La Vérité sur l’Algérie/03/17

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Librairie Universelle (p. 50-53).


CHAPITRE XVII

La qualité de la terre algérienne. Les calamités « irrégulières » fatalement « régulières ».


Ajoutons à ces notions que la terre d’Algérie, dans la région marine et dans la région montagneuse, là où le roc ne luit pas nu au soleil (dans les deux autres régions il est inutile de parler terre, il y en a si peu) est généralement pauvre. Des siècles de récoltes sans restitutions suffisantes l’ont épuisée. Dans les districts où elle a dormi, s’est reposée, elle est maigre et s’appauvrit rapidement si on lui demande beaucoup.

M. Rivière nous dit : « En Algérie la proportion des terres pauvres en acide phosphorique l’emporte sur celle des terres suffisamment riches. » Et M. Rivière appuie cette opinion sur les travaux, sur les analyses de M. Dugast, directeur de la station agronomique d’Alger, et de M. Ladureau, l’agronome bien connu.

Il est vrai que, depuis les retentissantes aventures de feu M. Bertagna, tout le monde sait que, si les terres d’Algérie n’ont pas assez d’acide phosphorique pour donner un rendement agricole convenable, le remède, grâce aux gisements de phosphates, est près du mal. Oui… Mais… car il y a un mais… que je trouve encore dans le livre de M. Rivière, les phosphates algériens pour servir d’engrais doivent être transformés en superphosphates, et l’acide sulfurique nécessaire est diablement cher. Quant au phosphate naturel, on ne le donne pas. Il est payé 45 francs la tonne sur quai d’Alger. Notez que la teneur en phosphate de chaux n’y est que de 60 %, alors que dans les phosphates américains elle est de 75 à 83 %.

Maintenant, pour ce que nous dirons les « à-coups » des saisons, les grandes perturbations climatériques, les catastrophes, les calamités, ce n’est, hélas ! que trop fréquent. On pourrait même définir une sorte de « roulement » entre les bonnes et les mauvaises années. C’est tantôt le chaud, la sécheresse, tantôt le froid, la neige, tantôt les pluies torrentielles, les inondations, quand ce n’est pas les sauterelles…

1902-1903 fut bien. Comme en France il y avait peu de vin, celui d’Algérie se vendit parfaitement. Bonne année. L’allégresse ne dure pas. 1903-1904 amène les inondations, le froid, toutes sortes de désastres. Les Délégations financières, sur un budget qui ne permet pas de grands imprévus, demandaient cette année un million deux cent mille francs de secours nécessaires pour les victimes.

M. Maréchal disait en mars (1904) :


« … Dans certaines régions il y a eu cinq inondations successives et les dégâts ont été considérables. Depuis le mois de janvier certains propriétaires n’ont pas vu les terres de leurs jardins. Depuis deux mois aucun jardinier n’a pu mettre le pied dans sa propriété… Je demande que le crédit de secours soit porté à 1.200.000 francs. »


Le commissaire du gouvernement aux plaintes sur les dommages particuliers répondait en signalant les « dommages causés à l’outillage économique de la colonie ».

Ces calamités ne sont malheureusement pas l’exception en Algérie.

M. Jonnart l’a dit lui-même avec franchise au Parlement, en 1904, lors de la discussion relative aux chemins de fer :


« … Les vaches maigres semblent sur le point de succéder aux vaches grasses. Vous savez qu’en Algérie les vaches maigres succèdent normalement et régulièrement aux vaches grasses. »


M. Baudin avait constaté ce phénomène en étudiant les oscillations des garanties d’intérêt, qui, on le sait, dépendent des recettes des chemins de fer et par conséquent des bonnes ou des mauvaises récoltes :


« Ces oscillations, dit-il, sont régulières, se produisent de façon fatale, et personne n’y peut rien. »


En effet, personne ne peut rien contre les « irrégularités » « régulières » d’un climat où les extrêmes de toute nature déjouent toutes les prévisions agricoles et font que pour désigner l’exploitation de la terre les Arabes ont un mot synonyme de notre mot loterie.

C’est ce climat qui, toujours d’après M. Jonnart, « détruit en moins de six ans les meilleures traverses de chêne, qui agit constamment sur les vernis, sur les peintures, les boiseries du matériel roulant, de telle sorte que les réparations sont incessantes ».

Les méfaits de ce climat ainsi avoués, s’ajoutant à ce que nous avons déjà établi, vous en conviendrez, sont difficilement conciliables avec la légende de la colonie naturellement riche.