La Vérité reconnue, ou, les intrigues de Saint-Germain

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Anonyme
Chez Arnovld Cotinet (p. 1-8).


LA VERITE'
RECONNVE,
Ou,
LES INTRIGVES
DE SAINCT GERMAIN.
A PARIS,
Chez Arnovld Cotinet, ruë des Carmes,
au petit Iesvs.

M. DC. XLIX


LA VERITE' RECONNVE,
Ou
LES INTRIGVES DE S. GERMAIN.


C’EST la couſtume des meſchans Miniſtres d’Eſtat, de ces peſtes nées à la ruïne du genre humain, de ces monſtres qu’on deuroit étouffer dans le berceau, ſi par quelque ſcience de l’aduenir on pouuoit préuoir leur tyrannie : C’eſt l’art impie & funeſte de ces effroyables fleaux de la nature, de couurir leurs abominables deſſeins de belles & de ſpecieuſes apparences, & d’impoſer à la credulité des peuples par la Foy, la Iuſtice & la Pieté. Veritables Athées, qui prophanent impudemment le nom de Dieu & celuy des Roys ; & bien loin de ſe deuoüer à leur ſeruice, les font, par vn horrible renuerſement de tout ordre, ſeruir à leur ambition, à leur auarice, & à leur vengeance.

Tout ce qu’on fait maintenant à Sainct Germain porte le nom de l’authorité Royale : Ce n’eſt que pour reparer, diſent-ils, l’iniure faite à la perſonne du Prince, ce n’eſt que pour ſatisfaire à la Regence bleſſée, & raffermir le Throſne eſbranlé par l’attentat des Factieux. Comme ſi l’authorité du Roy n’eſtoit pas plus violée par l’abandonnement de la Catalogne, & de nos autres Alliez, par le deſeſpoir des peuples François, qu’on oblige à ſe preuolter de toutes parts, & qu’on accouſtume à ne rien payer, par la jonction des Parlements, reduits à repouſſer la violence, laquelle eſtoit ſur le poinct de les opprimer : Ou comme ſi c’eſtoit le premier & le plus Auguſte Senat du Royaume, lequel euſt contreuenu à la Déclaration par luy-meſme verifiée, appellé les Alemans & les Polonois des extremitez du monde, pour n’eſteindre l’embrazement de la France, que par noſtre ſang, & ſur des terreurs paniques enleuer la perſonne du Roy de ſa Ville Capitale, pour deſmembrer ſes Eſtats en autant de Principautez qu’il y a de Gouuernemens & de prétentions illegitimes. C’eſt ce qui ne peut paſſer dans vn eſprit raiſonnable que pour chimere & illuſion.

L’enleuement de la perſonne du Roy ; (car il faut dire les veritables cauſes de tout) & ce qui s’eſt paſſé depuis, eſt le coup de deſeſpoir d’vn Miniſtre eſpouuanté par l’image de ſes crimes, dont la Iuſtice du Parlement luy faiſoit apprehender la punition : C’eſt le tranſport d’vn homme éperdu, de qui le ſeul eſpoir de ſalut eſt de n’en point eſperer ; C’eſt la reſolution precipitée d’vn eſprit timide & cruël, qui veut exercer ſes vengeances par ce Prince vaillant & redoutable, qu’il a taſché tant de fois de ſacrifier à ſes laſches & ambitieuſes frayeurs, & qui le pique auiourd’huy d’vne fauſſe generoſité, & d’vne brauoure de Cheualier Errant, pour le perdre avec l’Eſtat ; Ce que ce fourbe trouve bien plus à propos que d’expoſer ſon Eminence à la ſeuerité des Loix, ou de ſouffrir des Reglemens incompatibles auec ſon inſatiable auidité. Autrement il y auroit long-temps qu’il ſe ſeroit retiré des affaires, apres vne proteſtation authentique à la Cour, & qui euſt eſté de bonne grace, ſoit qu’il l’euſt faicte de viue voix, ou par eſcrit, de ne pouuoir conſentir à la deſolation de la France, à laquelle il eſt obligé d’vne ſi Eminente Fortune, & redeuable de toute ſa pompe.

L’intereſt de Monſieur le Prince eſt de ſe joüer du Fauory, ſe rendre Tyran du Tyran meſme, & à la faueur de ſon Miniſtere obtenir par tout la premiere place ; ce qui ne pourroit eſtre, s’il ne ſouſtenoit cette Idole chãcelante, dont la cheute mettroit ſans doute les affaires en d’autres mains. Ie n’ignore pas ce qu’on allegue, que c’eſt pour tenir parole à la Reyne, que ce Grand Prince eſpouſe ſi chaudemẽt ce Party, apres auoir eſté caution auprès de ſa Majeſté pour le Parlement, lequel auoit limité toutes ſes pretentions, à ce que la Declaration du Roy fuſt executée. Mais il eſt aiſé de voir, que ce n’eſt qu’vn faux pretexte, & vne lumière trompeuſe, pour ébloüir les yeux du vulgaire. Car peut-on ignorer que ſon Alteſſe, au lieu d’eſtre offenſée par le Parlement, a deu s’offenſer contre le Miniſtre, qui par ſes fourberies a tant de fois violé la parole du Roy & des Princes, par leſquels il a fait aſſeurer tant de choſes, qu’il n’eſtoit pas reſolu de tenir. Teſmoin ce qu’on vouloit faire verifier à la Chambre des Comptes, & à la Cour des Aydes, quoy qu’on l’ait retiré depuis ; teſmoin les Tailles miſes en party contre la Foy publiquement donnée : teſmoin la cruelle eſperance que pluſieurs auoient conceuë de tirer ce qui reſtoit de ſang au peuple, par le moyen des nouueaux preſts. Toutes infractiõs que ſon Alteſſe n’a pû ignorer, non plus que le tranſport des threſors de la France en Italie, & le prix immenſe des pierreries de Mazarin, acheptées par toute l’Europe de la plus pure ſubſtance de l’Eſtat. Le Prince n’eſt donc pas perſuadé par la Iuſtice de la cauſe, & Dieu veuille qu’vne ombre de Gouuernement qu’il a par dependance d’vn Eſtranger, & qu’il pourroit auoir par luy meſme, ne luy faſſe pas dauantage renoncer aux intereſts de ſes parents, & à ceux de ſon ſang & de ſa mais on, qu’il vient nouuellement d’immoler à l’impitoyable fortune d’vn Sicilien.

Le deſſein de l’Abbé de la Riuiere, en faiſant ſortir ſon Maiſtre par cette faulſe crainte, qu’autremẽt Monſieur le Prince gouuerneroit tout, & conduiroit le Roy & la Reyne où il luy plairoit ; c’eſt de mettre toute la France en vne rupture ouuerte auec le Cardinal, lequel venant a ſuccomber, luy laiſſe l’entrée libre au Miniſtere, ſous l’authorité de l’Oncle du Roy.

Le Duc d’Orleans, qui eſt dans vne experience conſommée de la bonne & de la mauuaiſe Fortune, & à la viuaçité de l’eſprit duquel il ne manque rien, que de vouloir effectiuement ce qu il veut : Cét Herôs de Grauelines croit faire beaucoup cõtre celuy de Dunkerque, en ne faiſant rien ; & que demeurant en puiſſance de s’entremettre de la Paix quand il luy plaira, auec la benediction de tout le monde, il charge Monſieur le Prince de toute la hayne & de toute la malediction de cette guerre.

Les Harpyes du Conſeil, qui contre le ſerment qu’ils preſtent, quand ils ſont faits Conſeillers d’Eſtat, cabalent auec les Partiſans, leur fourniſſent l’argent pour faire leurs auances, & tirent vſure de la protection qu’ils leur donnent, ayment mieux conſentir au bouleuerſement de l’Eſtat, qu’aux retranchemens de leurs gains infames, dõt ils ont fait leur plus grand fonds, & qu’ils content entre les reuenus de leurs terres & de leurs charges : L’Euangile leur eſt ſuſpect, quand les Prelats s’en ſeruent aupres de la Reyne, pour repreſenter les miſeres publiques : & la premiere instructiõ qu’ils donnent à ceux qui abordent ſa Maieſté, eſt qu’afin de bien faire leur Cour, il ne faut point parler, en quelque façon que ce ſoit, du ſoulagement du Peuple. N’arriuera-il iamais, qu’on leur faſſe ſouffrir auec iuſtice, les maux qu’ils ont faits iniuſtement à tant de millions d’ames affligées ? Confiſquera t’on point leurs immenſes richeſſes au Roy, reüniſſant leurs biens à ſon Domaine, lequel a eſté tant de fois ſi laſchement & cruellement vendu, & achepté par ces voleurs publics de ſa Maieſté & de ſon Royaume ?

Pour la Reyne, quoy que maintenant elle ſemble ſourde à la voix de tant de ſang reſpandu, qui demande vengeance au Ciel & qui en ſera eſcoutée ; il faut croire que c’eſt vne bonne Princeſſe, abuſée par les illuſions de ceux, qui depuis quelque temps ſe ſont rendus protecteurs de la Magie, en faiſant ietter au feu toutes les charges qui conuainquoient leurs complices. Ce que toute la Normandie ſçachant, il ſeroit ſuperflu de s’en expliquer dauantage. Car de penſer que la Reyne, pour eſtre Eſpagnole, & pour auoir vn Miniſtre Sicilien, ait affecté des meſcontentemens expres, à deſſein d’exciter vne guerre Ciuile en France, & donner par là lieu à l’Eſpagne de ſe r’aquitter de ſes pertes, ce ſeroit accuſer d’vne malice trop noire la meilleure Princeſſe du monde. Comme il eſt bien plus raiſonnable de croire, qu’elle ait eſté ſurpriſe par le zele apparent & les fauſſes raiſons de ſes Miniſtres, pour declarer la guerre à Paris, que non pas, de s’imaginer, que cette Grande Reyne, eſpouuantée de la mauuaiſe fortune de la Reyne ſa belle-Mere, ait voulu chercher vn azyle en Eſpagne par la deſolation de la France, & par les conditions honteuſes d’vne paix infame que l’on dit qu’elle veut traicter. Certainement ces ſoupçons iniurieux combattent le ſang & la nature, qui lient ſi eſtroictement la Mere aux Enfans. Outre que, ſans deſcendre par trahiſon du Throſne où nos vœux l’ont eſleuée, la Reyne peut ſubſiſter glorieuſement, & ſe rendre auec l’applaudiſſement de tous les Peuples, la Mediatrice de ſon frere & de ſon fils, l’Ange Tutelaire de la France, & la Deïté viſible de cét Eſtat.


FIN.