La Terreur blanche, la réaction dans le Gard

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La Terreur blanche, la réaction dans le Gard
Revue des Deux Mondes3e période, tome 26 (p. 586-627).
LA
TERREUR BLANCHE

De tous les événemens de l’histoire contemporaine, il n’en est pas que, soit pour les flétrir, soit pour les absoudre, la passion des partis ait plus complètement défigurés que ceux dont le midi de la France vit se dérouler, après les Cent jours, les sanglantes péripéties. Cette qualification même de « terreur blanche » sous laquelle on s’est accoutumé à les désigner, en y comprenant les poursuites exercées par les cours prévôtales, prouve clairement, bien qu’elle soit devenue classique, qu’il y a eu dans les récits des premiers historiens de ces temps ignorance ou calomnie. La version à laquelle la plupart d’entre eux se sont ralliés ne saurait être considérée comme l’expression de la vérité. Elle n’a eu pour base que des légendes mensongères dont on ne trouve aucune trace dans les documens officiels et qu’aucune preuve n’est venue corroborer. Après M. de Vaulabelle, traçant de ces souvenirs douloureux une relation qui tient du roman, M. Odilon Barrot lui-même s’est trompé quand il écrivait dans ses Mémoires : « Les partis extrêmes n’ont rien à se reprocher en France ; ils ont successivement atteint, dans leur cruelle émulation, le dernier terme de la frénésie et de la férocité : 1815 peut servir de contre-partie à 1793, et la terreur blanche n’a pas grandement différé de la terreur rouge. » Mieux connue aujourd’hui, la vérité permet d’opposer à ces appréciations de fantaisie une protestation qu’un historien plus impartial que ses prédécesseurs, M. de Viel-Castel, a formulée en ces termes : « Il est bien évident que telle audience du tribunal révolutionnaire a fait tomber plus de têtes que tous les tribunaux de la restauration pendant deux années, et que Paris, dans une seule journée de septembre, a vu plus d’égorgemens que le Midi tout entier pendant l’été et l’automne de 1815. » Cette époque ne fut, hélas ! que trop fertile en réactions criminelles ; il n’était pas nécessaire de la charger et de l’assombrir, même pour exciter la légitime indignation de la postérité contre les bourreaux ou sa pitié au profit des victimes, pas plus qu’il n’était habile d’en dissimuler l’horreur pour alléger le fardeau de responsabilités qu’on ne saurait sans injustice faire peser sur le gouvernement de Louis XVIII, et qui doivent être imputées surtout aux fatales passions dont la chambre introuvable allait être l’expression constitutionnelle et reproduire, sous des formes légales, les inexorables ardeurs.

Parmi tant de scènes odieuses qui ne s’expliquent que par la fougueuse violence des imaginations méridionales, et par les ressentimens que le règne des Cent jours et les excès des vainqueurs avaient amassés dans les âmes, celles qui s’accomplirent dans le Gard peuvent être regardées comme les plus sinistres, moins encore par le caractère des actes perpétrés, qui fut là ce qu’il était ailleurs, que par le nombre des victimes, et la durée de l’épouvante qui s’était emparée de la partie saine de la population, paralysa le courage des braves gens et trouva des encouragemens inconsciens dans la faiblesse des autorités, locales. Les départemens des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse, de la Haute-Garonne, virent une ou deux journées marquées par quelque grand crime, tel que les massacres de Marseille, le meurtre du maréchal Brune, celui du général Ramel, après lequel la loi reprit ses droits. Mais, dans le Gard, ces troubles sanglans se prolongèrent pendant plus de quatre mois, mettant en scène des personnages dont les forfaits ont rendu le nom légendaire et l’ont marqué d’une flétrissure éternelle. Pour les arrêter, il fallut le concours des troupes étrangères qui occupaient le territoire français.

Quoique déjà lointains, ces événemens, que les historiens de la restauration n’ont pu considérer qu’au titre d’épisodes secondaires perdus dans les événemens d’ordre général et auxquels ils n’ont consacré que d’incomplètes et souvent inexactes notices, sont dignes cependant d’être mieux connus qu’ils ne l’ont été jusqu’ici. Les pages qu’on va lire les éclaireront d’une lumière nouvelle. Elles ont été écrites après de longues et minutieuses recherches, à l’aide des récits et des polémiques du temps, à l’aide aussi de témoignages recueillis sur les lieux et de souvenirs de famille, rectifiés dans ce qu’ils avaient d’inexact ou d’obscur, par les nombreux documens politiques, administratifs, judiciaires, enfouis jusqu’à ce jour dans nos annales nationales et départementales. Ce n’est peut-être pas encore toute la vérité, ce n’est du moins que la vérité, — la vérité présentée pour la première fois dans un tableau d’ensemble et dégagée de tout esprit de parti.

I

A la première nouvelle du débarquement de Napoléon à Cannes, le gouvernement du roi avait pris d’énergiques mesures pour défendre son existence menacée. Tandis que le comte d’Artois parlait pour Lyon, le duc de Bourbon pour l’Ouest, et M. de Vitrolles pour Toulouse, avec la mission d’organiser sur ces points la résistance au nom de Louis XVIII, le duc d’Angoulême, qui se trouvait alors à Bordeaux, était invité à se rendre en Languedoc et en Provence afin de soulever contre l’usurpateur ces contrées passionnément dévouées aux Bourbons ; le prince s’empressait d’obéir, se dirigeait en toute hâte vers Montpellier, Nîmes et Marseille, échauffait par sa présence et sa parole le royalisme du Midi, et formait trois corps d’armée à l’aide des troupes régulières qu’il croyait fidèles à sa cause et d’un grand nombre de volontaires accourus à son appel. Puis, tandis qu’une partie de son effectif achevait de s’organiser dans le Dauphiné, l’autre en Auvergne, lui-même prenait au Pont-Saint-Esprit le commandement d’une colonne de 5,000 hommes et se mettait en route pour remonter la rive gauche du Rhône et poursuivre l’empereur déjà en route vers Paris. Il atteignait ainsi Valence en quelques jours, chassant devant lui les troupes impériales, auxquelles il livrait un brillant combat sur la Drôme, entre Loriol et Livron. Mais là, paralysé par la défection des bataillons qu’il avait amenés avec lui, par la marche rapide de Napoléon et par la soumission de la France au despotisme, ne pouvant plus compter que sur des volontaires sans organisation, il était contraint de s’arrêter et bientôt réduit à capituler. Ses officiers. le conjurant de se dérober par la fuite aux mains de l’ennemi, il leur déclarait qu’il partagerait jusqu’au bout la fortune de ses soldats, et signait le 9 avril, au bourg de la Palud, avec le général Gilly, l’un des commandans des troupes impériales, une, convention portant que les volontaires royaux se raient licenciés, qu’ils rentreraient dans leurs foyers sous la protection des autorités nouvelles, et que lui-même serait conduit à Cette, où il s’embarquerait.

Tandis qu’aux bords du Rhône se déroulaient ces événemens, dans Nîmes, chef-lieu du département du Gard, qui avait fourni à la cause royale le plus grand nombre de ses partisans, ceux de l’empereur se déclaraient ouvertement. Recrutés surtout parmi les officiers en demi-solde, appuyés par une partie de la garde urbaine et par les populations protestantes de la Gardonnenque[1], ils n’avaient attendu que les premiers succès de Napoléon pour se rallier à lui. Avant même qu’il fût arrivé à Paris, ils proclamaient le gouvernement impérial. Les troupes de la garnison que le duc d’Angoulême, doutant de leur fidélité, n’avait osé s’adjoindre, les secondèrent, Elles prirent la cocarde tricolore et les aigles qu’elles avaient conservées dans leurs sacs. Le mouvement se communiqua aux villes et aux campagnes voisines. Plusieurs milliers de paysans menacèrent Nîmes au nom de Bonaparte ; on n’arrêta leur marche qu’en les persuadant de l’inutilité de leur concours, la ville ayant fait sa soumission. Un peu plus tard, le général Gilly, ayant obligé le duc d’Angoulême à capituler, rentra dans Nîmes, ne s’occupant plus que de rétablir l’autorité de son ancien maître. La cause des Bourbons fut alors perdue.

Néanmoins, jusqu’à ce jour, tout s’était borné à la manifestation triomphante d’un parti sur un autre. Aucun excès n’avait été commis, si ce n’est l’assassinat d’un étudiant de Montpellier nommé Lajutte, volontaire royal tué dans Nîmes au moment où il allait rejoindre le duc d’Angoulême ; mais l’exaltation était trop vive pour qu’on pût en rester là. Les passions des populations méridionales, fortifiées à cette heure par le souvenir des guerres religieuses et le vieil antagonisme des catholiques et des protestans, étaient déchaînées. Elles vinrent en aide aux haines politiques et dictèrent aux vainqueurs des mesures arbitraires que leur persistance transforma en une véritable persécution contre les vaincus, et qui, selon la juste expression de M. de Viel-Castel, laissèrent dans le parti royaliste, « avec tous les élémens d’une insurrection, d’implacables ressentimens. » On épura la garde urbaine ; on en fit sortir les royalistes, dont plusieurs furent incorporés de force dans des colonnes mobiles. On en arrêta un grand nombre. D’autres n’échappèrent à ces mauvais traitemens qu’en prenant la fuite. Partout les mouvemens royalistes furent impitoyablement réprimés, notamment à Saint-Gilles, où quatre personnes furent tuées et un plus grand nombre blessées. On excita les troupes par des distribuions d’argent, par les séductions les plus grossières, et l’on fit appel à tant de détestables instincts qu’il devint bientôt impossible de contenir ces masses frémissantes. La convention de la Palud avait promis aux volontaires royaux, qu’on appelait les miquelets, la protection des autorités impériales pour faciliter leur retour dans leurs foyers. Elle n’empêcha pas qu’ils fussent attaqués, au moment même où ils se croyaient en sûreté. Au Pont-Saint-Esprit, qui se trouvait sur leur chemin, on leur disputa le passage du pont du Rhône. Les uns furent massacrés, les autres précipités dans le fleuve. Quand ceux qui avaient échappé à ce guet-apens se présentèrent aux abords de Nîmes, ils y rencontrèrent des bandes de fédérés qui les dépouillèrent et leur firent subir les plus cruelles avanies. Ceux qui, pour rentrer chez eux, étaient obligés de traverser la Gardonnenque, y furent victimes d’actes barbares. Les populations, qui sous le manteau du bonapartisme cachaient d’anciens préjugés et de vieilles haines, tenaient la campagne et gardaient les villages afin d’en interdire l’approche aux volontaires royaux. Elles s’acharnèrent contre ces malheureux, dont plusieurs trouvèrent la mort dans la commune d’Arpaillargues. Le scapulaire étalé sur leur poitrine, la fleur de lis rouge cousue sur leur uniforme et leur cocarde blanche les firent reconnaître. A l’entrée du village que traverse la route, on les désarma par mesure de précaution, leur dit-on. Ils se laissèrent faire. Mais, soit que leur nombre, — ils étaient soixante-quatre, — eût alarmé les habitans, soit qu’eux-mêmes, par leur attitude et leur langage, les eussent provoqués, on les attaqua. Hors d’état de se défendre, ils se dispersèrent en courant. Les gens d’Arpaillargues s’élancèrent derrière eux à travers champs, armés de fusils et de fourches. « On leur donna la chasse comme à des bêtes fauves, » disait plus tard, devant la cour d’assises de Nîmes, le procureur-général. Sept d’entre eux périrent. L’intervention de quelques femmes, plus exaltées et plus cruelles que les hommes, vint ajouter à l’horreur de leur supplice. Quatre, renversés par la fusillade, furent mis nus, percés de coups dans toutes les parties du corps, déchirés au visage avec des ciseaux. Les archives judiciaires nous ont conservé le récit de ces horreurs, dont les auteurs, au nombre de dix-sept, furent poursuivis l’année suivante et condamnés, à l’exception d’un seul, onze à mort, deux aux travaux forcés, trois à cinq ans de prison. Cinq furent exécutés.

À ces terribles provocations vint s’ajouter la compression rigoureuse à laquelle fut soumis ce département royaliste, toujours prêt à se révolter. Puis ce furent des levées d’hommes. Il y eut alors un grand nombre de déserteurs. Ils allèrent grossir les bandes des volontaires fugitifs qui erraient dans la campagne, se cachaient dans les bois, dans les montagnes, dans les marais et jusqu’aux bords de la mer, entre Agde, petit port sur la Méditerranée, dans l’Hérault, et le hameau des Saintes-Maries, à la pointe de la Camargue. Cette population vécut ainsi pendant deux mois, mal vêtue, mal nourrie, couchant sur la terre nue, rôdant, affamée, aux environs de Nîmes, de Saint-Gilles, d’Aigues-Mortes, se glissant parfois dans Montpellier, où les royalistes lui distribuaient quelques secours, s’employant dans les métairies, toujours sur le qui-vive, toujours menacée par les fédérés qui faisaient dans les champs de fréquentes battues. Cette vie misérable allumait dans les cœurs d’ardens désirs de représailles. La plupart des fugitifs, de condition modeste, étaient honnêtes et courageux ; celui qui devait s’appeler plus tard le poète Jean Reboul se trouvait parmi eux, et plus d’un lui ressemblait par la noblesse des sentimens. Mais il y avait aussi dans leurs rangs des artisans sans éducation, aux instincts grossiers, aux passions violentes, ce Jacques Dupont dit Trestaillons, simple travailleur de terre, dont ces tristes jours allaient faire un grand criminel, et avec lui ceux qui se préparaient à devenir ses compagnons et ses émules, forcenés animés « de l’esprit de brigandage et de révolte, » disait plus tard un des fonctionnaires chargés de les poursuivre, pour qui le royalisme fut un prétexte, le désordre un but, qui devaient attacher au Midi une sinistre renommée et compromettre tout le parti royaliste en disant : « Il nous faut un roi terrible à qui soient inconnus les mots de bonté, de clémence et de pardon. Faisons-nous justice, puisqu’on ne nous la fait pas. Servons le roi malgré lui[2]. » C’est pendant les Cent jours que toutes ces haines prirent feu. On ne saurait trop le répéter, non certes, pour faciliter une justification impossible, mais pour fournir à l’histoire une explication qu’elle réclame, — explication appuyée sur des documens authentiques et qui s’impose aujourd’hui aux adversaires comme aux amis de la restauration, avec la puissance de la vérité. Ce qui n’est pas moins vrai d’ailleurs, c’est que vengeances et représailles dépassèrent de beaucoup les persécutions qui les avaient déchaînées. N’est-ce pas un des traits ordinaires de la guerre civile dans tous les pays et à toutes les époques ?

On a vu qu’une partie des déserteurs et des volontaires vivaient dispersés aux bords de la mer. Moins malheureux que la plupart de leurs compagnons, ils étaient parvenus à former une agglomération suffisante pour tenir en respect les bandes de fédérés et les détachemens de la petite garnison d’Aigues-Mortes, qui battaient la campagne afin d’arrêter les réfractaires. Les uns avaient trouvé un abri dans les cabanes des pêcheurs. Les autres campaient à la belle étoile, et, comme on était au printemps, ils supportaient sans trop de peine les intempéries de l’air. L’espérance d’un avenir meilleur que le présent rendait leurs maux légers. La nuit, des barques venues d’Espagne amenaient sur la plage des émissaires mystérieux qui leur apportaient, avec quelques secours, les instructions du duc d’Angoulême réfugié à Barcelone et leur annonçaient la chute prochaine du régime impérial[3]. De Cadix, le prince s’était fait conduire en Catalogne, où l’avaient suivi plusieurs des partisans de Louis XVIII et où il attendait la défaite suprême de l’empereur, qu’il était dès ce, moment facile de prévoir. Il avait conservé, par l’ordre du roi, le commandement des départemens du Midi. Dès la fin de la première quinzaine de juin, il jugea les événemens assez avancés pour charger des commissaires de se rendre en France et de se tenir prêts à toute éventualité. Ces commissaires étaient, pour l’Hérault, le marquis de Montcalm ; pour la Lozère et le Gard, le comte de Bernis et le marquis de Calvières. Originaires des contrées dans lesquelles on les envoyait, ces gentilshommes y étaient connus et estimés. Le comte Charles de Vogué leur fut adjoint comme inspecteur des gardes nationales. Ils débarquèrent près d’Aigues-Mortes, dans la nuit du 15 au 16 juin, malgré les douaniers qui leur tirèrent en vain quelques coups de fusil[4]. Puis, M. de Bernis se dirigea sur Nîmes, suivi de M. de Calvières, tandis que M. de Montcalm se rendait dans l’Hérault.

Ils se trouvaient donc au cœur des populations quand arriva la nouvelle de la bataille de Waterloo. C’était le 25 juin. Le même jour, le marquis de Calvières, revenant sur ses pas, entra dans Aigues-Mortes, à la tête d’une poignée d’hommes, désarma la garnison de cette petite place, en faisant les officiers prisonniers. Il fut bientôt rejoint par un chef de volontaires, le capitaine Achard, ayant sous ses ordres une cinquantaine de pêcheurs armés par ses soins, et assura par ce coup de main au duc d’Angoulême un solide point de débarquement. En même temps, l’Hérault se soulevait à la voix du marquis de Montcalm. Le 27 juin, le général Gilly, commandant la division dont Montpellier était le siège, avait fait afficher la proclamation suivante : « Napoléon a abdiqué. Pour donner la paix à la France, des commissaires se sont rendus près des puissances alliées. Si elles ont été franches dans leurs déclarations, la paix sera rendue au monde ; si leur dessein a été de nous tromper en déclarant qu’ils n’en voulaient qu’au chef du gouvernement, qu’ils sachent que la France peut être envahie, jamais subjuguée. » Ce langage, au lieu d’apaiser les esprits, les excita, et la journée du lendemain fut troublée par une sanglante collision entre les royalistes et les fédérés. Les volontaires s’étant portés sur la ville, où déjà flottait le drapeau blanc, y tuèrent un mulâtre, capitaine de la garde nationale, qui s’était fait remarquer depuis deux mois par son ardeur à les poursuivre. Ils attaquèrent ensuite la citadelle, dans laquelle le général Gilly s’était enfermé avec la garnison. Ils furent repoussés après un combat meurtrier qui coûta la vie à cent dix personnes[5], et quittèrent la ville dont les habitans n’en continuèrent pas moins à fêter, par des chants et des danses, le retour des Bourbons. Pendant ces réjouissances, le préfet s’entendit insulter par une foule furieuse à laquelle il n’échappa qu’à grand’peine. Ici, deux versions également vraisemblables sont en présence. Selon l’une, les royalistes se seraient portés à des excès, auraient pillé le café militaire, arrêté un valet de ville, saisi les dépêches dont il était nanti, blessé à coups de pierres trois officiers, dont l’un, chef de bataillon du 13e de ligne, mortellement, et c’est pour réprimer ces tentatives que le général Gilly aurait fait sortir de la citadelle plusieurs patrouilles. Selon l’autre, le calme n’avait pas été troublé, et la conduite du général Gilly n’eut pour cause que l’irritation dans laquelle le jetèrent les manifestations de la joie publique. Quoi qu’il en soit, l’une des patrouilles tira sur un groupe de danseurs. Deux femmes furent tuées, trois blessées. Quatre jours après, nouveau conflit. Un vieillard, attiré à sa croisée par les cris de Vive le roi ! que poussaient les volontaires, fut tué d’une balle, entre ses deux filles. Enfin les royalistes restèrent victorieux. Le général Gilly avait prévu ce dénoûment et, laissant une poignée d’hommes dans la citadelle, était rentré dans Nîmes, où il se sentait plus fort qu’à Montpellier. « Tout autour de moi est en pleine insurrection, » écrivait-il au ministre de la guerre. Le 30 juin, à Mende, chef-lieu de la Lozère, le peuple se souleva, attaqua la préfecture sous les ordres d’un ancien émigré, arrêta les autorités, et se fit livrer les armes enfermées dans les casernes, qui furent distribuées à trois mille paysans. Mais, en moins de vingt-quatre heures, le département se soumit à Louis XVIII, sans que le sang eût coulé. A Agde, on eut à regretter des actes de dévastation dont on essaya plus tard d’atténuer le caractère coupable en imprimant cette phrase : « Le peuple, en pillant, a associé son souverain à son ressentiment. » La petite garnison de cette place fut désarmée et prit la fuite pour échapper aux mauvais traitemens ; puis les insurgés marchèrent sur l’Aveyron d’un côté, sur Pézenas et Béziers de l’autre, et y firent arborer le drapeau blanc. Au Vigan, la nouvelle de Waterloo fut apportée, le 28 juin, par des déserteurs qui entrèrent dans la ville aux cris de Vive le roi ! Le sous-préfet fut arrêté et conduit à Montpellier, où il subit une longue détention. C’est dans le récit qu’il nous a laissé de son infortune qu’on voit apparaître pour la première fois Jacques Dupont, dit Trestaillons, qu’il accuse d’avoir dit : « Je regrette bien de n’avoir pas rencontré ce sous-préfet. Je lui aurais envoyé un coup de fusil. »

Cependant Beaucaire s’était aussi prononcée pour le roi. Cette petite ville, à laquelle la foire qui s’y tient tous les ans a assuré une réputation universelle, est située aux bords du Rhône qui la sépare de Tarascon, et à 30 kilomètres de Nîmes. Le 26, elle arbora le drapeau blanc. Inquiet sur les suites de cette manifestation, le conseil municipal, qui connaissait la résolution du préfet du Gard et du général Gilly de maintenir dans Nîmes l’autorité de l’empereur, les fit avertir de ce qui venait de se passer, en les adjurant de ne rien tenter pour contenir le mouvement royaliste de Beaucaire, s’ils ne voulaient provoquer une résistance désespérée. Le général Gilly fit la promesse qu’on lui demandait. Mais, durant la nuit suivante, une troupe de fédérés partit de Nîmes sans ordre, afin d’aller soumettre aux autorités impériales les Beaucairois révoltés. Elle vint se briser contre un détachement de garde nationale qui gardait la ville. A dater de ce jour, Beaucaire songea à s’organiser pour la défense. Le comte de Bernis s’y rendit et prit en main cette organisation.

Les volontaires royaux et les déserteurs, lassés de leur vie errante, accoururent, ainsi que les habitans des communes voisines dévouées aux Bourbons. Avec les premiers, on forma un régiment de ligne et un escadron de chasseurs à cheval ; avec les seconds, un bataillon de garde nationale. Les receveurs des postes, de l’enregistrement, des contributions directes et indirectes, les fermiers du Pont de Beaucaire durent verser 8,500 francs. On accrut ces ressources par des emprunts. Un agent secret envoyé à Marseille, où le marquis de Rivière s’était installé comme commissaire du roi, obtint par son entremise, des bâtimens anglais qui croisaient en vue du port, des armes et des munitions qu’il rapporta dans Beaucaire, où il ramena en même temps plusieurs officiers emprisonnés au château d’If pendant les Cent jours et que le peuple marseillais avait délivrés. Parmi eux se trouvait le colonel Magnier, qui entreprit avec succès de lever un corps de troupes à Tarascon. Enfin la garnison d’Aigues-Mortes envoya au camp de Beaucaire deux pièces de canon et des artilleurs. L’armée royaliste, forte de plus de 2,000 hommes, fut placée sous les ordres du chevalier de Barre, maréchal de camp. En même temps, le comte de Bernis désignait le marquis de Calvières comme préfet provisoire du Gard.

De son côté, le général Gilly se préparait à une défense désespérée. Prévoyant le cas où il serait obligé d’évacuer Nîmes, il venait de faire des Cévennes du Gard, en sa qualité de commissaire impérial, le point de ralliement d’une vaste insurrection dont les fédérés d’Avignon, de Marseille et de Nîmes, les populations de la Gardonnenque et de la Vaunage[6], et les troupes rebelles lui auraient fourni les élémens. Appuyé sur la citadelle du Pont-Saint-Esprit, qui tint pour l’empereur jusqu’au milieu de juillet, disposant de populations fanatisées, il aurait pu facilement appeler à son aidé celles du Dauphiné et faire du Gard un foyer de résistance à la restauration, et, comme on disait alors, une Vendée patriotique. Chose étrange, le général Gilly, auquel était acquise la majorité des sympathies protestantes, était catholique ; par contre, le général de Barre, dont les forces se composaient presqu’en totalité de catholiques, était protestant, ainsi que plusieurs des fonctionnaires qui furent ultérieurement nommés par le commissaire du roi. Ce simple fait permet d’affirmer qu’en ce moment ce sont bien les passions politiques qui étaient aux prises et que c’est plus tard seulement que les passions religieuses vinrent les envenimer. Le général Gilly avait sous ses ordres 500 hommes du 13e de ligne, deux compagnies du 67e, 250 chasseurs du 14e, un bataillon composé d’officiers à la demi-solde, désigné sous le nom de « bataillon sacré, » 900 hommes de garde urbaine et environ 1,600 paysans armés. Il y ajouta de l’artillerie qu’il envoya chercher au Pont-Saint-Esprit. Néanmoins, bien qu’il disposât, comme on le voit, de forces supérieures à celles de l’armée de Beaucaire, le général bonapartiste ne pouvait rien au-delà de la résistance. S’il avait tenté de sortir de Nîmes et de porter l’attaque au dehors, la population royaliste, qu’il tenait comprimée depuis trois mois, se serait soulevée derrière lui. En outre, il aurait trouvé devant lui, à droite et à gauche, des communes hostiles à Bonaparte, et, parmi les plus importantes, celle d’Uzès, qui avait arboré déjà le drapeau blanc et qui, placée sur la limite qui sépare les centres catholiques des centres protestais, se préparait à se défendre contre ceux-ci par qui elle était menacée. Enfin, à l’armée de Beaucaire seraient venues se joindre, au besoin, les gardes nationales de Provence, réunies par le colonel Magnier, entre Arles et Tarascon. Le général Gilly était donc paralysé ; il restait dans Nîmes, attendant avec angoisse les nouvelles de Paris, sourd aux propositions pacifiques et honorables des représentans du roi, tandis que, libre de ses mouvemens, le général de Barre fortifiait ses positions et organisait une expédition pour dégager les bords de la Durance, d’où le menaçaient des bandes de fédérés sorties d’Avignon.

Composée de volontaires royaux, cette expédition, sous les ordres du colonel Magnier, partit de Beaucaire, un soir, vers onze heures et marcha pendant toute la nuit. Au point du jour, elle se trouva à l’entrée d’un gros bourg appelé Château-Renard, voisin de la Durance, et vit devant elle les fédérés postés hors la ville sur les coteaux qui longent la route de Noves. La première balle tirée alla tuer un paysan qui travaillait dans un pré, et dont on essaya de justifier la mort en disant qu’il avait crié : « Vive l’empereur ! » Ce fut d’ailleurs la seule victime de la journée, car au premier coup de canon les fédérés se dispersèrent et disparurent. On ne les poursuivit pas. Le chef de l’expédition, ayant appris qu’Avignon était depuis le matin au pouvoir des royalistes, donna l’ordre de retourner à Beaucaire. Il ne put empêcher toutefois une partie de ses soldats d’entrer dans Château-Renard, où ils mangèrent et burent trop copieusement sans doute, car, après le repas, ils se mirent à pilier plusieurs maisons, et à maltraiter des citoyens qu’on leur désigna comme des républicains. La boutique d’un chapelier rangé dans cette catégorie fut saccagée et les marchandises qu’elle contenait détruites. Après cet exploit, la compagnie se mit en route pour rentrer dans ses quartiers. Mais, en traversant Tarascon, elle trouva la ville en proie à la plus tumultueuse agitation. On venait d’y conduire dans trois charrettes des individus arrêtés arbitrairement à Fontvieille, commune de l’arrondissement d’Arles, où ils étaient connus comme d’anciens terroristes. On attendait ces malheureux avec « des tombereaux de tessons de bouteilles » pour les massacrer. Il y avait parmi eux un vieillard surnommé « l’archevêque » contre lequel la foule s’acharnait avec fureur. Au moment où il arrivait avec ses compagnons, aux abords du château-fort qui sert de prison, elle commença à le lapider. Il reçut les premiers coups sans se plaindre. Tout à coup, un jeune homme, prisonnier aussi, se précipita en criant et vint se mettre devant lui afin de recevoir les coups à sa place ; c’était son fils, qu’on vit alors, insensible à ses propres blessures, entourer de ses bras et couvrir de son corps le vieillard qui lui ordonnait en vain de s’éloigner. Mais cette lutte de dévoûment n’attendrit pas la populace ameutée et les deux malheureux seraient morts broyés, si quelques volontaires émus et indignés ne les eussent soustraits à sa fureur, en les poussant brusquement dans la forteresse, dont les portes se fermèrent aussitôt[7].

Tels étaient donc les résultats des projets de résistance du général Gilly : il exaspérait les royalistes et fournissait à leurs adversaires, partout où ils étaient assez forts pour soutenir la lutte, un prétexte pour retarder leur soumission et même pour devenir menaçans. C’est ainsi que dans la Gardonnenque s’étaient formés des rassemblemens armés qui envoyaient leur avant-garde jusqu’aux portes d’Uzès, et sommaient les habitans d’avoir à faire disparaître le drapeau blanc et de rétablir le drapeau tricolore. Ces rassemblemens étant devenus inquiétans, les autorités municipales de cette petite ville eurent l’idée de leur envoyer, par un parlementaire, des propositions ayant pour but de faire décider que, jusqu’à nouvel ordre, royalistes et impérialistes garderaient leurs couleurs. Un ancien officier, M. Nicolas, garde à cheval des eaux et forêts, s’offrit pour porter ces paroles de paix aux émeutiers et se rendit au-devant d’eux, le 3 juillet, suivi de deux gendarmes. Il les rencontra aux portes mêmes de cette commune d’Arpaillargues où, trois mois avant, les volontaires royaux avaient été massacrés. D’abord ils parurent disposés à l’écouter. Mais à peine eut-il fait allusion aux Bourbons, que sa voix fut couverte par des huées et des cris de « Vive l’empereur ! » Il voulut protester ; au même instant, un paysan plus excité que les autres abaissa vivement son fusil et tira presque à bout portant sur M. Nicolas, qui tomba mort[8]. La négociation, brusquement arrêtée par ce meurtre inexplicable, fut reprise, le même jour, par de nouveaux députés et aboutit à un armistice, aux termes duquel chaque parti conservait ses couleurs et devait rester dans ses positions.

Peu à peu cependant, le cercle se resserrait autour du général Gilly, et, bien qu’il occupât la ville de Nîmes, il ne pouvait plus se faire illusion sur la durée de son pouvoir. S’il résistait encore, c’est qu’il fondait un espoir sur l’arrivée du général Cassan, commandant le département de Vaucluse, qui cherchait à lui porter secours, mais sans pouvoir arriver jusqu’à lui, tandis que chaque jour des détachemens royalistes venaient aux portes de Nîmes. Le 5 juillet, l’un d’eux apporta une lettre du général de Barre, sommant le général de faire sa soumission au roi. Cette lettre était ainsi conçue : « Général, les forces supérieures que je commande me mettent à même de me rendre maître de la ville de Nîmes que vous occupez. L’humanité m’a fait différer jusqu’à ce moment de les employer, espérant que vous arboreriez le drapeau blanc et vous déclareriez pour le roi Louis XVIII. Quelques instans vous sont encore donnés, et je vous invite d’en profiter sans délai. Si telles sont vos dispositions, et si vous partagez, comme je m’en flatte, mon désir d’épargner l’effusion du sang et les désordres qui pourraient résulter d’une mesure qui ne serait point concertée, envoyez quelqu’un de confiance avec lequel je puisse travailler et parer à ces inconvéniens[9]. » À cette lettre, Gilly répondit par un refus, et l’on en serait venu sans doute aux mains, sans l’intervention du conseil municipal, qui fit accepter des partis une trêve provisoire à l’effet d’attendre les résultats des événemens de Paris.

Quelques jours s’écoulèrent ainsi. On apprit enfin le rétablissement de Louis XVIII par l’ordonnance royale qui prescrivait à tous les fonctionnaires destitués pendant les Cent jours de reprendre leurs fonctions. Le comte de Bernis fit alors une tentative nouvelle pour obtenir la soumission de la ville. Le général Gilly répondit en proclamant Napoléon II. En même temps, afin de se débarrasser des exigences royalistes, il préparait un coup de main sur Beaucaire, après avoir envoyé au général Cassan, maître de la citadelle du Pont-Saint-Esprit, l’invitation de marcher de son côté, de manière que leur jonction, faite à propos, leur assurât la victoire. Un incident vulgaire fit avorter ce projet. L’émissaire qui portait au commandant militaire de Vaucluse les ordres de Gilly se laissa prendre par les patrouilles qui tenaient la campagne entre Beaucaire et Nîmes[10]. Le comte de Bernis, averti à temps, put dicter des mesures défensives contre lesquelles l’expédition échoua.

Le chef-lieu du Gard fut alors en proie à une véritable terreur, car, menacé à la fois par les troupes royalistes et par les bandes de la Gardonnenque, il avait en outre tout à redouter du général Gilly, déterminé à vaincre ou à périr[11]. Un grand nombre d’habitans prirent la fuite, se réfugièrent à Beaucaire et y firent un tel tableau des dangers que couraient leurs concitoyens que le comte de Bernis se décida à marcher sur Nîmes. L’énergie du dernier avertissement qu’il adressa au général Gilly prouva à ce dernier qu’il ne pouvait plus tenir. Dans la soirée du 16 juillet, après avoir confié au général de Maulmont, placé sous ses ordres, le commandement de la garnison enfermée dans les casernes, il quitta secrètement la ville, accompagné par quatre ordonnances. Un peu plus tard, cent hommes du 14e chasseurs s’éloignèrent aussi. Protégée par quelques officiers et soldats retraités, par une troupe de Cévenols, cette sortie eut un caractère terrible. Armés jusqu’aux dents, pâles de rage, prêts à broyer tout ce qui leur aurait fait obstacle, les cavaliers parcoururent le boulevard au galop, en déchargeant leurs carabines, en poussant des cris de colère, et rejoignirent leur général. Il les conduisit sur la route d’Anduze, qui le mettait en communication avec les Cévennes où, comme nous l’avons dit, il espérait défendre longtemps la cause impériale et où dès le lendemain, menacé par le comte de Vogué, il se réfugia. Puis il adressa aux populations sur lesquelles il comptait un appel désespéré. Il leur demandait de « s’armer de bon cœur » et de former un corps de 25,000 hommes, « au nom du bien public et de l’humanité. » Tous les hommes de dix-huit à soixante ans, étaient invités à marcher dès que la générale serait battue, « à se servir de fusils de chasse, de fourches et de faux[12]. » A cet appel, 4,000 hommes environ répondirent. L’agitation se maintint ainsi durant quelques semaines et causa des malheurs dont on connaîtra bientôt l’étendue. Puis ces bandes se dispersèrent, ne laissant au général Gilly d’autre issue que la fuite.

Le lendemain du jour où il quitta Nîmes, le préfet du Gard, baron Ruggieri, se décidait enfin à reconnaître le gouvernement royal. Il disparut après l’avoir proclamé. Un commissaire de police le fit évader de la ville. Le drapeau blanc fut alors arboré ; on vit quelques cocardes blanches. Mais les fédérés étaient encore les maîtres. Ils parcoururent la ville, après avoir enfermé dans leur quartier les gendarmes déjà porteurs de la cocarde blanche. Ils firent feu sur plusieurs personnes. Un garçon boulanger fut tué[13] dans cette dernière convulsion du bonapartisme expirant.

II

Deux jours après, tous les émigrés rentrèrent dans leurs maisons, précédant l’armée de Beaucaire, à l’approche de laquelle la garde urbaine se dispersa. Comme toute autorité faisait défaut, dans chaque quartier, les citoyens, à l’instigation des autorités provisoires, s’armèrent pour se protéger contre un retour des fédérés. Ce fut une garde nationale improvisée, à la formation de laquelle présida le plus grand désordre. C’est ainsi que certains individus se trouvèrent revêtus d’un semblant d’autorité dont ils se disposaient à abuser. Les documens administratifs et judiciaires nous ont transmis leurs noms ; mais nous ne citerons que ceux qu’une condamnation solennelle ou la notoriété publique a livrés à l’histoire. Parmi eux se trouvaient Truphémy, un boucher, jeune encore, que les dépositions nous dépeignent comme un personnage redoutable, à cheveux crépus, à gros favoris rouges, et Jacques Dupont, surnommé Trestaillons, petit homme brun, nerveux et frêle, nommé capitaine d’une compagnie à l’aide de laquelle il commit d’abominables crimes dont il ne nous a pas été possible de retrouver des preuves décisives dans les pièces officielles qui ont passé par nos mains, mais dont il existe ailleurs un témoignage irrécusable et décisif dont nous allons reparler. Ces deux hommes répandirent la terreur dans les faubourgs et dans les environs de Nîmes, parmi ce peuple d’artisans dont ils faisaient partie. Ils eurent des complices que les tribunaux acquittèrent ultérieurement, à l’exception d’un seul, Jacques Servent dit le Camp, qui fut condamné en même temps que Truphémy. Les historiens royalistes n’ont pas plaidé les circonstances atténuantes pour ce dernier. Tous reconnaissent que c’était un scélérat. Ils se sont efforcés au contraire d’en trouver pour Trestaillons, dont, pour un motif ignoré, la veuve recevait encore une pension en 1830. Ce misérable avait fait partie des volontaires du duc d’Angoulême. Il possédait trois lopins de terre[14] et, pour expliquer les actes auxquels il se livra, on raconta d’abord que pendant son absence, des individus appartenant au parti bonapartiste avaient dévasté sa petite propriété, arraché ses oliviers et ses vignes. C’était la version la plus répandue en 1816. Puis, comme ces faits dénués de toute preuve ne pouvaient justifier le caractère odieux des représailles exercées, on ajouta que la femme de Trestaillons avait été outragée ; de telle sorte que, malgré la plupart des dires contemporains qui l’accusent d’avoir été un sinistre bandit, il ne serait en réalité qu’une victime des ennemis de la royauté, qui aurait tiré vengeance de ceux dont il avait à se plaindre. L’histoire ne saurait se contenter de cette assertion et peut y opposer l’affirmation que Jacques Dupont mit la main dans la plupart des crimes commis à Nîmes les 18, 21, 24, 27 juillet, 1er et 19 août, crimes qui presque tous restèrent impunis parce que personne n’osa dénoncer leurs auteurs. Sa culpabilité résulte de l’aveu qu’il fit, en 1819, au baron d’Haussez, préfet du Gard, et duquel ressort la preuve qu’après les Cent jours il avait tué six individus : « J’ai cherché ceux qui m’avaient déshonoré, dit-il, je les ai tous tués. Je ne m’en suis pas caché. C’était en plein jour, dans les rues, dans les maisons, partout où je les ai rencontrés ; si l’un d’eux m’avait échappé et qu’il fût là, je le poignarderais sous vos yeux[15]. » Elle résulte encore d’une lettre trouvée dans les archives de la petite commune d’Aubussargues[16], lettre écrite au maire, qui dépeint à merveille le personnage qu’une gravure du temps nous représente en uniforme d’officier de la garde nationale, portant son tricorne en bataille, avec une énorme cocarde blanche, et qui s’en allait dans les campagnes, dépouillant les habitations, maltraitant les gens, menaçant ceux qui n’obtempéraient pas sur-le-champ à ses exigences. Cette lettre dont le texte est sous nos yeux, toute criblée de fautes d’orthographe, fait allusion aux mauvais traitemens que le signataire a subis à Aubussargues, après la capitulation de la Palud, et réclame 50 francs qui lui auraient été dérobés et 150 francs pour l’indemniser de la perte de son équipement. Elle se termine comme suit : « Monsieur le maire, au défaut de ne vouloir pas me faire restituer, cet que je reclame et qui ma été volet, je me permetré de venir en personne avec ordre, et de force, je me ferait rendre pièce à pièce et pour éviter cette incendie, veulliet bien me l’envoyer de suite : Le capitaine dit TROIX TAILLION, JACQUES DUPONT. » Voilà bien le langage du chef de bandes qui dicte ses conditions. Il n’est question là ni des propriétés ravagées ni de la femme outragée. On est en présence d’un brigand qui ne sert la cause royaliste que pour faciliter l’exercice de son criminel métier[17], dont il faut voir l’inspiration dans presque toutes les atrocités qui ensanglantèrent Nîmes à dater de ce jour, et qui plus qu’aucun de ses pareils a contribué, son impunité aidant, à donner aux événemens que nous racontons l’odieuse physionomie qu’ils ont gardée jusqu’à nous.

Nous avons dit qu’en quittant Nîmes le général Gilly avait laissé dans les casernes, où elle s’était fortifiée, une partie de la garnison composée de soldats attachés à l’empereur, enivrés du souvenir de sa gloire, dont ils avaient leur part, et que sa chute exaspérait. Témoins de l’irritation qui s’empara de la ville délivrée et qu’aggravaient leur résistance et leur attitude menaçante, ils en subissaient le contre-coup. Une collision devenait imminente entre eux et la population, dont un grand nombre de paysans royalistes était venu exciter les ardeurs. Les hommes modérés qui conservaient encore quelque autorité entreprirent d’apaiser les esprits et ouvrirent avec le général de Maulmont, disposé à entrer dans leurs vues, des négociations ayant pour but d’éviter l’effusion du sang et de faire disparaître une batterie d’artillerie dressée devant les casernes. Le général de Maulmont consentit à livrer ses canons à une compagnie d’élite de la garde nationale, qui s’était formée sous le commandement du maire pour assurer le maintien de l’ordre. Mais dans la journée du 17 juillet, devant la foule houleuse massée sur la place, des casernes et que ne parvenaient pas à contenir quelques gendarmes effrayés de leur petit nombre, les soldats placés aux croisées, soit que cette foule les eût provoqués, soit que la convention consentie par leur général les eût affolés, sautèrent sur leurs fusils et firent, sans avoir reçu des ordres, une décharge générale. Douze personnes tombèrent, onze tuées sur le coup, une blessée mortellement[18]. La place fut vide en un instant. La foule, réfugiée dans les rues voisines, poussait des cris de vengeance. Il y eut encore des coups de feu qui blessèrent plusieurs personnes et tuèrent deux soldats. Le tocsin sonnait à toutes les églises. La municipalité envoyait en toute hâte des messagers à Beaucaire et à Uzès, sollicitant des secours afin d’arrêter la guerre civile. Grâce à l’intervention du général de Maulmont et à la fermeté de quelques officiers, la garnison capitula vers le soir. Les soldats brisèrent leurs armes, déchirèrent leurs drapeaux, enclouèrent les canons, jetèrent les munitions dans un puits, tandis que le général stipulait que les officiers garderaient leur épée. Le départ de la garnison devait avoir lieu dans la nuit. A trois heures, elle sortit des casernes en bon ordre, ayant à sa tête le général de Maulmont, et défila silencieusement devant un assez grand nombre de spectateurs. Tout à coup des hommes de mauvaise mine se mirent à injurier les sous-offîciers, en leur disant qu’ils n’avaient pas le droit de conserver leurs sabres, et deux détonations se firent entendre comme un signal. Aussitôt on se précipita sur ces soldats sans défense ; trente environ furent tués ou blessés, et parmi eux plusieurs officiers dont un commandant, qui d’ailleurs reçut des soins et fut sauvé[19]. Les malheureux s’enfuirent de tous côtés. Plusieurs furent recueillis chez des habitans d’où on les fit partir déguisés. Le général de Maulmont, dont la vie avait été menacée, parvint à en rallier un grand nombre et à atteindre avec eux le Pont-Saint-Esprit, où ils reçurent des secours du comte de Vogué, devenu, depuis vingt-quatre heures, maître de la citadelle sans coup férir, le général Cassan, qui s’y était réfugié, lui ayant livré cette position, qu’il ne pouvait plus défendre.

Le regrettable événement des casernes est le dernier auquel on puisse attribuer le caractère de fait de guerre civile. Les meurtres subséquens furent de véritables assassinats commis par des bandes isolées que commandaient les sinistres personnages que nous avons nommés et qui ne rencontrèrent que trop d’adhérens dans la lie du peuple et parmi les nombreux individus étrangers à la ville, venus, à la faveur des troubles, pour piller et voler.

L’armée de Beaucaire fit son entrée le lendemain suivie des gardes nationales d’Arles et de Tarascon ainsi que d’un grand nombre de paysans. Les hommes de désordre n’attendaient que ce moment. Ils étaient libres ; ils se répandirent dans la ville sans qu’on pût les arrêter. Plusieurs maisons appartenant les unes à des catholiques, les autres à des protestans, furent pillées, notamment celles des généraux Gilly et Merle. On alla briser les meubles du café militaire. Chez un banquier royaliste, quoique protestant, dont le fils avait suivi le duc d’Angoulême pendant les Cent jours, les bureaux furent envahis. On y trouva un coffre-fort que l’on crut rempli d’or et qui ne contenait en réalité que des pièces de deux sous. On tenta vainement de l’ouvrir. Le comte de fierais, étant accouru, le fit transporter à la mairie. Les honnêtes gens épouvantés songèrent alors à se défendre et parvinrent à pacifier l’intérieur de la ville. Mais les émeutiers allèrent continuer leurs excès dans les faubourgs. Deux cultivateurs[20], auxquels on attribuait des opinions bonapartistes, furent massacrés dans leur vigne ; des femmes protestantes, au nombre d’une douzaine, insultées et frappées comme fustigées à coups de battoirs armés de clous dessinant des fleurs de lis. Nous croyons qu’il faut ranger ce trait parmi les légendes.[21]. Puis les assassins portèrent la terreur dans les villages environnans. Ils pillèrent dans la commune de Bouillargues la maison d’un magistrat, qui fut lui-même arrêté et ramené à Nîmes en voiture, entouré d’une bande d’énergumènes ; à Vaqueyrolles, une propriété qu’ils essayèrent d’incendier et où, croyant découvrir un trésor, ils déterrèrent le cadavre d’une petite fille de dix ans, dont l’odeur arrêta leurs recherches sacrilèges. Ces méfaits nécessitèrent l’intervention de la force armée. Le général de Barre se rendit sur les lieux avec des gardes nationaux, lesquels, ayant aperçu sur leur route un individu qui fuyait devant eux[22], et en qui ils reconnurent un fédéré, tirèrent sur lui et le tuèrent. Ce meurtre accompli par des hommes auxquels était confié le maintien de l’ordre et dont leurs officiers ne pouvaient détourner la main suffit à révéler l’état anarchique de ce malheureux pays. Que les autorités se montrassent impuissantes à apaiser l’exaltation des royalistes, à contenir l’agitation de la Gardonnenque et des Cévennes, cela peut à la rigueur se comprendre, mais qu’avec l’appui d’une ville remplie d’honnêtes gens armés elles ne soient point parvenues à emprisonner une poignée de malfaiteurs, comment l’expliquer, si ce n’est par un triste défaut d’énergie, par la peur que leur inspiraient les élémens violens de la garde nationale ou par une complaisance naturelle qui les disposait à ne voir dans les assassinats qu’elles auraient voulu arrêter qu’une regrettable initiative du peuple se faisant justice ? Le 21 juillet, deux autres individus[23] périrent sous les coups des associés de Truphémy et de Trestaillons. La journée du 24 fut encore signalée par un meurtre qu’une troupe armée commit sur la personne d’un garçon boulanger absolument inoffensif[24]. Le 27, un ancien sergent de ville[25], arrêté chez lui par des gardes nationaux, conduit devant le commissaire de police et renvoyé par ce dernier à la mairie, fut tué en route, malgré les supplications et les larmes d’une jeune fille, sa nièce, qui s’efforçait d’attendrir les exécuteurs. Enfin, le lendemain matin, le conseil de guerre institué par les autorités provisoires pour atteindre quelques bonapartistes, condamna à mort un capitaine à la demi-solde, qui fut exécuté le même jour[26], quelques heures avant l’arrivée à Nîmes de l’ordonnance du 24 juillet, qui, sauf diverses exceptions qu’elle énumérait, amnistiait les actes accomplis pendant les Cent jours. Durant les jours précédens, le maire avait retiré à Trestaillons le commandement de sa compagnie et incorporé celle-ci dans la garde nationale. Malheureusement il n’osa éloigner l’ancien miquelet, qui garda son uniforme et ses épaulettes et put continuer ses exploits dans la ville et surtout dans les environs, à la faveur des nombreuses expéditions qui avaient lieu dans la Gardonnenque, afin de soumettre et de pacifier cette contrée.

Cependant le gouvernement, qui avait hâte de substituer partout un état définitif à l’état provisoire créé par les commissaires extraordinaires du roi, et qui comprenait que ceux-ci n’étaient que trop disposés à partager les passions des populations parmi lesquelles ils vivaient, révoqua leurs pouvoirs, ce qui causa dans la plupart des départemens un conflit presque immédiat. Il désigna pour aller occuper la préfecture du Gard le marquis d’Arbaud de Jouques, ancien préfet de La Rochelle, dont on vantait la modération et la fermeté. Ce fonctionnaire, arrivé à son poste le 29 juillet, se heurta contre un obstacle inattendu : la résistance du comte de Bernis et du préfet provisoire, marquis de Calvières, lesquels tenant leurs pouvoirs du duc d’Angoulême ne voulurent pas s’en dessaisir. Dès le 21 juillet, M. de Calvières, en apprenant qu’un successeur lui était donné, écrivait au ministre de l’intérieur : « Nommé par M. le commissaire à la même préfecture, le 3 juillet courant, j’ai tout exposé et tout sacrifié pour le service du roi et le bien de mon pays. Je supplie votre excellence de me faire parvenir les ordres du roi à cet égard. Je pense de mon devoir, dans les circonstances présentes, d’attendre la décision de sa majesté[27]. » Le marquis d’Arbaud de Jouques arriva à Nîmes avant la réponse sollicitée par le marquis de Calvières, et ce dernier refusa de lui céder son poste. Au lieu d’exiger une soumission immédiate, M. d’Arbaud de Jouques résolut de se rendre à Toulouse auprès du duc d’Angoulême, afin de le faire juge des prétentions du préfet provisoire. Il partit en même temps que M. de Bernis, après avoir fait afficher une proclamation rappelant énergiquement tous les citoyens au respect des lois, et dans laquelle malheureusement il semblait reconnaître, non la légitimité des crimes commis au nom de la cause royale, mais la légitimité des colères qui les avaient fait commettre. Son départ, qui fut ultérieurement blâmé comme un acte de faiblesse par le ministre de l’intérieur, favorisa de nouveaux désordres. La population ne prenait pas aisément son parti de la révocation du marquis de Calvières, qu’elle considérait comme une manœuvre révolutionnaire et une injure aux chefs royalistes qui possédaient sa confiance. Plusieurs crimes ensanglantèrent la ville, le 1er août, — journée funeste qui vit tomber plusieurs victimes, et de laquelle un témoin, dont les lettres figurent dans les documens officiels, écrivait : « J’ai vu, le 1er août, trois hommes arrachés de leur demeure par la garde nationale et fusillés sur le seuil de leur porte… On ne leur donnait pas le temps de faire leur prière. Le sous-préfet estime à quinze le nombre de personnes qui ont péri. »

C’est ce jour-là que Truphémy commit le meurtre qui le fit plus tard condamner. Il y avait à Nîmes un grand nombre d’officiers en retraite, et parmi eux, un ancien capitaine des armées de la république, nommé Bouvillon, que Truphémy résolut de mettre à mort, bien qu’il ne le connût même pas. Accompagné d’un peloton de six hommes armés comme lui, il se présenta dans la maison où l’ex-officier, qui se savait menacé, s’était réfugié avec sa femme et la sœur de celle-ci. A midi, heure du dîner, Truphémy entra brusquement dans la salle où Bouvillon prenait son repas avec sa famille. « Est-ce bien celui-là ? » demanda-t-il à l’un des compagnons. Sur la réponse affirmative de ce dernier, il somma Bouvillon de le suivre, sans lui permettre même de mettre ses guêtres. Les personnes présentes s’interposèrent ; mais Truphémy les menaça, maltraita la femme de l’ancien capitaine, qui s’était jetée devant son mari, et arrêta ce dernier en lui disant : « Marche, coquin, et ose crier maintenant : Vive l’empereur ! — Je n’ai jamais servi l’empereur, répondit Bouvillon ; je suis en retraite depuis douze ans. » On l’entraîna à travers les rues. Truphémy, que deux de ses compagnons venaient d’abandonner quand ils avaient su qu’il s’agissait de fusiller un innocent, précédait son prisonnier, qu’entouraient quatre hommes, et obligeait, avec force injures, les gens qu’il rencontrait à s’éloigner au plus vite. Quand la petite troupe fut arrivée sur la promenade de l’esplanade, Truphémy se retourna vers sa victime : « Va en avant, » lui cria-t-il. Bouvillon obéit. Dès qu’il eut fait trois pas, le boucher lui tira un coup de fusil dans le dos ; plusieurs détonations retentirent, mêlées aux cris de « Vive le roi ! » Bouvillon tomba mort. Truphémy s’avança vers le corps, prit le chapeau, dont il se coiffa, laissant le sien à la place ; puis il s’éloigna avec ses complices, et le cadavre resta là, pendant plusieurs heures, tandis que pour le voir se succédaient nombre de gens dont les uns exprimaient leur horreur pour cet assassinat, dont les autres l’approuvaient, tous désignant Truphémy comme le coupable, sans que l’autorité songeât à l’arrêter, quand il eût été si facile de constater le flagrant délit. Nous avons raconté ce fait avec quelques détails[28], parce qu’il donne une idée de tous les autres. Le même jour, un compagnon de Bouvillon, retraité depuis l’an IX[29], fut tué au moment où il sortait de la ville. L’auteur du meurtre demeura inconnu ; toutefois, il est permis de croire que ni Truphémy ni Trestaillons n’y furent étrangers, car ils chassèrent de chez elle la veuve Saussine, et le second installa sa sœur dans le logement devenu vacant. Cinq autres individus, cultivateurs et ouvriers, périrent le même jour[30]victimes de vengeances analogues, sans qu’aucune poursuite vînt mettre un terme à l’effusion du sang et arrêter l’œuvre des criminels.

Cette inertie ne peut s’expliquer que par la terreur qui pesait sur la ville et dont, en l’absence du préfet, les autorités ressentaient les effets. Ce qui le démontre, c’est que le 19 août, au moment même où le marquis d’Arbaud de Jouques, revenu de Toulouse, prenait définitivement possession de la préfecture, et cette fois avec, le concours dévoué de MM. De Berniset de Calvières, dix personnes furent encore assassinées dans les faubourgs, les unes à coups de fusil, les autres à coups de sabre. Dans le nombre se trouvaient deux femmes[31], que la rumeur publique accusait d’avoir dénoncé des royalistes pendant les Cent jours. Des paysans envahirent leur domicile dans la nuit. L’une d’elles s’empara d’un pistolet et les menaça. Elle fut tuée d’un coup de sabre, et comme l’autre injuriait les assassins, ils la frappèrent aussi.

Les crimes de cette nuit, contre lesquels protestèrent les officiers de la garde nationale et dont ils s’efforcèrent d’empêcher le retour, non en recherchant les coupables, mais en faisant eux-mêmes des rondes durant les nuits suivantes, eurent par toute la France un profond retentissement. Ce qui les caractérisait, c’est qu’ils avaient été commis à la veille des élections, comme si les royalistes, redoutant des candidatures rivales, eussent voulu éloigner, par la terreur, les électeurs protestans. Le 23 octobre suivant, M. Voyer d’Argenson dénonçait à la chambre introuvable ce qu’il appelait le massacre des protestans du Midi. Plus tard, le 20 mars 1819, M. de Saint-Aulaire prétendit que les élections du Gard, en 1815, avaient été faites sous les poignards et qu’un grand nombre de protestans n’avaient osé voter. Enfin, en 1820, dans une pétition fameuse, M. Madier de Montjau, alors conseiller à la cour de Nîmes, faisant allusion aux mêmes événemens, accusa le parti royaliste de s’être fait complice de seize assassinats commis contre les protestans et traça de la nuit du 19 août le plus sinistre tableau, à travers lequel circulait un tombereau trois fois chargé de cadavres. Depuis, les historiens se sont emparés de ces assertions, les uns pour les affirmer, les autres pour les contredire. Des électeurs protestans ont déclaré qu’ils avaient voté librement ; d’autres, que l’accès du scrutin leur avait été interdit. La vérité est entre ces affirmations contraires.

Dans les huit jours qui précédèrent et suivirent les élections, douze individus moururent de mort violente, onze, le 19 août, — ceux dont nous avons parlé, — et un le 25, l’abbé Desgrigny. Ce dernier seul était électeur ; c’est même en revenant de Nîmes, où il s’était rendu pour voter, et en rentrant chez lui, à la campagne, qu’il fut frappé par une main inconnue. Aucun électeur protestant ne périt. Il est cependant difficile de croire que tant de sang versé par des mains royalistes n’ait pas eu pour résultat de retenir dans leur retraite ceux qui se croyaient menacés. Comment expliquer d’ailleurs que, sans motifs avouables, sans provocation, de si nombreux crimes aient été commis le même jour, quand on espérait que la période des réactions sanglantes était close ? N’est-on pas en droit de prétendre que les scélérats contre lesquels l’autorité n’osait sévir trouvèrent un prétexte dans l’approche des élections pour ajouter à leurs précédens forfaits ceux de la nuit du 19 août, et que dans la Gardonnenque, où les protestans étaient en majorité, où la présence des réfugiés de Nîmes et d’Uzès entretenait une extrême fermentation, l’abbé Desgrigny tomba sous les coups d’une réaction, hélas ! trop naturelle ? L’étude impartiale des récits et des documens contemporains enlève toute vraisemblance à une autre appréciation.


III

Tandis que ces événemens se déroulaient dans Nîmes, la petite ville d’Uzès, à quelques lieues de là, était aussi le théâtre de tragiques péripéties. Plus rapprochée que Nîmes des communes dans lesquelles la population protestante est en majorité, elle ressentait plus vivement le contre-coup de leur agitation, qui se traduisait, nous l’avons dit, par des rassemblemens qu’on accusait le général Gilly d’avoir formés. En outre, Uzès avait aussi son terroriste. Il se nommait Jean Graffand et ne tarda pas à être désigné sous le sobriquet de Quatretaillons, par allusion au bandit nîmois dont il surpassa la cruauté. Ancien soldat, il avait quitté le service en 1810, était devenu garde champêtre dans l’une des communes de l’arrondissement d’Uzès, puis garde des eaux et forêts. Volontaire dans l’armée du duc d’Angoulême, il se trouvait à Uzès dans le courant de juillet et prit une part active aux premières exactions dont cette ville fut témoin, après la seconde rentrée du roi, comme aux crimes qui l’ensanglantèrent en août et qui eurent un caractère plus odieux encore que ceux de Nîmes. « Ce fut pour l’exécution, a dit un témoin, le personnage le plus marquant dans l’histoire de nos malheurs. Chef de ces brigands audacieux qu’aucun frein n’arrêtait, dont la présence était le signal du carnage, de la dévastation et de la mort, catholiques et protestans furent également victimes de sa férocité[32]. » Il se contenta d’abord de s’associer aux malfaiteurs qui pillèrent en moins de dix jours trente-six maisons ; puis il prit goût à ce métier lucratif. Dans la journée du 3 août, au milieu de troubles qui précédaient une nuit tristement mémorable, laquelle apparaît à trois siècles de distance comme une réduction de la Saint-Barthélémy, on vit Jean Graffand, suivi de quelques individus armés, dociles à ses ordres, violant le domicile de plusieurs citoyens, y prenant de force des objets à son gré, exigeant de ses victimes des sommes qui variaient de 50 francs à 2,000 francs, procédant à des arrestations arbitraires, tirant sur un individu qui lui échappait, lui criant : « Coquin, tu n’auras rien perdu pour attendre[33], » bravant le sous-préfet, le maire, le commandant de place, tous les fonctionnaires affolés par la peur, et ameutant la populace contre les citoyens qui avaient manifesté quelque sympathie pour le gouvernement impérial. Enfin une femme à laquelle il voulait extorquer une somme considérable trouva moyen de se dérober à sa surveillance, tandis qu’il dévastait sa demeure, courut à la mairie, réclama du secours et fit rougir de leur faiblesse les autorités, qui se décidèrent à agir. Un adjudant-major de la garde nationale arrêta Jean Graffand et le conduisit à la maison d’arrêt, déjà remplie de prisonniers, paysans des environs ou habitans de la ville, détenus depuis quelques jours par le parti vainqueur, à la suite des rassemblemens de la Gardonnenque. Mais, dès que la nouvelle de cette arrestation fut connue dans Uzès, une foule furieuse se porta devant la mairie et devant la prison, réclamant Graffand à grands cris, exigeant sa mise en liberté. Le maire s’y refusa d’abord ; puis, le tumulte grossissant, il céda, à la condition que le prisonnier serait conduit à la caserne et y resterait sous la surveillance du peuple. On feignit d’accéder à cette condition et d’enfermer Graffand ; mais au bout de quelques instans, il fut mis en liberté et put reprendre la série de ses méfaits, qui ne faisait que commencer quand on l’avait interrompue.

Il était environ huit heures du soir. Les passions, surexcitées par les incidens de la journée, par des provocations involontaires ou voulues, semblaient chercher un prétexte et un but, quand le bruit se répandit qu’un ouvrier royaliste[34] venait d’être tué d’un coup de fusil. La populace attribua ce meurtre à un boulanger nommé Meynier, qui depuis la fin des Cent jours avait été l’objet des plus mauvais traitemens de la part des forcenés par lesquels le parti royaliste était déshonoré. A la fin de juin, il avait été obligé de s’enfuir ; puis, quand il était revenu dans la ville, on l’avait emprisonné. Sa femme réclamant sa mise en liberté, un fonctionnaire avait eu la cruauté de lui répondre : « Va, n’y compte plus ; il est perdu, » et à la prière même du prisonnier, elle s’était réfugiée dans les environs. Meynier cependant était parvenu à sortir de prison. Libre depuis quelques jours, le meurtre de Pascalet, dans la soirée du 3 août, le désigna aux fureurs de la foule. Elle envahit sa maison, dans laquelle il se trouvait avec son père et son frère. Une femme qui partageait leur repas essaya de démontrer leur innocence. Elle fut pourchassée, obligée de fuir, se vit refuser asile chez des voisins, et ne se sauva qu’en allant se cacher au fond d’un puits desséché, après avoir reçu un grain de plomb dans le corps. Pendant ce temps, on massacrait Meynier père et ses deux fils. L’un de ceux-ci n’expira qu’au cinquième coup de fusil. L’autre ayant demandé un prêtre : « Les brigands ne se confessent pas, » lui répondit-on[35]. Le lendemain, la veuve de Meynier, rentrant dans la ville après avoir erré plusieurs jours dans les environs, apprit son malheur de la bouche de femmes qui la cherchaient pour la rassurer et qui la prirent sous leur protection, mais en lui déclarant que le supplice des siens était mérité et qu’elle porterait le deuil « de trois brigands. » Elle arriva enfin chez elle, et put constater le pillage de sa demeure.

Dans la même soirée, un vieillard nommé Court fut assassiné dans son lit. Son fils, ancien soldat, avait le matin même quitté Uzès pour se rendre aux eaux de Vals, dans l’Ardèche. Quand il revint deux mois plus tard, il rencontra Graffand, son ancien camarade de régiment, qui lui devait la vie et qui, après lui avoir dit qu’il n’était pour rien dans la mort de son père, lui offrit aide et protection, et ajouta : « Tous les bonapartistes, protestans ou catholiques, mourront de ma main, y compris les enfans. — Je suis protestant, répliqua le fils Court ; ta protection ne peut être franche. — Voici deux pistolets. Il y en a un pour toi, un pour les autres. — Donne donc, tu verras si je sais mourir. — Tu ne m’as pas compris, reprit Graffand, ce pistolet est pour te défendre et non pour te tuer. Je n’oublie pas qu’autrefois je t’ai dû mon salut. » C’est le seul trait que les documens officiels nous fournissent à l’éloge de Graffand. En revanche, que de crimes ils nous révèlent ! Dans la même nuit, un homme et trois femmes sont encore assassinés[36] ; les pillages s’étendent à dix maisons ; de toutes parts fuient des malheureux poursuivis et menacés. La part de Jean Graffand est considérable dans ces forfaits, constatés par des actes judiciaires qui sans doute ne les ont pas tous relatés[37].

Les détails qui précèdent permettent de se rendre compte de la terreur qui régna dans Uzès durant cette nuit. Le matin venu, ce fut pis encore, et un crime plus épouvantable vint en accroître l’horreur. En quittant la prison dans laquelle il était resté détenu pendant quelques heures, Graffand avait proféré des menaces contre les prisonniers qui s’y trouvaient et qu’il avait terrifiés. Le portier de la prison, un honnête homme nommé Pichon, partageait leurs appréhensions. Elles furent confirmées par la visite du commissaire de police qui se présenta au milieu de cette nuit terrible, afin d’obtenir la mise en liberté d’un prisonnier auquel on n’avait rien à reprocher et qu’on n’avait emprisonné que pour le soustraire aux fureurs populaires déchaînées contre lui parce qu’il n’était pas royaliste. Ce magistrat ne dissimula pas les périls qui, selon lui, menaçaient les détenus. Aussi, après avoir remis entre ses mains, au risque de se compromettre, l’individu qu’il s’agissait de sauver, le portier Pichon se décida à aller invoquer pour les autres la protection du commandant de place[38]. Admis en présence du représentant de l’autorité militaire, Pichon lui fit part de ses craintes, et le dialogue suivant eut lieu entre eux : « Pichon, voulez-vous périr ? — Non, monsieur. — Eh bien ! ni moi non plus. Ces gens doivent être fusillés à dix heures. — Par quel ordre ? — Sans ordre ; mais n’essayez pas de l’empêcher, il y va de votre vie. — Si je les livre, je me compromettrai. — Le peuple le veut ; vous n’avez rien à craindre. » A dix heures précises, des gens armés, conduits par Graffand, vinrent pour s’emparer de six personnes, — trois catholiques et trois protestans, — qu’on désigna par leurs noms à Pichon[39]. Le portier se défendit, exigea un ordre écrit, et se fit traîner chez le commandant de place, qui le lui refusa, en disant : « Obéissez, le peuple le veut. » Dépourvu de tout moyen de défense, Pichon dut laisser emmener ces malheureux, qui furent conduits au supplice, deux par deux, et fusillés sur l’esplanade, sans que personne tentât de les arracher aux mains des assassins, à l’exception d’un prêtre, l’abbé Payen, qui se traîna aux pieds de ceux-ci, mais ne put les fléchir, et que quelques âmes charitables éloignèrent dans la crainte que Graffand ne fit feu sur lui pour se débarrasser de ses supplications.

Pendant qu’on mettait à mort les deux premiers prisonniers, un des autres était parvenu, avec l’aide de Pichon, à se cacher dans une cellule. Il fut dénoncé par un détenu condamné à un an d’emprisonnement pour escroquerie et qu’on menaça de mort pour le faire parler. Quand les exécutions furent terminées, les assassins revinrent vers la prison pour y trouver d’autres victimes, en disant : « Il ne faut pas qu’un seul de ces brigands puisse s’échapper. » Mais cette fois Pichon fut assez heureux pour sauver les individus confiés à sa garde, en alléguant que le juge d’instruction ne les avait pas encore interrogés. « On n’aura rien à nous reprocher, objecta Graffand en se retirant ; il y avait trois catholiques et trois protestans. » A la suite de cet événement, la ville resta sous l’empire d’une stupeur qui se prolongea pendant plusieurs jours. Ainsi, à Uzès comme à Nîmes, la faiblesse des autorités favorisait la criminelle audace des scélérats. Elle justifiait en même temps l’irritation des communes voisines, qui pouvaient, au spectacle de ces horreurs, invoquer le droit de la légitime défense. Une conflagration devenait imminente, car les masses étaient prêtes à en venir aux mains.

Les Autrichiens occupaient alors la Provence et le Languedoc ; mais ils n’avaient pas encore pénétré dans le Gard. L’état du département les décida à intervenir. Le département des Bouches-du-Rhône étant écrasé par l’occupation, le préfet de Marseille ne fit aucun effort pour les détourner d’un dessein qui donnait à la cause de l’ordre dans le Gard un pareil secours et allégeait les contrées provençales de l’entretien de 5,000 ou 6,000 hommes. M. d’Arbaud de Jouques protesta en déclarant que ses administrés, obérés, ne pourraient pourvoir aux dépenses de l’occupation. Mais les Autrichiens ne tinrent aucun compte de ses protestations, et, le 23 août, ils entraient dans Nîmes, sous les ordres du général prince de Stahremberg, précédés d’une proclamation de ce dernier, disant qu’il venait « pour assurer la tranquillité et la sécurité, dans toutes les parties du département, à chaque bon habitant du Languedoc, de quelque classe et de quelque religion qu’il fût. » Le préfet se vit obligé de lever aussitôt une contribution additionnelle de 20 centimes au principal de l’impôt foncier. Mais, quelques jours après, il parvint, par son énergie, à épargner au département la lourde charge de l’habillement de 5,000 hommes que le comte Choteck, intendant-général, entendait lui imposer. « Vous me ferez un bien sensible plaisir, disait le comte Choteck, à la fin d’une lettre d’ailleurs très courtoise, en m’épargnant des mesures de force désagréables auxquelles j’ai été autorisé et que je devrais employer, bien malgré moi, sous ma responsabilité personnelle. » À cette mise en demeure, le préfet répondit par une fin de non-recevoir que justifiait la misère publique constatée par la chambre de commerce. Puis il ajoutait : « Il me serait impossible de jamais présumer que de si braves troupes et d’une nation renommée pour sa loyauté, qui se sont présentées au milieu d’une population accablée de tous les maux comme des protecteurs et des alliés, et ont été reçus et traités comme tels, puissent abandonner un rôle si honorable et même si utile pour elles. Quant à moi, premier magistrat, institué par le roi mon maître, chef de ce département, lorsque j’ai accepté une mission si pénible, dans des circonstances si orageuses, j’ai dévoué totalement dès lors au service de mon roi et au salut de la portion de ses peuples qu’il confiait à mon administration mes intérêts personnels, mon indépendance, ma liberté, ma vie même, et à côté de si grands devoirs, tous ces objets m’ont paru bien peu de chose et me sont devenus fort indifférens[40]. » Aussi habile que l’autorité civile était ferme, l’autorité militaire put faire partir pour Cette tout le matériel militaire qui se trouvait sur le passage des Autrichiens et dont ils étaient pressés de s’emparer.

Malgré les exigences des Autrichiens qui ne cessèrent que lorsqu’ils partirent, le préfet du Gard dut se féliciter dès le lendemain de leur arrivée d’avoir à sa disposition cette force imposante, étrangère aux passions des deux partis. Ce jour-là, un escadron des chasseurs d’Angoulême, dirigé de Nîmes sur Alais, afin de faire de la place aux troupes étrangères et commandé par M. de Saint-Victor, fut menacé en route par une bande de paysans de la commune de Ners, située à cinq lieues du chef-lieu, rendez-vous des divers détachemens des gardes nationales de la Gardonnenque et des Cévennes. Le capitaine de Cabrières s’avança au-devant d’eux pour les haranguer et les inviter à se disperser. L’ancien maire de Ners s’était joint à lui. Ils tuèrent ce dernier ainsi qu’un cavalier et blessèrent assez grièvement l’officier. L’escadron, composé de jeunes soldats, n’osa tenter de passer. Les uns se réfugièrent à Uzès, les autres revinrent à Nîmes, où l’on craignit une marche en avant des bandes, exaltées par ce facile succès, et poussées par quelques chefs inconnus. Le préfet publia alors un arrêté dans lequel signalant, comme la cause de ces désordres, la présence dans la Gardonnenque d’un grand nombre de déserteurs et de fédérés de Nîmes, de Montpellier, d’Avignon, d’Arles et de Tarascon, il prescrivait l’envoi sur les lieux d’une force royale, appuyée par les Autrichiens, chargée de chasser des communes les étrangers et de réorganiser partout les gardes nationales. En exécution de cet arrêté, 800 Tyroliens, sous les ordres du général de Stahremberg, sortirent de Nîmes, avec les chasseurs d’Angoulême. Au-delà de Ners, ils trouvèrent les rebelles rangés en bataille, qui tirèrent sur eux en les voyant, leur tuèrent quatre soldats et en blessèrent neuf. Une charge générale dispersa ces guerriers improvisés. Ils laissèrent soixante des leurs sur le sol et trois prisonniers aux mains des Autrichiens. Ramenés à Nîmes, le 25 août au matin, jugés en quelques instans par une cour martiale, ces trois individus furent fusillés sur l’ordre du général de Stahremberg, qui prévint le marquis d’Arbaud de Jouques qu’il les avait traités conformément au code militaire autrichien, non comme des prisonniers de guerre, mais comme des révoltés. Pendant ce temps, la colonne autrichienne parcourait la Gardonnenque et la Vaunage, en chassait les meneurs, et désarmait les bandes. Quatorze individus furent encore fusillés pour avoir voulu leur résister[41]. Les Autrichiens, qui, sous prétexte d’aider à rétablir le calme dans les contrées du Midi, ne cherchaient qu’à s’avancer jusque vers les Pyrénées, occupaient à la fin du mois d’août tout le département du Gard, menaçant l’Hérault et la Lozère. Pour arrêter leur marche, il fallut l’intervention ferme et directe du duc d’Angoulême, qui obtint d’abord qu’ils n’iraient pas plus loin, et ensuite qu’ils évacueraient le département.

Cette même journée du 25 août fut signalée à Uzès par un nouveau crime de Jean Graffand. Durant la soirée de la veille, Trestaillons était arrivé dans cette ville, et, son arrivée coïncidant avec la marche des. Autrichiens sur Ners, les autorités craignirent avec raison qu’elle servît de prétexte à quelque conflagration, surtout si, à la faveur de l’agitation générale, Jacques Dupont et Jean Graffand parvenaient à s’entendre pour frapper encore des innocens. N’osant arrêter ce dernier, elles résolurent de l’éloigner. A dix heures du soir, il reçut l’ordre de se porter à la rencontre des Autrichiens et de se mettre à leur disposition comme éclaireur. Il accepta cette mission, s’adjoignit trente-cinq hommes, se fit délivrer dix paquets de cartouches, un drapeau blanc et partit, monté sur le cheval d’un pasteur protestant, qu’il venait de dérober. Au-delà d’Uzès, il changea d’itinéraire, et, au lieu de chercher à rejoindre les Autrichiens, il se porta sur la commune de Saint-Maurice, dont les habitans avaient organisé des patrouilles pour se garder. Une de ces patrouilles entendit le bruit de la troupe de Graffand et se replia sur le village ; mais elle fut poursuivie et atteinte avant d’y rentrer. « Rendez les armes, lui cria-t-on, on ne veut vous faire aucun mal. » Six de ces pauvres gens se laissèrent désarmer et arrêter, tandis qu’au cri de Qui vive ! qui leur était adressé, les autres répondaient : « Patrouille de Saint-Maurice. » À ces mots, Graffand ordonna une décharge générale qui ne les atteignit pas. L’un d’eux fit alors quelques pas en avant pour reprocher à Graffand sa conduite : « Qui êtes-vous ? demanda celui-ci. — Je suis royaliste. — Bah ! vous vous dites tous royalistes aujourd’hui, » répliqua le brigand. Il déchargea son pistolet sur le paysan, qui tomba baigné dans son sang. Ses compagnons prirent la fuite. Graffand ne jugea pas opportun de les poursuivre et se dirigea, suivi de ses prisonniers, vers la commune de Montaren, où il arriva au lever du jour et où ses hommes voulurent s’arrêter pour manger.

A défaut d’auberge, ils envahirent une maison où ils ne trouvèrent qu’une femme qui leur déclara qu’elle était hors d’état de les nourrir. « Donne toujours ce que tu as, lui répondit-on ; il t’en restera bien assez pour vivre jusqu’à demain. Nous viendrons te chercher ton mari et toi, et vous subirez le sort de ceux que nous conduisons. » Elle dut obtempérer à leur volonté. Tandis qu’elle les servait, elle reconnut un de ses cousins parmi les prisonniers et eut le courage de demander sa mise en liberté. « Allons donc ! s’écria Graffand, c’est le pire de tous ! » Un de ses compagnons ajouta : « Nous allons les fusiller ici. » Cette menace répandue dans le village fit accourir le curé, l’abbé Goirand de Labaume, qui intercéda pour les prisonniers. « On ne doit pas se faire justice soi-même, dit-il ; s’ils sont coupables, la justice les punira. — Ils ont mérité de mourir, monsieur le curé, s’écria Graffand, mais par égard pour vous, je consens à retarder leur supplice jusqu’à Uzès. » Puis il remonta à cheval et donna l’ordre du départ, après avoir enjoint au crieur public de marcher devant lui, avec son tambour. On se mit en route. Les prisonniers étaient attachés deux par deux, à l’aide d’une corde que Graffand s’était fait donner par un épicier, en lui disant : « L’empereur te payera quand il passera. » La troupe arriva dans Uzès à sept heures. Au bruit du tambour, la foule accourut, et, comme Graffand disait qu’il allait en finir avec les ennemis du roi, elle suivit ces malheureux, en les couvrant de menaces et d’injures, Quelques chasseurs d’Angoulême qui se trouvaient là formèrent l’état-major de Jean Graffand. Le cortège arriva ainsi sur l’une des places publiques d’Uzès, où une fusillade générale dirigée brusquement dans le tas des prisonniers les mit à mort. Un témoin a tracé devant le juge d’instruction un tableau saisissant de cette scène, qui nous montre les victimes expirant dans d’atroces convulsions, au milieu des cris de joie d’une plèbe féroce et d’une douzaine de cavaliers caracolant autour d’eux dans un nuage de poussière et de fumée[42].

Cette tragédie marqua la fin des désordres d’Uzès, où les Autrichiens qui occupaient la Gardonnenque envoyèrent, le 28 août, un détachement. Le marquis d’Arbaud de Jouques prit publiquement l’engagement de réprimer les passions dans tous les partis, et de punir les actes arbitraires, quels que fussent leurs auteurs. Il ordonna au comte de Vogüé d’arrêter Jean Graffand et de l’envoyer à Montpellier, de dissoudre les bandes armées, de réorganiser la garde nationale. Ces mesures, hélas ! trop tardives, appuyées par la proclamation royale du 1er septembre, mirent un terme aux collisions. Quant à Jean Graffand, qui s’était retiré, d’abord chez sa mère, et puis dans la commune de Pougnadorès, qu’il habitait, il y resta un mois sans être inquiété. Ce ne fut que vers la fin de septembre qu’on se décida à l’arrêter. Le 27, dans la nuit, des gendarmes se présentèrent à son domicile. A leur approche, il se mit à une croisée de sa maison, armé d’un fusil et de deux pistolets, en criant qu’il ne se rendrait pas. On l’eut cependant sans coup férir, et on le dirigea sur Montpellier, où il fut mis en détention.

A Nîmes, la fin d’août et le mois de septembre s’étaient écoulés sans trouble, ce qui ne voulait pas dire que les esprits fussent apaisés. Le préfet écrivait alors au ministère de l’intérieur : « L’autorité royale est partout reconnue ; il n’y a plus un hameau où ne flotte le drapeau blanc. Mais tous les esprits y sont partout dans la plus vive agitation, et les partis s’observent avec une profonde inquiétude. Chaque changement d’autorité, chaque acte de sa part, quelque mesure que ce soit excite une passion ou fait naître une inquiétude. Ce département est le seul du royaume où le protestantisme forme un parti politique. Il renferme dans son sein d’excellens royalistes ; mais la généralité de ce parti est antiroyaliste. Je ne dois pas l’abandonner aux fureurs d’une réaction qu’il n’a que trop provoquée et les efforts que je fais pour arrêter ces élémens réactionnaires peuvent éloigner de moi la confiance de la majorité dans la classe du peuple et lui faire méconnaître dans l’autorité du préfet celle du roi[43]. » Le 5 septembre, toutes les communes étaient désarmées, envoyaient des adresses de soumission et le préfet ajoutait : « Tout est aujourd’hui soumis et calme ; mais rien n’est éteint. Un souffle peut rallumer le double incendie de la révolte chez les factieux et du brigandage dans la population oisive et misérable qui, sous le prétexte de vengeances réactionnaires, s’est livrée à des excès de pillage qui ont tant d’appas pour elle. » Puis il annonçait qu’il avait fait arrêter quelques-uns des coupables ; mais il déplorait l’absence des tribunaux, l’inaction du ministère public. En même temps, il prodiguait les proclamations. « Rendez votre monarque heureux ; mais soyez assurés qu’il ne peut l’être qu’en voyant habiter parmi vous la paix et la justice. Les cheveux du roi ont blanchi sur sa tête sacrée, agités pendant vingt-cinq ans par les orages de vos adversités. N’est-il pas temps enfin de verser quelques consolations dans le cœur de notre père ? Immolons à ses pieds le souvenir de nos maux qu’il veut finir, nos passions que ses royales vertus condamnent, nos ressentimens désormais inutiles, puisque le repentir trouve grâce à ses yeux, nos vengeances désormais sans honneur, puisqu’il n’y a plus de résistance. »

Ce langage n’avait que le tort de manquer d’énergie et attirait à son auteur cette observation ministérielle : « J’ai lu votre proclamation. J’aurais désiré un style un peu plus nerveux et l’expression plus prononcée du mécontentement de l’autorité et de sa sévérité[44]. » Quelques jours après, il recevait encore une lettre confidentielle ayant pour but d’exciter son zèle et dans laquelle nous relevons ce passage : « On m’assure qu’un des principaux auteurs des troubles qui ont eu lieu dans votre département est encore en pleine liberté et qu’il se promène dans votre ville. Son nom est Trestaillons. Il paraît qu’il est coupable de grands crimes. Si les faits sont tels que la voix publique les indique, je pense que vous vous occuperez de prendre les mesures convenables pour le faire arrêter et traduire devant les tribunaux[45]. » L’autorité n’osa obtempérer immédiatement à cet ordre, tant elle redoutait l’influence de Trestaillons et des personnes qui le défendaient. Comment aurait-on osé l’arrêter quand des royalistes se plaignaient de voir a les ennemis du roi impunis, » et menaçaient de se faire justice, quand tous les jours on menaçait la citadelle dans laquelle quelques malheureux étaient enfermés comme suspects d’esprit révolutionnaire, quand, en un mot, une partie de la population ne respirait que vengeance[46] ?

On était alors à la fin de septembre. Depuis dix jours, les Autrichiens avaient à l’improviste évacué la ville de Nîmes et le département, pour retourner en Provence, se contentant de laisser 1,500 hommes au Pont-Saint-Esprit et à Beaucaire, afin de garder le passage du Rhône. On pouvait craindre que leur brusque départ ne donnât lieu à de nouveaux troubles. Il n’en fut rien cependant. Il est vrai que le commandement militaire avait été confié à un soldat énergique, le comte Auguste de Lagarde[47] dont la carrière militaire s’était passée au service de la Russie, en qualité d’aide-de-camp du duc de Richelieu. Le dévoûment de l’autorité n’avait jamais été plus nécessaire.

Vers le 15 octobre, le bruit se répandit que Trestaillons allait être emprisonné ; en même temps, le procureur du roi, cédant, par une faiblesse injustifiable, aux sollicitations incompréhensibles de plusieurs citoyens honorables, faisait mettre en liberté, sans en avertir le général, dix individus arrêtés, le mois précédent, comme pillards, dans les environs de Nîmes, et que ce dernier avait donné l’ordre de traduire devant un conseil de guerre, et de fusiller dans les vingt-quatre heures, s’ils étaient condamnés. Leur retour coïncidant avec une rumeur menaçante pour le plus compromis des fauteurs de désordre provoqua un commencement d’émeute. Le 16 au matin, une maison protestante fut pillée dans un faubourg. Des patrouilles parcoururent la ville, et dans la soirée, elles essuyèrent plusieurs coups de feu. A dix heures, la générale fut battue sans ordre, les rues se trouvèrent subitement remplies d’hommes armés qui ne savaient vers quel lieu ils devaient se transporter. Le général de Lagarde, étant monté à cheval, parcourut le faubourg, où il apprit qu’un faiseur de bas[48] venait d’être assassiné dans sa maison, littéralement haché à coups de sabre. On parvint enfin à réunir les détachemens errans de la garde nationale, et, lorsqu’on se fut convaincu que la sécurité publique n’était plus menacée, on les renvoya dans leurs quartiers. Un autre crime, connu seulement le 17 octobre au matin, vint accroître les appréhensions causées par cette nouvelle tentative d’émeute. Une bande de six hommes s’était présentée au domicile d’un ouvrier en soie[49], marié et père de quatre enfans, l’avait entraîné loin de son domicile et fusillé malgré les prières et les larmes de sa famille[50]. Cette bande avait voulu arrêter aussi un cultivateur et, ne l’ayant pas trouvé chez lui, s’était vengée sur sa femme, en la blessant grièvement.

L’effroi des habitans fut profond ; mais il s’apaisa quand ils apprirent que, durant cette même nuit, Trestaillons avait été mis dans l’impuissance de nuire. Peu de temps avant, Trestaillons, assistant à une course de taureaux dans les arènes, avait été provoqué par un individu qui, ayant eu à souffrir de ses violences, voulait le tuer. Comme il refusait de se battre, en se retranchant derrière son grade de capitaine de la garde nationale, l’autre l’avait blessé au ventre avec la pointe d’un sabre. La blessure n’était pas grave[51] ; mais elle avait cloué Trestaillons au lit pendant cinq semaines, et les troubles du 16 octobre coïncidèrent avec son rétablissement. On le vit durant la journée et le soir dans divers quartiers de la ville. Le comte de Lagarde voulut en finir avec le scélérat, et, profitant du déploiement des forces mises sur pied cette nuit-là, il donna l’ordre de l’arrêter, après avoir au préalable fait braquer une pièce de canon sur le boulevard où l’arrestation paraissait devoir être opérée. Ce fut là, en effet, qu’on trouva Trestaillons, sortant d’un cabaret, tenant les propos les plus violens contre ceux qui essayaient d’entraver les vengeances royalistes. Appréhendé au corps avec un garde national qui plus tard fut reconnu seulement coupable de s’être trouvé en sa compagnie, il fut mis en voiture séance tenante, et expédié à Montpellier sous bonne escorte. Le lendemain, comme on redoutait que la nouvelle de cette arrestation n’engendrât de nouveaux désordres, on emprisonna les pillards précédemment mis en liberté, et avec eux Truphémy, qu’on eut le tort de laisser sortir de prison peu après, et qui n’expia ses crimes que cinq ans plus tard. C’est à l’occasion des événemens du 16 octobre que le général de Briche écrivait de Montpellier : « Je vois clairement les moyens affreux que la canaille, sous le manteau du royalisme, emploie pour se porter à tous les excès et en rejeter le blâme sur les bonapartistes qui ont déjà bien assez de leurs propres fautes… Le but bien connu de ces prétendus royalistes et faux partisans du roi n’est autre que le pillage et le sac des maisons protestantes, qui seules font plus des deux tiers des affaires commerciales de cette ville et entretiennent par leur fabrication une population de 12,000 à 15,000 âmes[52]. » Le ministre de la guerre lui répondait : « Dans de semblables circonstances, toutes les autorités locales devront réunir leurs efforts pour le maintien de l’ordre, bien sûres d’être approuvées par le gouvernement dans les mesures de rigueur qu’elles auront prises. L’intention de sa majesté est qu’on poursuive avec sévérité, sans acception d’opinion, tout individu qui aura attenté à la tranquillité publique[53]. »

Dans la longue série de crimes que nous venons de raconter, les protestans du Gard avaient été cruellement éprouvés. Sans affirmer qu’ils eussent été les seules victimes des passions locales, on peut dire que c’est leur sang surtout qui avait été versé. L’Europe s’était émue ; plusieurs voix s’étaient élevées pour demander vengeance. Le gouvernement comprit qu’il devait une éclatante réparation à des citoyens injustement frappés et longtemps menacés dans leur vie et dans leurs biens. Par l’ordre du roi, le duc d’Angoulême se rendit à Nîmes, afin de prêcher la concorde. Le consistoire protestant se présenta à lui, invoqua sa protection et obtint la promesse que les temples fermés depuis plus de quatre mois seraient enfin rouverts. Le prince, en faisant cette promesse, demanda à tous les citoyens « d’obéir aveuglément au roi et de concourir par leur soumission au maintien de la paix publique. » Il se prononça avec énergie contre toute réaction nouvelle.

Malheureusement, le jour même où il quitta Nîmes, une rixe, survenue dans la commune de Calvisson entre des gardes nationaux et des paysans, qui coûta la vie à un homme, vint démontrer l’inefficacité de ses conseils. Le général de Lagarde, qui l’avait accompagné à Montpellier, revint à Nîmes le 12 novembre pour présider au rétablissement du culte protestant fixé à ce jour. Des précautions militaires avaient été prises. A dix heures, on vit le pasteur Juillerat, président du consistoire, traverser la ville, en compagnie du maire, pour se rendre au temple. Tous les protestans se dirigeaient du même côté ; quelques-uns, en signe de joie, portaient des branches de laurier. Une grande foule stationnait aux abords de l’édifice ; elle était malveillante, et, malgré les gendarmes, insulta les fidèles, les menaça, en disant : « Entrez, entrez ! vous ne sortirez pas ! » Néanmoins la cérémonie commença, et le pasteur Juillerat était en chaire quand tout à coup les cris du dehors se transformèrent en railleuses vociférations. Puis une troupe de forcenés pénétra dans le saint lieu, la menace dans les gestes et sur les lèvres. Les femmes, éperdues, se précipitèrent vers la sacristie pour y chercher un refuge. Malgré les efforts du pasteur pour les rassurer, il y eut un moment de panique. Heureusement les gendarmes entrèrent dans la nef et chassèrent les fauteurs de désordre[54].

Pendant ce temps, au dehors, le comte de Lagarde, accouru à cheval, essayait de rétablir l’ordre et haranguait le peuple, que le maire n’avait pu apaiser. C’est dans ce moment, et comme il était pressé par la populace dans une rue étroite, qu’un courtier en soie, le nommé Boissin, dirigea sur lui un pistolet et tira à bout portant. La balle entra dans la clavicule. Le général se crut perdu. Il put cependant regagner l’hôtel de la subdivision et s’alita, après avoir confié le commandement au colonel de gendarmerie. L’exaltation des esprits était telle que le général de Briche, accouru de Montpellier à Nîmes à la nouvelle du malheur dont le général Lagarde était victime, se vit arrêter aux portes de la ville, par un poste de gardes nationaux, avec les façons les plus acerbes et des paroles injurieuses. Ce douloureux événement épouvanta même les plus ardens meneurs et prévint sans doute des malheurs plus grands. Le comte de Lagarde fut la seule victime de cette journée ; mais les attroupemens ne se dispersèrent pas. Les protestans, rentrant chez eux, furent insultés une fois de plus. Leurs femmes durent cacher le saint-esprit d’or qu’elles portaient sur leur poitrine[55]. Quand le temple fut vide, quelques énergumènes enfoncèrent la porte, déchirèrent les livres saints, brisèrent les chaises, et l’on entendit ces exaltés dire : « C’est à recommencer ! Trop de précipitation a tout fait manquer. »

A la nouvelle de ces événemens, le duc d’Angoulême, qui se dirigeait vers Toulouse, s’était hâté de revenir sur ses pas. Il arriva dans Nîmes le 15 novembre, fit entendre des paroles sévères, refusa les honneurs qu’on voulait lui rendre et renvoya l’escouade de gardes nationaux qui venait se mettre à son service. Sa présence permit de désarmer les compagnies irrégulières, de reconstituer définitivement la garde nationale et de rendre au culte protestant une entière liberté. L’agitation devait se prolonger longtemps encore ; mais du moins le règne des excès était fini.


IV

Le récit rigoureusement exact qu’on vient de lire serait incomplet si nous n’indiquions en le terminant quelle suite fut donnée par la justice aux crimes qui, du mois d’avril au mois de novembre 1815, avaient ensanglanté le département du Gard. Bien qu’il soit impossible d’établir d’une manière précise le nombre des victimes de cette époque, on arrive, en calculant avec la modération qui convient à la recherche de la vérité, à un total d’environ cent trente personnes, y compris, d’une part, les volontaires royaux tués pendant les Cent jours, et, d’autre part, d’abord les individus assassinés par les bandes de Trestaillons, de Quatretaillons et de Truphémy, ensuite ceux qui tombèrent sous les balles autrichiennes, et ceux enfin qui périrent dans les combats où les forces des deux partis se trouvèrent aux prises. Ce chiffre, encore qu’il diffère essentiellement des évaluations exagérées de divers historiens, est néanmoins tristement éloquent, surtout si l’on songe que les protestans, parmi les quels figuraient les ennemis du roi, y comptent pour la plus large part et eurent pour bourreaux des hommes qui parlaient et agissaient au nom des royalistes. Il donne la mesure des passions déchaînées en ces jours néfastes. Cependant, quelle qu’eût été l’ignominie de tant de forfaits, un châtiment solennel, une répression immédiate, auraient dégagé le gouvernement de la restauration de la responsabilité qu’on entendait faire peser sur elle. Il lui était aisé de démontrer qu’elle n’avait rien négligé pour arrêter l’effusion du sang et pour rétablir l’ordre public. Les lettres ministérielles en font foi, et c’est avec raison que lie marquis d’Arbaud de Jouques, préfet du Gard, dans la brochure qu’il publia ultérieurement pour justifier sa conduite, invoque à sa décharge le vote du conseil général qui, en juin 1816, approuva ses actes à l’unanimité de ses treize membres, dont six étaient protestans. Mais ce qui souleva la conscience nationale, ce qui a pesé lourdement depuis un demi-siècle sur les hommes mêlés à ces dramatiques péripéties, c’est la lenteur avec laquelle vint le châtiment et la faiblesse qui le rendit incomplet.

Tous les faits de la réaction de 1815 ont mérité une critique analogue. Les assassins de Marseille demeurèrent impunis ; ceux de Toulouse ne furent traduits devant les tribunaux qu’à la fin de 1817 ; ceux d’Avignon qu’en 1821. Quant aux chefs des bandes du Gard, le châtiment pour eux fut encore plus lent à venir. Sans doute les parquets avaient reçu l’ordre de poursuite d’office. Mais ils exigèrent que les familles des victimes se portassent partie civile. Ce fut pour les criminels un titre à l’impunité. En outre, il y avait entre cette manière de procéder et celle qu’on employait vis-à-vis des adversaires de la restauration une différence inique et révoltante. Ney, Labédoyère, Mouton-Duvernet, Chartran, les frères Faucher, étaient tombés depuis longtemps sous l’ardeur de colères impitoyables, et les meurtriers du Midi goûtaient toujours les bienfaits de la liberté ; les meurtriers d’Arpaillargues étaient montés sur l’échafaud ; on avait exécuté cinq gardes nationaux de Montpellier accusés d’avoir tiré sur le peuple royaliste le 30 juin 1815, et Trestaillons, Quatretaillons et leurs complices semblaient s’être mis au-dessus des lois et n’avoir plus rien à redouter d’elles. Empressés à frapper les uns, les tribunaux n’osaient poursuivre les autres que protégeaient, il est vrai, des complaisances qui ne peuvent s’expliquer que par l’effroi que, même après tant de sang versé, les assassins inspiraient encore. Une étude rapide des procédures fournit à cet égard des argumens péremptoires et justifie ces paroles prononcées un jour à la tribune française : « La terreur avait glacé les témoins. »

Les crimes commis dans Nîmes et dans Uzès étaient, pour la plupart, des crimes anonymes. On désignait tout bas ceux qui y avaient participé, mais personne n’osait les dénoncer publiquement, et, quand quelques hommes de cœur avaient le courage de les signaler à la vindicte publique, il se trouvait des fanatiques pour les défendre. C’est ce qui arriva pour le courtier Boissin, l’auteur de la tentative d’assassinat commis sur le général comte de Lagarde. Depuis le 12 novembre, il avait disparu, et, bien que le préfet eût promis 3,000 francs à quiconque le livrerait à la justice, il put pendant neuf mois rester caché chez des paysans de l’arrondissement d’Arles et se soustraire à toutes les recherches. Enfin, en 1816, il fut arrêté dans cette ville et enfermé dans le château de Tarascon. L’instruction commença aussitôt, et il est remarquable que l’inculpé trouva des protecteurs qui tentèrent, mais en vain, de plaider sa cause à Paris. Renvoyé devant la cour d’assises du Gard, il y comparut le 2 février 1817. Les membres du jury avaient été choisis avec soin parmi des fonctionnaires que l’on croyait étrangers aux passions locales et au nombre desquels on voit figurer plusieurs protestans. Mais, ardemment royalistes, ils étaient accessibles aux prières des uns, aux menaces des autres. L’excitation qui régnait dans la ville avait nécessité les plus énergiques mesures. Tant que dura le procès, les troupes, sous divers prétextes, restèrent sur pied, et le commandant de la division vint s’établir à Nîmes pendant ce temps. Ces précautions aboutirent à un résultat tout opposé à celui qu’on avait espéré. L’accusation stipulait une tentative de meurtre avec préméditation. L’avocat de Boissin plaida le cas de légitime défense, et, soit que les jurés eussent subi les influences du dehors, soit que la manière dont les questions furent posées entraînât mie condamnation trop rigoureuse à leur gré, ils prononcèrent l’acquittement. « Cette affaire a été menée le plus adroitement du monde par le parti, écrivait le général de Briche à la date du 10- février 1817 ; rien n’a été oublié. Il n’y a pas jusqu’aux gendarmes qui ont déposé à décharge. La leçon avait été si bien faite à un qu’il a dit avoir vu le général donner à Boissin quatre coups de plat de sabre, tandis que Boissin lui-même ne s’est plaint que d’en avoir reçu un ou deux. On a aussi écarté l’homme qui avait eu le courage de déposer qu’il avait entendu dire à Boissin, après avoir tiré sur le général : — Ah ! coquin, je ne t’ai pas brûlé la cervelle[56]. » Dix questions furent posées au jury. La réponse fut affirmative sur deux, négative sur huit. Trois d’entre elles méritent d’être citées ici. « L’accusé a-t-il été provoqué par des coups et violences graves sans motifs légitimes ? — Oui. — Était-il porteur d’une arme cachée ? — Oui. — Est-il coupable d’avoir blessé un agent de la force publique pendant qu’il exerçait son ministère et à cette occasion, par un coup de pistolet qui a produit l’effusion du sang, blessure et maladie, et d’où il est résulté une incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours ? — Non. » Ainsi que le fit remarquer le procureur du roi, les réponses du jury auraient dû avoir pour conséquence la mise en accusation du général de Lagarde lui-même.

Depuis, pour justifier ce jugement scandaleux, des écrivains royalistes ont tenté de faire croire que le coupable avait été menacé et provoqué par le général de Lagarde ; mais ils ne l’ont pas prouvé ; ils n’ont pu expliquer surtout comment et pourquoi Boissin se trouvait sur le lieu du crime, armé d’un pistolet chargé. Au surplus, le lendemain même de l’acquittement, le marquis de Vallongues, officier de marine et maire de Nîmes, fit appeler Boissin, et, après lui avoir reproché sa conduite, exprima le regret de ne pouvoir l’expulser d’une ville que sa présence déshonorait. Boissin se fit justice en s’expatriant. Le préfet, auquel on reprochait, non sans quelque raison, son indulgence, fut destitué[57]. Le garde des sceaux Pasquier provoqua et fit prononcer l’annulation de l’arrêt, dans l’intérêt de la loi, « dernière protestation de la justice méconnue, » a écrit M. Guizot.

En même temps, le gouvernement ordonnait d’instruire contre Jacques Dupont et Jean Graffand, toujours détenus à Montpellier. A peine arrêtés, ils avaient été l’un et l’autre l’objet d’une manifestation ayant pour but de les faire mettre en liberté. Une pétition fut même signée en faveur de Graffand par plus de deux cents personnes appartenant à toutes les classes de la société, qui rendaient hommage à son « bon royalisme. » Ce singulier document existe au dossier de la procédure, et l’on ne peut se défendre de penser que des menaces terribles ont seules pu réunir tant de signatures honorables sous l’affirmation d’un mensonge. Des démarches analogues furent faites pour Trestaillons. Toutefois la justice tint bon, et les deux scélérats furent renvoyés d’abord à Lyon, puis à Riom, devant le juge d’instruction. Malheureusement les faits firent défaut à l’accusation. Contre Trestaillons, contre cet homme qui avouait plus tard avoir mis à mort six personnes, et qui, — toute la ville de Nîmes le savait, — avait eu la main dans la plupart des meurtres et des spoliations que nous avons racontés, il n’y eut qu’une plainte de violation de domicile à main armée et d’arrestation arbitraire. Contre Quatre taillons, la plainte n’existait même pas. Il s’agissait seulement de savoir s’il avait ordonné l’exécution des six paysans de Saint-Maurice, fusillés à Uzès le 15 août, ou si, comme il le prétendait, la foule les lui avait arrachés et les avait frappés, malgré ses efforts pour les sauver. Dans ces conditions, l’instruction était impossible. Le 16 février 1816, le procureur du roi à Uzès écrivait : « Les élémens d’une procédure sont au pouvoir de M. le procureur général de Riom. Il n’a qu’à faire informer et il obtiendra la preuve des divers faits dont Graffand est prévenu. Mais je doute fort qu’on obtienne des dépositions directes contre lui et contre ceux de sa bande. Cette affaire, je l’ai toujours dit et écrit, est du nombre de celles qu’il ne faut pas activer. Le temps la rendra chaque jour plus facile à instruire. Mais les têtes ne sont point encore assez calmes pour qu’on puisse se promettre un résultat conforme à la vérité[58]. » Le 31 mai suivant, le garde des sceaux Dambray écrivait à son tour : « Comme il parait que ces crimes sont de notoriété publique, mais qu’ils n’ont pas été constatés d’une manière légale, et qu’en supposant que les officiers de police pussent indiquer des témoins, il serait fort douteux que ceux-ci voulussent dire la vérité, je sens combien il sera difficile d’obtenir dans cette affaire des preuves complètes. Quoi qu’il en soit, je vous recommande de faire commencer sans délai l’instruction sur le peu de renseignemens et de pièces que vous avez déjà, sauf à demander au procureur du roi à Uzès de vous indiquer quelques témoins. Le défaut de poursuites serait encore plus scandaleux que l’impunité, quand celle-ci ne résultera pas du défaut de la justice, mais de la faiblesse ou de la lâcheté des témoins[59]. »

Ces prévisions ne furent que trop justifiées. En ce qui concernait Trestaillons, les menaces retinrent Les témoins à Nîmes, et, faute de preuves, une ordonnance de non-lieu fut rendue en sa faveur au mois de mars 1846 : « Il est à croire, disait le juge d’instruction, que, si Dupont a la réputation qu’on lui a faite, les personnes qui ont à se plaindre de lui ne veulent pas se présenter. » Trestaillons rentra à Nîmes, y vécut méprisé, mais impuni, sans que ni la pétition indignée de l’avocat Barbaroux, en date du 14 mai 1820, ni celle de M. Madier de Montjau, ni les discours de M. de Saint-Aulaire pussent lui enlever le bénéfice de la décision judiciaire. La poursuite fut continuée contre Jean Graffand. On trouva en effet cinq témoins ayant consenti à se présenter, mais c’étaient des témoins à décharge, parmi lesquels figurait un individu qui avait été, au dire de quelques contemporains, le complice le plus actif de Graffand. Leurs témoignages confirmèrent les dénégations du prévenu ainsi que les renseignemens recueillis sur son compte, et force fut au juge d’instruction de rendre encore une ordonnance de non-lieu. Rien ne sert mieux à peindre l’état des esprits que cette conspiration du silence au profit d’un homme qui avait tant fait de victimes. Il rentra à Uzès. Un riche propriétaire le prit à son service, et ses forfaits semblaient destinés à l’oubli, lorsqu’en 1819 il fut poursuivi pour un délit de droit commun et condamné. Il n’était plus à craindre. Il y eut alors une explosion de plaintes dont l’unanimité obligea la justice à reprendre l’instruction, à Riom, en mars 1821. Cette fois les témoins abondèrent. Nous avons eu sous les yeux le volumineux dossier de cette seconde procédure. Le bandit y apparaît dans toute son horreur. Sur dix-neuf chefs d’accusation, l’instruction en retint onze. Renvoyé devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme, Jean Graffand fut condamné à mort par contumace et exécuté en effigie.

Quinze mois avant, sur la plainte de la veuve du capitaine Bouvillon, assassiné à Nîmes, le 1er août, Truphémy avait été poursuivi. L’instruction ne visait que cet unique fait, sans chercher à savoir si le prévenu n’avait pas participé à d’autres. C’était assez d’ailleurs pour entraîner une condamnation capitale qui fut en effet prononcée. Mais la cour de cassation ayant annulé l’arrêt pour vice de forme, celle de la Drôme, jugeant la cause à nouveau, condamna le coupable aux travaux forcés à perpétuité. Truphémy fut exposé au poteau et flétri publiquement sur la place du Marché à Valence, le 27 avril 1820. A la même époque, d’autres individus étaient poursuivis pour avoir pris part aux événemens de Nîmes ; ils furent tous acquittés, à l’exception d’un seul, Servent dit le Camp, que la cour de Valence condamna à mort, sur la plainte de la veuve Lichaire, dont le mari avait été massacré dans la nuit du 16 au 17 octobre. L’exécution eut lieu à Valence. La tête de Servent tomba, malgré les efforts de quelques personnes convaincues de son innocence, laquelle aurait été ultérieurement prouvée, s’il faut en croire l’affirmation du baron d’Haussez, préfet du Gard à cette époque[60].

Pour compléter le tableau des poursuites auxquelles donnèrent lieu les événemens du Gard nous devons signaler celles qui furent exercées contre le général Gilly. Après avoir tenté de soulever les Cévennes, il avait disparu. Le bruit se répandit alors, — cette version est accréditée encore aujourd’hui, — qu’il était parvenu à s’embarquer pour les États-Unis. La vérité, c’est qu’il n’avait pas quitté le département du Gard. Réfugié dans la commune de Topezargues, aux environs d’Anduze, chez un paysan protestant nommé Perrier, qui ne lui avait pas même demandé son nom, il ne le lui révéla que lorsqu’une somme de 10,000 francs eut été offerte par le gouvernement à quiconque le dénoncerait. Ce paysan était pauvre ; mais à dater de ce jour Gilly lui devint encore plus sacré, et il parvint à le soustraire à toutes les recherches. Pendant ce temps, un conseil de guerre prononçait contre le général contumax la peine capitale. Un jour, lassé de sa vie de misère et préférant la mort, il alla se livrer. Mais alors, à la requête de la comtesse Gilly, sa femme, il lui surgit un protecteur puissant. C’était le duc d’Angoulême. Déjà, en 1818, ce prince avait fait gracier le général Radet, qui l’avait arrêté en 1815. En 1820, il couvrit de sa protection le général Gilly et lui fit obtenir sa grâce pleine et entière. C’est ainsi que le neveu de Louis XVIII vengeait ses injures. Il nous est doux de terminer par un touchant souvenir le dramatique récit que nous venons de retracer.


ERNEST DAUDET.

  1. On désigne sous ce nom le groupe des communes situées au nord de Nîmes, dans la vallée du Gardon.
  2. Archives nationales.
  3. Nous devons ces curieux détails à un ancien volontaire royal, encore vivant aujourd’hui, M. C…, de Fontvieille (Bouches-du-Rhône). C’est également de lui que nous tenons le texte de la romance suivante, que les miquelets chantaient en chœur, chaque matin, sur l’air de Richard, après avoir fait la prière en commun :
    Loin de la belle France,
    Un roi puissant languit ;
    Son serviteur gémit
    De sa cruelle absence !
    Si d’Angoulême était ici,
    Mon cœur n’aurait plus de souci !
    O France, ô ma patrie,
    Que devient ton honneur,
    Quand on te sacrifie
    Au Corse usurpateur !
    Pour une cause impie,
    On veut armer nos bras,
    Préférons le trépas
    A cette ignominie.
    — Louis, tu veux notre foi !
    Crions toujours : « Vive le roi ! »
    Dans ces momens de crise,
    Quoi que soit notre sort,
    Voici notre devise :
    « Les Bourbons ou la mort ! »
  4. D’autres commissaires royaux débarquaient au même moment sur divers points des côtes françaises, le marquis de Rivière, à Marseille ; le duc d’Aumont, près de Bayeux, etc., etc.
  5. Rapport du marquis de Montcalm. (Archives du dépôt de la guerre.)
  6. On désigne ainsi quelques communes, entre Nîmes et la Vidourle, dans la vallée de Nages.
  7. Souvenirs d’un témoin, communiqués à l’auteur.
  8. L’assassin se nommait Pénarieu, Il fut condamné à mort et exécuté au mois d’août 1816.
  9. Archives du dépôt de la guerre.
  10. Il se nommait Brémond. Envoyé dans la prison d’Uzès, il y fut massacré le 3 août avec d’autres détenus, ainsi qu’on le verra tout à l’heure.
  11. C’est sans doute à cette situation que Fouché faisait allusion dans un rapport au roi, en date du 8 juillet : « Le royalisme du Midi, écrivait-il, s’exhale en attentats. Des bandes armées pénètrent dans les villes et parcourent les campagnes. Les assassinats, les pillages se multiplient. La justice est partout muette. Il n’y a que les passions qui parlent et soient écoutées. Il est urgent d’arrêter ces désordres… (Archives du dépôt de la guerre.)
  12. Archives nationales. Rapport du préfet du Gard.
  13. Jean Vignolle.
  14. Ce qui lui valut son surnom patois de Très Taillons, ce qui veut dire trois morceaux.
  15. Fragment des Mémoires inédits du baron d’Haussez, cité par M. Alfred Nettement dans ses Souvenirs de la Restauration.
  16. Par M. de Lamothe, archiviste du Gard, auquel nous devons de précieux renseignemens.
  17. Il est à remarquer que M. Bouy, maire d’Aubussargues, auquel cette lettre est adressée, était un homme d’une honnêteté scrupuleuse, qui s’était employé avec la dernière énergie pendant les Cent jours à protéger les catholiques habitant sa commune ou ceux qui la traversaient. Le souvenir de ses services dura longtemps, puisque nous voyons en 1816 les femmes de la halle de Nîmes se faire l’organe de la reconnaissance publique en refusant, quoiqu’il fût protestant, de recevoir le prix dos denrées qu’il achetait les jours de marché. Quant aux prétendus outrages dont la femme de Jacques Dupont aurait été victime, ou doit faire observer qu’on ne trouve pas un seul crime de ce genre parmi tous ceux qui furent commis en 1815 dans le Midi.
  18. Voici les noms des victimes : Mazoyer, Bressant, Castor, Aimé, Maurice, Nouvel, Aigon, Sadoul, Daussac, Française, Rouvière, Claude Philippe.
  19. Nous n’avons pu retrouver l’état des morts et des blessés. Les chiffres que nous donnons sont ceux des documens judiciaires.
  20. André Chivas et Antoine Chef.
  21. Il nous a été impossible de découvrir dans les documens du temps une seule trace des sévices qu’auraient eu à subir des dames protestantes, qu’on a représentées
  22. Imbert, dit la Plume.
  23. David Chivas et Rembert.
  24. Jacques Combes.
  25. Louis Dalbos.
  26. Déféraldi. Le jugement du conseil de guerre avait été cassé ; mais l’exaltation publique fut si violente que les autorités se crurent obligées de l’exécuter. (Archives nationales) Le général de Barre n’osa annoncer au gouvernement son exécution.
  27. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  28. D’après l’acte d’accusation et les dépositions des témoins.
  29. François Saussine, ancien capitaine au 11e de ligne.
  30. Courber, Heraud, Domeson, Imbort, Leblanc.
  31. La veuve Bosc et la femme Bigot, sa sœur. Antoine Rigaud, l’ex-sergent-major Lhéritier, Dumas, ait Poujade, et cinq individus dont nous n’avons pu retrouver les noms, périrent aussi cette nuit-là. Il faut ajouter à cette liste le nom d’un ancien banquier, Affourtit, deux fois failli, dont la mort ne saurait s’expliquer par des causes politiques.
  32. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.
  33. Documens judiciaires.
  34. Pascalet Le meurtre de ce malheureux, dont l’auteur ne fut connu qu’ultérieurement, parait avoir été le résultat d’une erreur.
  35. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.
  36. Pierre Roche, veuve Roche, femme Artaud, demoiselle Gautier.
  37. Il est à remarquer que les écrivains locaux ont essayé de laver Graffand de ces crimes odieux comme de ceux qu’il nous reste à raconter, et d’en attribuer la responsabilité a un protestant, David Daumont. Cet individu ne figure dans la volumineuse procédure qui a passé sous nos yeux que comme témoin à décharge, ce qui permettrait tout au plus de supposer qu’il a été l’un des complices de Graffand, mais n’enlèverait rien à l’infamie des actes qui ont valu a Quatretaillons sa réputation.
  38. Cinquante-six ans plus tard, sous le régime de la commune, le brave Pichon, dont nous sommes heureux de restituer le nom à l’histoire, devait avoir de courageux imitateurs dans les prisons de Paris, ainsi que M. Maxime Du Camp nous l’a appris dans un récit pathétique. Quant au commandant de place, la mort le préserva du châtiment qu’avait mérité son insigne lâcheté.
  39. C’étaient les nommés Jean Armentier, Th. Ribaud, P. Martin, Jean Dupiac, cultivateurs, François Béchard, ancien maire d’une commune voisine, et Brémond, le messager du général Gilly.
  40. Archives nationales.
  41. Rapports du préfet. Archives nationales.
  42. Ce récit, qui dément toutes les versions précédentes, a été rédigé à l’aide des documens judiciaires qui ont passé dans nos mains. Le même dossier contient une lettre indignée du préfet du Gard au sous-préfet d’Uzès, s’étonnant que dans une ville où d’honnêtes gens, au nombre de six cents, étaient armés, personne n’ait osé arrêter Jean Graffand, avant ou après le crime, et que, pour l’empêcher de troubler l’ordre, on n’ait rien trouvé de mieux que de lui mettre en main les moyens de consommer de nouveaux meurtres.
  43. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  44. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  45. Ibid.
  46. Des officiers de l’armée impériale détenus en prison, ayant été par prudence transportés à Montpellier, furent attaqués, au sortir de Nîmes, Une de leurs voitures fut brisée, et leur vie courut de sérieux. périls. Le général de Briche commandant la division, n’osait faire fusiller quelques scélérats, ne sachant quel effet produirait cette exécution. Tout le département était en proie à la même anarchie. Le registre du commissaire-général de police révèle chaque jour des pillages et des excès odieux.
  47. Daniel Stern (Mme d’Agoult) a laissé dans ses Souvenirs un touchant portrait de ce général, qui fut aussi un habile diplomate, et qui, dans l’âge mûr, conçut pour celle qui s’appelait alors Mlle de Flavigny une passion profonde presque partagée, à en croire ce cri de Mme d’Agoult, vieillie et désenchantée : « Avec quelle amertume, dans le long cours des ans, je me suis accusée et repentie de n’avoir pas écouté la voix de mon cœur ! »
  48. Lafond.
  49. Lïchaire.
  50. C’est en 1820 seulement que Servent, dit le Camp, reconnu coupable de ce meurtre, fut condamné à mort et exécuté.
  51. Rapport du baron Larrey. Archives du Gard.
  52. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  53. Archives du dépôt de la guerre.
  54. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi en 1815.
  55. Archives nationales. Dossier des événemens du Midi.
  56. Archives du dépôt de la guerre.
  57. Replacé plus tard, il était en 1830 préfet des Bouches-du-Rhône.
  58. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.
  59. Documens judiciaires. Archives de la cour de Riom.
  60. A en croire cette version, c’est le frère de Servent qui avait assassiné Lichaire.