La Vérité sur l’Algérie/06/07

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CHAPITRE VII

La vaillance « ordinaire » de l’Algérien.


Ce « peuple jeune, ardent, impétueux », est né de la guerre, de la victoire, de la conquête. Il est naturel que la caractéristique la plus apparente en sa mentalité nouvelle soit celle qui procède le plus directement des faits de la guerre, de la victoire et de la conquête.

Nous disons la vaillance.

Avec tout ce qui s’ensuit, le courage, l’esprit militaire, etc. Nous verrons. C’est maintenant la vaillance. En Algérie tout le monde est vaillant. En France également. Mais on le dit moins… depuis que Félix Faure a succombé. Le président aux guêtres blanches — du panache aux souliers… chacun fait ce qu’il peut — avait toujours de la vaillance plein la bouche. C’est le type du Français vaillant ; à qui ressemble en vaillance augmentée le vaillant Algérien.

La nature vaillante de l’Algérien pète en son allure ; mais, comme s’il redoutait qu’on pût se tromper et croire que son vaillant chapeau, que sa vaillante perruque, que sa vaillante moustache, que sa vaillante cravate, que sa vaillante canne et ses vaillants tortillements du derrière en marchant, que tout cela ne signifie pas clairement sa vaillance, il prend bien soin de nous la dire lui-même à tout propos, sur tout propos et hors de tout propos.

Dans tout ce que nous mangeons, nous voulons du sel. Dans tout ce qu’il pense et tout ce qu’il dit et tout ce qu’il fait, il veut qu’il y ait de la vaillance. L’idée « colon » est inséparable de celle de « vaillance ». On ne dit pas colon. On dit vaillant colon. Et, en Alger, tout le monde est colon. L’épicier de Marseille est un simple épicier. Passe-t-il la mer, une quinzaine d’heures en transatlantique, et, au lieu de vendre sa cannelle rue de Paradis, la vend-il rue Bab-el-Oued, aussitôt qu’il a, pour se mettre à l’unisson, pris le ton local, ce n’est plus le même homme, ce n’est plus un épicier, mais un colon, un vaillant.

Nos gérants de café sont des personnages importants, qui ont le verbe autoritaire. Ils sont en Algérie des vaillants.

Tous, vous dis-je… partout… épargnez-moi revue plus longue.

On veut une mascarade ; les organisateurs font appel au concours des jeunes gens. Le « comité » publie qu’il « peut compter sur le dévouement de notre vaillante jeunesse » (Dépêche algérienne, 20 avril 1903). La jeunesse qui dépense vingt sous pour un masque est vaillante ; sort-elle avec ce masque, c’est du dévouement.

Le monsieur qui dit un monologue est vaillant, la pucelle qui danse est vaillante, le rimailleur qui massacre un sonnet est vaillant, le barbouilleur qui gâche une toile est vaillant, et celui qui les admire aussi. Même celui-là, vraiment… l’est, vaillant. Et… j’y pense… Comme ils s’entr’admirent, que l’Algérie est une colonie d’admiration mutuelle… c’est tous des vaillants véritables…

Dans les « lettres du Parlement » que publient les journaux, il est bien rare que les députés de l’Algérie n’aient pas « fait vaillamment leur devoir » (Nouvelles, 18 avril 1903). Et cela est tellement passé dans les mœurs, dans les habitudes de langage, que lorsque le gouverneur fait un discours, l’étiquette exige qu’il donne du vaillant à ses administrés.

« L’année 1903 a récompensé nos vaillants colons de leurs peines et de leurs labeurs. » (Délégations financières, 7 mars 1904.)

Et tout cela incruste dans l’esprit algérien l’idée que les actes les plus naturels de l’homme prennent un caractère spécial de vaillance du fait qu’ils sont accomplis en Algérie. Nos académiciens — tel M. Frédéric Masson — quand ils vont pisser et qu’on veut les photographier protestent. L’Algérien serait content, car cela donnerait un vaillant cliché.

Et si vous croyez que j’exagère, parcourez une collection de journaux algériens… C’est tout juste si dans les comptes rendus des tribunaux ils ne donnent point la coutumière, classique, banale et forcée vaillance à leurs voleurs.