La Vie & la Mort/LE REFUGE DU DIABLE

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LE REFUGE DU DIABLE



Sa Magesté le Diable, empereur de la Terre,
Par la queue en suspens,
Au haut d’un pin songeait, morose et solitaire,
En forgeant des piquants pour arbustes grimpants
Et des dards pour serpents.

Or, il avait pourvu tous les aigles de serres
Et tous les fruits de vers,
Inventé les grêlons, les forbans, les faussaires,
Les tigres, et, dit-on, lâché sur l’univers
Las ! les faiseurs de vers !

Bref, il ne savait plus, ne trouvant rien de pire
Par quoi continuer,
Quand il vit tout-à-coup, sur son terrestre empire,
Deux mille millions de mortels le huer,
Et vers lui se ruer !

« Mort au Diable ! mort ! mort ! hurlait la foule affreuse,
Assez de ses exploits ! »
Et noire, elle approchait, approchait, plus nombreuse,
Bondissant des ravins, et des monts, et des bois,
Vers le diable aux abois.


« Hum ! cette ovation me paraît mal conduite !
Pensa-t-il. Avisons ! »
Et, déroulant sa queue énorme, il prit la fuite,
En sautant, en sautant, de buissons en buissons,
Sous les arbres grisons.

Il courut, il courut sur la terre déserte,
Il courut, il chercha
Une montagne haute et de neige couverte.
Il en vit une au loin. Lestement, comme un chat,
Dessus, il se percha.

« Hum ! dit l’Empereur noir, les vilaines manières ! »
Se voyant dénicher,
Il fit une gambade, enfila des tanières
D’ours blancs, et défiant ses sujets d’approcher,
Entra dans un rocher.

« Le roc est bien trop dur pour qu’on vienne m’y prendre !
Tâchons de nous tapir ! »
Mais, sous le fer de l’Homme, il vit le mont se fendre !
Hum ! Le Diable éteignit un volcan d’un soupir,
Mais il dut déguerpir.

« Tant d’assiduité chez mon peuple me flatte ! »
Dit-il en maugréant.
Et, voyant luire au loin la mer trompeuse et plate,
Il courut, puis du haut d’un platane géant,
Plongea dans l’Océan.


« Enfin ! je suis tranquille et peux reprendre haleine ! »
Le noir Monarque alla
S’assoupir mollement sur un dos de baleine…
Mais tout-à-coup il vit des tubes et trembla ;
Des plongeurs étaient là !

« Ah ! va-t-on me laisser la paix ? rugit le Diable
Je suis las à la fin ! »
Et traversant la mer d’un seul bond effroyable,
Maigre, mince, accourci par le froid, par la faim
Menu, menu, fin, fin.

Si fin qu’il se pouvait rouler en une boule
Pas plus grosse que ça,
Il revint sur la Terre ; et, voyant dans la foule
Un cœur de jeune femme, il se rapetissa,
Puis, malin, s’y glissa !

« Plus faux que mer, plus dur que roc, plus faux que glace !
Merveille des séjours !…
Hum ! dit le Diable, en paix que d’ici l’on me chasse ! »
Et de fait, malgré l’Homme, hélas ! et les Amours,
Le Diable est là, toujours.