La Vérité sur l’Algérie/06/22

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CHAPITRE XXII

La part de l’étranger dans le nombre et dans l’esprit des gens de la masse française d’Algérie.


Et, déjà, vous voyez que la masse française d’Algérie n’est plus française de même qualité que les masses françaises de France. Nous en avons observé les transformations physiques et les déformations mentales. J’ai montré quelle est, dans ces transformations et ces déformations, l’influence de la condition nouvelle des transplantés… Il est un autre élément de transformation et de déformation très important ! le mélange de sang étranger, le contact avec l’étranger. La Colonisation algérienne, maintenant qu’on n’y meurt plus et qu’il y a autre chose que des coups de fusil à recevoir, que des fièvres à récolter, attire une masse considérable d’étrangers. La descendance arabe, laissée par l’islam en Espagne, en Corse, en Italie, à Malte, revient. Cette descendance est désislamisée, mais pas christianisée, pas européanisée. Voilà le phénomène qui échappe aux sociologues, lorsqu’ils parlent du péril étranger en Algérie. Voilà ce qui donne son caractère baroque à la masse européenne, en laquelle se noie le peuplement français de l’Algérie.

L’explication de la déformation de la mentalité française en Algérie, par l’influence étrangère, est plus satisfaisante pour notre amour-propre national et pour notre ignorance des phénomènes d’adaptation, d’acclimatement, que l’explication par l’influence de ces phénomènes ; aussi, les auteurs l’ont-ils généralement invoquée, lorsqu’ils ont essayé de comprendre les horreurs de l’antisémitisme algérien.

Ce fut la thèse de M. Rouanet, le 19 mai 1899, à la tribune, quand il se demandait le pourquoi des « théories violentes, étranges, implacables, affichées par l’antisémitisme algérien » :


« Ah ! ici, j’aborde un terrain très délicat ; je demande à la Chambre toute son attention et je lui demande en même temps de me laisser dire très franchement toute ma pensée.

« Je le ferai modérément, mais je veux dire tout ce que je pense, dans l’ordre d’idées que je vais aborder.

« Si, en 1893, 1894, 1895. l’antisémitisme algérien a pris la forme violente, barbare, que nous lui avons vue prendre à cette tribune, c’est parce que le milieu algérien, où il avait pris naissance, s’était lui-même complètement modifié, c’est parce que l’Algérie de 1895 et 1898, l’Algérie d’aujourd’hui, n’est plus du tout l’Algérie de 1870. La mentalité française, existant encore en 1870, s’est lentement métamorphosée, l’esprit français qui l’animait jadis est allé s’altérant de plus en plus sous l’influence de populations inférieures, d’Espagnols, de Maltais, d’Italiens. La rive méditerranéenne africaine est devenue, comme il y a cinq siècles, l’exutoire de tout le bassin de la Méditerranée, et nous avons contribué, de notre côté, à cette formation d’éléments sociaux hétérogènes, parce que nous avons commis la faute énorme de laisser se rompre les mailles les plus indispensables à la chaîne des traditions et des communications intellectuelles de l’Algérie avec la France. Nous avons créé des écoles supérieures, organisé le recrutement sur place d’un personnel d’instituteurs, de professeurs même, qui ont donné aux futures classes dirigeantes d’Algérie une éducation qui n’était plus du tout une éducation française. »


Dans son livre les Juifs algériens, M. Durieu écrit :


« Il y a maintenant 163.243 Français nés dans le pays. Tandis que leurs pères n’avaient eu à subir que l’influence de l’esprit de conquête et des préventions musulmanes, contrecarrée par une douceur native et un libéralisme convaincu, les fils et les petits-fils ont eu, en outre, à supporter les effets de l’invasion étrangère.

« Depuis 1866, la plèbe étrangère européenne passe de 91.228 individus à 227.503 en 1891, pour s’élever actuellement, malgré la funeste loi de 1889, à 274.929, y compris les naturalisés. Comment ces populations inférieures — espagnoles, maltaises, italiennes — n’auraient-elles pas exercé une influence déprimante sur ces Français algériens ? Aujourd’hui, la contamination des Algériens par les étrangers est devenue le mal le plus redoutable dont souffre l’Algérie. Aux préjugés de leurs pères ils ont joint, aussi facilement qu’inconsciemment, les violents défauts des arriérés avec lesquels ils ont dû se mettre à l’unisson, sous l’influence de cette puissante loi d’imitation sympathique à laquelle aucun être n’échappe.

« Le Français algérien est encore, — il se croit toujours Français. Qu’on laisse ce nivellement s’opérer, il ne sera bientôt plus qu’un métis. »


M. Lenormand a publié (Librairie africaine et coloniale J. André, Paris, rue Bonaparte), sur le propos, un gros livre, le Péril étranger, bourré de documents et de faits précis, qu’il faut lire, de la première page à la dernière, si l’on veut avoir une idée vivante de l’influence étrangère. Un livre que je ne veux ni démarquer, ni résumer, ici, préférant y renvoyer le lecteur.

Cette influence étrangère se traduit par des petits faits caractéristiques, et dont la valeur égale celle des plus savantes dissertations. Lisez ceci, qu’écrivait M. Allan, dans le Petit Fanal oranais du 5 avril 1899 :


« Nous célébrons une fête espagnole et nous en faisons, nous Français, une fête nationale, presque patriotique, parce qu’elle l’est pour les Espagnols. « À l’occasion de la Mouna, dit naïvement le Petit Fanal de dimanche, le journal ne paraîtra pas demain. » Et l’Écho : « Nos ateliers étant fermés aujourd’hui, à l’occasion de la Mouna… » Pour rien au monde, nous n’aurions dit : « À l’occasion du lundi de Pâques… » Je demande si la contre-partie existe ; si les Espagnols ont pris une quelconque de nos coutumes, ont adopté notre manière de vivre, nos plats, et, comme je suis bien obligé de répondre négativement, j’en conclus que ce n’est pas nous, Français, qui sommes les forts et les plus gros, puisque c’est nous qui sommes mangés. »


M. Pierre Batail a publié dans la Vigie algérienne, en 1898, une série de remarquables articles sur la question. Il a constaté, en le déplorant, l’envahissement de l’esprit étranger. Il attribue les excès de l’antisémitisme à « une tourbe venue de tous les pays du monde ». Il se demande : « Serons-nous encore Français demain ou nous livrerons-nous à une poignée d’énergumènes ? » Enfin, il constate que « les Français d’origine n’ont plus le droit de dire leur façon de penser en Algérie ».

Un auteur algérien, pour essayer de réagir contre l’influence étrangère, a publié, en 1898, à Alger, une brochure intitulée : Pour la patrie. J’y ai lu :


« Le Français d’origine manifeste pacifiquement ; il réclame ce qu’il doit réclamer aux pouvoirs publics avec calme, avec dignité ; il ne défonce pas les magasins ; il ne vole pas ; il s’en tient à la manifestation pure et simple ; n’insulte pas la magistrature, l’armée. Il a le sentiment du respect des corps élus à côté de celui du devoir ; il pousse la vénération de la mère-patrie à l’excès et il supporte patiemment ses volontés. »


C’est des premiers jours que tous les observateurs qui voulaient bien regarder, sans obscurcir leur vue par les a priori d’un système quelconque, ont vu les inconvénients de l’élément étranger pour l’idée française dans la colonisation de l’Algérie.

Bugeaud avait vu que l’appel à des gens venant de partout créait un danger. Sa réponse aux projets de Lamoricière, en 1845, est ainsi résumée dans la Revue des Deux Mondes : « Ces colons, venus de tous pays, ne seront pas rattachés les uns aux autres par le lien de la commune patrie. »

En 1854, M. Heurtier, dans un rapport au gouvernement, disait :


« Il n’est pas opportun de provoquer une immigration étrangère trop nombreuse dans nos possessions algériennes. »


En 1884 (21 juin) M. Treille disait à la Chambre :


« En Algérie, nous nous trouvons en présence de 190.000 étrangers qui cherchent à envahir toutes les positions commerciales et industrielles. »


M. Étienne appuyait. Les naturalisés n’étaient pas encore ses électeurs.

Le livre classique de Wahl constate l’influence excessive de l’élément étranger et comment par les mariages cette influence pénètre, en le dénaturant, le sang français.

Dans le recueil des discours parlementaires de M. Cambon, j’ai lu :


« L’Algérie est très rapprochée de la France. C’est à un certain point de vue un avantage, mais c’est aussi un inconvénient, car notre colonie étant beaucoup plus rapprochée de l’Espagne et de l’Italie que de la France, on ne peut pas y ouvrir les bras aussi largement à tous les Européens, d’où qu’ils viennent, qu’au Canada, aux États-Unis ou on Australie.

« Il est certain que, entre les colons français, espagnols et italiens, notre cœur et certainement notre intérêt nous pousseront du côté des colons français. Cependant, tant que notre attention n’a pas été attirée sur cette question, au début de la conquête, nous avons eu une telle affluence d’Espagnols et d’Italiens que nous en étions arrivés à voir le département d’Oran compter plus d’Espagnols que de Français et les Italiens tenir dans le département de Constantine une place qui dépassait de beaucoup celle que nous aurions voulu leur laisser.

« Nous nous sommes préoccupés de cette question, et, je puis le dire au Sénat, il résulte du dernier recensement que pour la première fois le chiffre de la population des étrangers en Algérie, sans que nous les ayons molestés en quoi que ce soit du reste, a été en diminuant, tandis que le chiffre de la population française augmentait. »


Était-ce bien, est-ce bien une population française que celle des naturalisés, car c’est la naturalisation automatique par la loi de 1889 qui donne les résultats chantés par M. Cambon ?

Nous étudierons cette question de la naturalisation dans un autre ouvrage.

Mais dès maintenant il convient d’y fixer votre attention par quelques « extraits ».

Le 18 février 1904, M. Thomson disait à la tribune :


« Sans doute il y a une question grave, plus grave en Algérie que dans la métropole : celle de l’application de la loi du 26 juin 1889. Vous avez substitué au droit du sang le droit du sol ; à la demande formelle, la naturalisation tacite, automatique. Par cette porte pénètre et pénétrera dans la nationalité française toute la population étrangère de l’Algérie. Sa population française s’accroît par le seul effet de cette loi de 2.400 unités par an et le maximum d’incorporation se produira de 1900 à 1910. Il y a là évidemment un problème qui mérite la sérieuse attention du Parlement. »


Oui, un problème très « grave » et qui faisait dire à M. Jonnart le 22 février 1904, à la Chambre :


« … C’est la loi de 1889 qui soulève de sérieuses objections.

« Quand vous voudrez aborder le problème de la naturalisation en Algérie, je suis prêt à revenir devant vous et à vous donner franchement mon avis… »


Puis, le 7 mars 1904, aux Délégations financières d’Alger :


« L’administration n’a pas seulement à se préoccuper dans ce pays de la mise en valeur du sol, mais du maintien de la prépondérance nationale dans l’élément européen. »


Voilà, certes, la réponse négative et la plus autorisée qui soit à la question : « Avons-nous implanté notre race en Algérie ? »

Elle explique cette autre phrase du discours plus haut cité :


« Je connais bien les Algériens. Je les connais depuis longtemps, et permettez-moi de vous faire observer que, si parfois l’ajournement des solutions nécessaires, les lenteurs et les abus de la centralisation, et aussi quelques fausses manœuvres ont provoqué des récriminations véhémentes, beaucoup trop véhémentes, en revanche les témoignages répétés de votre sollicitude et de votre confiance ont toujours contribué à l’apaisement des esprits et fortifié l’idée nationale. »


Voyez l’influence du sang étranger dans cette population française où l’on doit s’inquiéter de fortifier l’idée nationale, où cette idée est compromise quand on ne donne pas à ces Français tout ce qu’ils réclament… Jamais on n’a dit pareille chose d’un département français, d’une colonie française. Nul discours de M. Sénac ne pourrait mieux que cette simple phrase de M. Jonnart nous montrer que l’Algérie cesse d’être française…

Nous ne savons pas si la nouvelle race européenne tiendra sur le sol algérien autrement que par la réadaptation de la descendance africaine qui revient, mais nous savons déjà que la nouvelle race française ne tient pas à demeurer française, puisqu’on doit se préoccuper « d’y maintenir, d’y fortifier l’idée nationale ».

Le fait inflige un cruel démenti aux économistes et aux sociologues dont les théories dirigent notre politique.

L’illustre Jules Duval avait écrit :


« L’Algérie doit éviter avec soin de paraître jamais une rivale pour la France : elle peut d’autant, mieux suivre cette ligne de conduite que l’affluence des étrangers, loin d’être un mal, est pour elle un avantage sous tous les rapports. Les émigrants de l’Europe méridionale surtout… Tous y versent un capital considérable, quelquefois en numéraire, toujours en travail. Par un mélange intime les races comme les terres s’améliorent. Associés à elles toutes et les dominant par une certaine supériorité d’éducation ou d’esprit, ainsi que par la suprématie politique, les Français déploient à leur aise leur qualité d’esprit comme peuple colonisateur : la sociabilité juste et amicale envers tous sans distinction d’origine, de culte, de langue, de costumes, de couleur même de la peau[1]. Réduisez le colon française la compagnie de ses compatriotes, vous lui enlevez les contrastes et, si l’on veut, les spectacles dont il a besoin ; vous l’attristez, vous l’énervez. Son bonheur et sa force, il les trouve dans l’amalgame de toutes ces populations au-dessus desquelles il règne et gouverne.

« L’origine étrangère ne doit laisser aucun souci sur les sentiments. Liés à l’Algérie par la langue et les mœurs, par les souffrances du passé comme par les perspectives de l’avenir ces étrangers seront des colons dévoués autant que les Français eux-mêmes à la défense du sol et du drapeau. » (L’Algérie et les colonies françaises, page 36.)


Le supplément au Dictionnaire de géographie de Vivien de Saint-Martin, dit :


« L’élément français tend visiblement comme de juste à absorber les autres éléments européens, espagnols, italiens, maltais, allemands, suisses, cosmopolites. »


Certains savants, comme le Dr  Bertholon, vont plus loin. Ils sont heureux de la « barbarie » des masses étrangères qui peuplent l’Afrique du Nord. Dans un article sur la Tunisie publié par la Revue générale des sciences, le Dr  Bertholon dit :


« Cette barbarie a son bon côté. En effet, l’influence exercée par les masses d’immigrés siciliens est à peu près nulle… Cette diversité d’influences entre les deux colonies — la française peu nombreuse, mais composée d’hommes d’élite et l’italienne se recrutant d’illettrés en nombre considérable, — montre bien que la masse n’est qu’un facteur secondaire quand l’intelligence n’est pas associée au nombre. »


Le fait plus savant que les savants nous montre exactement le contraire en Algérie.

Et notre national Leroy-Beaulieu ? Soyez patients… Il y avait une opinion fausse à émettre. Notre national ne l’a point ratée. Dans une note à la page 36 de son volume sur l’Algérie, il dit :


« Malheureusement la députation algérienne est peu disposée à encourager les naturalisations nombreuses. La preuve s’en trouve dans le rapport de M. Étienne sur le budget de l’Algérie pour l’année 1887. Il s’opposait au projet si anodin de M. Tirman portant que les fils d’étrangers nés en Algérie seraient de droit déclarés citoyens français, à moins qu’à leur majorité ils n’eussent opté pour leur nationalité d’origine. Ce projet a été depuis lors réalisé. L’objection de M. Étienne est que les Espagnols naturalisés ainsi d’office dans la province d’Oran, où ils sont plus nombreux que les Français, pourraient « s’emparer de toutes les administrations communales et préparer moralement l’annexion du département d’Oran à l’Espagne ». Ce raisonnement est à contresens, puisque la naturalisation portant sur les individus venant chaque année à la majorité serait graduelle. On sent dans cette opposition le politicien qui craint l’arrivée de nouvelles couches d’électeurs. Les Espagnols seront bien plus redoutables si on ne cherche pas à les assimiler. Les Américains aux États-Unis sont autrement larges avec les émigrants allemands qui dans certains comités forment la majorité. Le service militaire à effectuer sur le territoire de la France continentale servirait d’ailleurs à franciser ces jeunes Espagnols.

« Certains écrivains comme M. Paul Bourget se montrent peu favorables aux naturalisations nombreuses qui, d’après eux, altèrent le type national ; mais en admettant cette objection, ce qui n’est pas notre avis pour la France continentale, on ne peut la soulever en Algérie. La collation de la nationalité française à de nombreux étrangers est indispensable en ce pays pour que nous nous y assurions une solide prééminence. Nous ne faisons ainsi qu’imiter les Romains, les grands maîtres de la colonisation africaine. »


C’est là précisément une des causes de la décadence romaine en Afrique…

Il est difficile d’accumuler en aussi peu de lignes autant d’erreurs que sait le faire M. Leroy-Beaulieu.

D’ailleurs il est inutile d’insister. Le fait lui donne tort. Et cela suffit.

Notons seulement que pour une fois que les députés algériens avaient raison, vraiment ils n’eurent pas de chance. On ne les écouta point. Les sophismes de l’école triomphèrent de leur expérience qu’ils n’avaient pas besoin de truquer sur le propos, car elle était alors en accord avec leur intérêt électoral. Il n’en est plus tout à fait de même aujourd’hui… c’est que les Espagnols et Italo-Maltais votent. Lors des récentes campagnes électorales, une partie des affiches, placards, réclames étaient rédigés en langue espagnole. Une est célèbre : celle qui fut signée « senor Eduardo Drumont, deputado de Argel » pour recommander « a los Espanoles » « el dia del Ascension » la candidature de « nuestro amigo Firmino Faure. » Cette affiche, contresignée Carlos Marchal, disait en phrase finale :


« Conoscemos y queremos la España donde no hay Indios y que por esto motivo se queda en frente de los siglos y delante de las ostras naciones siempre con la sangre pura, con la valor invincible y la honor immaculada… »


El presidente Gobert (le maire d’Oran) signait aussi des affiches en langue espagnole « por el Comite de accion ».

Laberdesque enfin luttant contre les antisémites se croyait obligé de publier dans son journal la Revanche du Peuple un article en langue espagnole pour « jurer aux Castillans » qu’il n’avait point servi contre la « sainte mère l’Espagne à Cuba ».

La naturalisation que M. Leroy-Beaulieu proclame sans danger parce qu’elle est « graduelle », « portant sur les individus venant chaque année à la majorité », fait bien des électeurs français… mais des électeurs dont on est réduit à mendier les voix par une réclame en langue espagnole !

La masse inintelligente n’est pas élevée par l’élite comme le croit M. Bertholon. C’est l’élite qui descend vers la masse inintelligente.

Et ce qu’il y a de plus caractéristique avec leur orgueil, leur amour-propre qui veut que chez eux l’ordure sente bon, lorsqu’ils sont par la force de l’évidence obligés de reconnaître le phénomène ethnique de l’absorption de l’élément français par la masse étrangère, ils n’avouent pas que ce phénomène est regrettable. Bien plus ils s’en déclarent heureux. Ils croient que cela produira une race nouvelle, puissante, qui absorbera l’indigène.

M. Albert Hughes, lauréat de l’école de droit d’Alger, écrit en 1899 :


« Dans l’intérêt de la colonisation et en vue de lutter contre la rétrograde inertie des indigènes que l’influence française insuffisamment puissante avait peine à combattre, la France a dû faire appel aux bras de l’étranger. Il a fallu attirer des immigrants en nombre assez considérable pour contribuer à la mise en valeur des terres. Pour arriver à ces fins, force a été d’assurer aux étrangers immigrant dans la colonie un certain nombre d’avantages que nos lois civiles françaises refusent aux étrangers établis sur le territoire continental.

« Mais d’autre part, et afin d’éviter que l’influence française ne finit par succomber sous le poids de l’influence étrangère devenue prépondérante, il a été nécessaire de songer à englober dans la nationalité française la population étrangère qui vit en Algérie sous la protection de nos lois, à faire de ces étrangers des nationaux français et à créer ainsi une race puissante, imbue des sentiments et de l’esprit français, résolue « à lutter contre la nonchalance et la répugnance des indigènes, et destinée à en opérer, dans un avenir éloigné, la complète absorption. »


M. Hughes a raison de dire dans un avenir éloigné… car les probabilités actuelles montrent cet avenir très éloigné.

Le 19 avril 1903 la Dépêche algérienne publiait ceci :


« On reproche à tort aux Algériens leur cosmopolitisme. C’est le plus intéressant qui soit à étudier pour un évolutionniste et le plus sympathique. Il offre le cas assez rare d’être presque exclusivement mélangé de races sœurs ou mieux des familles d’une même race, auxquelles ne s’agrègent et avec lenteur que de petits groupes sémitiques.

« Ainsi, c’est une sorte d’étape vers le cosmopolitisme plus large des races diverses. Il diffère essentiellement de celui d’outre-Méditerranée, en ce qu’il n’est pas seulement un assemblage saisonnier d’hiverneurs riches ou joueurs, mais un groupement de travailleurs définitivement installés, entretenant des préoccupations spéciales, même ayant apporté de leurs pays respectifs des idées spéciales dont l’écho ou la synthèse offre le plus passionnant spectacle d’un mélange bouillonnant où se prépare l’avenir. Ce sont des cosmopolites attachés au pays, des êtres divers réunis dans un même patriotisme économique et géographique violent et durable. »


Un homme qui écrit mieux que les collaborateurs de la Dépêche, mais dont le caractère français est aussi dénaturé, sinon plus, M. Louis Bertrand, modeste écrivain, qui dans la réclame payante de ses ouvrages s’attribue du génie et marque la prétention jolie de régénérer les lettres françaises, publia cette année un roman curieux : Pepete le Bien-Aimé. M. Louis Bertrand est un laborieux qui a mal lu Flaubert, qui n’a pas compris Anatole France et dont les lauriers de Paul Adam troublent les veillées pénibles. À son démarquage les jeunes écrivains français préféreront toujours les origines. Mais cela n’a pas d’importance. Pour mon étude actuelle, ce que je veux sortir du roman de M. Louis Bertrand, c’est les types. Le héros et les êtres qui vivent, agissent dans son œuvre sont d’immondes voyous ; des proxénètes et des souteneurs, des détraqués, des voleurs ; bref, une bande ignoble. M. Deschamps nota cela dans une critique du Temps : « Les bas-fonds d’Alger ne sont pas l’Algérie », disait-il. Mais si…, a riposté M. Louis Bertrand dans un article de Gil Blas. Mais si… mes héros sont bien les types de la race nouvelle. Ils sont francs. Ils sont forts. Vous les méprisez. Tant pis pour vous ! Nous autres Algériens nous les admirons. Votre décadence ne comprend pas que notre race d’avenir est au-dessus de vos antiques préjugés… Tant pis !…

Et M. Bertrand affirme que, la force de la race nouvelle provient de ce que cette race compte beaucoup d’êtres magnifiques à l’instar de Pepete le Bien-Aimé.

Cela est la plus épouvantable preuve de l’altération de la mentalité française en Algérie. Français d’origine, élevé en France, brillant élève de son lycée français, M. Bertrand n’a pas oublié notre langue ; il l’écrit encore — non pas en écrivain de génie, certes ! — mais la vie algérienne lui a fait oublier notre esprit. Pepete le Bien-Aimé l’a trop profondément pénétré. Pepete le Bien-Aimé lui a inculqué sa force, je n’en doute pas. Or, à ce jeu M. Louis Bertrand a perdu le caractère français. S’il met sa gloire à passer pour un vrai « pataouette », je veux bien…

Mais ils sont trop dans son cas. Et c’est pour cela que nous disons que leur Algérie n’est plus française.

Ce n’est pas nous qui donnons à la race nouvelle sa mentalité, c’est l’élément étranger.

Bonvalot disait pourquoi, lorsqu’il écrivait dans l’Écho de Paris, mars 1903 :


« Inutile d’ajouter que dans de telles conditions une mentalité ne se transmet pas, quelles que soient les lois qu’on vote. Les Espagnols, les Maltais, les Italiens, les Napolitains ne deviendront pas Français en Algérie, à moins que les Français ne soient de beaucoup plus nombreux, ainsi qu’il arrive aux Américains par rapport aux autres émigrants et qui absorbent les étrangers. Tel n’est pas le cas. »


En effet… Vous pouvez envoyer des foules espagnoles en Amérique, aux États-Unis. La masse yankee les absorbe.

Mais il n’y a pas de masse française en Algérie pour absorber les masses d’étrangers méditerranéens.

C’est en présence :

1o 171.500 Français de France, y compris l’armée, c’est-à-dire en réalité 70.000 Français seulement, en qui l’esprit français diminue suivant qu’augmente le temps de séjour et l’influence de l’ambiance. (Les magistrats sont les gens qui permettent le mieux de noter le phénomène. Telles coutumes algériennes les scandalisent en leur première année de séjour. Peu après ils n’en sont plus choqués et même en arrivent à les trouver naturelles.)

2o 170.964 Français nés en Algérie, en qui non seulement l’esprit français, mais le sang français est diminué, car les mariages mixtes leur ont mis plus d’un quart de sang étranger dans les veines. Et il ne faut pas oublier que dans ces métissages l’influence dominante appartient au sang des races dont les pays d’origine se rapprochent le plus des pays où a lieu le métissage. C’est le cas pour les Espagnols, les Italiens et les Maltais dans leurs croisements avec les Français en Algérie. Les atavismes de l’élément étranger l’emportent sur les atavismes de l’élément français dans les produits des mariages mixtes. La différence qu’il y a entre les sang-mêlé d’Algérie et des Français apparaît moins marquée, certes, que si l’élément étranger était un élément nègre ; mais pour qui sait observer les races, elle apparaît non moins nettement.

3o 71.793 naturalisés.

Cette catégorie de Français n’offre avec la masse étrangère qu’une seule différence, celle d’état civil.

4o 245.853 étrangers.

Et vous voyez quelle supériorité de nombre a l’étranger.

C’est 317.646 étrangers et 170.964 Français étrangers par le quart du sang contre 70.000 Français de sang pur. Je ne puis en effet admettre pour chiffre des Français nés en France que ce chiffre de 70.000, puisque dans le recensement de 1900, qui donnerait le chiffre de 171.500, l’armée n’est pas comprise dans la population à part chiffrée seulement à 16.331, alors que dans le précédent recensement de 1896 cette population à part, en y comprenant l’armée, se chiffrait par 69.843.

Ces divers groupes, dont on voit l’énorme différence de force numérique, sont des groupes en crise d’adaptation, d’acclimatement. Dans ces crises la nature demande aux groupes qui les subissent d’abord la puissance de l’estomac, ensuite celle de la génération ; la force du cerveau pour les fonctions de l’intelligence est alors secondaire. La supériorité de l’esprit n’est capable de neutraliser la supériorité du sang que lorsque les groupes sont adaptés, séparément, parallèlement. Cette adaptation, personne ne pourra la dire réalisée ou non réalisée avant deux ou trois siècles. Pour le moment il n’y a que la crise d’où elle sortira ou ne sortira point. Et dans cette crise la suprématie est au nombre, surtout si à ce nombre se joint la supériorité du sang, — étant donné que le mot sang veut dire les forces animales. Cette suprématie, les chiffres des statistiques la montrent, et tout ce que j’ai dit jusqu’à présent l’explique.

M. Édouard Cat l’a constatée aussi :


« Les étrangers, Espagnols ou Italiens, sont ici tout près de leur pays d’origine ; ils y retournent assez fréquemment ; ils y conservent des attaches et des relations. De plus, dans la colonie, ces étrangers ne sont pas, comme en France, isolés, disséminés et presque fondus dans la masse des Français, quarante fois plus nombreuse ; ici, au contraire, les étrangers l’emportent en nombre sur nos compatriotes et, par suite, on est en droit de craindre que l’idée française, au lieu de pénétrer la masse étrangère, vienne à s’y dissoudre et à se perdre.

« Ce qui est grave surtout, c’est que ces étrangers forment en Algérie des groupements compacts. L’Espagnol qui débarque à Oran, qui vient s’installer à la Cantère, pourrait croire n’avoir pas quitté son pays et se figure volontiers être encore sur les terres de la Reyna. L’Italien qui arrive à Bône, à Philippeville, à Alger, rue de la Marine, s’imagine toujours être dans le royaume du re Umberto. Et non seulement ces groupement sont fort compacts, mais ceux qui les constituent vivent toujours entre eux, parlent la langue maternelle, gardent les mœurs de là-bas, ne prennent ni nos habitudes, ni nos idées. Et cependant, de par la loi de 1889, d’une façon qu’on a ingénieusement qualifiée d’automatique, ils deviennent Français en droit, mais généralement sans l’être par l’esprit ou par le cœur. » (L’Idée française en Algérie, brochure de 1898.)


L’élément français avec la mentalité française ne subsiste en Algérie que par l’apport incessant de Français de la métropole.

C’est même le motif honnête qui met le gouvernement général en accord avec les mobiles malhonnêtes pour lesquels les Algériens tiennent au développement de la colonisation officielle.

C’est parce que M. Jonnart voit diminuer l’élément français qu’il veut le renforcer en attirant de nouveaux Français par cette œuvre de la colonisation officielle, laquelle — en réalité — ruine les indigènes dépossédés, pour enrichir certaines catégories d’Algériens, sans fortifier l’influence française.

L’administration algérienne lutte contre son dessein en prenant la colonisation officielle pour moyen de résistance à l’envahissement étranger.


« Les colons officiels, dit M. de Peyerimhoff, versent un peu de sang français dans le mélange qui se cristallise aujourd’hui et d’où sortira demain le peuple algérien. » (Délég. fin. 2e volume. 1re partie, page 98.)


Le sang français ainsi versé dans le mélange en cristallisation pour employer les belles expressions de l’humaniste du gouvernement général ne suffit pas à compenser…

Mais nous verrons cela plus tard. Pour le moment et comme fin de ce chapitre sur les étrangers en Algérie je vous prie de lire et de méditer ceci :


« Comment d’ailleurs arrêterions-nous dans nos colonies l’invasion de la marchandise étrangère et de l’élément étranger, quand nous ne pouvons point les enrayer chez nous ; quand, de plus en plus, l’indigène en France devient fonctionnaire ou domestique, suivant qu’il habite la ville ou la campagne, laissant les emplois lucratifs mais qui exigent initiative et vaillance aux étrangers ; lorsque tous nos grands ports, toutes nos grandes villes frontières sont habitées de plus en plus par des étrangers ? Comment ferions-nous d’Oran et de Tunis des villes françaises quand Nice, Toulon et Marseille, quand Roubaix et Tourcoing cessent de plus en plus de l’être ? Chez nous, comme disait Skobelef en parlant des Allemands des Provinces baltiques, nous ne sommes plus chez nous. Il y a à Marseille environ cent mille Italiens nés en Italie, et au moins cent mille autres Italiens nés en France, mais fils ou arrière petits-fils d’Italiens à qui la loi de 1880 a bien pu conférer la nationalité française, mais non le cœur français. Supposez qu’une guerre heureuse donne Marseille à l’Italie, du jour au lendemain, par la simple substitution d’une garnison, de fonctionnaires et de fournisseurs italiens aux soldats, aux fonctionnaires et aux fournisseurs français, du jour au lendemain il y aura à l’hôtel de ville de Marseille une municipalité de langue italienne. Voilà qui éclaire sous son vrai jour le soi-disant antisémitisme algérien aussi bien que les grèves marseillaises où des agitateurs, payés ou non, mais haineux de la France, couvrent d’oripeaux éclatants et dissimulent sous les noms pompeux d’antisémitisme et de socialisme leur vilaine besogne antifrançaise. »


J’ai pris cette page dans une brochure du Comité Dupleix : Le pays des célibataires et des fils uniques, par Georges Rossignol, 1901.

  1. Pauvre rêveur ! Il n’avait pas prévu les tribunaux répressifs ni la politique indigène d’Indo-Chine, du Congo, etc.