La Typographie/La mise en pages

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L. Boulanger (55p. 21-23).

LA MISE EN PAGES


Cette opération, souvent laborieuse, est toujours intelligente ; l’habitude, la routine du métier y seraient complètement insuffisantes, il y faut presque toujours de l’art ; car il n’est pas aussi facile qu’on pourrait croire de donner de l’œil à un titre, de l’air à une page et de la grâce à tout l’ensemble ; aussi les metteurs en pages sont-ils des ouvriers d’élite.

Le matériel du metteur est très multiple, car comme chef d’équipe il est appelé à toucher à peu près à tout ; outillé pour composer aussi bien que pour corriger, il se tient devant une espèce d’établi assez spacieux pour qu’il y puisse mouvoir à l’aise les différents paquets qu’il doit rassembler et qu’on appelle un marbre, bien qu’il soit aujourd’hui recouvert d’une plaque de fonte, aussi polie mais plus résistante que ne l’était autrefois le marbre.

Le dessous de ces établis peut être plein, puisque l’ouvrier travaille debout ; on l’utilise de différentes façons, soit en bardeaux où se place la réserve des caractères, soit en tiroirs pour les petits outils, coins et garnitures, soit en tablettes fixes, où l’on range provisoirement les paquets qui ne doivent pas servir sur-le-champ, soit en tablettes mobiles qu’on appelle des ais, qui reçoivent les paquets à distribuer, soit en porte-formes.

Il y en a même qui servent à la fois aux divers usages et ce sont naturellement les plus commodes de tous.

À portée de son marbre, le metteur en pages a divers instruments qui servent aussi aux ouvriers de la conscience, et notamment le coupoir aux interlignes, car quoiqu’il y en ait toujours d’avance une certaine quantité, disposées symétriquement dans une casse spéciale, il n’en a jamais assez, soit pour séparer ses articles, soit pour jeter du blanc dans ses colonnes, de façon à ce que toujours elles commencent et finissent par une ligne pleine.

Il y a de nombreuses sortes de coupoirs pour interlignes, depuis la simple cisaille jusqu’au coupoir biseautier avec lequel on coupe non seulement les interlignes, mais les filets de cadre.

Tout coupoir se compose d’une petite presse à levier et d’un plateau récepteur installé comme un composteur et qui se justifie de la même façon. Le nouveau coupoir biseautier de M. Berthier a de plus un coupoir à cadran (pour les filets


Nouveau coupoir biseautier de M. Berthier.


de cadre) dont le levier se relève de lui-même, au moyen d’un ressort, ce qui diminue de beaucoup la fatigue de l’ouvrier, et, sur le côté, une scie assez puissante pour couper les filets de 12, de 18 et même de 24 points, aussi bien en matière qu’en zinc et cuivre.

Il va sans dire, que cette scie peut couper aussi les réglettes en bois, dont on se sert surtout pour garnir les pages encadrées, blanchir les titres et aussi pour justifier les tableaux et ce qu’on appelle les travaux de ville.

Tout ceci sous la main, le metteur dispose ses colonnes ; quelquefois, surtout lorsqu’il s’agit de grands journaux quotidiens, en rangeant ses paquets à nu sur le marbre, après les avoir mouillés un peu avec une éponge humide, pour que les milliers de parties qui les composent ne se désagrègent pas ; mais le plus souvent sur une galée à coulisse assez grande pour recevoir la page, et munie d’un premier fond en métal, très mince, qu’il suffit de retirer brusquement de sous la composition, liée de cinq ou six tours de ficelle, pour que celle-ci prenne sa place sur le marbre.

Galée à fond mobile.

Il y a même des galées plus commodes encore, ce sont celles à fond mobile, dont l’emploi s’explique d’ailleurs facilement.

Chaque page liée séparément, on en fait une épreuve qu’on appelle morasse, qui passe sous les yeux du rédacteur en chef du journal, lequel indique ses dernières corrections, et la renvoie avec le bon à tirer, ou avec le bon à clicher, si le journal ne doit pas être tiré sur le mobile, ce qui est aujourd’hui le cas le plus ordinaire.

S’il s’agit d’un livre, les opérations de la mise en pages sont les mêmes, si ce n’est qu’on les fait plus à loisir et qu’on n’envoie à l’auteur que les épreuves en feuilles.

S’il s’agit de tête de lettres, prospectus, factures, impressions industrielles, tableaux et en général de tout ce qu’on appelle travaux de ville et qui sont quelquefois de véritables travaux d’art, la mise en pages est plus laborieuse, on le comprend du reste d’après les détails que nous avons donnés sur ce genre de travaux.