La Verdure dorée/Quelle bataille se livre

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La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. 4-6).

II

À Lucien Corpechot.


Quelle bataille se livre
Sous les constellations ?
Fatigué de mon cœur ivre
Et du cri des passions,

Lassé de lutter, de mordre
Et de vaincre, j’aspirais,
Dans l’apaisement de l’ordre,
À des songes mesurés.

Sage et pur, oubliant celle,
Dont la chevelure ainsi
Qu’une eau vivante ruisselle
Sur ma joie et mon souci,

Onde magnifique et noire
Où le poète noierait
Sa passion de la gloire,
Son espoir et son regret,

Je voulais sous le feuillage
De ce fabuleux été
Écraser sur chaque page
L’ombre chaude et la clarté,


Le trèfle rouge qui brûle,
L’air qui dort, le bruit des eaux
Aux rameaux du crépuscule
Le tumulte des oiseaux,

Dans les ténèbres fleuries
La lune, fruit d’un beau soir
L’herbe humide des prairies
Et l’azur sonore. — Espoir,

S’attaquant à la nature
Le poète la pétrit
Pour en faire l’œuvre où dure
Le triomphe de l’esprit.

Mais quoi ! langoureuse celle,
Dont la chevelure ainsi
Qu’une eau vivante ruisselle
Sur ma joie et mon souci,

Découvre sa gorge blanche
Et féconde en voluptés,
Sourit et vers moi se penche
Dans l’ombre où je méditais.

Qu’est-ce ? Le monde chavire
Comme un jeu de vains décors ;
Elle est belle et je respire
L’odeur lourde de son corps.


Vignes blanches de rosée,
Peupliers jaunes et verts,
Sa main sur mes yeux posée
Me dérobe l’univers.