet qu’une question de chiffres, et l’on ne peut véritablement exiger de l’administration qu’elle n’essaie pas de mettre ses recettes en équilibre avec ses dépenses. Le prix moyen des dépêches télégraphiques a été pour l’année 1859 de 4 fr. 56 cent. : cela veut dire que, si les communications avaient été soumises à une taxe uniforme pour toute la France, il eût fallu, pour obtenir la même recette, que cette taxe eût été précisément égale à 4 fr. 56 cent., si l’on ne distingue pas les dépêches simples de celles qui ont plus de quinze mots. En tenant compte de cette distinction, on peut estimer que le prix de la dépêche simple eût été d’environ 4 francs. On se trouve donc encore, on le voit, à une bien grande distance du prix du timbre-poste des lettres ordinaires, et même des tarifs unitaires exceptionnels adoptés pour les dépêches départementales et bi-départementales.

Le prix moyen de 4 fr. 56 cent, ne peut être abaissé que par une double action, celle des expéditeurs et celle de l’administration. Jusqu’à présent, le personnel des expéditeurs est trop restreint et les intérêts- servis par la correspondance télégraphique sont d’un ordre trop spécial. En 1858, sur 100 dépêches de diverse nature échangées entre Paris et les départemens, 40 étaient relatives au commerce général et à l’industrie, 34 aux affaires de bourse, 20 seulement aux affaires privées et aux intérêts de famille, 4 aux nouvelles de journaux. Pendant l’année 1859, qui a fourni 453,998 dépêches intérieures, elles ont été classées de la manière suivante : commerce général et industrie, 44,27 pour 100 ; — affaires de famille et d’intérêt privé, 35,88 ; — affaires de bourse, 10,85 ; — commerce des céréales, 5,50 ; — publicité et journaux, 2,77 ; — affaires diverses, 0,73. La diminution considérable des dépêches de bourse a été attribuée à la suppression de la coulisse et au marasme des affaires de spéculation ; en revanche, on doit se féliciter de voir là part des dépêches d’intérêt privé s’élever à un taux supérieur. Cependant cette part est encore beaucoup trop faible : le télégraphe est encore trop exclusivement employé par les gens d’affaires, et cette abstention de la masse du public fournit un des principaux argumens à ceux qui résistent à la diminution des tarifs. Ils font valoir que les expéditeurs actuels mettent le télégraphe au service d’intérêts trop considérables pour que la question des prix les arrête et soit pour eux une gêne véritable.

Si l’on compare les tarifs de la télégraphie intérieure en France avec ceux des autres pays, on obtient toutefois des résultats assez favorables. M. Blavier, professeur de télégraphie et auteur d’un excellent traité sur la science qu’il enseigne, a montré que les pays où l’expéditeur est le plus favorisé sont les royaumes de Wurtemberg, de Saxe et de Bavière pour les petites distances, ceux de Danemark, de Suède et de Norvège pour les grandes distances. En Wurtemberg, les taxes sont uniformes ; on paie 70 centimes pour vingt mots, l.fr. 05 cent, pour trente ; en Saxe, 80 centimes pour vingt mots, 1 fr. 20 cent, pour trente ; en Bavière, la taxe est calculée d’après la distance : jusqu’à 75 kilomètres, on prélève 75 centimes, jusqu’à 195 kilom. 1 fr. 50 cent., jusqu’à 300 kilom. 2 fr. 25 cent. Dans le royaume de Danemark, on a adopté l’unité de taxe ; chaque dépêche simple de vingt mots coûte 1 fr. 68 cent. ; pour chaque mot en plus, on ajoute 84 millimes. En Suède et Norvège, où les distances sont pourtant très grandes, le système unitaire est aussi en vigueur ; le prix de la dépêche de vingt mots est de 2 fr. 82 cent., augmenté de la moitié pour chaque série de dix mots en plus. Le tarif anglais établi par zones est en général supérieur au tarif français jusqu’à la distance de 300 kilomètres, et inférieur pour de grandes distances. Or, la plupart des grandes villes industrielles étant à une moindre distance de Londres, le commerce paie en réalité en Angleterre un plus lourd tribut à la télégraphie qu’en France. Dans la première zone, de 1 à 50 milles, le prix est de 1 fr. 87 cent. ; dans la seconde, de 50 à 100 milles, de 2 fr. 50 cent. ; dans la troisième, depuis 100 milles jusqu’aux plus grandes distances, de 5 francs. La télégraphie à grande distance se trouve ici favorisée au détriment de la télégraphie à petite distance. En Russie, les prix sont plus élevés que partout ailleurs. Il y a six zones, et les dépêches simples de vingt-cinq mots varient de 2 fr. 50 c. à 15 fr. On doit aussi trouver très exagéré le prix uniforme de 5 francs adopté dans les états de l’église et le royaume de Naples pour une dépêche simple de trente mots.

Les communications avec l’étranger forment une branche du service aussi importante que les communications intérieures. Nos tarifs internationaux sont régis par les deux conventions télégraphiques de Bruxelles et de Berne, La convention de Bruxelles fut conclue le 30 juin 1848 entre la France, la Belgique et la Prusse, cette dernière puissance stipulant également pour l’empire d’Autriche, les royaumes de Bavière, de Saxe, de Hanovre, de Wurtemberg, des Pays-Bas et les grands-duchés de Mecklembourg-Schwerin et de Bade. On adopta le principe des zones, dont neuf furent établies, depuis 1 jusqu’à 3,250 kilomètres. Les prix dans les neuf zones varient, selon les distances, de 1 fr. 50 cent, jusqu’à 15 francs pour une dépêche de 1 à 20 mots. à la convention de Bruxelles ont accédé la Moldavie et la Valachie, la Norvège, la Russie, la Servie, la Suède, la Turquie. Le traité de Berne, conclu le 1er septembre 1858 entre la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Sardaigne et la Suisse, admit aussi le principe de zones successives dont chacune excède de 50 kilomètres la longueur de celle qui la précède. Les prix de la convention de Bruxelles’ furent acceptés également, mais calculés de telle façon que le taux de la dépêche simple fût augmenté de zone en zone du prix de chaque série de dix mots en sus, multiplié par le nombre de zones traversées. Les pays soumis au traité de Berne sont la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Irlande, les Pays-Bas, le Portugal, la Sardaigne, la Suisse, la Tunisie, les îles de la Méditerranée (Corse, Sardaigne, Malte et Corfou), les Deux-Siciles, les états de l’église et les îles de la Manche. Dans ces deux traités, il a été spécifié que, pour l’application des taxes, la distance parcourue sera comptée en ligne droite sur le territoire de chaque état, du point de départ au point de la frontière où la dépêche arrivera, et de celui-ci au point de destination.

La comparaison du tarif international avec le tarif intérieur fait ressortir quelques anomalies singulières ; elle montre qu’à certaines distances le premier est plus avantageux que le second. C’est ainsi qu’une dépêche envoyée de Paris à Nice (la distance est de 695 kilomètres à vol d’oiseau) coûtait avant l’annexion 6 francs (quatrième zone) ; aujourd’hui, d’après le tarif intérieur, elle coûte 8 fr. 90 c. Pour Paris et Chambéry, la différence est beaucoup moins sensible, et l’anomalie moins choquante. La dépêche simple, qui coûte aujourd’hui 6 fr. 60 cent., coûtait 6 francs avant l’annexion[3].

À l’examen des tarifs se joint naturellement celui de la situation financière de l’administration télégraphique. Il n’est pas facile d’en dresser le budget, parce qu’elle est loin d’avoir atteint tout son développement, et qu’elle traverse encore l’ère des essais, des changemens, des transformations de matériel coûteuses ; la part des dépenses normales et des dépenses extraordinaires y est trop difficile à préciser. Des informations qui semblent exactes portent à 27 millions environ le capital absorbé par l’administration depuis qu’on a posé les premiers fils de ce vaste réseau, qui, suivant d’abord toutes les lignes de chemins.de fer au fur et à mesure de leur construction, doit bientôt relier toutes nos sous-préfectures et entourer la ligne de nos côtes d’un circuit non interrompu. Si les télégraphes étaient exploités par une compagnie particulière, les actionnaires s’attendraient à recevoir les intérêts de cette somme ; mais l’état, bien loin de bénéficier sur son réseau, sacrifie encore annuellement près d’un million pour l’exploiter. La position financière de l’administration est loin, on le voit, d’être brillante, et l’on s’explique par là qu’elle hésite à diminuer ses tarifs. Les principaux motifs qui jusqu’ici ont contribué à diminuer les bénéfices sont, d’une part, l’extension continuelle et systématique du réseau, de l’autre les services gratuits que l’administration rend à l’état. Pour le réseau, il est notoire que l’on crée chaque jour de nouveaux bureaux dont une partie demeure improductive. Ce n’est pas qu’il y ait lieu de blâmer ces adjonctions, le temps viendra où, le réseau entier terminé, toutes les sous-préfectures de France réunies par des fils, la correspondance télégraphique entrée dans les habitudes du pays, tous les sacrifices faits aujourd’hui devront porter des fruits ; peut-être y aurait-il lieu cependant d’élever quelques critiques de détail, de blâmer certains choix hâtifs, plutôt inspirés par les convenances administratives que par l’intérêt du public. L’augmentation du nombre des bureaux, par conséquent l’extension du réseau, loin d’avoir amené une augmentation notable dans les recettes moyennes par station et par kilomètre dans les deux dernières années, ont déterminé sur ces chiffres une notable diminution[4].

Un autre fait qui influe d’une manière fâcheuse sur la situation financière du service télégraphique est le prix élevé qu’il paie indirectement à l’état pour le monopole dont il jouit. On ne peut évaluer la somme sacrifiée pour transmettre les dépêches officielles à moins de 100,000 fr. par mois, ce qui ferait au moins 1,200,000 fr. par an. L’usage du télégraphe, il faut le dire hardiment si l’on veut provoquer une diminution des tarifs, a été porté jusqu’à l’abus par le gouvernement : chaque jour, un extrait abrégé du Moniteur est transmis à toutes les préfectures, et il est certain que le journal officiel ne fournit pas chaque matin la matière d’une dépêche télégraphique assez importante pour justifier, même momentanément, l’interruption de toutes les communications privées avec nos quatre-vingt-neuf chefs-lieux de département. Parmi les services imposés à l’administration, il en est encore un autre gratuit et journalier : c’est l’envoi du cours de la rente à toutes les stations. Cette mesure ne sert que la spéculation, car les capitaux qui cherchent un placement sérieux sont patiens et savent attendre au moins vingt-quatre heures : d’ailleurs les intérêts particuliers doivent s’éclairer comme ils le peuvent, et on ne voit pas pourquoi un banquier et un spéculateur de Marseille ou de Bordeaux auraient plus de droit à être renseignés gratuitement sur les cours de la Bourse qu’un fermier de la Beauce sur les cours du blé dans la Flandre et dans la Brie. La publicité des journaux suffirait assurément au plus grand nombre, et les plus impatiens devraient être contraints de satisfaire leur curiosité à leurs propres frais. Il est un troisième service onéreux pour l’administration télégraphique : je veux parler du service météorologique. Tous les jours, on voit maintenant dans les feuilles publiques l’état de la température, la hauteur du baromètre, la direction du vent dans les grandes villes du territoire français. Ces renseignemens sont centralisés à l’Observatoire de Paris et y servent d’élémens à la science météorologique. Rien de mieux assurément que de recueillir et de comparer ces chiffres sur un grand nombre de points : ce qu’on comprend moins bien, c’est la nécessité d’en imposer la transmission régulière aux lignes télégraphiques.

Au point de vue financier, on voit quelles difficultés présente la question des tarifs. Charges trop lourdes de l’administration, état incomplet du réseau, obligation d’ouvrir chaque jour de nouveaux embranchemens, peu productifs au début, inertie du public, qui n’use pas assez du nouveau mode de communication pour ses intérêts privés, faible succès obtenu par les tarifs exceptionnels de 1 fr. et de 1 fr. 50 cent, pour la correspondance départementale et bi-départementale, voilà en résumé les argumens que peuvent faire valoir les adversaires de l’abaissement des taxes. Ceux au contraire qui en sont partisans ne se laissent point arrêter par ces considérations. Tout le mal, suivant eux, est dû au système des taxes élevées et doit disparaître avec ce système. À les entendre, une réforme radicale amènerait rapidement une clientèle nouvelle dans les bureaux de l’administration, et modifierait de fond en comble les conditions sur lesquelles on raisonne aujourd’hui. Ici, comme dans presque toutes les questions, il y a le parti de la résistance et le parti du mouvement ; pour résoudre le problème, il est nécessaire d’examiner le matériel télégraphique et les progrès qu’on en peut attendre ; Il né suffit point en effet de provoquer la multiplication des dépêches par l’abaissement des tarifs, il faut encore se mettre en mesure de satisfaire aux nouveaux besoins qui seraient ainsi créés.

Le matériel télégraphique se compose de deux parties principales, celle des lignes et celle des stations. Je ne m’en occuperai qu’au point de vue de la rapidité de transmission des dépêches, car tout abaissement des tarifs doit être fondé sur une accélération du service. Dans une note sur l’état du matériel télégraphique de la France au 1er janvier 1859, due à M. de La Taille, on voit que l’administration emploie aujourd’hui de préférence des fils de fer de 4 millimètres de diamètre. Ces fils sont isolés le long de poteaux injectés par le procédé Boucherie[5]. Il n’est personne qui, voyageant en chemin de fer, n’ait examiné la façon dont les fils sont suspendus aux poteaux au moyen de supports isolans en porcelaine. L’isolement aussi parfait que possible des fils est une des conditions essentielles d’un bon service. Aujourd’hui oh peut estimer que, sur 1 kilomètre de longueur, le fil est isolé par quatorze points seulement en moyenne ; la portée normale du fil entre deux points d’appui est d’environ 78 mètres. La réduction du nombre des points de suspension est un avantage, mais on ne l’obtient qu’à la condition de donner beaucoup de solidité aux poteaux, surtout quand ils doivent porter plusieurs fils.

L’électricité ne voyage pas sur les lignes télégraphiques avec cette vitesse prestigieuse que les expériences de cabinet avaient d’abord fait espérer : les fils mettent un certain temps à se charger d’électricité, quand le courant les traverse, absolument comme un gaz à très haute pression, lancé dans un très long canal, ne peut le remplir instantanément. Lorsqu’on envoie un courant sur la ligne, on observe, à l’extrémité où on le reçoit, un courant qui, d’abord très faible, augmente par degrés avant d’atteindre son intensité normale. L’écoulement graduel du fluide électrique à de très longues distances opposera toujours une limite à la rapidité des communications, car, si l’on envoie un second courant avant que le, premier ait eu le temps de s’écouler, les deux courans se mêlent, et les signaux deviennent indistincts. Outre cette cause normale, qui tend à restreindre la vitesse du fluide en mouvement, des causes perturbatrices d’une nature très variable agissent sur l’intensité des courans. Les fils conducteurs ne sont jamais parfaitement isolés : les pertes par l’air sont considérables, surtout lorsque le temps est humide, car l’air saturé de vapeur d’eau est meilleur conducteur de l’électricité que l’air sec. Les supports en porcelaine ou en verre n’isolent de même qu’incomplètement les fils, et il en résulte qu’une partie du fluide se perd dans la terre, et que l’intensité du courant va sans cesse en diminuant depuis l’extrémité qui communique avec la pile jusqu’à l’autre bout. Les fils différens d’une même ligne, pareils aux traits parallèles d’un papier de musique, exercent aussi les uns sur les autres une influence souvent fâcheuse. Il est de règle aujourd’hui de leur donner 50 centimètres d’espacement sur les poteaux, ce qui, joint à l’élévation minima de 3m50 du fil inférieur au-dessus du sol (nécessaire pour le passage des voitures), limite à cinq environ le nombre de fils qu’il n’est pas convenable de dépasser sur une même ligne. « Quand les poteaux sont très, humides, dit M. Blavier, et que les corps étrangers, toiles d’alignée, débris organiques, etc., ne sont pas enlevés avec soin, il s’établit entre les fils voisins une faible communication qui constitue ce que l’on nomme un mélange. Une partie du courant passe d’un fil sur l’autre. » Le mal est pire encore lorsqu’un isolateur en porcelaine se brise, et que le fil détaché tombe sur ceux qui l’avoisinent, quand un fil traîne sur le sol ou contre un mur humide, et communique directement avec la terre. À toutes ces causes accidentelles de dérangement, il faut ajouter ce que l’on nomme les courans naturels produits par l’électricité atmosphérique, par le magnétisme terrestre, et par les actions électro-chimiques qui s’opèrent au contact des corps plongés dans le sol de façon à faire aboutir les courans à la terre[6].

Il faut donc considérer une ligne télégraphique comme un appareil soumis à toute sorte de perturbations, et par conséquent d’une instabilité extrême. Plus la distance des points en correspondance est grande, plus les chances de perte, de variabilité, d’incertitude, se multiplient. La sensibilité des appareils employés dans les stations doit être en rapport avec ces conditions si complexes, et permettre de surmonter les difficultés qu’elles font naître. L’appareil qu’on emploie aujourd’hui est dû à l’Américain Morse, dont le système de signaux, ou ce qu’on nomme alphabet, a été accepté dans les conventions internationales ; Tout appareil télégraphique se compose nécessairement de deux mécanismes, l’un destiné à envoyer les signaux, l’autre à les recevoir, à les enregistrer. Le premier se nomme le manipulateur, parce qu’il fonctionne sous la main même de l’employé qui envoie la dépêche ; le second est le récepteur. Le manipulateur Morse est d’une très grande simplicité : c’est une simple poignée sur laquelle se pose la main de l’employé. Quand elle s’y appuie et l’abaisse légèrement, le fil de la ligne est mis en communication avec la pile, et le courant se met en mouvement ; quand la main se relève, le courant est interrompu. Dans le récepteur, on voit se dérouler régulièrement une bande de papier sur laquelle un stylet, mû par le courant, peut s’appuyer plus ou moins longtemps, suivant la volonté de l’employé expéditeur, et trace tantôt une ligne, tantôt simplement un point. Cette succession de traits longs et courts constitue tout l’alphabet Morse, et des combinaisons assez simples de ces signes permettent de représenter toutes les lettres de l’alphabet. Il faut un œil bien exercé pour lire une dépêche sur la longue bande où ces traits se succèdent dans un désordre apparent. Le récepteur, on le voit, est un appareil tout mécanique, tandis que le manipulateur reste dans la main de l’homme, et par conséquent est soumis d’une part aux mouvemens de la pensée qui doit le conduire, et en second lieu à l’habileté variable de cette main, plus ou moins apte à imprimer à la poignée qu’elle tient une agitation méthodique et sans trêve. Examinons quels résultats produit ce système. Suivant M. Marqfoy, l’employé d’habileté moyenne transmet à peu près six mots, soit 90 signaux par minute, dans les transmissions continues, tandis que les récepteurs bien construits peuvent recevoir aux plus grandes distances de France de 525 à 600 signaux, soit, à raison de 15 signaux par mot, trente-cinq ou quarante mots par minute. Les meilleurs employés transmettent seulement huit mots par minute, ou 26 signaux par seconde. Les chiffres indiqués par M. Marqfoy diffèrent beaucoup de ceux que donne M. Lemoyne dans les Annales télégraphiques. Suivant ce dernier, l’employé transmet en moyenne douze mots par minute, les agens exercés dix-huit mots. La perfection du récepteur serait, d’après ces chiffres, neutralisée pour les cinq sixièmes par l’insuffisance du manipulateur.

Quel est le travail moyen d’un appareil Morse dans les conditions actuelles du service ? M. Marqfoy estime qu’à Paris chaque appareil transmet en moyenne 26,5 dépêches (de vingt mots) par jour, ou bien que chaque fil sert à transmettre 53 dépêches par jour. Sur les lignes principales, sur les fils de Lyon, de Londres et du Havre, un appareil sert à transmettre, suivant M. Marqfoy, un nombre de dépêches double, soit 100 par fil et par jour. Cette limite n’est atteinte que sur les lignes où le travail est très considérable ; mais elle ne saurait guère être dépassée, car sur ces grandes lignes le temps des employés est aujourd’hui absorbé d’une manière complète. Pour l’ensemble de la France, M. Marqfoy calcule que chaque ligne à un fil, comprenant deux appareils, un à chaque extrémité, n’a transmis en moyenne, pendant l’année 1857, que 10 dépêches par jour. Ce chiffre révèle une paresse télégraphique avec laquelle l’activité des grandes lignes aboutissant à Paris fait seule contraste.

Pour multiplier et accélérer les communications en même temps que pour éviter les chances d’erreurs et les fâcheux retards qui en résultent, plusieurs ingénieurs ont imaginé de substituer un appareil automoteur à la main de l’employé. Le Traité de télégraphie de M. Blavier renferme la description d’un grand nombre de ces mécanismes : appareils écrivans, appareils électro-chimiques, appareils imprimeurs. Dans les premiers, les signes particuliers d’un alphabet conventionnel, ou même l’écriture ordinaire, se reproduisent à distance ; mais ces ingénieux mécanismes, qui au premier abord, comme le fait remarquer M. Blavier, « paraissent séduisans et donnent même d’assez bons résultats lorsque les expériences sont faites dans des circonstances favorables, ne pourraient résister à une épreuve tentée en grand, parce qu’ils ne présentent pas toutes les conditions de simplicité indispensables pour des instrumens destinés à être mis dans les mains d’un grand nombre d’employés. » Cette remarque s’applique également à la plupart des appareils imprimeurs et électro-chimiques. Quelques-uns cependant méritent d’être connus et discutés. En 1850, un Américain, M. Bain, présenta un système complet de télégraphie fondé sur la propriété qu’a le prussiate de potasse en contact avec du fer de se colorer en bleu de prusse au passage d’un courant électrique. Les dépêches étaient composées d’avance sur une bande de papier à l’emporte-pièce, transmises mécaniquement, et reçues au moyen d’un stylet de fer cheminant sur du papier imbibé de cyanure de potassium, laissant une trace bleu foncé à chaque passage du courant ; les signaux ainsi reproduits n’étaient autres que ceux mêmes de Morse. Dans les expériences de cabinet, ce système donna des résultats prodigieux : on reproduisit plus de six cents mots très lisibles par minute ; mais sur les grandes lignes les signaux devinrent inintelligibles, et se confondirent ; on fit des essais entre Paris et Tours, et il fut impossible d’obtenir une vitesse supérieure à celle des moyens ordinaires ! En réalité, l’isolement actuel de nos lignes ne permet que rarement de dépasser la limite de dix-huit mots par minute ; toutes les ingénieuses combinaisons destinées à multiplier la vitesse perdent à peu près toute leur valeur au-delà de ce chiffre.

M. Marqfoy échoua devant les mêmes difficultés ; il imagina de substituer une machine automatique à la main qui transmet actuellement les dépêches. Dans son système, « une dépêche se présente ; elle est remise à un employé qui la compose aussitôt par points et lignes d’après l’alphabet Morse ; il dispose ces points et ces lignes en relief à la surface d’un cylindre. La dépêche composée est revue, vérifiée, corrigée s’il y a lieu ; il ne reste plus qu’à la livrer à la transmission. Le cylindre est alors placé sur une machine qui lui donne un mouvement de rotation uniforme. Par un jeu analogue à celui des cylindres d’orgue, à mesure que le mouvement de rotation fait passer les points et les lignes près de l’extrémité d’un levier, ces points et ces lignes soulèvent ce levier pendant un temps proportionnel à leur longueur ; or, comme on fait produire au soulèvement du levier le même effet électrique que celui produit par l’abaissement de la poignée du système Morse, on voit que chaque ligne ou point du cylindre remplace un mouvement de la main effectué dans la transmission actuelle. »

Avec son appareil, M. Marqfoy offre de transmettre, sans interruption tant que la communication est bonne, vingt-cinq mots par minute, c’est-à-dire 18,000 mots ou 900 dépêches de vingt mots par journée de douze heures, c’est-à-dire encore 328,000 dépêches par an. Même en tenant compte de dérangemens qui, suivant lui, ne paralysent les appareils que pendant les trois vingtièmes du temps, et de l’état incomplet du réseau, qui oblige souvent des postes à rester dans l’inaction, et à communiquer entre eux pour régler leur action réciproque, il espère dès aujourd’hui réaliser pratiquement les trois quarts de 900 dépêches, soit 675 dépêches par appareil et par jour.

De quelle manière le succès a-t-il répondu à ces espérances ? Une note officielle de l’administration télégraphique va nous l’apprendre. « Pendant plusieurs mois, M. Marqfoy a fait, avec le concours de l’administration, des expériences nombreuses entre Paris et Bordeaux. Les résultats ont été malheureusement bien loin de ce qu’on espérait : on n’a jamais pu transmettre correctement avec une vitesse constante supérieure à la vitesse habituelle ; on était presque toujours obligé, pour s’entendre, de recourir aux moyens ordinaires. Malgré cet échec, et sur la demande de M. Marqfoy, de nouveaux essais ont été tentés pendant dix-sept nuits consécutives entre Paris et les principales villes de France, en présence d’une commission composée de fonctionnaires de l’administration. M. Marqfoy a dirigé lui-même ces expériences ; les procès-verbaux des séances ont été tenus sous ses yeux, et il les a signés. Voici les plus grandes vitesses obtenues dans le cours de ces séances, dont chacune a duré quatre heures en moyenne : — de Paris à Marseille 14 mots par minute, — à Bordeaux 24, — à Lyon 25, — à Strasbourg 31, — à Nancy 32, — à Tours 38. Ces nombres n’indiquent que des vitesses exceptionnelles, atteintes pendant quelques minutes seulement et après de longs tâtonnemens. En restreignant à dix-huit ou dix-neuf mots la vitesse entre Paris et Bordeaux, on constatait encore très souvent trop de mots illisibles pour assurer un service régulier. Et cependant ces expériences ont été faites dans les conditions les plus favorables, par un très beau temps et pendant la nuit, c’est-à-dire au moment où l’essai sur le fil ne pouvait être troublé par les transmissions sur les autres fils de la même ligne. En présence de semblables résultats donnés par une machine fort chère, aussi incommode que volumineuse, d’un entretien coûteux (on ne parle de rien moins que d’un moteur à vapeur pour faire tourner les cylindres), devant la nécessité d’ailleurs évidente d’une augmentation très considérable du personnel d’exploitation, la commission a été unanime pour condamner le procédé de M. Marqfoy. »

Depuis l’époque où ces essais ont eu lieu, MM. Digney, très habiles mécaniciens qui déjà ont apporté à l’appareil Morse des perfectionnemens importans, ont modifié l’ancien système électro-chimique de Bain, et ont imaginé une transmission automatique très facile et très ingénieuse. Malheureusement la vitesse ainsi obtenue n’est pas en rapport avec la faculté de transmission actuelle de nos lignes, et il a fallu renoncer de même à cet appareil. C’est donc une illusion de vouloir perfectionner l’art télégraphique en remplaçant la main de l’expéditeur par une machine et en accélérant la vitesse de transmission ; il ne suffit pas d’envoyer rapidement une dépêche, il faut avant tout qu’on puisse la lire dans le récepteur. Le progrès immédiat consisterait plutôt à diminuer le nombre des signaux nécessaires pour produire une lettre de l’alphabet, puisque chacun de ces signaux exige l’envoi d’un courant électrique, et que c’est précisément le mélange de ces courans qui rend les signaux illisibles. Sous ce rapport, l’alphabet Morse a de sérieux désavantages ; il exige de un à quatre signaux pour une lettre. En tenant compte de la fréquence plus ou moins grande des lettres de l’alphabet dans les mots, on a calculé que 100 mots comprenant 492 lettres exigent 1,297 signaux ou émissions de courans. Les appareils imprimeurs qui pourraient reproduire chaque lettre à l’aide d’une seule émission de courant auraient sur l’appareil Morse un très grand avantage, s’ils pouvaient présenter la même simplicité dans toutes leurs parties. C’est malheureusement par la complication que pèchent la plupart de ces instrumens : l’un d’entre eux cependant, inventé par M. Hughes, professeur américain, paraît fonctionner d’une manière suivie aux États-Unis et y donne de bons résultats. Cet appareil a été récemment essayé au bureau télégraphique du ministère de l’intérieur, où je l’ai vu en activité. Le manipulateur est un clavier à deux rangs, comme les claviers d’orgues, et on joue la dépêche comme on jouerait de la musique. Chaque touche correspond à une lettre qui, après le contact, s’imprime elle-même sur une bande de papier se déroulant sans cesse au-dessous d’une petite roue qui porte les lettres sur sa circonférence. Cet instrument fonctionne sur certaines lignes américaines, et j’ai plusieurs fois vu des dépêches imprimées venant du Nouveau-Monde ; mais il reste à savoir comment le synchronisme des deux appareils placés au bout d’une longue ligne peut se conserver, ou de quelle façon on peut régler convenablement les appareils, afin que, la résistance des fils au courant demeurant constante, les lettres se succèdent dans le récepteur de la même façon que dans le manipulateur. On conçoit bien en effet qu’une communication instantanée des deux bouts de la ligne n’est pas nécessaire, et qu’il faut seulement que l’électricité mette toujours le même temps à la parcourir pendant qu’on est en communication. Si j’écris a, b, c, d, e sur le manipulateur, le récepteur peut ne recevoir a qu’au moment où je touche b ; mais alors il faut qu’il ne reçoive b que lorsque je touche c, c quand je touche d, et ainsi de suite. C’est cette régularité qu’il est difficile d’obtenir, et qui obligera toujours d’avoir des instrumens qui permettent aux correspondans de communiquer directement entre eux pour s’entendre et se parler. L’avantage de l’appareil Hughes est de reproduire directement une lettre à l’aide d’une seule émission de courant ; il semble ainsi devoir permettre, toutes choses égales d’ailleurs, une rapidité de travail trois fois plus grande que l’appareil de Morse. Il y a donc lieu d’espérer qu’on pourra donner à cet appareil des dispositions mécaniques assez simples pour le mettre entre toutes les mains et l’employer dans un service régulier.

Le fait qui domine tous les autres dans cette question si grave de l’accélération du service télégraphique, intimement liée à l’abaissement des tarifs, est le degré de puissance des fils eux-mêmes. M. Lemoyne, dont j’ai déjà cité un travail inséré dans les Annales, déclare que l’isolement des lignes permet rarement de dépasser une vitesse de dix-huit mots par minute. Acceptons ce chiffre comme une base : seulement nous savons qu’il s’applique au système Morse ; avec un système imprimeur assez simplifie pour devenir d’un usage habituel, la vitesse normale se trouverait triplée, et l’on pourrait transmettre cinquante-quatre mots à la minute. Un pareil résultat serait une révolution dans l’art télégraphique. M. Marqfoy, dans le système qu’il préconise, n’admet qu’une vitesse de vingt-cinq mots à la minute. Sur cette base, il fonde tout un plan de réforme qui mérite d’être exposé. Si son appareil a peu de chances d’être adopté, ses idées administratives ont de quoi séduire par la hardiesse et la simplicité. M. Marqfoy propose d’appliquer le tarif suivant sur nos lignes télégraphiques : dépêches de vingt mots, 1 franc pour le même département ou un département limitrophe, — 2 francs pour tout le reste de la France. Ce tarif est calculé dans l’hypothèse qu’il fera naître 8 millions de dépêches par an. L’année 1859, avec les tarifs actuels, n’en a fourni que 453,998 : il faut donc, pour arriver au chiffre de M. Marqfoy, admettre que l’adoption de son tarif amènerait seize fois plus de dépêches dans les bureaux de l’administration. Cette affluence d’expéditeurs obligerait à construire de doubles lignes, sur les parties du réseau qui viennent aboutir a Paris, car dès aujourd’hui la plupart de ces grandes lignes produisent à peu près tout le travail qu’on peut leur demander. Ces doubles lignes seront bientôt nécessaires, même avec le système des taxes actuelles, et si l’on adopte un tarif unique et peu élevé, il n’est pas douteux qu’on doive les construire en utilisant les anciennes routes après avoir tiré parti des chemins de fer. Quand la ville de New-York seule envoie ou reçoit 800,000 dépêches par an, presque le double de ce que l’on compte aujourd’hui pour la France entière, n’est-il pas évident que, sous l’empire de tarifs nouveaux, on arriverait aisément dans notre pays au chiffre de 8 millions de dépêches annuelles ? Je lis dans une étude sur la télégraphie aux États-Unis, de M. Blerzy, que Cincinnati, ville d’importance secondaire, enregistre annuellement 273,750 dépêches ; n’y a-t-il pas dans nos grandes villes, dans nos ports, assez de richesse, assez d’intérêts, assez de mouvement d’affaires et de commerce pour nous permettre de penser que notre infériorité actuelle, en ce qui concerne la correspondance télégraphique, ne tient qu’au taux exorbitant des tarifs ? Qu’est-ce qu’un chiffre annuel de 8 millions de dépêches ? C’est moins d’une dépêche pour quatre habitans.

Il y a lieu d’espérer que le principe de l’unité de tarif sera bientôt adopté, malgré tous les argumens qu’on peut faire valoir contre ce système. Il a cela d’avantageux qu’il permet une très grande simplification dans le service ; mais il ne faut point se le dissimuler, une taxe uniforme n’a de bons résultats que si elle est très peu élevée. Il ne suffit pas d’ailleurs que le tarif soit abaissé, il faut de plus que l’emploi du télégraphe devienne aussi aisé que possible ; aujourd’hui les rapports du public avec l’administration sont beaucoup trop difficiles et trop gênans : il faut que l’expéditeur se présente dans un bureau, souvent qu’il attende, qu’il donne une signature sur un registre à souche. Toutes ces formalités sont, supprimées dans le système de M. Marqfoy. La constatation de l’identité est reconnue inutile ; chaque mot comptant pour un dans l’application de la taxe, l’expéditeur peut calculer lui-même le prix de sa dépêche et l’acquitter à l’aide de timbres-dépêches. Il jette son télégramme signé et affranchi dans une boîte, comme on fait pour les lettres, et n’a pas autrement à s’en occuper. C’est là, il faut l’avouer, l’idéal qu’il faut poursuivre en matière télégraphique ; c’est le vrai moyen d’introduire dans les mœurs un moyen de correspondance qui n’est aujourd’hui que le privilège chèrement acheté d’un très petit nombre. Pour la ville de Paris, M. Marqfoy propose de créer trois boîtes de dépêches par arrondissement, d’établir un service de courriers attaché à ces boîtes, et en outre un nouveau service de piétons chargés de porter les dépêches à domicile. Il faut avouer que sous tous les rapports le service actuel offre de singulières anomalies : eh quoi ! les facteurs de la poste aux lettres parcourent Paris dans des omnibus rapides, et les malheureux porteurs de l’administration télégraphique, chargés des messages les plus pressés, ne vont jamais qu’à pied !

Cette comparaison entre les services des postes et des télégraphes m’amène naturellement à parler d’une réforme que personne n’a encore suggérée en France, bien qu’elle doive sembler très naturelle et soit appliquée dans plusieurs pays : je veux parler de la fusion de ces deux administrations. Entre une dépêche et une lettre, il n’y a que la différence.de la vitesse et du moyen de transmission ; mais combien de rapports indiqués d’avance ! L’une précède l’autre, y répond, en confirme les indications, les provoque, les rectifie. Rassembler les bureaux des deux administrations, c’est rendre un grand service aux expéditeurs ; c’est aussi faciliter le travail et diminuer les frais généraux de ces administrations elles-mêmes. Dans les grandes villes, les bureaux seraient adjacens et pourraient communiquer entre eux, tout en ayant un personnel entièrement distinct. Les appareils télégraphiques ont d’ailleurs besoin d’y être sans cesse contrôlés par des agens dont les connaissances techniques doivent être étendues ; mais dans les petites villes de province, où le service des postes est si peu absorbant, il n’y aurait la plupart du temps aucun inconvénient à confier le service télégraphique à l’employé qui tient le bureau postal. Tout le monde, avec un peu d’habitude, peut envoyer et recevoir une dépêche ; les femmes apprendraient ce service mieux que les hommes, parce que leurs mains sont plus délicates et plus agiles. Et d’ailleurs l’adoption d’un appareil imprimant finira sans doute par rendre cette habileté même inutile. La télégraphie ne fera de vrais progrès qu’en se mettant dans une connexion intime avec les postes, car il est impossible d’établir partout, dans les moindres villages, des relais télégraphiques. On ne peut donc, dans ces localités innombrables, songer à la télégraphie qu’autant qu’une dépêche peut d’abord être envoyée comme simple lettre à la station télégraphique la plus voisine, puis de là à destination. L’administration des postes est seule en mesure de pénétrer partout : ses facteurs passent devant les hameaux, les fermes les plus écartées, s’arrêtent aux châteaux, aux maisons de campagne. Les voitures qui transportent ses sacs circulent régulièrement chaque jour sur toutes les routes de notre territoire. C’est une grave erreur de penser qu’une dépêche télégraphique soit chose trop pressée pour qu’on ne puisse pas la faire voyager d’abord quelques heures comme lettre, avant qu’elle n’arrive à la station télégraphique chargée de l’expédier, et peut-être encore de la station télégraphique qui la reçoit à l’endroit où demeure le destinataire. En fait de vitesse comme en toute chose, on se règle sur ce qui est possible. Pour les voyageurs, cliens naturels de l’administration télégraphique, voyageurs d’affaires ou de plaisir, quel avantage n’a pas la fusion des télégraphes et des postes ! Elle leur épargne une double course dans les villes où ils viennent d’arriver, et leur permet de se faire suivre de ville en ville par les dépêches aussi bien que par les lettres.

En Belgique, les chemins de fer, qui appartenaient d’abord presque tous à l’état, formaient avec les postes, lors de l’ouverture des ligues télégraphiques, une seule direction, qui comprit bientôt dans son ressort l’administration du télégraphe. Dans le règlement général de l’union télégraphique allemande, il est dit qu’on peut adresser des dépêches à tous les endroits où l’état actuel du réseau permet de les faire parvenir. Lorsqu’il ne se trouve au lieu de destination aucune station télégraphique, l’envoi de la dépêche, après qu’elle est sortie du réseau, peut se faire par la poste, par des estafettes ou des exprès. On peut encore utiliser à cet effet les télégraphes affectés au service spécial de l’exploitation des chemins de fer. Il y a naturellement un excédant à payer, lorsqu’on emploie l’un ou l’autre de ces moyens supplémentaires. La dépêche simple, tant qu’elle ne circule que sur le réseau télégraphique ordinaire, est taxée par zones. Quand elle doit de plus suivre la poste, elle est chargée de 8 silbergros en Prusse, de 40 kreutzers en Autriche. Par exprès, pour une distance qui ne dépasse pas 2 milles, on paie 24 silbergros de Prusse, ou 1 florin 20 kreutzers autrichiens ; par les télégraphes spéciaux des chemins de fer, on paie en plus, sans égard au nombre de mots ni à la distance, 18 silbergros (90 kreutzers). Quand l’exprès doit être envoyé à une distance qui dépasse 2 milles, l’expéditeur est tenu de faire un dépôt de 24 silbergros par mille. Le stationnaire qui reçoit la dépêche paie l’estafette suivant les circonstances, et la différence est remboursée à l’expéditeur. Ces dispositions ont été aussi adoptées en France. Les dépêches adressées en dehors des localités où existent des bureaux télégraphiques peuvent être mises à la poste ou portées par estafette. Les frais de poste sont de 40 centimes pour affranchissement, comme lettre recommandée, et de 30 centimes seulement lorsque la dépêche est adressée poste restante. Les frais d’exprès se règlent à raison de 1 franc pour le premier kilomètre et de 50 centimes pour les suivans. On comprend aisément combien ces dispositions seraient simplifiées par la fusion des deux administrations télégraphique et postale. Un timbre ordinaire des postes et un timbre-dépêche devraient suffire pour correspondre à n’importe quelle distance et dans n’importe quelles conditions.

Il ne nous appartient pas de tracer le plan détaillé de la réorganisation du service télégraphique. Nous savons que l’administration amis à l’étude un projet de réforme où le principe de l’unité de taxe a chance d’être adopté. Tout dépend donc aujourd’hui du taux auquel la taxe unique sera fixée et de la simplification qu’il est possible d’apporter dans le service. Je crois avoir montré que l’adoption de l’unité de tarif ne peut produire aucune conséquence importante, si le taux n’en est pas fixé bien au-dessous du prix moyen des dépêches actuelles calculé par la statistique. Ce chiffre est, on l’a vu, de 4 francs. Pour doubler la clientèle des bureaux télégraphiques, il faut au moins diminuer ce taux de moitié. Le chiffre de 1 franc étant aujourd’hui admis pour la télégraphie départementale, on ne peut guère songer à élever le prix des dépêches qui se rapportent à cette catégorie, car en matière de tarifs le public admet difficilement les augmentations. Il faut donc conserver le chiffre de 1 franc par département, et il semble même assez naturel de l’admettre pour la correspondance entre départemens limitrophes en général.

il y aurait donc lieu de créer deux timbres-dépêches, l’un de 1 franc pour la correspondance entre départemens voisins ou dans l’intérieur des départemens, l’autre de 2 francs pour toute la France ; mais que de mesures corollaires n’entraînerait pas cette réforme radicale ! Extension prompte du réseau, nouvelles lignes à créer parallèlement à toutes les grandes artères, recherche et adoption d’un appareil imprimeur assez simple pour devenir d’un usage général, isolement plus parfait des lignes, afin de rendre possible une accélération de vitesse dans la transmission à grandes distances, voilà pour le côté purement technique de la question. Sous ce rapport, on doit avoir pleinement confiance dans les anciens élèves de l’École polytechnique qui ont pris place dans l’administration, et y ont porté cet excellent esprit auquel la France doit déjà les progrès de son artillerie et de sa marine, la perfection de ses voies de communication, routes, canaux et chemins de fer, sans compter tant de précieuses et admirables découvertes dans toutes les sciences. Au point de vue administratif, il s’agit surtout de simplifier. Le mouvement postal est une preuve éclatante de l’avantage dû à l’unité. Pour supprimer toutes les formalités gênantes, envoyer une dépêche aussi facilement qu’une lettre, pour diminuer les frais généraux qu’entraînent l’exploitation des lignes télégraphiques et celle des lignes postales, rien ne paraît aussi désirable qu’une fusion de ces deux administrations. La centralisation est ici hors de cause, puisque ces deux services relèvent dès aujourd’hui de l’état ; il ne s’agit que d’une simplification dont le public sera appelé à profiter. L’administration télégraphique fait partie du ministère de l’intérieur, et ce choix indique suffisamment sous l’influence de quelles préoccupations s’est développé notre réseau ; mais la place véritable de cette direction est au ministère des finances. les dernières années ont vu trop de remaniemens administratifs pour qu’on puisse reculer devant une simple transposition, dont l’utilité est évidente et supérieure, de simples intérêts de personnes.

Réforme administrative, progrès techniques, voilà donc les deux termes de la question des tarifs télégraphiques. C’est en les résolvant qu’on réalisera sur ce point le bon marché, devenu une des exigences les plus impérieuses de notre temps. Lorsque ’d’un bout à l’autre du pays chacun pourra, pour une somme des plus modiques, correspondre sans difficulté sur tous les sujets, calmer des inquiétudes, satisfaire des impatiences, asservir le temps et l’espace au profit des désirs les plus frivoles comme des intérêts les plus graves, je désirerais pourtant qu’il ne fût point oublié que ce progrès nouveau de la civilisation, cette complaisante action des forces naturelles, ne sont pas uniquement dus au génie mécanique des inventeurs qui ont perfectionné de mille manières les appareils télégraphiques. Le sujet sur lequel s’est exercé leur esprit ingénieux a été fourni par un de ces savans qui, dans les routes obscures de l’analyse, cherchent à marcher vers des vérités nouvelles, sans songer aux applaudissemens du public ou aux profits qu’ils pourraient retirer de leurs découvertes. C’est Ampère qui restera toujours le véritable inventeur de la télégraphie, parce que, sans lui, elle était impossible. Que les gouvernemens fassent des dons magnifiques à M. Morse, que son nom soit dans toutes les bouches, rien de mieux ; il importe cependant de ne pas perdre le culte de la pensée pure, de savoir apprécier la distance qui existe entre un Newton qui découvre le mécanisme des mondes et les fabricant d’instrumens astronomiques les plus ingénieux, entre un d’Alembert qui trouve les lois du mouvement et cette multitude d’inventeurs qui les appliquent, ce qui sépare enfin le génie qui crée et, qui commande de l’esprit qui combine et qui obéit.



AUGUSTE LAUGEL.


  1. Sous l’empire des diverses lois qui ont réglé les tarifs jusqu’au 1er janvier 1858, M. Pélicier a calculé que le prix moyen d’une dépêche a été en 1851 de 8 fr. 51 cent., — en 1852 de 11 fr. 28 cent., — en 1853 de 10 fr. 64 cent., — en 1854 de 8 fr. 75 cent., en 1855 de 9 fr. 77 c, — en 1856 de 8 fr. 85 c, — en 1857 de 8 fr. 06 c. Ces chiffres indiquent suffisamment que la télégraphie, comme on devait s’y attendre, a servi surtout, dans les débuts, aux communications à longue distance. Pendant l’année 1858, 349,887 dépêches ont été échangées en France, et pour le quatrième trimestre de cette année seulement les tableaux statistiques indiquent pour la première fois quelle est la proportion des dépêches simples relativement à celles qui contiennent plus de mots. Sur 100 dépêches, on en comptait, durant cette période, 63,5 de 1 à 15 mots, 17 de 16 a 20 mots, 8,8 de 21 à 25 mots, 9,5 de 26 à 50 mots. Ces proportions ont à peine varié en 1859.
  2. Sur les 97,728 dépêches intérieures du quatrième trimestre de l’année 1858, 23,728 ont été échangées avec Paris, et 74,000 entre les villes des départemens. Paris correspond avec tous les bureaux français, surtout avec Lyon et les grands ports de commerce, Marseille, Bordeaux, Le Havre. Plus des trois quarts des dépêches parisiennes ont été envoyées à ces villes et à Lille, Rouen, Toulouse, Caen, Nantes et Reims. Les principaux centres de télégraphie départementale sont Lyon, Marseille, Le Havre, Bordeaux, Nantes, Lille, Rouen, Toulouse, Dunkerque, Montpellier, Caen et Mulhouse.
  3. Pendant le quatrième trimestre de l’année 1858, il y a eu, contre 97,728 dépêches intérieures, 58,686 dépêches échangées entre les stations françaises et 2,000 stations étrangères environ. Sur ce nombre, 25,217, c’est-à-dire plus de la moitié, ont mis Paris en communication avec les capitales et les grandes villes européennes, surtout avec Londres, Vienne, Genève, Bruxelles, Francfort-sur-le-Mein, Madrid et Berlin. Ces dépêches se distribuaient ainsi : affaires de bourse, 48 pour 100 ; — affaires privées, 20 ; — commerce général et industrie, 20 ; — publicité, journaux, 9 ; — dépêches de gouvernement, 2 ; — affaires diverses, 1. L’année 1859 a fourni, pour 453,998 dépêches intérieures, 144,708 dépêches internationales. Le commerce général et l’industrie occupent cette fois 35,07 pour 100, et les affaires de bourse tombent à 23,23 ; elles sont cependant encore représentées par un nombre supérieur à celui des affaires de famille, qui n’entrent que pour 21,76. Sur 100 dépêches, la diplomatie en a 5,13, les dépêches de journaux 9,65, le commerce des céréales 4,83.
    Le produit moyen des dépêches internationales, qui était en 1858 égal à 15 fr. 09 c, est tombé en 1859 à 13 fr. 47 cent. Ces chiffres révèlent assez de quelle importance est cette source de recettes ; aussi, bien que le nombre des dépêches qui franchissent les frontières du pays soit à celui des dépêches intérieures dans la proportion de 1 à 3 environ, ces deux branches du service entrent pour une somme à peu près égale dans le chiffre total des recettes. En 1858, les taxes intérieures ont donné 1,794,918 fr., les taxes internationales 1,721,715 fr. ; en 1859, les premières ont été de 2,072,314 francs, les secondes de 1,950,485 francs.
  4. Les chiffres sont curieux. Le réseau télégraphique en 1851 avait 2,133 kilomètres de longueur, — 3,458 kilom. en 1852, — 7,175 kilom. en 1853, — 9,244 kilom. en 1854, — 10,502 kilom. en 1855, — 11,265 kilom. en 1850, — 11,420 kilom. en 1857, — 13,030 kilom. en 1858, — 16,049 kilom. en 1859. Pendant les mêmes années, les recettes totales des dépêches françaises et internationales sont toujours allées en augmentant, et ont atteint successivement les chiffrés suivans : 76,722 fr., — 542,891 fr., — 1,511,901 fr. — 2,064,983 fr., — 2,487,159 fr., — 3,191,102 fr., — 3,333,095 fr., — 3,516,033 fr., — 4,022,799 fr. ; mais en divisant les recettes totales par le nombre de kilomètres exploités-dans l’année, on voit que les recettes moyennes par kilomètre de ligne ont été successivement 359 fr. 60 c, — 157 fr., — 210 fr. 72 c, — 223 fr. 38 c, — 236 fr. 83 c, — 283 fr. 27 c, — 291 fr. 66 c, — 269 fr. 89 c, — 250 fr. 65 c. De 1852 à 1857, il y a donc eu augmentation ; mais de 1857 à 1859 il y a diminution.
    Quant aux stations qui ont produit ces recettes, elles ont été de 1851 à 1859 au nombre de 17, — 43, — 91, — 128, — 149, — 167, — 171, — 193, — 240. Les produits bruts moyens annuels par station ont été eYi augmentant de 1852 à 1857, puis en diminuant notablement de 1857 à 1859. Ces chiffres ont été 4,513 fr. 08 c, — 12,023 fr., — 15,526 fr. 15 c, -- 16,054 fr. 62 c, — 16,692 fr. 34 c, — 19,108 fr. 83 c, — 19,495 fr. 29 c, — 18,220 fr. 90 c, — 16,761 fr. 24 c. Il est arrivé ici quelque chose d’analogue à ce qu’on a observé sur les chemins de fer : les premières lignes ont eu de fort belles recettes, et les embranchemens ont eu pour effet de diminuer la recette kilométrique.
  5. Ce procédé a été décrit dans la Revue du 15 janvier 1860 par M. Clavé.
  6. Pour obtenir un courant électrique, il faut que le fluide traverse ce que l’on nomme un circuit fermé, c’est-à-dire qu’il traverse un conducteur partant d’un pôle de la pile et aboutissant à l’autre pôle. On obtient le même effet sans, faire revenir le fil à la pile, en en plongeant l’extrémité" dans la terre, pourvu que la pile elle-même soit en communication avec le sol, à l’aide d’un fil conducteur, par le pôle opposé à celui d’où part le courant.