La Trace du serpent/Livre 6/Chapitre 05

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Traduction par Charles Bernard-Derosne.
Hachette (tome IIp. 322-363).

CHAPITRE V.

M. PETERS SUIT UNE MARCHE BIZARRE ET ARRÊTE LE MORT.

Pendant que M. Peters, accompagné du sincère ami de Richard, le jeune chirurgien, fait la visite ci-dessus décrite, Dick compte les heures à Londres. Il était essentiel au succès de sa cause, Gus et Peters l’en avaient prié instamment, de ne pas se montrer en public, et de ne révéler en aucune façon le fait de son existence, jusqu’à ce que le meurtrier réel fût arrêté. Que la vérité apparaisse à tout le monde, et il sera bien temps, alors, pour Richard, de se présenter, le front pur de flétrissure, à la vue de ses concitoyens. Mais quand il apprit que Raymond de Marolles avait glissé entre les mains de ceux qui le poursuivaient, et qu’il avait fui, personne ne sachant où il était, tout ce que purent faire sa mère, son ami Peters Cordonner, Isabelle Featherby et les hommes de loi auxquels il avait confié sa cause, fut de l’empêcher de s’élancer à l’instant sur la trace du coupable. Ce fut une journée accablante pour eux tous, que celle de l’insuccès de l’arrestation. Ni les tendres consolations de sa mère, ni les assurances données par l’avoué qu’il n’y avait encore rien de perdu, ni les prières pleines de larmes d’Isabelle, qui le suppliait d’attendre patiemment, et de s’en remettre, pour l’issue de l’affaire, à la Providence ; ni la recommandation pleine de philosophie de M. Cordonner de prendre cela avec calme, de ne pas remuer la Camarine et de laisser aller le bandit, ne pouvaient lui donner la tranquillité. Il se sentait comme un lion en cage, retenu par d’ignobles chaînes loin du vil objet de sa rage. Le jour touchait à sa fin, pourtant, et pas de nouvelles du fugitif. M. Cordonner insista pour rester avec son ami jusqu’à trois heures du matin, et à cette heure avancée il se retira, avec l’intention de se rendre chez les Cherokées (il y avait réunion des Joyeux cette nuit-là, et très-probablement ils seraient encore assemblés), pour s’assurer, selon son expression populaire, s’il retournait de quelque chose là. L’horloge de Saint-Martin sonnait trois heures comme il était avec Richard devant la porte de la rue dans Spring Gardens, donnant, entre les bouffées de son cigare, des consolations amicales au jeune homme inquiet.

« En premier lieu, mon cher ami, dit-il, si vous ne pouvez attraper l’individu, c’est que vous ne pouvez pas l’attraper, cela paraît un argument logique et mathématique ; alors pourquoi vous tourmenter ainsi ? Pourquoi essayer d’opérer la quadrature du cercle, uniquement parce que le cercle est rond et ne peut être carré ? Laissez ces idées. Si ce gaillard reparaît sur l’eau, faites-le pendre ! Je serais radieux de le voir, pendre, car c’est un scélérat exceptionnel, si toutefois on opère la chose à une heure raisonnable, et si on ne l’exécute pas au milieu de la nuit, pour tromper le respectable public. S’il ne doit pas reparaître, pourquoi vous préoccuper de l’affaire ? Épousez cette jeune fille qui est là-dedans, la jolie sœur de Darley, qui semble, par parenthèse, être ridiculement folle de vous, et laissez dormir la question. Voilà ma philosophie. »

Le jeune homme se détourna avec un soupir d’impatience et dit ensuite, en posant la main sur l’épaule de Percy :

« Mon cher et vieil ami, si tout le monde était comme vous sur cette terre, Napoléon serait mort homme de loi en Corse, ou lieutenant dans l’armée française ; Robespierre aurait vécu médiocre avocat, ayant le penchant de se lever la nuit pour manger des tartes à la marmelade, et la manie d’écrire de détestables poésies ; le tiers état serait rentré paisiblement dans ses fermes et dans ses boutiques, il n’y aurait pas eu de serment du Jeu de Paume ni de bataille de Waterloo.

— Et une très-bonne chose encore, dit son ami philosophe, il n’y aurait eu d’autre perte que celle d’Astley, réfléchissez seulement à cela. S’il n’y avait pas eu de Napoléon, quel malheur pour les images des petits garçons, pas de Gomersal le Grand, pas d’Astley. Pardonnez-moi, Dick, de vous plaisanter. Je vais m’abattre chez les Cherokées, et voir s’il y a quelque chose dans l’air. Le boxeur est absent, ou il nous eût avertis ; le génie du P. R… aurait pu rendre des services dans cette affaire. Bonne nuit. »

Il donna à Richard une nonchalante et affectueuse poignée de main, et partit.

Maintenant, quand M. Cordonner dit qu’il va s’abattre chez les Cherokées, que le lecteur à l’esprit simple ne pense pas que l’expression « s’abattre, » sortie de la bouche de ce gentleman, comporte un degré considérable de vélocité ; quoique cette locution, suffisamment vague par elle-même, soit destinée à représenter cette signification dans les esprits ordinaires. Aucun mortel n’a jamais vu Percy Cordonner se presser. On l’a vu arriver en retard pour un train, et flâner à quelques pas de la machine qui s’éloignait, en regardant cet objet d’un air indifférent, ou plutôt d’un air de reproche. L’avenir de toute sa vie eût pu dépendre de son départ par ce train en particulier, qu’il n’eût jamais manqué à ses principes au point de s’échauffer d’une manière désagréable ou de troubler d’une façon quelconque l’organisation délicate dont la nature l’avait doué. On l’a vu aux portes de l’Opéra, quand Jenny Lind devait paraître dans la Figlia, et lorsque ceux qui l’entouraient étaient atteints d’une frénésie passagère et se bousculaient réciproquement dans la boue, on l’a remarqué appuyé sur deux gentlemen pleins d’embonpoint, comme dans un fauteuil, et se tenant en l’air et à l’abri de l’humidité sur les bottes de quelque autre individu, exhalant de nobles et polyglottes malédictions contre la foule environnante, lorsque celle-ci, dans un mouvement de marée montante, troublait ou essayait de troubler sa sérénité. Aussi quand il disait qu’il allait s’abattre chez les Cherokées, il voulait dire, bien entendu, qu’il avait l’intention de s’abattre à sa manière, et en conséquence il s’achemina nonchalamment à travers les rues désertes du Strand, ayant quelque chose de la démarche insouciante et sans but que devait avoir Rasselas se promenant sous les arceaux de verdure de sa vallée heureuse. Il atteignit à la fin la taverne bien connue et s’arrêta sous l’enseigne effacée de l’Indien, frappant désespérément dans le vide de son tomahawk, dans la direction de Covent Garden, avec un bras plus remarquable par son développement musculaire que par sa correction de dessin ; il donna le signal bien connu du club et fut introduit par la demoiselle déjà décrite, qui semblait toujours consacrer ses veillées à l’opération d’arranger ses cheveux en papillotes, afin de pouvoir présenter sa tête dans un état convenable à l’admiration des pratiques du pot et de la bouteille le lendemain, et étaler un édifice de très-longues boucles très-pommadées (elles auraient exalté les têtes pleines de porter, et enfoncé celles échauffées de spiritueux) aux yeux de la société plus brillante du soir. Cette jeune dame, connue vulgairement sous le nom de Liza, était au fait des affaires de sport de l’établissement, lisait The life pendant les offices de l’Église le dimanche, et passait même pour avoir été en communication avec ce journal de Rhadamanthe, sous la signature de L… mise en bas des réponses aux correspondants. Elle était connue pour être l’employée, ou, selon l’expression de ses amis et admirateurs, la dame de compagnie de cette lumière du P. R…, le Mawler du Middlesex, dont la résidence était chez les Cherokées.

M. Cordonner trouva trois Joyeux au comptoir, enfoncés dans une conversation animée et dans le soda-water. Une dépêche télégraphique du boxeur venait justement d’arriver. Elle était digne, au point de vue économique de la rédaction, de l’oracle de Delphes, et avait l’avantage d’être facile à comprendre ; elle était ainsi conçue :

« Dites à R. M… qu’il est ici ; pas d’ordres, aussi lui avoir lancé la gauche ; il est incapable de bouger d’un jour ou deux. »

M. Cordonner fut presque étonné, et se trouva ainsi très-près de manquer, pour la première fois de sa vie, à l’unique théorie qu’il avait adoptée.

« Voilà de bonnes nouvelles pour Spring Gardens, dit-il, mais Peters ne doit être de retour que demain soir ; si, ajouta-t-il d’un air distrait, on lui envoyait une dépêche télégraphique à Slopperton, je sais qu’il est là. Si quelqu’un peut trouver un cab et se charger de la dépêche, il rendra un service inestimable à Marwood, dit-il en traversant le comptoir et s’asseyant paresseusement sur la banquette dont le tissu représentait un tonneau vert et or rempli de Crème de la Vallée, son chapeau renversé complètement en arrière de sa tête, et les mains dans ses poches. Je vais écrire la dépêche. »

Il écrivit sur une carte :

« Rendez-vous à Liverpool ; il nous a glissé entre les mains, et il est là. »

Puis il la tendit poliment aux trois Joyeux appuyés sur le bâtis de la pompe à porter. Spletters, l’auteur dramatique, la saisit avec empressement ; elle suggérait à son imagination poétique ce qui est le don le plus précieux de l’inspiration, une situation.

« Je m’en charge, dit-il ; quelle superbe ligne cela ferait dans une affiche ? le télégramme intercepté ; avec un employé comique de chemin de fer et le traître de la pièce coupant les fils métalliques.

— En route, Spletters, dit Percy Cordonner ; ne laissez pas au Strand le temps de verdir sous vos pas légers. Ne vous arrêtez pas en allant pour composer un drame en cinq actes, et vous serez un bon camarade. Liza, ma chère fille, une pinte d’Allsop, et qu’elle soit aussi douce que l’humeur de votre humble serviteur. »

Trois jours après la précédente conversation, trois gentlemen étaient réunis à déjeuner, dans une petite chambre d’une taverne ayant vue sur le quai de Liverpool. Ce trio se composait du boxeur, en simple costume du matin consistant en un pantalon collant de tartan écossais, une cravate couleur orange, un gilet aux devants bleus et en manches de chemise. Le boxeur considérait une redingote comme un vêtement particulièrement destiné à sortir, et n’eût pas plus consenti à l’endosser pour manger son déjeuner, qu’il n’eût voulu prendre ce repas le chapeau sur la tête, et sous l’abri d’un parapluie. Les deux autres personnes étaient M. Darley, et son chef M. Peters, qui a dans sa poche un petit document signé par un magistrat du Lancashire, qu’il estime un prix considérable. Ils sont arrivés directement à Liverpool sur l’avis de la dépêche télégraphique, et ont rejoint dans cette ville le boxeur, qui a reçu pour eux des lettres de Londres contenant les détails de l’évasion, et les ordres adressés à Peters et Gus d’avoir l’œil au guet. Depuis l’arrivée de ces deux derniers, le trio a mené une vie assez oisive et sans but apparent. Ils ont loué un appartement ayant vue sur le quai, près de la croisée duquel ils se tiennent la plus grande partie du jour, jouant le jeu attrayant et compliqué de all-fours. Cette conduite ne semble pas avancer beaucoup l’affaire de Richard Marwood. Il est vrai que M. Peters se glisse dehors à tous moments pour parler à des gentlemen à l’air mystérieux et inquisiteur, qui commandent le respect partout où ils vont, et devant lesquels le plus audacieux voleur de Liverpool s’évanouit comme devant M. Calcraft lui-même. Il tient avec eux d’étranges conférences au coin de l’hôtel où le trio a fixé son domicile, il se promène avec eux et va jeter un coup d’œil sur le quai et sur les bâtiments du port, il rôde jusqu’à la nuit tombante, et lorsqu’il rencontre ces gentlemen susdits faisant leur ronde à la clarté douteuse du jour, il les salue quelquefois comme amis et collègues, et d’autres fois passe à côté sans les reconnaître, et de temps en temps échange avec eux des gestes rapides qui, aux yeux d’un observateur attentif, auraient une importante signification. À part cela, on n’avait rien fait ; et, malgré toutes ces manœuvres, on n’avait pu savoir encore aucune nouvelle du comte de Marolles, excepté qu’aucune personne répondant à son signalement n’avait quitté Liverpool, ni par terre ni par eau. Cependant, ni le courage ni la patience ne manquaient à M. Peters, et après chaque entretien tenu sur l’escalier ou dans le couloir, après chaque excursion sur les quais et dans les rues, il rentrait aussi allègre que le premier jour, et venait se rasseoir à la petite table près de la croisée, sur laquelle ses collègues (ou plutôt ses compagnons, car ni M. Darley, ni le boxeur ne pouvaient être pour lui de la moindre utilité) jouaient, en prenant la tournure de vouloir se ruiner l’un l’autre du matin au soir. Mais la vérité vraie de tout cela était, qu’à tout prendre, ses soi-disants coadjuteurs étaient décidément enrôlés dans sa profession : Gus Darley, du jour où il s’était distingué dans l’évasion de l’asile, se considérait comme un Vidocq amateur, et le boxeur, du moment où il avait lancé sa gauche, et avancé, sans s’en douter, la cause de Richard et de la justice, par la suppression momentanée du comte de Marolles, soupirait d’écrire son nom ou plutôt d’apposer sa marque sur les tablettes de la renommée, en arrêtant ce gentleman de sa propre personne, et sans un secours étranger quelconque. C’était donc pour lui chose pénible que d’être obligé d’abandonner la perspective d’une si glorieuse aventure à un homme de quelques pouces comme M. Peters. Mais il avait un caractère tranquille et conciliant, et aurait jeté bas son adversaire avec autant de bonne humeur qu’il aurait mangé un dîner de son goût, ou aurait abordé en souriant l’individu qui l’aurait renversé ; aussi, avec un grognement de résignation, abandonnait-il les rênes aux mains fermes habituées à les tenir, et se livrait-il publiquement à la consommation d’innombrables pipes et de verres d’ale amère en compagnie de Gus, qui, étant un des plus anciens du club des Cherokées, était son favori intime.

Dans cette matinée du troisième jour, cependant, il y a décidément une disposition à l’ennui qui envahit également l’esprit de Gus et celui du boxeur ; le all-fours à trois, quoique un jeu délicieux et plein d’animation, fatigue l’esprit inconstant, surtout quand le troisième partenaire quitte perpétuellement la table pour prendre part avec une personne ou des personnes inconnues à un dialogue mystérieux, dont il refuse de vous communiquer le résultat. La vue que l’on a de la croisée basse du salon bleu, dans l’hôtel du Lion blanc de Liverpool, est sans doute aussi animée qu’elle est belle ; mais Rasselas, nous le savons, se lassa des plus beaux spectacles de la nature, et il y a eu des lecteurs assez légers pour se fatiguer de l’ouvrage du docteur Johnson, et pour descendre tranquillement dans la tombe sans en connaître le dénoûment ; aussi est-il inutile de s’étonner que le volage Auguste eût soif des sources de Blackfriars, tandis que le boxeur, sentant en lui une honte secrète de gaspiller, dans le vide, ses forces sinon sa patience, dépérissait loin des murs familiers de Bow Street et de Vinegar Yard, en n’entendant plus de son logis le fracas et le retentissement des charrettes, et le langage grossier des routiers dans le jardin adjacent, les matins des jours de marché. Plaisirs et palais sont très-bien dans leur genre, comme dit la chanson ; mais il existe spécialement un petit endroit sur terre, que ce soit un grenier dans Petticoat Lane, ou un hôtel dans Belgrave Square, qui nous est plus cher que toutes les splendides résidences ; et le boxeur languit de ne pouvoir caresser les poignées d’ébène de sa pompe à porter, et de ne pas respirer le parfum de la rôtie au fromage de sa jeunesse. Je m’exprime peut-être d’une manière un peu trop romanesque à ce sujet, plus même que je ne devrais le faire, en examinant le gaucher qui se verse une tasse de thé par l’ouverture supérieure de la théière (il dédaigne le goulot de ce vase comme étant une innovation moderne qui l’emporte sur l’ancienne simplicité), d’une façon aussi naturelle qu’énergique ; il observe simplement qu’il « est joliment embêté de ce tas de choses. » Ce tas de choses signifie Liverpool, le comte de Marolles, le cabaret du Lion blanc, la partie de cartes et l’agent de police.

« Il n’y avait personne de malade dans Friar Street quand je l’ai quittée, dit Gus tristement ; mais on s’est précipité sur les pilules universelles et régénératrices de Pimperneckel, et il en résulte généralement quelque bien.

— Mon opinion, observa le boxeur d’un air bourru, est que ce polisson d’étranger nous a glissé entre les mains et n’y retombera plus, et le plus tôt que nous retournerons à Londres, le mieux ce sera. Je n’ai jamais eu beaucoup la main à chasser les oies sauvages, ajouta-t-il en lançant un coup d’œil plein de mépris sur l’agent à la contenance paisible, et je ne vois pas que rester à faire des signes à des personnages inconnus aux coins des rues, ou sur les paliers d’escalier, soit le procédé le plus rapide d’attraper cette sorte d’oiseaux : au moins ce n’est pas l’opinion des gentlemen appartenant au cercle dont j’ai l’honneur de faire partie.

— Supposez… dit M. Peters sur ses doigts.

— Oh ! grommela le boxeur, laissez là ces doigts ; je ne puis les comprendre, vous dis-je. »

L’hercule gaucher savait blesser en parlant ainsi l’agent à l’endroit le plus sensible.

« Que le ciel me bénisse, si j’ai pu jamais distinguer ses P de ses B, ou ses W de ses X. Laissez là ces voyelles, qui embarrasseraient un conspirateur. »

M. Peters regarda le boxeur de profession, d’un air plus attristé que mécontent, et, sortant un petit calepin graisseux et un petit crayon plus graisseux encore, considérablement endommagé pour avoir été vivement mâché dans des moments de préoccupation, écrivit ceci sur une des feuilles du carnet :

« Supposez que nous l’attrapions aujourd’hui.

— Ah ! bien vrai, dit le boxeur en faisant la mine, après avoir examiné le document à deux ou trois reprises, avant d’en bien comprendre le sens ; bien vrai, positivement… Supposez que nous l’attrapions… et supposez que nous ne l’attrapions pas, d’un autre côté ; et je sais ce qui est le plus probable. Supposez, monsieur Peters, que nous renoncions à chercher une aiguille dans une botte de foin, occupation qui devient fatigante pour l’individu le mieux disposé, et que nous retournions à nos affaires. Si vous aviez une fille, expression anglaise que vous savez être tirée du meilleur français, une fille pour servir vos clients, continua-t-il d’un ton fâché ; vous seriez pressé de rentrer chez vous, et laisseriez vos comtes étrangers aller au diable et suivre leur chemin.

— Alors, partez, écrivit M. Peters, en très-grosses lettres et sans majuscules.

— Ah ! oui, certainement, répliqua le boxeur, qui, j’ai regret de le dire, sentait péniblement, en l’absence des plaisirs de son foyer domestique, le manque de quelqu’un pour lui chercher querelle. Non, je vous remercie. Partir le jour même où vous allez l’attraper ! Ce n’est pas que je sois le moins du monde convaincu de la chose. Je vous suis bien obligé, ajouta-t-il avec un accent railleur.

— Allons donc, mon vieux, dit en s’interposant Gus, qui avait fait tranquillement main basse sur un plat de détestables rognons pendant cette petite altercation amicale ; allons, pas de dispute, boxeur. Peters n’a pas l’intention de vous contester le prix du ceinturon, vous savez ?

— Vous n’avez pas besoin de m’humilier, parce que je ne suis pas champion, dit l’ornement du P. R., qui était porté à trouver un sens malicieux dans tous les mots prononcés en cette spéciale matinée ; vous n’avez pas besoin de m’accabler de vos railleries, parce que je n’ai pas gardé le ceinturon plus longtemps. »

Le boxeur avait été le champion de l’Angleterre dans sa jeunesse, mais il se reposait sur ses lauriers depuis plusieurs années, et ne sortait qu’occasionnellement de la vie privée, pour faire une passe ou deux dans un public-house, avec quelque vieil amateur.

« Vous dirai-je ce que je pense, boxeur : mon opinion est que l’air de Liverpool ne convient pas à votre tempérament, dit Gus. Nous avons promis de rester ici avec Peters et de nous conduire en tout d’après ses ordres, par amitié pour le camarade que nous voulons servir ; et quelque fatiguée que puisse être notre patience, de ne rien faire, ce qui est peut-être tout ce que nous pouvons faire de mieux, pour ne pas commettre de bévues, le premier qui se lassera et désertera le navire ne sera pas l’ami de Richard Marwood.

— J’ai du malheur, monsieur Darley, et voilà la vérité, dit le boxeur adouci ; mais le fait est que j’avais l’habitude de faire un tour de gants tous les matins, avant déjeuner, avec le garçon de comptoir ; et, quand je ne prends pas cet exercice, j’ose affirmer que je ne suis pas le plus agréable compagnon qui existe. Je crois bien qu’ils ont des gants dans la maison. Voudriez-vous ôter votre habit et faire une passe, de bonne amitié ? »

Gus lui assura que rien ne lui serait plus agréable que cette petite diversion ; et dans cinq minutes ils eurent poussé M. Peters et la table du déjeuner dans un coin, et étaient en train de se mesurer. Le savoir de M. Darley dans l’art de la boxe se bornait à faire face le mieux possible aux mouvements scientifiques du boxeur, agile, quoique déjà âgé.

M. Peters ne resta pas longtemps à table pour déjeuner ; après avoir bu un énorme bol rempli d’un café très-épais et très-substantiel, d’un seul trait, absolument comme si c’eût été une pinte de bière, il se glissa tranquillement hors de la chambre.

« C’est mon opinion, dit le boxeur, tandis qu’il se tenait, ou plutôt qu’il se prélassait sur ses gardes et parait les combinaisons les plus étudiées des poings de M. Darley, avec autant d’aisance qu’il eût chassé des mouches. Mon opinion est, que ce garçon n’est pas à son affaire.

— N’est-il pas à son affaire ? répliqua Gus, en jetant au loin les gants d’un air désespéré, après s’être essoufflé considérablement pendant une demi-heure sans avoir réussi à rien qu’à ébouriffer la chevelure du boxeur. Il n’est pas à son affaire ? dit-il, choisissant la forme interrogative comme la forme de langage la plus expressive, cet homme a une assez bonne tête pour être premier ministre et enlever la Chambre des Communes à chaque mouvement de ses doigts.

— Il devra faire ses P et ses B un peu plus nets, avant de faire passer un bill aux Communes, dans tous les cas, » murmura le gaucher, qui ne pouvait s’empêcher d’avoir un sentiment d’irritation contre l’agent, pour le secret absolu que celui-ci avait gardé depuis trois jours sur les plans qu’il avait formés avec des étrangers.

Le boxeur et M. Darley passèrent la matinée de cette manière remarquablement intelligente, et digne d’éloges, spécialement usitée par des gentlemen, qui, détournés de leurs occupations habituelles, sont réduits à leurs propres ressources pour se distraire et employer leur temps. Ils avaient à parcourir la feuille du jour, à partir du commencement, mais après que Gus eut jeté un coup d’œil sur le premier article, une analyse du premier Londres du Times du jour précédent, enrichi de quelques allusions locales, et fortement épicé d’à-propos satiriques à l’adresse de notre spirituel contemporain, l’Aristide de Liverpool, après que son compagnon eut regardé la composition des courses de la semaine prochaine, et fait de cruelles observations sur l’éditeur du journal, qui négligeait de décrire l’issue de l’événement entre Robert à la tête d’argent et le boxeur de Chester ; après, dis-je, que les deux gentlemen eurent dévoré chacun sa colonne favorite, le journal devint un objet complètement dénué d’intérêt, et la croisée resta encore leur meilleure récréation. Pour l’esprit singulièrement tourné du gaucher, regarder par la croisée était un travail dénué d’activité par lui-même, et à moins qu’il ne lui fût permis de lancer des projectiles, d’un caractère peu nuisible, mais désagréables, comme les cendres brûlantes de sa pipe, les dernières gouttes de sa pinte de bière, l’eau sale des soucoupes sur lesquelles reposaient les pots de fleur rangés sur la croisée, ou de faire partir des allumettes chimiques dans les yeux des passants inoffensifs, il ne pouvait découvrir, pour employer son énergique expression, le plaisant de la chose. Honnêtes vieux gentlemen avec des parapluies, ladies entre deux âges avec des cabas, et des ombrelles en soie verte à poignée de cuivre, jeunes ladies de dix à douze ans allant à l’école en petites robes propres, et contentes d’elles-mêmes, telles étaient les victimes choisies par le boxeur. Mettre la tête hors de la croisée et leur demander tendrement et avec politesse des nouvelles de leurs parents, aller encore plus loin, et témoigner le plus vif désir d’être informé des affaires domestiques de ces mêmes parents, et s’ils s’étaient précautionnés de quelque appareil d’une certaine importance pour se sauver de l’inondation ; suggérer des insinuations alarmantes sur la présence de chiens enragés dans la rue voisine, ou d’un tigre venant d’échapper du Jardin Zoologique ; terrifier les jeunes écoliers en leur demandant dérisoirement s’ils ne le rencontreraient pas en allant à l’école, mais non, il n’y avait aucun danger, et retirer sa tête subitement, et disparaître totalement aux yeux du public ; agir, dans le fait, à la façon d’un clown accompli dans une pantomime de Noël, était le faible de son esprit viril ; et quand les remontrances de M. Darley l’empêchaient de se conduire ainsi, le boxeur abandonnait complètement la croisée et concentrait toutes les facultés de son intelligence dans la poursuite d’une mouche bleue alerte et bourdonnante, qui évitait son foulard à chaque tour et se cognait violemment contre les vitres des fenêtres, au moment même où son pourchasseur la cherchait au-dessus de la cheminée.

Le temps et les heures s’écoulaient péniblement dans cette matinée surtout, de nombreux verres de bière avaient été absorbés, et plusieurs parties de cartes avaient été jouées par les deux compagnons, quand M. Darley, regardant sa montre pour la vingt-deuxième fois dans la dernière heure, annonça, avec une certaine satisfaction, qu’il était deux heures et demie, et qu’il serait bientôt temps de dîner.

« Peters est bien longtemps dehors, insinua le boxeur.

— Croyez en ma parole, dit Gus, quelque chose a bien tourné, il a enfin posé la main sur le de Marolles.

— Je ne le pense pas, répliqua son allié, refusant obstinément de croire M. Peters doué d’une portion extra de souffle divin, et s’il l’a attrapé, comment fera-t-il pour le retenir ? je voudrais bien le savoir. Il ne saurait tomber sur lui avec sa gauche, murmura-t-il d’un ton dérisoire, et lui fendre la tête en deux sur le pavé, pour le faire rester tranquille un jour ou deux. »

À ce moment même, on vint frapper à la porte, et un jeune homme en costume de velours à côtes et hors d’haleine entra dans la chambre tenant à la main un très-sale et très-petit morceau de papier mal plié ayant la forme d’un billet à trois cornes.

« Et vous devez me donner six pence, si j’ai couru tout le chemin, remarqua le jeune Mercure ; et j’ai couru, regardez mon front. »

Et pour preuve de son témoignage, le messager montra les gouttes de sueur qui tombaient en se succédant de ses sourcils découverts et coulaient jusqu’à l’extrémité de son nez.

Le griffonnage portait ceci :

« Le Washington met à la voile à trois heures pour New-York ; trouvez-vous sur le quai et regardez les passagers s’embarquer ; ne faites semblant de me voir que lorsque je vous reconnaîtrai moi-même. Votre dévoué. »

« Cela vient de m’être remis par un gentleman très-pressé, qui m’a dit de mettre mes jambes à mon cou afin d’aller plus vite ; je vous remercie infiniment, monsieur, et bonne après-midi, » dit le messager d’un seul trait, en témoignant sa reconnaissance pour le shilling que Gus mit dans sa main en le congédiant.

« Je le disais bien, s’écria le chirurgien, tandis que le boxeur s’appliquait à lire le billet avec autant d’attention, non, peut-être avec plus d’attention et de gravité que n’en prend le chevalier Bunsen pour déchiffrer une inscription illisible et à moitié effacée dans une langue ignorée des humains depuis quelque deux mille ans ; je le disais bien, Peters est sur la piste, et cet homme sera encore repris. Prenez votre chapeau, boxeur, et ne perdons pas de temps. Il ne s’en faut que d’un quart qu’il soit trois heures, et je ne voudrais pas pour beaucoup ne pas être témoin de l’affaire.

— Je ne serais pas satisfait davantage, de ne pas assister à cette bonne plaisanterie, répliqua son compagnon ; et s’il faut en venir aux coups, il vaut peut-être mieux que je n’aie pas dîné. »

Un nombre assez considérable de personnes devaient partir par le Washington, et le pont du petit steamer destiné à les transporter à bord du grand bâtiment qui se balançait à l’ancre plein de grâce et de majesté en aval de la noble rivière la Mersey, était encombré de tous les genres de bagages qu’il est possible d’imaginer comme appartenant aux variétés les plus diverses du genre voyageur. On y voyait la dame célibataire, propriétaire d’un mince revenu en trois pour cent, au nez tranchant, veiné de pourpre à son extrémité ; elle partait pour rejoindre un frère marié à New-York, et mettait évidemment toute sa sollicitude à exporter un perroquet dans ce dernier état de calvitie (poliment appelée mue), un parapluie flasque et détraqué (faible dans ses nervures, en outre orné d’un bout saillant, qui apparaissait toujours du côté où l’on s’y attendait le moins et semblait avoir une envie mesurée de happer l’épine dorsale des voisins) comme un remarquable spécimen du progrès des beaux arts dans la mère patrie. On y voyait plusieurs de ces brillants oiseaux de passage, vulgairement connus sous le nom de voyageurs, dont le plus pesant bagage consistait en un sac de nuit et une canne, et dont le léger ditto était composé d’un carnet de poche avec un porte-crayon en argent, véritable Protée pouvant se transformer en plume, en canif et très-souvent en cure-dent. Ces gentlemen abordèrent le steamer au dernier moment, inspirant à l’esprit des passagers nerveux une gaieté convulsive et extraordinaire par la manière dégagée et pleine d’aisance avec laquelle ils faisaient leurs adieux aux camarades venus pour les voir partir, qui les entouraient et leur parlaient de leurs soupers et des parties projetées pour les fêtes de Noël et de paris enregistrés pour le commencement du printemps aux courses de Newmarket de l’année prochaine, comme si les naufrages et les dangers qu’on court sur mer, comme si le coulage à fond du Royal Georges, qui engloutit avec lui président et brillants comédiens écossais qui se réjouissaient de retourner au pays dans lequel ils avaient été si aimés et si admirés, comme si ne jamais atteindre le rivage étaient des événements qui ne pouvaient leur arriver. Il y avait des vieillards qui tentaient ce long voyage sur un élément qu’ils connaissaient seulement de vue, se rendant à l’appel de la noble lettre d’un digne fils qui les invitait à venir partager les beaux jours qu’il avait eu tant de peine à se procurer. On voyait là de robustes travailleurs irlandais armés de pioches et de bêches, les meilleures armes pour ouvrir la grande écaille du monde dans ces jours dégénérés. Là se trouvait une famille américaine, facile à reconnaître ; un père de famille occupé à rendre sa face blême un peu plus blême encore, en mâchant le plus fort cavendish qui a jamais été produit depuis le jour où sir Raleigh apporta dans sa patrie la plante merveilleuse ; une mère de famille, remplie du livre qu’elle a écrit sur les us et coutumes de l’ancien continent dans lequel elle a complètement écrasé l’infâme, sous la forme d’un brillant, généreux, ardent, mais trop sincère écrivain qui a jeté le gant pour protester contre cet agréable trafic des êtres, nos semblables, qui semble le commerce le plus naturel et le plus digne du monde aux esprits transatlantiques. On y voit, en un mot, tous les individus qui se réunissent habituellement quand un bon vaisseau met à la voile pour la terre du cher frère Jonathan ; mais on n’y voyait pas le comte de Marolles.

Non, décidément, pas de comte de Marolles. Il y avait un travailleur irlandais ayant l’air tout à fait tranquille, qui se tenait complètement à l’écart du reste de ses compatriotes, suffisamment bruyants et plus que suffisamment énergiques dans leur conversation remplie d’idiotisme. Il y avait donc cet Irlandais à la contenance paisible, appuyé sur sa bêche et sur sa pioche, qui avait évidemment l’intention de ne se rendre à bord qu’au dernier moment, et un gentleman âgé, en noir, qui avait tout à fait l’apparence d’un ministre méthodiste et tenait à la main un très-petit sac de nuit ; mais il n’y avait pas de comte de Marolles, et, fait beaucoup plus extraordinaire, il n’y avait pas de M. Peters.

Cette dernière circonstance impressionna très-désagréablement Auguste Darley ; mais j’ai le regret de dire que la figure du boxeur s’illumina d’un regard de triomphe, pendant que les aiguilles de l’horloge sur le quai marquaient trois heures et que Peters n’avait nullement paru.

« Je le savais, dit-il avec une effusion de joie ; je savais que l’individu n’était pas à son affaire ; je parierais volontiers mon établissement de Londres contre six pence de cuivre qu’il stationne, dans le moment même où je parle, à quelque coin de rue à un mille ou plus loin d’ici, faisant des signes à l’un des officiers de police de Liverpool. »

Le gentleman en costume noir, debout devant eux, se retourna en entendant cette observation et sourit. Il sourit faiblement, imperceptiblement, mais positivement il sourit. Le sang du boxeur, qui avait quelque chose de l’impétuosité du sang du Lancastre, et qui était renommé par sa propension à s’échauffer, bouillonna en une minute.

« Je vois que vous trouvez ma conversation amusante, vieillard, dit-il d’un ton très-rude ; je suis descendu ici dans le but de vous mettre en belle humeur, parce que j’ai été peiné de vous voir une figure comme si vous reveniez de votre propre enterrement et que l’entrepreneur des pompes funèbres vous harcelât pour le payement de ses droits d’inhumation. »

Gus marche lourdement sur le pied de son compagnon pour l’avertir de ne pas faire d’esclandre, et, s’adressant au gentleman qui ne paraissait nullement ému des remarques pleines de mépris du boxeur, il lui demande si le bâtiment allait bientôt partir.

« Pas avant cinq ou dix minutes, j’oserais l’affirmer, répondit-il. Regardez donc, n’est-ce pas un cercueil que l’on apporte par ici ? J’ai la vue très-courte ; soyez assez bon pour me dire si c’est un cercueil. »

Le boxeur, qui avait le coup d’œil d’un aigle, répliqua que c’était bien décidément un cercueil, ajoutant, avec un grognement, qu’il connaissait quelqu’un qui pourrait bien y être renfermé sans qu’il s’ensuivît un grand dommage pour la société.

Le gentleman âgé n’eut pas l’air de faire la moindre attention au bout d’avis donné gratuitement par le gladiateur gaucher, mais s’occupa subitement d’agiter ses doigts dans le voisinage de sa cravate blanche.

« Que Dieu me bénisse, s’écria le boxeur, si ce vieux baby ne joue pas le jeu de Peters et ne parle pas à quelqu’un avec les doigts ! »

Vraiment, très-distingué professeur du noble art de la défense de soi-même, votre assertion n’est-elle pas un peu hasardée ? Il est certain qu’il parle sur ses doigts et ne regarde positivement personne ; mais, dans tous les cas, il parle à quelqu’un et quelqu’un le regarde ; car, de l’autre côté du petit groupe, le travailleur irlandais tient les yeux attentivement fixés sur tous les mouvements du gentleman âgé, dont les doigts forment rapidement cinq ou six mots, et Gus Darley, apercevant ce regard, tressaille d’étonnement, car les yeux du travailleur irlandais ressemblent à ceux de M. Peters, l’agent de police.

Mais ni le boxeur ni Gus ne devaient faire semblant de voir M. Peters avant que M. Peters ne les reconnût. Ce sont les propres expressions du billet que M. Darley vient, dans le moment même, de mettre dans la poche de son gilet. Aussi Gus donne-t-il un coup de coude à son compagnon et dirige-t-il son attention sur la blouse et sur le chapeau rabattu sous lesquels l’agent s’était déguisé, en lui recommandant vivement de rester tranquille :

« Nous ne sommes qu’un homme, après tout, malgré que nous soyons renommé pour nos talents et pour notre coup bien connu de la gauche, qui ressemble au coup de marteau frappé par un facteur ou par un commissaire-priseur. »

Et pour dire l’entière vérité, le boxeur était mécontent ; il ne désirait pas la présence de l’agent muet pour arrêter le comte de Marolles. Il n’avait jamais lu Coriolan et n’avait jamais vu le Romain, ni M. William Macready, dans ce rôle ; mais, malgré tout, le boxeur eût voulu rentrer chez lui, dans son cher quartier de Drury Lane, et pouvoir dire à ses admirateurs ébahis : « Seul, j’ai fait cela. » Hélas ! voici M. Peters et le vieil étranger qui tous les deux s’emparaient de l’affaire.

Tandis que des pensées sombres et vindicatives travaillent le cœur noble du gladiateur de Vinegar Yard, quatre hommes s’avancent, portant sur leurs épaules le cercueil qui a si vivement attiré l’attention de l’étranger. Ils le transportent à bord du steamer, et quelques instants après un individu aux façons ouvertes et aisées d’un gentleman, âgé d’environ quarante ans, traverse le passage étroit et s’occupe à arranger des colis qui sont en tas, séparés du reste des bagages qui encombrent le pont.

De nouveau les doigts du vieil étranger sont en activité dans la région de sa cravate. L’observateur superficiel aurait simplement pensé qu’ils étaient possédés du tic de tracasser ce bout flottant de mousseline, et cette fois les doigts de M. Peters télégraphièrent une réponse.

« Gentlemen, dit l’étranger, de la manière la plus décidée, en s’adressant à M. Darley et au boxeur, vous serez assez bons pour venir avec moi à bord de ce steamer ; je travaille avec M. Peters dans cette affaire ; rappelez-vous que je dois partir pour l’Amérique par ce vaisseau, là-bas, et que vous êtes mes amis, venus avec moi pour me voir embarquer. Allons, gentlemen. »

Il n’a pas le temps d’en dire davantage, car la cloche sonne, et les derniers traînards, ceux qui veulent jouir des derniers instants qu’ils ont à passer sur la terre ferme, grimpent à bord ; parmi ceux-ci se trouvent le boxeur, Gus et l’étranger, qui se serrent étroitement de près.

Le cercueil a été placé au milieu du bâtiment, sur le sommet d’une pile de caisses, et ses contours d’un noir funèbre se dessinent d’une manière tranchée sous le bleu clair du ciel d’automne. L’impression générale parmi les étrangers est de considérer la présence de ce cercueil comme une injure particulière. Elle est, tout au moins, peu agréable. Du moment de son apparition au milieu d’eux, un changement s’est opéré dans l’humeur de chacun des voyageurs. Ils s’efforcent d’éloigner l’objet de leur esprit, mais en vain ; il existe une horrible fascination dans la forme lugubre et déterminée, que toutes les épaisses couvertures jetées dessus, ne peuvent dissimuler. Leurs yeux se dirigent malgré eux sur le cercueil, au lieu de regarder s’éloigner Liverpool, dont les clochers et les hautes cheminées, s’abaissant de plus en plus, disparaîtront bientôt complètement. Ils s’intéressent à lui, en dépit d’eux-mêmes, ils s’adressent des questions entre eux, interrogent le mécanicien, et le purser, et le capitaine du steamer, mais ils ne peuvent rien en apprendre, si ce n’est que la personne couchée dans ce cercueil, là, si près d’eux, quoique pourtant à une si grande distance, est celle d’un Américain, gentleman de distinction, qui, étant mort subitement en Angleterre, est retransporté à New-York, pour être inhumé parmi ses amis dans cette ville. Les passagers mécontents qui doivent partir par le Washington, pensent qu’il est très-désobligeant pour eux que le gentleman américain de distinction (ils se rappellent que c’est un gentleman de distinction, et modifient leur ton en conséquence) n’ait pas été enterré en Angleterre comme tout être raisonnable. Le royaume Britannique n’a pas été trouvé assez bon pour lui, supposent-ils. D’autres passagers poussant plus loin la question, demandent s’il n’aurait pu être transporté dans sa patrie par quelque autre bâtiment, et si, en vérité, il n’aurait pas dû avoir un vaisseau pour lui tout seul, au lieu d’impressionner d’une manière fâcheuse et d’attrister les esprits des passagers de première classe. Ils regardent presque avec animosité, en faisant ces remarques, du côté du cercueil recouvert, qui, pour comble de malheur, n’est pas entièrement caché par les couvertures jetées sur lui, un coin étant découvert, et laissant voir le chêne épais et grossièrement travaillé, car ce n’est qu’une bière provisoire, et le gentleman de distinction sera placé dans quelque chose de plus convenable à son rang, quand il arrivera à sa destination. Il est à observer, et plusieurs l’observent, que le passager à l’air riant, en costume fashionable de deuil, et portant le large pardessus dont l’inspiration de Bond Street a récemment doté le monde de Londres, sur son bras, se penche d’un air protecteur sur le cercueil, et témoigne pour le gentleman américain de distinction, son unique compagnon de voyage un attachement, qui, rien qu’à considérer sa contenance parfaitement radieuse, et la manière dont il s’est rendu maître de sa douleur, serait réellement chose touchante.

Maintenant, quoique un grand nombre de questions eussent été faites de tous côtés, on en fit une spécialement pour savoir s’il chacun baissait toujours la voix en prononçant ce petit pronom — s’il ne serait pas placé à fond de cale aussitôt qu’ils arriveraient à bord du Washington ; la réponse à cette question ayant été affirmative, causa une considérable satisfaction à tous les passagers, sauf, en vérité, à un seul, à un vieux gentleman bourru qui demanda :

« Comment faire pour avoir quelque petit objet, si on venait à en avoir besoin dans le voyage, comment le retirer du fond de cale ? »

Interrogation à laquelle on répondit d’un ton sévère, que les passagers n’avaient pas à s’ingérer de vouloir retirer des objets à fond de cale dans le voyage, et ce qui lui valut en outre les railleries du plus spirituel des voyageurs enjoués, qui insinua que, peut-être, le vieux gentleman n’avait qu’une chemise propre, et l’avait placée au fond de sa valise. Maintenant, quoique un grand nombre de questions eussent été faites, comme je l’ai dit, aucune n’eut l’air, cependant, d’être adressée au gentleman aux manières riantes, qui ramenait l’Américain de distinction à ses amis, que l’on pouvait, après tout, naturellement supposer en savoir plus que personne sur ce sujet. Celui-ci fumait un cigare, et quoique se tenant très-près du cercueil, il était la seule personne à bord qui n’eût pas les yeux sur lui, son attention paraissant être particulièrement attirée par la ville de Liverpool, qui s’évanouissait dans le lointain. Le boxeur, Gus et l’allié inconnu de M. Peters, étaient très-rapprochés de ce gentleman, tandis que l’agent lui-même, appuyé sur le bordage du bâtiment, proche, quoique un peu séparé des travailleurs irlandais et des jeunes paysannes aux joues roses, qui, comme passagers de seconde chambre, étaient bellement parqués ensemble, et se gardaient de souiller de leur présence, la vue ou les vêtements des êtres supérieurs, qui étaient destinés à occuper les salons et les fastueuses cabines de six pieds de long sur trois de large, à consommer des pois verts et du lait de vache fraîchement trait tout le long du voyage. Bientôt, le gentleman, âgé, d’apparence cléricale, mais médiocrement distinguée, qui s’était présenté si sommairement à Gus et au boxeur, fit quelques remarques sur la ville de Liverpool à l’ami de belle humeur du noble Américain décédé.

L’ami de belle humeur retira son cigare de sa bouche, sourit et parla ainsi :

« Vraiment, c’est une ville florissante, un petit Londres, réellement… la capitale en miniature…

— Vous connaissez très-bien Liverpool ? demanda le compagnon du boxeur.

— Non, non pas très-bien… dans le fait, je connais très-peu de villes d’Angleterre. Ma visite a été courte. »

Il y a évidemment de l’américain dans cette remarque, quoiqu’il y ait très-peu du frère Jonathan dans ses manières ; il ne semble éprouver aucune privation de n’avoir pas quelque chose à couper en parlant, et il est évident qu’il peut exister pendant dix minutes sans chiquer ou cracher.

« Votre visite a été courte ? En vérité. Et elle a eu une bien triste fin, je le constate avec regret, dit le persévérant étranger, dont toutes les paroles sont respectueusement écoutées par le boxeur et par M. Darley.

— Une très-triste fin, répliqua le gentleman avec le plus gracieux sourire. Mon pauvre ami avait désiré retourner au sein de sa famille et faire les délices de nombreuses soirées près de leur foyer en les réjouissant, par le récit de ses aventures et de ses impressions dans ses voyages de l’intérieur et au dehors de la mère patrie. Vous ne pouvez imaginer, continua-t-il en s’exprimant à voix très-basse, et tandis qu’il parle, laissant errer les yeux de l’étranger au boxeur et du boxeur à Gus, avec un regard, qui n’a pas la plus légère ombre d’inquiétude ; vous ne pouvez imaginer l’intérêt que nous prenons, de l’autre côté de l’Atlantique, au moindre événement qui arrive dans la mère patrie. Nous pouvons être là-bas excessivement considérés, excessivement riches ; nous pouvons être universellement aimés et respectés, mais je doute… je doute positivement, malgré tout cela, dit-il d’un air sentimental, que nous soyons véritablement heureux. Nous soupirons après les ailes de la colombe, ou, pour parler pratiquement, après nos dépenses de voyage, afin de venir ici et d’y demeurer.

— Et cependant, comme conclusion, la volonté expresse de votre ami défunt a été d’être enseveli là-bas ? demanda l’étranger.

— Ce fut… sa volonté en mourant.

— Et le triste devoir d’accomplir cette volonté vous fut dévolu ? ajouta l’étranger avec un degré de curiosité et d’intérêt puéril et frivole pour un sujet n’ayant aucun rapport avec l’affaire dont il s’occupait, ce qui déconcerta Gus et fit sensiblement lever le nez au boxeur, qui murmura en même temps en lui-même : « Le filou étranger aura bien le temps de gagner l’Amérique, pendant que ce farceur est là à minauder et à conter des sornettes. »

— Oui, ce devoir m’est dévolu, répliqua le gentleman de belle humeur en présentant son porte-cigare aux trois amis, qui refusèrent les cigares offerts. Nous étions parents ; la cousine germaine de sa mère a épousé mon cousin au second degré… Nous n’étions pas parents très-rapprochés, certainement, mais nous étions extrêmement attachés l’un à l’autre. Ce sera une triste satisfaction pour sa pauvre veuve, et cette pensée me dédommage amplement de tout ce que je puis souffrir. »

Il paraît avoir un air trop charmant et trop dégagé pour un être qui a beaucoup souffert ; mais l’étranger s’inclina gravement, et Gus remarqua à la proue du vaisseau les yeux ardents de M. Peters fixés sur le petit groupe.

Quant au boxeur, il était si complètement dégoûté des manières et des façons d’agir de l’étranger, qu’il s’abandonna au cours de ses propres pensées, en fredonnant un air qui appartenait à ce que l’on appelle généralement une chanson comique : c’était le récit du dernier passage dans la vie d’un humble et infortuné membre de la classe des travailleurs, d’un ramoneur de profession, fait par lui-même.

Tandis que le gentleman de belle humeur s’entretenait sur ce très-mélancolique sujet, l’étranger de Liverpool se hasarda à se rapprocher tout à fait du cercueil et, avec une admirable liberté d’esprit exempte de toute préoccupation, qui étonna les autres passagers debout non loin de lui, resta la main nonchalamment posée sur le couvercle en chêne épais, juste au coin où la toile grossière le laissait à découvert. Preuve parlante des sentiments presque outrés de l’attachement qu’avait le gentleman de belle humeur pour son ami défunt : cette action insignifiante sembla le vexer tout à fait ; ses yeux erraient d’un air inquiet sur la main gantée de noir de l’étranger, et à la fin, quand, dans un moment d’absence d’esprit, celui-ci tira l’épaisse couverture directement sur ce coin du cercueil, son inquiétude atteignit un degré extrême, et, retirant précipitamment l’étoffe, il lui donna la disposition qu’elle avait précédemment.

« Vous ne désirez pas que le cercueil soit entièrement couvert ? dit tranquillement l’étranger.

— Oui… non… c’est que… dit le gentleman, de belle humeur, avec un certain embarras, c’est que… je… voyez-vous, il y a une sorte de profanation dans l’approche d’une main étrangère des restes de ceux que nous aimons.

— Alors, dit son interlocuteur, si nous faisions un tour sur le pont ? ce voisinage doit être vraiment pénible pour vous.

— Au contraire, répliqua le gentleman de belle humeur, vous me prendrez, je le crois bien, pour un singulier personnage, mais je préfère rester à côté de lui jusqu’au dernier moment ; le cercueil sera placé à fond de cale aussitôt que nous serons à bord du Washington, alors mon devoir sera accompli, et mon esprit sera tranquille. Vous venez à New-York avec nous ? demanda-t-il.

— J’aurai ce plaisir, répliqua l’étranger.

— Et votre ami, votre divertissant ami ? demanda-t-il en jetant un coup d’œil tout à fait arrogant sur le cache-nez bigarré et sur le teint de savon marbré du boxeur, qui chantait toujours sotto voce la mélodie ci-dessus mentionnée, ses bras croisés sur la barre d’appui de la banquette sur laquelle il était assis, et reposant son menton d’un air de mauvaise humeur sur les manches de son habit.

— Non, répliqua l’étranger ; mes amis, j’ai regret de le dire, me quitteront dès que je serai à bord. »

Au bout de quelques minutes, ils atteignirent le flanc du noble vaisseau, qui avait paru du quai de Liverpool comme un point blanc ailé, pas assez gros pour contenir la reine Mab allant visiter les États-Unis, mais qui était d’une dimension égale à celle du navire le Leviathan lorsqu’on arrivait près de lui, et qu’on allait monter à son bord par une échelle, laquelle échelle semblait être un sujet de frissons convulsifs, et frapper de terreur la dame nerveuse avec le perroquet à la tête déplumée.

Tous les passagers, à l’exception du gracieux gentleman au cercueil et de l’étranger, de Gus et du boxeur, de M. Peters, qui traînait sur l’arrière, avaient l’air de vouloir tous grimper sur le vaisseau les uns avant les autres ; la confusion était considérablement accrue par le ton brusque et peu conciliant avec lequel on n’accéda pas à leur désir, et qui souleva un degré d’irritation d’autant plus grand que les passagers n’ayant encore pu monter regardaient, en les poignardant des yeux, ceux qui étaient en haut, et qui paraissaient très-confortablement installés, et à sec, sur le pont du superbe bâtiment. À la fin, cependant, tout le monde, excepté le petit groupe précité, avait gravi l’échelle ; quelques robustes matelots préparaient de gros câbles pour hisser le cercueil, et le gracieux gentleman était occupé à les diriger, quand le capitaine du steamer dit à l’étranger de Liverpool, qui restait à flâner au bas de l’échelle en ayant M. Peters à côté de lui :

« Allons donc, monsieur, si vous devez partir par le Washington, on va donner le signal ; nous allons nous éloigner dès qu’on aura fini cette corvée. »

L’étranger de Liverpool, au lieu de se conformer à cette très-naturelle injonction, chuchota quelques mots à l’oreille du capitaine, qui prit un air très-sérieux en l’écoutant, et, s’avançant ensuite vers le gracieux gentleman, très-inquiet et très-préoccupé de la manière dont on allait hisser le cercueil sur le pont du vaisseau, posa lourdement sa main sur l’épaule de celui-ci, et dit :

« Je demande que le couvercle de ce cercueil soit enlevé avant d’être hissé par ces hommes. »

Un changement tel s’opéra sur le visage du gentleman aux aimables manières, qu’il n’aurait pu s’en opérer un semblable que sur le visage d’un gentleman qui comprend qu’il joue une partie désespérée, et bien convaincu qu’il l’a complètement perdue.

« Mon bon monsieur, dit-il, vous êtes fou. Pas pour la reine d’Angleterre je ne consentirais à dévisser le couvercle de ce cercueil.

— Je ne pensais pas que cela pût vous causer autant de peine, dit l’autre tranquillement. Je doute beaucoup qu’il soit fortement vissé, dans tous les cas. Vous avez grandement craint, tout à l’heure, que la personne couchée dans l’intérieur fût étouffée ; vous avez été terriblement effrayé quand j’ai tiré la toile grossière sur ces incisions faites dans le chêne, ajouta-t-il en montrant le couvercle, dans l’angle duquel deux ou trois fentes étaient visibles pour l’œil d’un observateur attentif.

— Bonté du ciel ! cet homme est fou, s’écria le gentleman, dont les manières avaient entièrement perdu leur aisance ; cet homme est évidemment fou. C’est trop abominable. Est-ce ainsi que doit être profanée la sainteté de la mort ? Devons-nous faire la traversée de l’Atlantique en compagnie d’un fou ?

— Vous n’avez pas à traverser le moins du monde l’Atlantique pour le moment, dit l’étranger de Liverpool ; cet individu n’est pas fou, je vous assure, mais est un des membres principaux de la police de sûreté de Liverpool, et a le pouvoir d’arrêter une personne qui est présumée se trouver à bord de cette embarcation. Il n’y a qu’un seul endroit dans lequel cette personne puisse être cachée. Voici mon mandat pour arrêter Jabez North, autrement Raymond de Marolles, autrement comte de Marolles. Je sais aussi positivement que je suis moi-même ici, qu’il est caché dans ce cercueil, et je désire que le couvercle soit enlevé. Si je suis dans l’erreur, ce couvercle pourra être immédiatement replacé, et je serai disposé à vous offrir mes excuses les plus empressées pour avoir profané le repos du mort. Allons, Peters. »

L’agent muet se place à une extrémité du cercueil, tandis que son collègue se tient de l’autre. L’officier de Liverpool était exact dans sa supposition ; le couvercle était seulement maintenu par deux ou trois clous, longs et solides, qui cédèrent au bout de trois minutes. Les deux agents enlevèrent le couvercle du cercueil, et là, la face colorée, à demi asphyxié, ayant le désespoir dans ses yeux bleus irrités, les dents serrées de rage furieuse d’être dans l’impuissance d’échapper des griffes de ceux qui le poursuivaient, là, renversé à terre enfin, gisait l’élégant Raymond, comte de Marolles.

Ils lui mirent les menottes avant de le soulever du cercueil, avec l’assistance du boxeur. Des années après, quand le boxeur, devenu bien vieux, avait coutume de raconter à ses admirateurs et à ses clients, frappés de terreur, l’histoire de cette arrestation, la mémoire semblait lui faire défaut, et il omettait de mentionner soit l’agent de Liverpool, soit notre digne ami M. Peters, comme ayant pris part à l’affaire, mais il la décrivait comme conduite entièrement par lui seul, avec un nombre incalculable de : « Je vois… et ainsi donc je pense… et c’est bien ce qu’il fallait faire… je le fais de suite, » et autres phrases du même genre.

Le comte de Marolles, la chevelure en désordre, le visage livide et les lèvres bleues, assis sur le banc du steamer, ayant les menottes, entre l’agent de Liverpool et M. Peters, renaviguant vers Liverpool, n’était pas un tableau bien agréable à considérer.

Le gentleman de belle humeur resta avec le boxeur et M. Darley ; on leur avait recommandé de tenir l’œil sur lui, et le boxeur, en particulier, les tint tous les deux sur lui avec plaisir.

Pendant le petit voyage, il n’y eut d’autres paroles prononcées que celles-ci par l’agent de Liverpool, alors qu’il mit d’abord les fers aux poignets blancs et délicats de son prisonnier.

« Monsieur de Marolles, dit-il, vous avez déjà essayé une fois cette petite plaisanterie. Voici la seconde occasion, je le sais, où vous avez fait le mort. J’ai à vous avertir que la troisième fois, selon la croyance générale des gens superstitieux, est toujours fatale. »