La Terre (Ernest Choquette)/24

La bibliothèque libre.
La maison de librairie Beauchemin (p. 181-182).

XXIV


— « Je n’y suis pas… Dis que je n’y suis pas, Marianne. » Et Jacqueline, à pas de chatte, s’était brusquement dissimulée derrière un paravent, dans un coin reculé de son boudoir.

C’était la première fois qu’elle trahissait son état d’âme véritable à l’égard de Verneuil. Jusque-là, quoique toujours en sacrifiée, elle avait subi sans protester ses hommages jaloux. Elle y répondait avec un si complet abandon de sa volonté, c’est-à-dire que — grâce à une diplomatie et à une héroïque abnégation de chaque jour — elle réussissait à si bien se meurtrir le cœur que rien de ses actes, ni de son attitude, ni de ses pensées, ni le temps lui-même, n’était parvenu à démentir, même aux yeux des siens, l’apparente sympathie qu’elle semblait manifester pour Verneuil.

Son père, Yves, Marcelle, la crainte des conséquences qu’elle imaginait au dévoilement du drame noir dont le rappel seul mettait son esprit en déroute, tout cela la tenait captive et la ligotait mieux que la lanière la plus serrée.

Mais cette fois, dans une aversion inconsciente, cette rebuffade avait jailli spontanément de ses lèvres : « Dis que je n’y suis pas, Marianne. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La porte était depuis longtemps refermée sur Verneuil, que vibrait encore doucement dans la pièce l’accent particulier que Jacqueline avait mêlé à son exclamation.

Il semblait qu’une voix lointaine, lointaine et connue, eut soudainement parlé par ses lèvres.