La Verdure dorée/Mes trompettes adolescentes

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La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 219-220).

CXXVIII


Mes trompettes adolescentes
Ont déchiré l’ombre des sentes.

J’ai rêvé d’empoigner le crin
De Pégase, Jean Pellerin,

Et d’éblouir les demoiselles
Sur le cheval aux blanches ailes.

Au bruit des vers que je chantais
Je pensais vaincre les cités ;

Qu’on jetterait sur mes bottines
Des lauriers et des églantines ;

Que les vierges en me nommant
Seraient prises d’un tremblement

Et qu’à Passy, charmante ivresse,
Les chauffeurs sauraient mon adresse.

Mais à ce rêve où je me plus.
Aujourd’hui je ne songe plus.

Mon livre vint et les libraires
En vendirent trois exemplaires.


Livres vendus ! Ah ! parlons d’eux
Sur les quais j’en ai revu deux ;

Le troisième, sa couverture
Couvre des pots de confiture,

Et l’épicier que je connais
De ses pages fait des cornets.

Oh ! la plus noire des boutiques !
Le sucre y poisse mes distiques,

Et mon sourire et mes sanglots
Enveloppent des berlingots

Et parfois, dans une élégie,
Le garçon roule une bougie.

Jean Pellerin, Jean Pellerin,
Pour la gloire j’ai pris le train,

Mais chanteur ivre de lumière
Je suis tombé par la portière.

Et me voilà sur le talus,
Là-bas, le train ne paraît plus,

Et je goûte, suave étude,
Les roses de la solitude.