La Vérité sur l’Algérie/03/11

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CHAPITRE XI

Le froid, le chaud, aggravés ou atténués par le degré hygrométrique. — Sur l’élément eau la vérité est connue. — Les compilateurs classiques la donnent. — Wahl. — Leroy-Beaulieu.


Et maintenant se présente une objection logique, L’hiver marqué de l’Algérie serait un obstacle aux richesses naturelles des céréales, de la vigne… Mais la France n’a-t-elle pas également un hiver marqué, très marqué, et n’a-t-elle cependant pas de grandes richesses naturelles par le blé, par la vigne ? Oui. Les céréales et les vignes supportent chez nous les hivers marqués. Les exportations algériennes prouvent qu’elles les supportent de même en Algérie. Mais (sans oublier la correction des froids printaniers) il convient de définir ce que signifie « en Algérie ».

En Algérie ne veut pas dire ici dans toute l’Algérie. C’est dans une partie restreinte. Dans celle qui, depuis l’époque historique, fut cultivée par l’indigène, par le Romain, par les divers conquérants, par nous, dans notre colonisation première. Dans cette région « ramassée », de faible étendue, si on la compare à l’immensité du territoire algérien, les deux cultures fondamentales supportent le froid, les coups de froid, les hivers marqués, tout comme en France, moins bien peut-être, mais les supportent, c’est le fait.

Or, ce qui est aussi un fait, c’est que dans l’étendue algérienne que les orateurs officiels disent l’inépuisable source de richesses agricoles, dans la presque totalité de l’Algérie, dans la vaste région des Hauts Plateaux où mord aujourd’hui la colonisation officielle, avec le système intensif de culture, qui est celui des colons européens condamnés à chercher gros bénéfices, là, entrent en jeu des facteurs qui ne permettent pas à nos cultures intensives de résister, je ne dirai pas seulement au froid, mais, pour être exact, au froid et au chaud.

Et c’est le degré hygrométrique. L’humidité et la siccité rendent également mortels aux végétaux domestiques les minima et les maxima.

Et c’est le régime des pluies et des eaux fluviales, le régime des vapeurs d’eau dans l’atmosphère.

Je n’insisterai point sur ce propos comme je l’ai fait sur celui du froid. Il est d’une observation trop simple pour que la vérité ne s’en soit pas imposée à tous. On a pu, grâce à des sophismes de calcul, à des observations incomplètes, affirmer le chaud quand c’était le froid. Les brutalités de la sécheresse après l’inondation, l’averse, ont rendu impossible le truc des moyennes.

Les auteurs qui ont été abusés par les légendes de la thermométrie officielle ont vu clair en hygrométrie, en pluviométrie.

M. Wahl a dit aux étudiants :


« Dans les régions tempérées, la pluie annuelle distribuée à un grand nombre de jours descend goutte à goutte, de manière à s’infiltrer lentement dans les profondeurs du sol. En Algérie elle s’abat par averses violentes, qui ravinent et dégradent les terrains ; il n’est pas rare de recueillir 30 à 40 millimètres en vingt-quatre heures. Sans transition l’inondation succède à la sécheresse, le champ qu’on a vu la veille assoiffé, fendu de crevasses, est noyé le lendemain. Les pluies sont plus fréquentes en Europe, mais plus intenses en Algérie. Ces chutes d’eau torrentielles rappelleraient plutôt les tropiques ; mais aux Antilles, aux Indes, dans le Soudan, les pluies sont régulières et abondantes. En Algérie elles ont leurs caprices, varient non pas seulement dans leur répartition, mais aussi dans leur quantité. Cette quantité même est assez maigre pour la chaude contrée qu’il s’agit d’arroser. »


Par contre, elle est vraiment trop abondante… en hiver…

L’irrégularité, l’insuffisance générale du régime des pluies est-elle corrigée par une régularité du système fluvial donnant, s’il m’était permis de m’exprimer ainsi, une « suffisance » d’irrigations et de rosées ? Non, ce qui tombe en averse est perdu en torrent. Les professeurs disent élégamment :


« … Nulle part, en Algérie, vous ne verrez cette régularité de nos beaux fleuves d’Europe, cette plénitude tranquille, cette majestueuse égalité d’allure… » (Wahl.)


On voit, pour emprunter à M. P. Leroy-Beaulieu son pittoresque et hardi langage :


« … Des rivières alternativement turbulentes, impétueuses, dévastatrices, ou formant des marais, puis somnolentes, presque honteuses, et se cachant… » (Sic.)


La Seybouse paraît seule convenable à notre économiste national :


« C’est, écrit-il, de tous les cours d’eau algériens celui dont on rougirait le moins en Europe… » (Re sic.)


(M. Leroy-Beaulieu est un de nos écrivains les plus imagés ; mais il a l’image idéaliste. De lui cette autre comparaison : « Peu de contrées offrent une figure géographique aussi massive, aussi correcte que l’Algérie. » )

L’industrie humaine peut retenir l’eau, la distribuer. C’est dans le programme de la colonisation algérienne. Je me rappelle cette forte et belle et simple parole de M. Lépine me disant dans un entretien de presse, alors qu’il était gouverneur général de l’Algérie : « Mon programme est un programme d’eau. Je veux donner aux Algériens de l’eau, beaucoup d’eau ! — Pour les calmer ? — Non, monsieur, pour les enrichir ! »

Quels travaux que l’on fasse, il me semble, à moi profane, que l’on enrichira seulement la région déjà riche, celle qui fut de tout temps exploitée, celle qui de tout temps résista au froid et au chaud parce qu’elle n’est pas exposée aux grands courants atmosphériques sahariens, steppiens, aux longs coups de froid intense, aux longs soufflés de chaude sécheresse. Avec beaucoup de millions dépensés à fonds perdus on peut trouver, amener de l’eau qui permette de lutter contre la sécheresse et les sirocos ; passent les vents froids sur champs irrigués, c’est le givre et le gel mieux assurés. Arrosez les hauts plateaux, la région steppienne qui comprend presque toute l’Algérie ; avec les tiédeurs, avec les chaleurs des journées d’hiver et de printemps, la plante montera pleine de sève, et comme il y a autant de nuits froides que de jours chauds dans ces saisons, votre eau précieuse, payée très cher, n’aura que rendu plus certaine la mort de la pauvre plante forcée. À moins que sur chaque tige de blé, sur chaque touffe de trèfle, vous ne mettiez cloche ou paillasson. Le plus simple des paysans de mon village comprend cela. Ma concierge, qui fut quelquefois aux champs, comprend cela. Mais les grands hommes politiques comme M. Étienne, les grands économistes comme M. Chailley-Bert, les grands botanistes comme le Dr Trabut, d’Alger, les grands administrateurs comme M. de Peyerimhoff, ne comprennent pas cela. Et j’en atteste Cérès, les idiots dans cette histoire ne sont ni mes paysans, ni ma concierge, ni moi…