La Verdure dorée/La maison où je l’ai connue

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La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 34-35).

XIX


La maison où je l’ai connue
Abrite un cuistre chauve et gras.
Où est la courbe de ses bras ?
Où est sa gorge dure et nue ?

Bon cuistre (hic, hœc, hoc ; hujus,
Hujus, hujus), parle-moi d’elle,
Que ta voix comme une chandelle
Éclaire les plaisirs que j’eus.

Je viendrai dans l’étroite chambre,
Et les souvenirs sur les murs
Seront pareils à des fruits mûrs
Sur les espaliers de septembre.

Cuistre adorable (hic, hœc, hoc),
Son amant fleure-t-il le musc, le
Corylopsis ? Tend-il le muscle
Du mollet comme un jeune coq ?

Voici le store et les persiennes.
Le soir elle s’endormait là.
La tendresse donnait le la
Sous les gravures anciennes.


Cuistre, je t’aime avec éclat
Car le cuir de ton crâne chauve
Reflète l’ombre de l’alcôve
Où l’amour aux dieux m’égala.

Une feuille de l’hiver blême
Tombe sur la table où j’écris ;
Et je raille malgré les cris
Que j’entends au fond de moi-même.

Que ne puis-je être allègre et doux
Comme un lièvre sur une touffe,
À l’heure où le chagrin m’étouffe
Et me fait ployer les genoux !

Ils disent que la vie est belle.
Je meurs, tu meurs et nous mourons.
De liserons, parons nos fronts.
Ouvrez l’amour comme une ombrelle.

Ah ! ferme ces yeux obstinés
Si rien au monde n’est durable,
Et mets la lampe sous la table
Car l’encrier te rit au nez.